Collecte-t-on trop ou pas assez d’impôts en Afrique ?

L’amélioration de la performance fiscale constitue l’un des défis de développement pour les pays africains.[1] Dans sa publication récente sur les recettes publiques en Afrique[2], l’OCDE indique que la mobilisation des recettes fiscales est en progression, se situant à 19,1% du PIB en moyenne pour les pays étudiés, mais demeurent en retrait par rapport à la performance d’autres régions dans le monde (22,3% en Amérique Latine dont les pays ont une structure fiscale comparable à ceux d’Afrique). Selon l’institution, cette performance est « due à deux facteurs. D’abord, la bonne performance des économies africaines, et notamment leur forte croissance, ensuite l’augmentation des capacités à taxer, notamment de la TVA, des administrations fiscales»[3] mais elle craint que la fiscalité ne devienne régressive[4] sur le continent. Elle part du constat que les impôts sur les biens et services constituent aujourd’hui l’essentiel des recettes fiscales (57.2 % en moyenne), la TVA arrivant en tête, suivis des impôts sur le revenu et sur les bénéfices (32.4 %). Cette situation soulève plusieurs interrogations sur la capacité des pays africains à mobiliser davantage de recettes fiscales. Spécifiquement, les pays africains collecteraient-ils trop d’impôts indirects et pas assez d’impôts directs ?

Afin de répondre à cette question ; des experts de L’Afrique des Idées ont élaboré une nouvelle approche pour estimer l’écart fiscal[5]. Cette estimation permettra de déterminer le compromis à trouver entre l’assiette et la pression fiscales pour maximiser les recettes fiscales en Afrique. Il faut préciser que la performance fiscale dépend, outre l’activité économique, d’autres facteurs difficilement quantifiables : exemptions fiscales, dépenses fiscales, évasion fiscale, gestion de l’administration fiscale, etc. Ces facteurs peuvent affecter la performance fiscale d’un pays en le révisant à la hausse ou à la baisse par rapport à son potentiel fiscal réel, déterminé par la structure de son économie et la législation en place. Dans l’un ou l’autre des cas, cet écart fiscal serait nuisible à l’économie. Une moindre performance constitue un manque à gagner et pourrait limiter les investissements publics alors qu’une surperformance pourrait ralentir l’investissement privé.

Une méthode d’estimation de l’écart fiscal

L’écart fiscal se mesure comme la différence entre les recettes fiscales collectées et les recettes fiscales potentielles. Ces dernières dépendent de la structure de l’économie, qui détermine l’assiette fiscale, et des politiques publiques qui établissent le taux moyen d’imposition. La structure de l’économie se mesure à partir de la valeur ajoutée des différents secteurs de l’activité économique et du niveau de développement humain. Quant aux politiques publiques, elles sont approximées par le taux d’inflation, le niveau des inégalités et l’existence d’une rente minière.

L’estimation consiste à comparer les recettes fiscales effectivement collectées par chaque pays africain entre 1996 et 2011 à celles qu’a pu collecter un autre pays, non africain, ayant la même structure économique et le même niveau de développement. Ainsi, une performance supérieure traduirait un « trop perçu fiscal » alors qu’une moindre performance correspondrait à un « manque à gagner fiscal ».

Un trop perçu fiscal en Afrique par rapport au reste du monde

Les résultats des analyses suggèrent que même si les pays africains affichent des performances fiscales plus faibles que les autres pays du monde, leurs administrations fiscales affichent globalement des performances supérieures au regard de la structure de leur économie. Sur les 49 pays analysés, près de la moitié affichent un trop perçu fiscal.  La performance fiscale des pays concernés serait de 1.3 (Tunisie) à 3.5 (Namibie) fois supérieure à son niveau potentiel. Seuls la Côte d’Ivoire, le Djibouti et le Nigéria ont un manque à gagner fiscal ; le reste étant à des niveaux comparables avec le reste du monde. La Côte d’Ivoire, pour sa part, ne mobilise pour l’heure que 90% de son potentiel. A l’exception de la Côte d’Ivoire, cet écart fiscal ne tend pas à se réduire.

Ce trop perçu fiscal se manifeste notamment dans les taxes directes composées principalement des impôts sur les bénéfices et sur les revenus[6]. En ce qui concerne les taxes indirectes et douanières, il n’y a pas d’écart par rapport au potentiel fiscal ; la quasi-totalité des pays africains étant pratiquement au même niveau que les autres pays du monde.

Ce résultat se comprend assez bien dans la mesure où le faible nombre d’entreprises et de salariés dans le secteur formel africain permet à l’administration fiscale de recouvrer plus facilement les taxes directes. Il est aussi caractéristique d’une politique fiscale trop centrée sur les taxes prélevées sur les activités du secteur privé formel. Au Sénégal par exemple, le taux d’imposition moyen sur les entreprises s’établit à 48% alors que la pression fiscale au Sénégal se situe à environ 20%.[7] Ainsi la faiblesse des recettes fiscales des pays africains par rapport à la taille de leur économie s’explique essentiellement par l’étroitesse de leurs assiettes fiscales. Par ailleurs, la pression fiscale exercée sur le secteur privé, principale source des recettes fiscales, est trop forte par rapport aux pratiques dans le reste du monde et pourrait contribuer à affaiblir la capacité des Etats à élargir l’assiette fiscale.

Quelle mesure pour améliorer la performance fiscale des pays africains ?

Au regard de ces résultats, l’amélioration de la performance fiscale dans les pays africains passera essentiellement par la mise en place d’un cadre favorable au développement du secteur privé. Pour ce faire, il faudrait surtout réduire la pression fiscale exercée sur le secteur privé afin de favoriser sa croissance et sa compétitivité. Cette forte fiscalité constitue, par ailleurs, l’une des contraintes majeures à la formalisation de certaines entreprises. L’assouplissement de la pression fiscale permettra donc de faciliter l’intégration de certaines « grosses » entités informelles dans l’assiette. Une telle stratégie renforcera aussi l’attractivité des économies pour les entrepreneurs, contribuant ainsi à élargir l’assiette fiscale. Certains pays comme le Lesotho ont entamé des réformes dans ce sens, ce qui leur a permis d’améliorer sensiblement leur performance fiscale sans constituer un obstacle pour le secteur privé. Selon l’étude « Paying Taxes 2016 » de Pricewaterhouse Coopers, le Lesotho est le pays africain avec le plus faible taux d’imposition des entreprises (13,6% en 2015) alors que son ratio de recettes fiscales sur PIB est le plus élevé du continent (40% contre 35% en moyenne dans les pays de l’OCDE) ; ces revenus fiscaux s’appuyant sur toutes les catégories de taxes.

Foly Ananou et Georges Vivien Houngbonon

[1] Cette amélioration se mesure par l’évolution du ratio des recettes fiscales sur le PIB.

[2] Ce rapport couvre 16 pays : Afrique du Sud, Cabo Verde, Cameroun, Côte d’Ivoire, Ghana, Kenya, Maroc, Maurice, Niger, Ouganda, République démocratique du Congo, Rwanda, Sénégal, Swaziland, Togo et Tunisie

[3] Interview de Federico Bonaglia, Directeur adjoint du Centre de développement de l’OCDE pour Jeune Afrique à l’occasion de la publication de l’édition 2017 des Statistiques des recettes publiques en Afrique.

[4] Soit que les Etats ne lèvent que peu d’impôts directs (impôts sur les revenus notamment) quand la base s’accroît.

[5] Se rapprocher des auteurs pour en savoir plus.

[6] Certains pays, comme l’Ethiopie, mobilise jusqu’à 25 fois plus que ce qu’ils devraient dans cette catégorie.

[7] Pricewaterhouse Coopers (PwC) et World Bank, Paying Taxes 2016 : Ten years of in-depth analysis

Mobilisation des recettes fiscales dans l’UEMOA : L’obstacle de l’informel, le levier du mobile-money

La mobilisation des recettes fiscales est, pour les pays africains, une urgence face aux besoins en financement nécessaires pour l’exécution des programmes de développement. Dans un contexte marqué par la raréfaction de l’aide publique au développement et le renchérissement de la dette, elle est encore plus pressante pour les Etats de l’UEMOA dont les rentrées fiscales représentent à peine 15% de leur produit intérieur brut (PIB), soit un niveau deux fois inférieur à celui constaté dans les pays de l’OCDE.

Ce rapport revisite l’ampleur du manque à gagner fiscal au sein des pays de l’UEMOA et analyse le rôle qu’y jouent le secteur informel et la fraude fiscale. Retrouvez ici l’intégralité de l’étude.

Non, Monsieur Macron, le défi de l’Afrique n’est pas civilisationnel

Au détour d’une conférence de presse[1] en marge du sommet du G20 à Hambourg, Emmanuel Macron a affirmé en substance que « le défi de l’Afrique … est civilisationnel », une thèse passéiste, fondée sur des constats erronés, et totalement décalée par rapport aux dynamiques en cours sur le continent. Reprenons le fil du raisonnement.

Le défi de l’Afrique selon Macron

Selon Macron, les promesses d’aide au développement de l’Afrique ont été tenues, mais l’aide financière seule ne suffit pas car le défi de l’Afrique serait civilisationnel. Il serait caractérisé par des Etats faillis, des processus démocratiques complexes, une transition démographique mal maîtrisée, l’insécurité et le fondamentalisme violent. Une litanie de maux en dépit des taux de croissance significatifs de certaines économies qui peuvent laisser entrevoir des perspectives positives. Le rôle des pays développés en général et plus particulièrement de la France serait donc de promouvoir la primauté du secteur privé, de financer l’investissement dans les biens publics (infrastructures, éducation et santé) et de garantir la sécurité en lien avec les organisations régionales. Dans ce cadre, la responsabilité des gouvernements africains serait d’assurer la bonne gouvernance, de lutter contre la corruption et surtout de maîtriser la transition démographique car, selon le président français, « avec 7 à 8 enfants par femme, investir des milliards d’euros ne stabilise rien ».

Une répétition de la posture paternaliste

Parler de défi civilisationnel présuppose d’une part qu’il existerait une norme unique de progrès humain et d’autre part que l’Afrique en serait particulièrement dépourvue. Or, les connaissances accumulées à partir de recherches archéologiques permettent d’affirmer qu’il existe plutôt des civilisations, variant dans le temps et dans l’espace, avec chacune des apports majeurs à l’humanité. Il en est ainsi des civilisations égyptienne, maya, chinoise, grecque, romaine, etc. Dans ce contexte, la civilisation occidentale ne saurait servir de modèle pour tous. L’idée que l’Afrique serait dépourvue de civilisation et qu’il faille y transposer un modèle venu d’ailleurs entre en résonance avec le discours d’un passé récent prononcé par le président Sarkozy à Dakar. Il témoigne d’un déni d’histoire de l’Afrique pourtant attestée par plusieurs sources formelles. L’ouvrage de l’UNESCO sur le sujet ou les innombrables objets d’art africains présents dans les musées français en sont quelques preuves. Il entre également en résonance avec un autre discours d’un passé plus lointain, celui de Victor Hugo prononcé en 1879, en prélude à la colonisation du continent. La vraie question que soulève cette affirmation est pourquoi, plus de 150 ans après Victor Hugo, le numéro un français reprend la même thèse. Pourquoi l’Afrique n’a-t-elle pas évolué depuis ? N’est-ce pas là le résultat de la posture paternaliste qui a toujours caractérisé les relations entre l’Occident et l’Afrique ? De la colonisation sur laquelle Emmanuel Macron a plutôt eu une lecture éclairée aux indépendances molles ?

Des constats discutables

La thèse de Macron est fondée sur des constats erronés trop souvent usités par manque de recul. En effet, en matière d’aide au développement, rien n’a encore été fait pour l’Afrique. Selon les statistiques de l’OCDE seulement 0,3% du Produit National Brut (PNB) des pays développés est dédié à l’aide au développement, deux fois moins que les 0,7% promis depuis 1970. Or, l’aide au développement, loin d’être une charité, est une contrepartie des manques à gagner générés par l’ouverture commerciale des pays en développement. Ce déficit est largement comblé par les Africains de la diaspora qui prennent le relais en transférant des fonds vers leurs pays d’origine. Ces transferts dépassent largement l’aide au développement et servent à atténuer les chocs de revenus et à financer l’entrepreneuriat et l’investissement dans le capital humain.[2]

Contrairement à l’idée répandue, la croissance démographique n’est pas un problème, ni pour l’Afrique, ni pour l’Europe. La peur de la démographie africaine est trop souvent entretenue par ceux qui appréhendent l’immigration. Or, elle peut être une chance si chaque jeune africain avait la liberté de se réaliser, cette liberté parfois restreinte par les politiques des pays développés protégeant leurs intérêts par le biais de dictateurs-prédateurs sur le continent. Par ailleurs, contrairement à l’affirmation d’Emmanuel Macron, il n’y a pas de lien de cause à effet entre population et développement.[3] La théorie malthusienne de la surpopulation a longtemps été remise en cause par les effets positifs du dividende démographique et du caractère universel de la transition démographique. Les forts taux de fécondité s’observent dans des environnements où le taux de mortalité infantile est élevé. Il en a été ainsi jusqu’au XIXème siècle en Europe et cela n’a pas entravé son essor économique.

L’Afrique qui renaît

Le discours de Macron à Hambourg témoigne du regard porté encore sur l’Afrique à travers un prisme tronqué donnant lieu à des interprétations en déphasage par rapport aux dynamiques actuelles. L’Afrique se transforme par le biais de mécanismes difficilement quantifiables et donc orthogonaux aux taux de croissance du PIB. Ses jeunes entreprennent, innovent et aspirent à une société plus libre.[4] Ses leaders se renouvellent et rompent avec les liens et pratiques anciens. Comme le suggère Felwine Sarr, partout en Afrique, il y a comme une phase de travail, préalable à la naissance d’une société nouvelle dont la nature ne demande qu’à être définie. C’est en cela que consiste le défi de l’Afrique, il n’est pas civilisationnel, mais transformationnel. A l’heure où les nationalistes ont le vent en poupe, où bon nombre de jeunes africains entretiennent un rapport de défiance vis-à-vis de la France, il n’est pas opportun d’adopter une posture paternaliste dans les relations franco-africaines. Plaidons, dans la mesure du possible, pour de la co-construction.

Georges Vivien HOUNGBONON

[1] Le Président Macron répondant à la question du journaliste Philippe Kouhon d’Afrikipresse. Lien vers la vidéo de la conférence (à partir de la 25ème minute) : http://www.elysee.fr/videos/new-video-17/

[2] Cf. Perspectives Economiques Africaines 2017

[3] L’exemple de 7 à 8 enfants par femme est d’ailleurs très anecdotique car ne correspondant qu’au Niger. Selon les perspectives économiques en Afrique, le taux de fécondité y est de 4,5 enfants par femme en 2016.

[4] Voir par exemple le dernier rapport thématique des perspectives économiques en Afrique.

Mise en ligne le 12.07.17

L’illusion de l’entrepreneuriat en Afrique

youth_ict_1Dans une Afrique où 60% des chômeurs ont moins de 25 ans,[1] l’entrepreneuriat est devenu la panacée, la solution miracle privilégiée par les décideurs politiques et par les jeunes eux-mêmes. Cet engouement pour l’entrepreneuriat se manifeste à travers les innombrables programmes gouvernementaux en soutien à l’entrepreneuriat des jeunes (25% des projets y sont consacrés)[2], et aussi à travers le désir des jeunes chômeurs de créer leurs propres entreprises (35% des chômeurs envisagent de créer leur propre entreprise)[3]. Cet engouement correspond-t-il à la réalité de l’entrepreneuriat ? L’Afrique serait-elle une exception à cette réalité ? Existe-t-il des voies alternatives à l’emploi des jeunes en Afrique ? Cet article se propose d’ouvrir le débat sur ces questions.

La réalité de l’entrepreneuriat dans le Monde

Parler des limites de l’entrepreneuriat en Afrique fait tout de suite référence aux problématiques d’accès au financement. Il serait donc plus pertinent de commencer par examiner les performances des entrepreneurs dans d’autres régions du Monde où l’accès au financement et la bureaucratie sont plus favorables. A cet effet, les Etats-Unis d’Amérique seraient le bon cadre d’analyse puisque c’est dans cette fédération que l’on retrouve les startups qui ont eu le plus de succès au cours des 20 dernières années (Google, Amazon, Facebook, Apple). Or c’est justement dans cette région du Monde que les statistiques les plus récentes montrent un taux d’échec allant jusqu’à 50% des nouveaux startups.

Selon le graphique ci-dessous, seuls 50% des nouvelles startups ont pu réaliser un chiffre d’affaire six années après leur création. Celles qui ont réussi ne réalisent pas non plus des chiffres d’affaires importants. Ainsi, elles sont moins de 1% à pouvoir réaliser plus de 5 millions de dollars US de chiffre d’affaires six années après leur création. Cette distribution des chances de succès d’une startup est similaire à celle de la loterie : très peu de gagnants à l’exception de quelques chanceux. Tout se passe comme si seulement 1% des startups auront la chance de devenir de grandes entreprises, et cela dans un environnement où il existe très peu d’obstacles à l’entrepreneuriat.

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Source: Shane (2009). Donnees US Census Bureau

On peut toutefois arguer que des entreprises ayant six ans n’ont pas encore atteint leur maturité et qu’il serait possible qu’elles réussissent plus tard. Cette hypothèse est largement remise en cause par une autre étude portant sur la valeur des capitaux propres de 22 000 startups créées entre 1987 et 2008 aux Etats-Unis (graphique 2 ci-dessous). Il en ressort clairement que ¾ de ces entreprises n’ont aucune valeur boursière de nombreuses années après leur création. Là encore, seulement quelques-unes, moins de 1%, parviennent à avoir une valeur boursière supérieure à 500 millions de dollars US. Il ne s’agit donc pas d’un biais lié au manque de recul : la réalité de l’entrepreneuriat est qu’à peine 1% des startups deviennent des grandes entreprises. La perception générale que l’on a de l’entrepreneuriat est largement biaisée par le fait que seuls les « success stories » sont présentées au grand public, occultant ainsi le plus grand nombre dont font partie les perdants, exactement comme dans le cas d’une loterie.

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Source: Hall and Woodward (2010). Donnees Stand Hills Econometrics

Jouer à la « loterie » de l’entrepreneuriat en soi n’est pas une mauvaise chose. Ce qui est dommageable, c’est l’illusion qu’elle donne à des centaines de milliers de chômeurs en quête d’emplois que leur avenir se trouve dans la création d’une entreprise. D’ailleurs, même du point de vue des revenus, un salarié est en moyenne plus riche qu’un entrepreneur.[4] Il existe certes des entrepreneurs multimillionnaires ; mais ils sont tellement rares que choisir d’être salarié garantit un revenu moyen supérieur à celui d’un entrepreneur moyen. Qu’est-ce qui pourrait donc faire la différence en Afrique pour que l’entrepreneuriat soit la solution contre le chômage des jeunes ?

L’Afrique serait-elle une exception ?

L’une des spécificités de l’Afrique est que la marge extensive de l’entrepreneuriat, celle qui englobe les activités économiques traditionnelles, est encore tout aussi importante que la marge intensive, i.e. celle qui regroupe les innovations. Cette importance de la marge extensive est liée à l’émergence graduelle d’une classe moyenne en Afrique avec des besoins nouveaux biens et services de grande consommation. Or, les technologies nécessaires à la production de ces biens et services ont déjà été développées dans les pays industrialisés et représentent l’activité de grands groupes industriels, que ce soit dans les domaines de l’agroalimentaire, des télécommunications, des transports, des services financiers etc. Dès lors, il y a peu de chance pour un entrepreneur local de réussir dans ces secteurs émergents en dehors de tout protectionnisme étatique.

C’est d’ailleurs ce que l’on observe dans la plupart des économies africaines, où les grandes surfaces ne sont pas l’émanation d’une fusion entre les boutiquiers du quartier, mais plutôt l’affaire des grands enseignes multinationales. Il en est de même dans les secteurs d’activités traditionnelles telles que les transports, l’énergie et le numérique. Certes, les multinationales qui investiront dans les secteurs d’activités traditionnelles vont participer à la création d’emplois. Toutefois, les nouveaux emplois ne suffiront pas pour combler les emplois détruits pour la simple raison que ces multinationales disposent de technologies de production très efficaces qui requièrent moins de main d’œuvre pour les mêmes niveaux de production.

Ce n’est d’ailleurs pas dans les secteurs traditionnels que l’on retrouve les jeunes entrepreneurs. Plutôt, ils s’investissent dans la marge intensive de l’entrepreneuriat. C’est ainsi que la plupart se retrouve avec des projets sur le numérique et les énergies renouvelables. Or, c’est justement à cette marge que s’applique les conclusions issues des études présentées ci-dessus sur les performances de l’entrepreneuriat dans les pays développés. Cette marge fait appel à de l’innovation, qui est par nature incertaine. Les services numériques ou d’accès à l’énergie apportés sur le marché ne vont pas nécessairement trouver de débouchés. C’est ce qui explique les taux d’échecs aussi élevés constatés aux Etats-Unis. Avant que Facebook n’émerge, il y a eu de nombreux réseaux sociaux similaires qui ont tenté en vain la même aventure. Il en est de même pour tous les autres services innovants dont les stars font aujourd’hui l’actualité dans les médias.

En Afrique, nous ne disposons pas encore de recul pour évaluer l’impact des nombreux incubateurs qui hébergent tous ces entrepreneurs qui veulent aussi tenter leur chance à cette loterie. Il n’y a cependant pas de raisons pour que l’Afrique offre des conditions de réussite plus favorables que celles qui existent déjà dans les pays développés ; bien au contraire les difficultés d’accès au financement et la bureaucratie restent encore des obstacles persistants sur le chemin de l’entrepreneur Africain. Face à cette impasse, existe-t-il d’autres voies vers l’emploi des jeunes en Afrique ?

Les voies de l’emploi en Afrique

D’emblée, il n’existe pas de solution miracle. On peut néanmoins s’inspirer des exemples des pays actuellement développés comme la France ou les Etats-Unis pour mieux identifier, s’ils existent, les leviers sur lesquels les Etats Africains peuvent agir pour promouvoir l’emploi des jeunes. D’abord, il faut commencer par imaginer ce que serait les employés des groupes français Renault ou Peugeot si ces entreprises de production automobile n’avaient pas été créées en France. Ensuite, il faut faire le même exercice pour chacun des grands groupes industriels français, que ce soit les chantiers navals, Airbus, la SNCF, etc. Typiquement, un seul contrat de construction d’un navire mobilise des milliers de salariés pendant dix ans, sans compter tous les sous-traitants. Il suffit d’en avoir 4 pour garantir un emploi à vie à ces milliers de salariés. Par conséquent, la solution à l’emploi des jeunes se déduit naturellement : elle s’appelle l’industrialisation.

Il s’agit là d’une solution qui se passe de démonstration. Mais c’est dans la manière dont on s’industrialise que se trouve l’originalité de l’approche que nous proposons. En effet, l’une des propositions phares pour l’industrialisation de l’Afrique est l’insertion dans les chaînes de valeurs mondiales.[5] Si les chaînes de valeurs mondiales peuvent être une solution, encore faudrait-il les identifier et pouvoir s’y insérer. L’imperfection de cette solution se trouve dans les difficultés de coordination entre des agents extérieurs au continent africain et ceux qui y sont présents. Pour cela, l’insertion dans les chaînes de valeurs mondiales ne se décrète pas, mais elle s’accomplit d’elle même lorsqu’une économie nationale présente des avantages comparatifs dans la production de certains biens et services intermédiaires ; ce qui n’est pas encore le cas dans la plupart des économies africaines. Un récent rapport du Center of Global Development montrait d’ailleurs que le coût de la main d’œuvre est plus cher en Afrique que dans des économies comparables.[6]

Les voies de l’emploi en Afrique se trouvent donc dans le développement d’un marché local mettant en concurrence des industries locales. Un exemple concret d’une telle stratégie consiste à attribuer les marchés publics à des entreprises locales mise en concurrence effective, car c’est cette dernière qui garantit que chaque entreprise fasse de son mieux pour s’approprier les dernières technologies afin d’être plus compétitive. C’est ce qui se fait partout ailleurs, notamment aux Etats-Unis, en Chine, et dans une certaine mesure en Europe. Une autre solution consisterait à inciter à la fusion entre des entreprises du secteur informel en contrepartie d’un accès subventionné aux financements privés. Ce qui peut permettre à ce dernier bastion des jeunes chômeurs africains de se mettre à l’abri de la vague de multinationales qui se déferlera sur le continent, attirée par l’émergence des classes moyennes et à la recherche de nouvelles sources de croissance. Ces solutions ne suffiront pas à elles seules à donner de l'emploi aux millions de jeunes chômeurs africains mais elles auront le mérite d'aller dans le bon sens de la lutte contre une situation qui menace la paix sociale dans les nations africaines.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Chiffres 2009 du BIT cité dans les perspectives économiques en Afrique 2012 : http://www.africaneconomicoutlook.org/fr/thematique/youth_employment/

[2] Résultats d’enquête auprès des experts pays des perspectives économiques en Afrique (2012).

[3] Données issues des sondages Gallup World Poll (2010).

[4] Données du Bureau des Statistiques du Danemark portant sur l’ensemble de la population danoise.

[5] Le rapport sur les perspectives économiques en Afrique de 2014 discutait déjà de ce sujet comme le moyen par lequel l’Afrique peut s’industrialiser.

[6] Gelb et al. 2013. « Does poor means cheap ? A comparative look at Africa’s industrial labor costs » Working Paper N° 325, Center of Global Development.

Pourquoi la RDC doit mieux faire

La 10ème édition de la Conférence Economique Africaine s'est déroulée à Kinshasa du 2 au 4 novembre 2015 en République Démocratique du Congo (RDC). C'est à cette occasion que Son Excellence Monsieur le Premier Ministre Augustin Matata Ponyo a présenté l'économie de la RDC dont les performances interpellent notre sagacité. Le fait le plus spectaculaire de sa description est l'évolution du PIB par habitant de la RDC, une mesure du niveau de vie moyen, de 1990 à 2014. Le graphique, reproduit ci-dessous, montre un effondrement drastique du niveau de vie de la population congolaise entre 1990 et 2001, avec un revenu par habitant divisé par deux, partant d'un niveau exceptionnellement bas.

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De l'avis du premier ministre, cet effondrement s'explique par la guerre civile qu'à connu le pays pendant cette période. Mais depuis la fin de la guerre, avec l'arrivée au pouvoir du président Joseph Kabila, le niveau de vie a rebondi pour retrouver en 2014 presque son niveau du début de la guerre. Ce rebondissement s'est accompagné d'une réduction de 15 points de pourcentage de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté. Il s'agit là d'un progrès saisissant que le premier ministre explique par un leadership fort du chef de l'Etat et une bonne gouvernance. Il résume cette explication dans une équation, seule conclusion de sa présentation :

RP   = LF + BG

Cette équation relie la réduction de la pauvreté (RP) à un leadership politique fort (LF) et à une bonne gouvernance (BG). On peut dénoncer une posture politique et ignorer tout simplement cette équation, mais à tort car elle possède deux qualités. D’une part, elle émane d'un responsable politique ayant été au cœur de l'exécutif congolais pendant et après la guerre civile, ce qui lui confère un fondement tiré de l'expérience.[1] Dès lors, la contribution du leadership du chef de l'Etat à la réduction de la pauvreté mériterait d'être mieux prise en compte par les analystes du développement. D’autre part, cette équation a l'avantage d'être ancrée dans la théorie économique du développement car la bonne gouvernance représente la composante institutionnelle des modèles de Solow augmentés.[2] Cependant, la principale question qui se pose est de savoir si les performances économiques récentes de la RDC sont effectivement dues au Leadership Fort du chef de l'Etat et à la Bonne Gouvernance.

Les performances économiques de la RDC sous une perspective historique et régionale

Lorsqu'on considère le niveau de vie de la RDC sous une perspective historique, on s'aperçoit très vite que ce pays vient, non pas de loin mais, de très haut. Comme le montre le graphique ci-dessous, le niveau de vie après les indépendances était d'environ quatre fois supérieur au niveau actuel, et comparable à celui de la Malaisie et de la Corée du Sud. Il évoluait à un rythme annuel de 1% en dépit de l'instabilité politique ayant caractérisée la période post-indépendance. Cette tendance a malheureusement fléchi suite au choc pétrolier de 1974. La chute du niveau de vie s'est aggravée avec la mise en place des programmes d'ajustement structurel, combinée aux turbulences politiques du fait de la gouvernance par feu Mobutu. C'est dans cet état de déclin qu'éclate la guerre civile congolaise. Chacun de ces épisodes a contribué à dégrader le niveau de vie des congolais, plongeant la majorité de la population dans le dénuement total, avec plus de 9 congolais sur 10 qui vivaient en dessous du seuil de pauvreté extrême, fin 2004.

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Avant la guerre civile, les deux épisodes de baisse du niveau de vie des congolais résultent à la fois d'une mauvaise gouvernance politique et économique du pays : d’une part, le système de parti unique avec les dérives liberticides qui s'en suivent et d’autre part, le recours excessif à l’impression de billets de banques pour financer les dépenses excessives du régime politique.[3] Les performances économiques depuis 2001 ont, pour l’instant, permis de retrouver le niveau de vie atteint juste avant la guerre civile, bien en dessous de celui qui aurait été atteint si la tendance post-indépendance s’était poursuivie, soit 4 fois le niveau de vie actuel.

Par ailleurs, en comparant les performances économiques de la RDC à celles du reste de l'Afrique Subsaharienne, il ressort que le niveau de vie dans ce pays suit la même tendance (à la hausse) que celle du reste de la région, cependant de façon moins prononcée. L’augmentation du niveau de vie depuis 2001 n’est donc en aucun cas une spécificité congolaise. Par conséquent, l'explication des performances économiques de la RDC accompagnée d’une réduction de la pauvreté se trouve moins dans le leadership du chef de l'Etat ou dans la bonne gouvernance.[4] Les performances économiques soutenues du pays proviennent plutôt de la hausse des cours des matières premières depuis 2001, comme le montre le graphique ci-dessous : les cours du pétrole et du cuivre, deux principaux produits d'exportation de la RDC, ont été respectivement multipliés par quatre et trois sur cette période.[5]

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Le plus important n'est pas tant la justesse de l'explication du premier ministre, mais plutôt les conséquences d'un prochain effondrement des cours des matières premières comme cela s'observe depuis fin 2014.[6] Si cette tendance se poursuivait, alors l'histoire de la RDC risquerait de se répéter. Il faudra donc miser sur une amélioration rapide et effective de la bonne gouvernance et du leadership des responsables publiques pour que l'équation de S.E.M Matata Ponyo devienne opérationnelle, car avec ses ressources naturelles et humaines la RDC peut et doit mieux faire.

Georges Vivien HOUNGBONON


[1] Voir le parcours du premier ministre sur sa page Wikipédia.

[2] Le modèle de Solow de base exprime le revenu par tête comme une fonction des investissements dans l'appareil productif et du capital humain. Dans sa forme augmentée, il intègre une composante multiplicative caractérisant la qualité des institutions.

[3] Au sujet du seigneuriage, voir Nachega (2005). « Fiscal Dominance and Inflation in DRC », IMF Working Paper, WP 05/221.

[4] Il suffit d'ailleurs de se référer à l'indice Mo Ibrahim de gouvernance de la RDC. Le pays occupe en 2015 le 48ème rang sur les 54 pays, dans un statu quo depuis 2000.http://www.moibrahimfoundation.org/iiag/data-portal/

[5] La pauvreté peut avoir effectivement baissé en raison du regain de l’activité économique, réelle, mais peu durable.

[6] Voir l’abaissement des perspectives de croissance économique de la RDC par le FMI entre Avril et Octobre 2015.

S’engager pour l’Afrique : Entretien avec Khaled Igue, Président du Club 2030 Afrique

C2030Khaled IGUE est originaire du Bénin, président du think tank Club 2030 Afrique et Manager chez Eurogroup Consulting France. Ingénieur Civil de formation, diplômé en sciences économiques de l’université de Paris I, et titulaire d’un master en affaires publiques – potentiel Afrique – de Sciences Po Paris, Khaled IGUE est un spécialiste des questions énergétiques, industrielles et économiques. Il intervient auprès des institutions et des gouvernements africains pour l’élaboration de modèles structurants pour l’émergence économique et sociale sur le continent.

Dans cet entretien, il nous parle de son engagement en faveur de l'Afrique par le biais du think tank Club 2030 Afrique dont il est le fondateur. Plus particulièrement, il nous présente les thématiques phares sur lesquelles travaille son think tank dont  la crise énergétique en Afrique, la mise en place d’une monnaie unique en Afrique de l’Ouest, ainsi que la question de l’adéquation des institutions politiques africaines aux contextes locaux.

En tant que jeune, qu'est ce qui a motivé votre engagement pour l'Afrique ?

Tout est parti d'un questionnement, entre amis, sur l'avenir de l'Afrique. Nous nous demandions à quoi ressemblera le continent dans les trente, voire les cinquante prochaines années ? Quel modèle économique devrait convenir au développement de ses Etats ? Quel système de gouvernement garantirait la paix, la stabilité et le développement économique dans les nations africaines ? L’un des constats que nous avons fait en définitive est que la jeunesse africaine est pour l’instant absente du débat intellectuel sur le développement de l'Afrique.

Afro-optimiste convaincu je n’en demeure pas moins réaliste, l’Afrique est à un tournant de son histoire. Si tous les feux sont au vert, les défis à relever restent conséquents. Or c’est la mobilisation mais surtout la bonne coordination de toutes les forces, dynamisme, et compétences disponibles qui permettront à l’Afrique de se distinguer dans les trente prochaines années.

C’est en partant de ce constat qu’est née la volonté de créer le think tank Club 2030 Afrique pour offrir un cadre de réflexion et d'action qui permettra de mettre au service de tous et surtout de chacun les énergies et expertises de cette jeunesse africaine.

logoC2030Pourriez-vous nous présenter un peu plus le Club 2030 Afrique ?

Le Think Tank « Club 2030 Afrique» est une organisation à but non lucratif, créée en 2012 avec l’ambition d’accompagner les pays africains dans leur processus d’émergence. Il souhaite s’engager auprès des décideurs et du grand public en structurant son action autour de 3 piliers : Informer, Débattre et Agir.

Trois sujets prioritaires rythment l’agenda des travaux de Club 2030 Afrique. Tout d’abord, alors que le sujet de la transition énergétique est sur toutes les lèvres, la question de l’énergie et de ses enjeux sur le continent africain constitue une des préoccupations majeures du think tank. A cet effet nous avons organisé en février 2015 une conférence sur « Les différentes solutions à la problématique de l’Energie en Afrique : quels sont les défis géopolitiques, juridiques, économiques et humains ? ». Ensuite, nous réfléchissons également sur l'avenir du franc CFA et la mise en place d’une monnaie unique en Afrique de l’Ouest à horizon 2020. Enfin, le Club réfléchit par ailleurs sur la nature des institutions démocratiques adaptées aux Etats Africains.

Sur la question de l'accès à l'énergie, quels ont été les fruits de vos réflexions ?

D'abord, nos analyses nous ont permis d'identifier deux obstacles majeurs à l'accès à l'énergie en Afrique. D'une part, la taille des marchés nationaux est parfois trop petite pour permettre une rentabilité intéressante aux investissements dans des infrastructures énergétiques très coûteux. Par exemple le Bénin et le Togo ont constitué dans les années 1960 une communauté électrique commune (CEB) pour répondre plus efficacement à la demande en énergie de leur population. L’idée étant justement de créer un marché beaucoup plus attractif et d’optimiser les coûts de production..

Toutefois, cet exemple ne s'applique pas au Nigéria puisqu'il dispose de la matière première et d'un vaste marché pour rentabiliser sa production énergétique. Dès lors, c'est aussi la faiblesse, voire l'absence d'un cadre réglementaire incitatif aux investissements privés qui peut être un obstacle à l'accès à l'énergie. Le but d'un tel cadre réglementaire est de sécuriser les investissements privés, car les financements existent. Il faut donc des cadres réglementaires qui définissent clairement les conditions de rachat de l'énergie par l'Etat, les modalités de mise en place de partenariats public privé et réduire les délais de démarrage des nouveaux projets d'investissements privés.

Une fois que ces obstacles sont levés, il faudra promouvoir le mix énergétique en se reposant sur les potentiels de chaque localité. Pour reprendre l'exemple du Bénin, les régions du Nord sont assez propices au déploiement de la biomasse en utilisant les résidus de l’égrenage du coton (tiges de coton) ; alors que le Sud est propice au déploiement d'éoliennes compte tenu de la proximité avec la mer. L'avantage du mix énergétique est qu'il permet de limiter les coûts de transport de l'énergie.

Enfin, la question de l'interconnexion physique des réseaux nationaux est centrale pour équilibrer la production de l'énergie dans des espaces communautaires comme la CEDEAO. A chaque période de l'année, certains pays bénéficient d'un ensoleillement alors que d'autres ont un potentiel hydraulique élevé. Il en est de même pour le gaz et le vent. La mise en place d'un marché régional de l'énergie soutenu par l'interconnexion physique des réseaux nationaux permettra d'échanger des flux d'énergie en temps réel et ainsi optimiser les coûts de production de l'énergie. Cependant, l'opérationnalisation de cette approche nécessite la mise en place de régulateurs nationaux et d'un régulateur régional. Actuellement, nous en sommes encore loin, mais c'est bien le chemin à emprunter.

Qu'en est-il de la monnaie unique de la CEDEAO, quelle est l'état de vos réflexions sur le sujet ?

Nous partons du principe que la maîtrise de la monnaie est essentielle à la gestion de l'économie d'un pays. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour laquelle le Ghana et le Nigéria tiennent à leurs monnaies nationales. Aujourd'hui, les Etats de l'UEMOA partagent le franc CFA comme monnaie unique.  Cependant, ils ont peu de pouvoir sur leur politique monétaire puisque la parité fixe de la monnaie unique est garantie par la Banque de France en contrepartie d'un solde qui lui est versé chaque année sur les exportations. Ce transfert de devises à la Banque de France laisse peu de marge de manœuvre aux Etats de l'UEMOA pour utiliser les fonds disponibles à des fins de développement.

Dans ce contexte, la création d'une monnaie unique de la CEDEAO serait une opportunité de rapatrier les devises pour qu’elles soient utilisées pour financer des infrastructures de développement. Toutefois, la création de cette monnaie a déjà été reportée à maintes reprises ; la prochaine échéance étant fixée en 2020. La question que nous nous posons est de savoir si cette nouvelle échéance sera enfin respectée. Tout semble indiquer qu'il sera difficile de la tenir car une monnaie unique requiert une convergence économique des économies qui y participent. Pour l'instant il est difficile de croire qu'un pays comme le Nigéria, première exportatrice de pétrole puisse intégrer cette union monétaire sans avoir des répercussions sur les économies des autres pays. Les chocs externes qui affecteront le cours du pétrole par exemple, risqueront de détériorer les exportations des autres pays, notamment ceux qui dépendent de matière première agricole, comme le coton, le café et le cacao. Notre objectif est de faire de la transparence sur les défis inhérents à la création de cette monnaie unique et nous comptons organiser une conférence sur le sujet cette année.

Enfin, quelles sont vos positions sur les institutions démocratiques en Afrique ?

Sur ce sujet aussi, nous partons de l'observation que les systèmes politiques appropriés dépendent des contextes économiques, démographiques et géographiques. Dès lors, chaque pays africain a besoin d'inventer ou de réinventer un modèle de gouvernement adapté à sa société. Notre travail consiste à identifier les modèles les plus adaptés en allant recueillir des informations auprès des populations sur leurs préférences. Ensuite, nous confions à un groupe d'analystes la tâche de produire un document qui servira de base à notre plaidoyer auprès des gouvernements en vue de nouvelles républiques en Afrique. Une idée qui revient souvent est celle d’un mandat unique à sept ans.

Quel sera votre mot de fin ?

Je remercie L'Afrique des Idées pour avoir donné la possibilité à Club 2030 Afrique d’exprimer sa vision et son engagement pour le développement du continent africain. A l'endroit de tous les acteurs impliqués dans la mise en œuvre des politiques de développement en Afrique, je formule le vœu qu'ils soient davantage à l'écoute des think tanks africains. Enfin, mon souhait est que nous intégrons davantage l'action au processus de réflexion afin de concrétiser nos propositions.

Propos recueillis par Georges Vivien Houngbonon

Is Public-Private Partnership adapted to the needs of developping countries?

It is very important for African countries to fill in the technological gap with the rest of the world. Hence, development financing has become a major challenge in the continent’s quest for growth. This was indeed the theme of the conference on Africa’s development . The challenge has become even more apparent since the World Bank published a report on infrastructure entitled “Africa's Infrastructure: A Time for Transformation”.  In response to this lack of financing, many African countries have adopted projects involving public-private partnerships (PPPs) [1]. This infatuation with PPPs is justifiable according to the World Bank’s estimations on the infrastructure-financing deficit in Africa [2]. However, in consideration of the origins of this type of financing, it is proven that the specific contexts of certain African countries do not necessarily allow the effective implementation of PPPs.

In order to finance their infrastructure, countries traditionally issue treasury bonds, bilateral loans (between countries) or multilateral loans (from development banks) [3]. Until the beginning of the 2000s, these sources were used to finance public infrastructure projects, which were usually built and managed by governments. In this process, the State calls upon private companies for the construction of these infrastructures and bears all costs. For instance, in the case of a road construction project, the State would usually launch a tender offer to select a construction firm. Then, the Ministry of Infrastructures would take care of the maintenance and the use of the road [4].

However, this so called “Public Partnership” procedure raises two issues. On one hand, it does not encourage the construction company to produce a quality infrastructure, despite the control of a project manager. Therefore, the viability of these infrastructures is often lower than expected, which results in higher costs for the State. On the other hand, the fact that public services are non-profit entities does not either encourage the State to maintain or improve the quality of the service provided.

Public concessions have been envisaged as a solution to this issue. In this case, the State finances and constructs the infrastructure and then delegates its management to a private company. This is the case today in many areas that require public infrastructures financing such as ports, weighting stations and tolls, and the exports of certain agricultural commodities. However, these concessions do raise certain issues, especially with the transfer of risks created by demands or the costs for the State to the private operator [5].

 

Sans-titre

PPPs have been developed in order to share these risks. This risk- sharing strategy is essentially a warranty clause, which provides compensation from the government to private operators when the cash flow projections are affected by unpredictable business risks. Those risks could be related to a lower demand, or unexpected higher productions costs [6]. The factors could essentially discourage foreign investors to finance these projects as they have a very limited knowledge of the economic climate in these countries.

At the same time, the State is not completely aware of the risks associated with investments in infrastructure projects either. Typically, passenger traffics of an airport or a railway are difficult to predict, especially in a context where the market is poorly developed, and technological advancements may provide short-term alternative choices to consumers. The risk is even higher when contracts are signed within international regulatory frameworks beyond the control of governments and in environment where corruption and bad governance could skew the awarding and the execution of the contracts.

PPPs were initially used in countries like France and Great Britain, which have a fairly developed market, and a robust regulatory framework. Both of these factors minimize the occurrence of risks that could impede on the profitability of these PPPs. Moreover, another very important factor is the bargaining power between the parties concerned in the execution of PPP contracts. In the countries called into partnerships, the bargaining power is more balanced than it would be in developing countries, where the returns for the companies involved in the PPP contracts often exceed half of their GDP.

One solution to these problems would be to set up technical regional agencies in charge of reviewing and signing these contracts. This approach has the merit of relying on a wider network of markets, which gives it a bargaining power. In addition to that, it would attract expertise in the analysis and negotiation of PPP contracts while responding to the need of the states involved.

Translated by Harold AGBLONON

References
[1] Here are two articles written by Simel and Foly analysing PPPs in financing infrastructures
[2] According to World Bank report « Africa's Infrastructure : A time for transformation », the funds for infrastructures in Africa has been estimated to a total of 93 billion USD.
[3] We can also mention the funds transfered from African diaspora, which exceeds the development aid (concessional funds loaned at preferential rate by developed countries)
[4] The maintenance of roads is more and more delegated to private companies which collect the rights of way from the road users.
[5] This procedure is different from privatisation because the private operator does not own the infrastructure.
[6] The MIGA Agency of the World Bank generally deals with the non commercial risks.

La croissance africaine devrait-elle venir de l’innovation ?

Soleil sur l'AfriqueL'année 2015 sera déterminante pour l'Afrique pour deux raisons. D'une part, c'est en cette année que seront renouvelés les engagements internationaux sur la réduction de la pauvreté à travers les OMD post-2015. Comme le reflètent les objectifs de développement durable (ODD) qui remplacent les OMD, ce n'est plus les solutions pour réduire significativement la pauvreté qui manquent. Prenant exemple sur des pays comme la Chine ou l'Inde, nous savons aujourd'hui que la pauvreté peut être réduite significativement grâce à la croissance économique. Il suffit donc que les instruments de redistribution de la richesse soient effectivement mis en œuvre pour que les populations pauvres puissent graduellement sortir de leur situation de pauvreté. Ces instruments peuvent être de l'investissement dans les infrastructures économiques (routes, énergie, communication, eau et assainissement) et sociales (éducation et santé), de transferts d'argent conditionnels ou non à l'endroit des plus pauvres ou encore de politiques de protection sociale suffisamment flexibles pour ne pas décourager les investissements privés.

D'autre part, il est aujourd'hui une évidence que les pays africains s'engagent définitivement sur la voie du développement économique grâce à la consolidation d'institutions politiques démocratiques et à l'émergence d'une classe moyenne. L'engouement des grands groupes internationaux pour l'Afrique témoigne de la création de ce nouveau segment de marché dont la taille s'agrandit de même que les revenus de ses consommateurs. Il en est de même pour les soulèvements populaires, comme ce fût récemment le cas au Burkina Faso, qui même s'ils n’ont pas redistribué le pouvoir politique, ont certainement envoyé un signal ; que la gestion des affaires publiques se doit désormais d'être plus inclusive. Ces deux réalités viennent renforcer le processus de croissance économique qui devrait s'inscrire dans la durée. Cependant, pourquoi s'intéresse-t-on si tant à la croissance économique ? Pour équiper les ménages africains des commodités de la modernité ? Ou pour leur apporter de la dignité dans un monde où la portée de la voix d'une nation ne se mesure plus par la gabarie physique, encore moins par la multitude de la population, mais plutôt des richesses économiques que cette dernière est en mesure de créer ?

Pour paraphraser le professeur Augustin Cournot (1863) p.6, "la richesse doit être considérée, pour les individus et surtout pour les peuples, bien moins comme un moyen de jouissance que comme un instrument de puissance et d'action". Mettons le standard plus bas en considérant "la puissance" et "l'action" comme des dérivés de la "représentativité", c’est-à-dire de la capacité d’une nation à défendre sa position et d'être audible sur la scène internationale. C'est à l'aune de cette observation que nous avons besoin de reconsidérer les perspectives économiques de la plupart des pays africains. Quoiqu'elles suscitent de l'espoir, la tâche qui incombe aux gouvernements africains est celle de lui donner une définition, une définition de l'espoir africain.

Il sera plus aisé d'illustrer nos propos à partir des deux graphiques 1 et 2 ci-dessous. Le premier présente l'évolution du rapport des niveaux de vie mesuré par le PIB par habitant de certains pays ou régions du Monde de 1990 à 2013. Quant au second, il montre l'évolution du poids économique mesurée par la part du PIB mondial dans les mêmes pays/régions sur la même période. L'idée sous-jacente étant que la "représentativité" d'une nation se mesure quelque part entre le niveau de vie de ces citoyens relativement aux citoyens des autres nations et le poids de leur production collective par rapport aux autres nations. La distinction entre ces deux facteurs s'illustre bien avec la Corée du Sud et la Chine. En 2013, un Sud-Coréen moyen avait un niveau de vie trois plus élevé que la moyenne mondiale, comparable au niveau de vie de l'Européen moyen, alors que son pays ne représentait qu'environ 2% de la production mondiale. A cette même date, la Chine représentait déjà 16% de l'économie mondiale, comparable au poids des USA, alors que le niveau de vie d'un Chinois moyen ne dépasse pas la moitié de la moyenne mondiale.

Quant à l'Afrique[1], elle est à peine visible sur ces deux graphiques, synonyme d'un poids économique et d'un niveau de vie insignifiant. Mais il ne s'agit pas de l'observation la plus importante qui se dégage de ces deux graphiques. C'est plutôt ce qu'ils nous enseignent sur la fortune des pays/régions selon leurs stratégies de développement.

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Source: World Development Indicators Database, World Bank, et calculs de l'auteur. Les données sur le PIB sont en dollars constant de 2010 avec prise en compte de la parité du pouvoir d'achat.

Pour mieux comprendre les forces économiques à l'œuvre, reprenons les données sur la Corée du Sud et la Chine. L'essor économique du premier est principalement dû à l'innovation notamment dans l'électronique avec Samsung et dans l'automobile avec Hyundai Motor. Ainsi, le pays se trouve en bonne place sur le segment de marché mondial des équipements de télécommunications, d'électroménagers et de l'automobile. Cette position se reflète assez bien dans ses statistiques d'investissements en R&D qui représentaient en 2011 4% du PIB sud-coréen, un ratio supérieur à celui des Etats-Unis d'Amérique et de l'Europe (Graphique 3 ci-dessous).

Quant à la Chine, sa stratégie repose essentiellement sur trois piliers, le premier étant l'imitation des technologies déjà existantes, suivi de l'utilisation de sa main d'œuvre abondante et bon marché et enfin de l'innovation. Bien entendu, l'ensemble de ses stratégies ont été mises en œuvre concomitamment. D'abord, l'ouverture vers l'extérieur entamée par l'intégration aux accords de l'OMC a été faite non pas pour consommer mais pour produire des biens et services destinés à l'exportation en s'appuyant sur sa main d'œuvre abondante et plus compétitive. C'était donc une ouverture gagnante à la fois pour l'Etat chinois mais aussi pour les entreprises étrangères. Dans ce contexte, les flux de capitaux étrangers restent étroitement contrôlés par le gouvernement afin de maîtriser la naissance d'entreprises nationales capables de rivaliser sur les marchés mondiaux aux côtés des grandes entreprises européennes et américaines. L'imitation consiste à reproduire les technologies existant ailleurs à travers les contrats qui stipulent clairement le transfert de technologies. Ce fût le cas par exemple du train à grande vitesse ou de l'aéronautique. S'ajoute alors les investissements dans la recherche et le développement comme le montre les statistiques sur l'évolution de la part des dépenses de R&D dans le PIB. Elles sont passées de 1 à 2,5% du PIB chinois en 15 ans, rattrapant ainsi le même niveau que l'Europe (Graphique 3 ci-dessous).

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Source: World Development Indicators Database, World Bank, et calculs de l'auteur.

Quand on y regarde de près, la stratégie chinoise est semblable à celle employée par les Etats-Unis à l'exception de l'imitation puisque ces derniers étaient à l'avant garde de la révolution industrielle juste derrière les Britanniques. De plus, en tant que terre d'immigration, ils avaient déjà accueilli bon nombre d'éminents scientifiques Européens, dont Einstein reste l'un des plus emblématiques. En matière d'innovation, le pays a accru ses dépenses en R&D passant de 2,5 à 3% du PIB entre 2005 et 2010. Il n'est nul besoin de rappeler ici le nom des grandes entreprises américaines qui apportent chaque année de nouveaux produits et services sur les marchés du monde entier, Apple étant l'exemple emblématique le plus récent. En tant que pays d'innovation, les USA ont une demande extérieure très forte quoique leur balance commerciale reste déficitaire. Par ailleurs, le marché du travail américain regorge aussi d'une main d'œuvre abondante et compétitive, comme en témoigne les chiffres du PewResearchCenter qui estimait à 11.2 millions, soit 3,5% de la population, le nombre d'immigrés illégaux vivant aux Etats-Unis. A cela s'ajoute la flexibilité du marché du travail américain qui rend moins coûteux le travail qu'en Europe. Ainsi, l'innovation combinée à un coût du travail faible permet d'expliquer les performances économiques des USA qui ont pu limiter la baisse de leur poids économique à 16% en 2013, et maintenu le niveau de vie de leur citoyen moyen autour de 6 fois la moyenne mondiale.

Les exemples de la Chine et de la Corée racontent l'histoire de rattrapages économiques réussis pour des pays qui, il y a moins d'un demi-siècle, étaient au même niveau que l'Afrique. Ce sont aussi des exemples qui mettent en évidence les stratégies qui fonctionnent et les pièges à éviter. Par contre l'exemple de l'Union Européenne va mettre en évidence les instances dans lesquelles le rattrapage peut se transformer en stagnation: C'est le piège à éviter pour les économies africaines. Comme le montre les graphiques 1 et 2 ci-dessous, le poids économique de l'Europe n'a fait que baisser au cours des dernières décennies, passant de 26% en 1990 à 18% en 2013, soit une baisse de 8 points contrairement aux USA qui n'ont perdu que 4 points sur la même période en dépit de l'émergence d'autres pays du Monde tel que la Chine. De plus, quoique le niveau de vie moyen ait augmenté, il a progressé au même rythme, voire moins, que celui des USA. Ces constats vont de pair avec des dépenses en R&D récemment passées à 2% du PIB, soit un point de pourcentage plus faibles qu'aux USA et deux fois moins que celui de la Corée du Sud. Ils vont également de pair avec un marché du travail plus protecteur du salarié et générateur d'un emploi plus coûteux.

C'est aussi se chemin que s'apprête à emprunter certains Etats africains en signant l'accord de partenariat économique avec l'Union Européenne afin de consommer davantage plutôt que de produire, en dépensant seulement 0,6% de leur PIB en R&D,[2] en signant des contrats de construction qui autorisent les entreprises à importer même les travailleurs non qualifiés, et en ayant un coût du travail qualifié qui reste encore plus élevé que dans des pays comparables.[3] Ainsi, ni le canal de l'imitation, ni celui de l'innovation, encore moins celui de l'ouverture sur la base davantage comparatif n'est à l'œuvre en Afrique. Ce n'est certainement pas là une note d'espérance pour l'Afrique. C'est pour cela que l'espoir a besoin d'une définition en Afrique. Pour éviter qu'il ne soit juste un mirage pour l'essentiel de la population, il y a lieu de 1) identifier les secteurs dans lesquels l'Afrique gagnerait à imiter les technologies qui existent déjà, 2) innover dans les autres secteurs, que ce soit de l'éducation, de la santé, des technologies de l'information et de la communication, des transports, de l'énergie et de l'eau, voire même de l'aménagement du territoire et 3) entamer une ouverture commerciale dans le but de produire et non de consommer.

Georges Vivien Houngbonon

 


[1] L'Afrique sub-saharienne plus précisément car ce n'est que pour cette région que nous avons trouvé des données comparables. Cependant le profil reste le même lorsqu'on inclut les pays d'Afrique du Nord.

[2] Ce chiffre de 2007 est surestimé grâce à l'inclusion de l'Afrique du Sud dans les calculs.

[3] Cf. la publication de Gelb et al. (2013) sur le sujet. Il semble que cela soit dû au fait que les salaires soient plus élevés dans les plus grandes entreprises, suggérant qu'il ne s'agit pas d'un effet structurel mais tout simplement le résultat de la rareté de la main d'œuvre qualifiée pour les secteurs à fort intensité capitalistique tels que les télécommunications et les mines. On le voit dans les résultats que les coûts les plus élevés se trouvent en Angola et en Afrique du Sud et au Nigéria.

La croissance tiendra-t-elle ses promesses ?

growthA priori, la croissance économique est souhaitable parce qu’elle est la (seule) principale réponse politique que les nations ont trouvé pour établir une paix sociale durable. C’est ainsi que l’épisode de forte croissance économique que connaît la plupart des pays africains est synonyme d’une atténuation progressives des tensions entre les différents groupes sociales et entre les nations. Cela suppose que la croissance ait pour conséquence de permettre à chaque individu de subvenir à ses besoins de base et de ne pas trop se sentir moins aisés que les autres. Autrement dit, la croissance doit être source de réduction de la pauvreté et des inégalités.

Partant des travaux de Dollar et de ses coauteurs, il est aujourd’hui possible d’affirmer que la croissance économique permet de réduire la pauvreté. Toutefois, selon d’autres travaux académiques sur le sujet, les politiques sectorielles d’accès à l’éducation et à la santé jouent un rôle essentiel dans la transmission des fruits de la croissance aux couches les plus pauvres de la société. Ainsi, il faut d’abord favoriser l’accès aux infrastructures de bases telles que l’eau, l’électricité, l’éducation et la santé pour qu’une croissance économique forte puisse se traduire par une baisse significative de la pauvreté.

L’intuition derrière ces recommandations est la suivante : les personnes qui sont initialement pauvres ne disposent pas du minimum de capital (physique et humain) pour être productives. Elles sont donc durablement piégées dans un cercle vicieux alliant faible productivité à un faible niveau de vie. Ainsi, l’accès aux infrastructures subventionné par l’Etat est un moyen de donner le petit coup de pouce nécessaire aux plus pauvres pour leur permettre de briser le cercle vicieux de la pauvreté. En complément, des initiatives de protection sociale plus élaborées telles que les transferts conditionnés (ou non) peuvent favoriser davantage le lien entre croissance et réduction de la pauvreté. Actuellement en Afrique, on en sait très peu sur l’effectivité des politiques publiques mises en place pour favoriser une croissance réductrice de la pauvreté. Ce qu’on en sait le moins est surtout la capacité de la croissance économique à réduire les inégalités, non pas seulement des revenus mais des richesses et des chances.

Néanmoins, le récent livre de Piketty intitulé « Le Capital au 21ème siècle » sur le l’Etat et les perspectives des inégalités permet de dégager des perspectives sur la capacité de la croissance à réduire les inégalités de façon générale et en particulier en Afrique.[1] Globalement, deux leçons ressortent de cet ouvrage pour nous éclairer sur le sujet en cours d’analyse.[2]

inequalityLeçon n°1 : Il n’y a pas de lien mécanique entre croissance du PIB et réduction des inégalités

En s’appuyant sur la part du revenu ou du patrimoine des 10% les plus riches, l’auteur montre que les inégalités tendent systématiquement à s’amplifier au fil du temps. Cela vient du fait que le taux de rendement du capital est généralement supérieur au taux de croissance du PIB. Ainsi, les patrimoines issus du passé s’accumulent beaucoup plus vite que le rythme de progression de la production et des revenus.[3] Ce mécanisme peut être renforcé par une faible croissance démographique puisque dans ce cas les héritages sont partagés entre moins de descendants.

Cette tendance des inégalités à augmenter systématiquement peut être une menace pour le bon fonctionnement des institutions politiques dans la mesure où le pouvoir politique risque d’être capturé par des intérêts particuliers. Ainsi, non seulement les décisions de politiques publiques ne reflètent plus l’intérêt de la majorité, mais surtout la capture du pouvoir politique renforce davantage les inégalités. Par exemple, les prestations sociales peuvent être réduites au détriment d’exemptions fiscales favorables aux plus riches.

D’emblée la question est de savoir jusqu’où le creusement des inégalités peut aller et ce qu’il est possible de faire pour prévenir une situation aussi explosive qu’une société où presque la totalité des richesses appartiennent à 1% de la population. La réponse à cette question se trouve dans la deuxième leçon que nous tirons de l’ouvrage de Piketty.

157904609Leçon n°2 : La réduction des inégalités requiert la mise en place d’institutions spécifiques

A partir de l’évolution des inégalités sur longue période dans plus de vingt pays, l’auteur montre que même les chocs les plus violents comme la seconde guerre mondiale n’ont pas réduit durablement les inégalités de revenus et de patrimoine. Par contre, les politiques publiques mises en place dans les différents pays ont eu un impact décisif sur la réduction, l’augmentation ou la modération des inégalités. Dans les régimes démocratiques, l’outil le plus efficace est la fiscalité. Cependant, elle devient de moins en moins efficace à l’échelle des nations à cause de la concurrence fiscale, c'est-à-dire de la tendance qu’à chaque pays d’offrir les meilleures conditions pour attirer les patrimoines des plus riches dans leur économie. Pour cela, il recommande plutôt l’échange systématique d’informations pour lutter contre l’évasion fiscale et la mise en place d’un impôt mondial sur le capital afin de se départir des contraintes liées à sa forte mobilité.

Dans les pays ayant des institutions moins calquées sur le modèle occidental (Europe et Etats-Unis d’Amérique), on observe aussi des dispositions spécifiques pour le contrôle du capital. Par exemple, en Russie, les plus riches détenteurs de patrimoine qui veulent en user pour influencer les décisions politiques sont simplement jetés en prison. En chine, l’Etat a imposé un contrôle strict sur les flux de capitaux de sorte que le pouvoir économique que confère le capital ne se transforme pas en un pouvoir politique.

Quelles conclusions peut-on en tirer pour l’Afrique ? Puisque les inégalités ont tendance à s’accroître de manière systématique, la croissance économique en Afrique va-t-elle limiter cette augmentation ? D’abord, il faut prendre en compte le contexte dans lequel se trouve l’Afrique et qui est celle d’un monde plus ouvert où les capitaux circulent plus librement. Cela implique que les détenteurs des capitaux qui contribuent à la croissance économique en Afrique ne sont plus nécessairement des Africains, du moins pas en majorité. Ainsi, la question des inégalités en Afrique ne se pose pas dans les mêmes termes qu’ailleurs.

L’attention peut être portée en premier lieu sur les inégalités des revenus, en particulier des salaires ; et sur la capacité de la croissance à réduire ces inégalités. Mais comme nous l’enseigne les travaux de Piketty, cela nécessite la mise en place de politiques de redistribution, ne serait-ce que pour offrir à tous les mêmes conditions initiales. Ensuite, il sera nécessaire de mettre en place des cadres réglementaires pour encadrer les investissements étrangers dans les économies africaines de sorte à limiter leurs impact potentiel sur la capture du pouvoir politique tout en protégeant aussi bien leur droit de propriété.

En définitive, il ressort de cette analyse que l’épisode de croissance économique que traverse la plupart des pays africains peut être source de réduction massive de la pauvreté si seulement des investissements sont faits en amont dans l’accès aux infrastructures de base pour les populations les plus pauvres. Cependant, nous n’avons aucune certitude que cet épisode de croissance permettra de réduire les inégalités ; tout dépendra des institutions qui seront mises en place pour encadrer la montée inéluctables des inégalités liée à la croissance. C’est seulement dans ces conditions que la croissance ne s’éloignera pas trop de ses promesses d’une paix sociale durable.

Georges Vivien Houngbonon


[1] En général lorsqu’on parle d’inégalités, on pense tout de suite aux inégalités de revenu. Cependant, comme la démontré l’auteur dans son ouvrage, la source principale des inégalités provient des inégalités du patrimoine. Le focus sur les revenus est potentiellement lié à des raisons politiques, car les inégalités de revenus sont souvent beaucoup plus faibles que celles du patrimoine. Ainsi, elles permettent de donner une image beaucoup plus apaisée de l’évolution des inégalités.

[2] Ce sont mes propres enseignements.

[3] Thomas Piketty, Le Capital au 21ème siècle, p.55

Des pays africains où l’on ne paie pas d’impôts directs

5649521-le-poids-des-depenses-et-des-impots-bat-des-recordsAlors que les besoins d’inclusion politique et de financement du développement s’accroissent en Afrique, il existait en 2012 des pays où la contribution fiscale directe des particuliers et des entreprises était très insignifiante. C’est le cas notamment de huit pays dont la Lybie, la Guinée Equatoriale, Sao-Tomé et Principe, le Soudan, l’Angola, le Congo, le Nigéria et le Tchad où les impôts directs (sur le revenu des personnes physiques et morales) représentaient moins de 10% du total des recettes publiques en 2012. Or, contrairement aux autres types de recettes fiscales, l’impôt direct, quoique plus difficile à collecter, est étroitement lié à la légitimité de l’Etat, à la performance de l’administration fiscale et à sa capacité à lever de manière durable les fonds nécessaires au financement de la sécurité des personnes et des biens.[1]

La figure ci-dessous présente une photographie détaillée de la répartition en 2012 des différents types de recettes dans le revenu total de l’Etat.[2]

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Source : construit par l auteur a partir des statistiques fournies par le rapport AEO, 2014

Comme le montre le graphique ci-dessus, la part des revenus fiscaux tirés de l’exploitation des ressources naturelles va de 66% au Tchad à 95% en Lybie. Ainsi, dans des pays pétroliers comme la Guinée Equatoriale, l’Angola, le Congo ou le Nigéria, l’importance des recettes fiscales tirées de la production pétrolière semblent être un frein au développement d’autres types de taxes comme les impôts indirects. Cependant, les statistiques sur le Soudan et Sao Tomé et Principe illustrent à quel point la taxe sur les ressources pétrolières peut ne pas être suffisante pour expliquer le faible recouvrement de l’impôt direct dans un pays.

Au Sao Tomé et Principe, ce sont principalement les dons extérieurs (52%) suivis des taxes commerciales (20%) qui remplacent le manque à gagner du faible recouvrement des impôts directs. Par contre, le Soudan à une structure fiscale plus équilibrée avec des impôts indirects qui représentent 35% du total des recettes publiques suivis des revenus non-fiscaux (33%) et des taxes commerciales (20%).

Ces statistiques suggèrent que nous sommes en présence d’Etat dont la légitimité fiscale est très faible, compte tenu du niveau très bas de leurs impôts directs. En plus de cela, ceux qui disposent de ressources pétrolières ont une administration fiscale très peu performante avec comme conséquence l’absence de la collecte des impôts indirects et des taxes commerciales sur les importations. Ceux qui sont moins riches en ressources naturelles s’appuient soient sur l’aide extérieure, c’est le cas de Sao Tomé et Principe, ou sur les impôts moins coûteux à collecter ; c’est le cas du Soudan.

Très souvent, et comme mentionné dans le rapport sur les perspectives économiques en Afrique de 2010, la prépondérance d’un secteur agricole de subsistance et du secteur informel dans la plupart des pays africains est citée comme l’une des principales raisons qui expliquent le faible taux de recouvrement de l’impôt direct. Cependant, lorsqu’on adopte une approche plus dynamique, il ressort que les deux phénomènes vont de pair : l’agriculture de subsistance et l’informel sont très développés parce que l’Etat ne dispose pas des moyens pour accompagner la formalisation des entreprises, et ce manque de moyen entretient davantage l’expansion du secteur informel et rend illégitime les tentatives de levée d’impôts auprès d’entreprises opérant dans le secteur informel. Le même raisonnement s’applique à l’impôt sur le revenu qui n’est pas non plus légitime lorsqu’il n’existe pas à priori de système de protection sociale ni pour les agriculteurs, ni pour les travailleurs du secteur informel.

A ce cercle vicieux, viennent s’ajouter des facteurs aggravant comme la présence de ressources naturelles ou l’abondance de l’aide extérieure. Ces derniers aussi s’auto-entretiennent puisqu’ils ne sont pas de nature à encourager les gouvernements à accroître leur légitimité fiscale en levant davantage d’impôts directs. Après tout, cette légitimité n’est acquise qu’en contrepartie d’une plus grande exigence d’inclusion politique, d’obligation de résultats et de compte rendu de la part des contribuables. Dès lors, il est plus intéressant pour un Etat de se justifier auprès d’institutions financières internationales ou de partenaires étrangers plutôt que de le faire auprès de ses citoyens. Ainsi, la bonne gouvernance et l’inclusion politique se trouvent au cœur même des enjeux de fiscalité en Afrique.

Pour que l’impôt direct joue pleinement son rôle dans l’édification et la consolidation des nations africaines, il faudra d’une part créer un dialogue entre les acteurs du secteur informel et l’Etat en vue de déterminer les contreparties qu’ils peuvent attendre de la levée des impôts sur le revenu et sur les bénéfices. Par exemple, la création de systèmes de protection sociale (assurance maladie universelle et chômage) et la garantie des investissements dans les infrastructures sociales et économiques susceptibles de bénéficier directement aux acteurs du secteur informel peut les inciter à se formaliser et ainsi donc contribuer à la levée des impôts directs en vue du financement des investissements publics. De manière plus classique, c’est le rôle que devrait jouer les élections des responsables politiques, mais pour le moment la question du financement du développement est rarement soulevée dans les campagnes électorales.

D’autre part, une implication plus accrue des organisations de la société civile dans la gestion des recettes fiscales issues de l’exploitation des ressources naturelles pourraient contraindre les gouvernements à s’appuyer davantage sur les impôts directs et à renforcer leurs capacités de recouvrement des impôts indirects. Enfin, une prise en compte plus importante des enjeux de renforcement de l’administration fiscale dans l’octroi de l’aide extérieure permettrait également d’inciter les Etats à compter davantage sur les impôts directs.

En définitive, la situation apparente de « paradis fiscal » que laisse entrevoir la faible contribution fiscale dans les huit pays cités ci-dessus n’a le paradis que de nom ; puisque cette faible contribution, même si elle peut être compensée par les recettes issues de l’exploitation des ressources naturelles ou des dons, est source d’exclusion sociale, principal moteur de la pauvreté et des inégalités.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Perspectives économiques en Afrique, 2010, page 83.

[2] Ces différents types concernent les impôts directs (sur le revenu des personnes physiques et morales), les impôts indirects (TVA, taxes sur les vente, …), les recettes non-fiscales (droits de timbre per exemple), les revenus tirées de l’exploitation des ressources naturelles (en particulier le pétrole), les taxes commerciales (droits de douanes) et les dons.

Deux intrants qui manquent à l’innovation en Afrique francophone

clipboard06Si l’on convient avec des penseurs comme Schumpeter J. et Aghion P. que le développement résulte de l’innovation, alors l’Afrique, quoique pauvre, devrait accorder une importance particulière à ses universités. Non pas pour accroître le nombre d’étudiants, ni pour augmenter le nombre de professeurs ou de chercheurs, mais pour accroître la qualité de la recherche qui y est menée. Cette préoccupation concerne bien entendu l’ensemble des pays Africains à l’exception peut être de l’Afrique du Sud, selon les classements internationaux des universités, comme celui de Shanghai. Cependant, la situation est plus critique dans les pays francophones pour deux raisons. D’une part, l’utilisation presque exclusive du français comme langue de travail dans les laboratoires alors que le monde académique devient de plus en plus anglophone. D’autre part, la faible numérisation des travaux de recherche dans un contexte où les moyens de recherches modernes reposent davantage sur le codage informatique et l’utilisation de l’internet.

Il ne s’agit pas d’une reproche faite à la communauté scientifique francophone d’Afrique, mais plutôt d’une mise en lumière de quelques défis qu’elle devra relever pour s’intégrer pleinement dans les réseaux de recherches mondiaux qui sont pour la plupart anglophones. On pourrait aussi tout de suite penser qu’il s’agit là d’une préoccupation secondaire dans une région en proie à l’extrême pauvreté et parfois aux troubles sociaux. Mais ce point de vue omet la possibilité que l’extrême pauvreté et les guerres soient tout simplement des conséquences d’un manque d’innovation.  Après tout, la recherche scientifique n’a d’autre but que d’apporter des solutions concrètes aux problèmes des Hommes, c'est-à-dire être au service de la société. Il n’est pas nécessaire de rappeler ici les principales inventions et découvertes qui ont été à l’origine des progrès significatifs dans l’agriculture et l’industrie dans les pays qui sont aujourd’hui développés. Comment faire donc pour inclure l’Afrique, en particulier l’espace francophone dans le train mondial de l’innovation par la recherche ?

Très peu de statistiques existent pour mettre en évidence la proportion de chercheurs des universités d’Afriques francophones qui maîtrisent parfaitement l’anglais. Il suffit pourtant d’aller sur le site web de ces universités pour constater que très peu ou pas du tout de publications sont faites en anglais. Quant à l’appropriation de l’outil informatiques et des opportunités qu’offre l’internet, on constate déjà que le pourcentage de la population ayant accès à l’internet est plus faible dans les pays francophones et que très peu d’écoles ou d’universités disposent de salles d’informatiques équipées.[1] Or, de manière plus synthétique, l’appropriation de l’outil informatique devrait permettre d’augmenter les capacités d’innovation alors que la maîtrise de l’anglais favoriserait leur diffusion et de donc leur qualité.

En effet, le progrès fulgurant des capacités de calcul et d’édition des ordinateurs permettent aujourd’hui de tester des hypothèses scientifiques compatibles avec des situations réelles. Par exemple, dans les sciences sociales, il ne sera plus question de formuler des théories dans un laboratoire mais d’identifier des relations révélées par les comportements individuels et collectifs. Même dans les cas où des observations ne peuvent pas être faites, les capacités de calcul offertes par l’ordinateur permettent de simuler des situations réelles avant même leur mise en œuvre dans la pratique. Par ailleurs, cette expansion de l’informatique favorise actuellement l’accumulation de données massives qui vont sans doute bouleverser la pratique même de la recherche scientifique. C’est le cas par exemple du programme Data for Development lancé par Orange en Afrique sur l’utilisation des données anonymes du réseau mobile pour répondre à des questions sur la santé, l’éducation, l’agriculture, les transports et les infrastructures.

Un autre intérêt de l’appropriation de l’outil informatique est qu’elle facilite l’accès à l’internet et plus particulièrement à des ressources académiques qui peuvent être utilisées pour améliorer les résultats d’autres recherches en cours. Typiquement, un chercheur qui travaille sur l’amélioration de la productivité agricole a besoin d’accéder aux derniers résultats de recherche sur cette question. Cet accès se fait à moindre coût lorsque le chercheur dispose d’un accès à l’internet et d’une connaissance des ressources académiques disponibles en ligne. Nonobstant, combien sont-elles, les universités d’Afrique francophone connectées à l’internet haut débit accessible par tous les étudiants et chercheurs ?

En ce qui concerne l’anglais, sa maîtrise permettra de diffuser les résultats de recherches scientifiques et d’accroître leur qualité.  Il ne s’agit pas d’abandonner sa langue maternelle ni le français car en général certains sentiments voire certaines idées sont mieux exprimés dans une langue que dans d’autres. Cependant, cette richesse de la diversité linguistique ne doit pas nous empêcher de reconnaître l’importance de la maîtrise d’une langue internationale, en l’occurrence l’anglais, pour faire participer pleinement les chercheurs des universités d’Afrique francophone aux grands débats scientifiques qui auront une incidence décisive sur nos modes de vie à l’avenir.

Il existe certes de centres de recherche en Afrique francophone, souvent à l’extérieur des universités, qui entreprennent des recherches en anglais et qui promeuvent l’appropriation de l’informatique et de l’internet par les chercheurs. C’est notamment le cas du CODESRIA, du CRES au Sénégal, ou de l’African School of Economics qui vient d’ouvrir ses portes au Bénin. Cependant, ses deux intrants de la recherche scientifique que sont l’anglais et l’informatique ne sont pas encore accessibles au plus grand nombre des étudiants et chercheurs dans les universités d’Afrique francophone. C’est pour cela qu’il faut dès maintenant repenser la recherche scientifique dans cette région en mettant l’accent sur l’enseignement et les publications en anglais de même que la formation intensive des étudiants et chercheurs aux langages de programmation informatique de base et à l’utilisation des données massives générées par l’internet à des fins de recherche scientifique.

L’un des principaux obstacles à ce changement est la réticence des chercheurs séniors face à l’introduction de nouvelles technologies qu’ils ne maîtrisent pas et qui les rendraient obsolètes. Il pourrait donc s’agir d’obliger les jeunes étudiants et chercheurs à s’approprier l’anglais et l’informatique tout en encourageant les séniors à faire de même à travers des incitations à participer à des conférences de haut niveau en anglais.

Les logiciels de traduction n’aideront pas les chercheurs francophones puisqu’ils ne rendent pas compte de l’idée sous jacente à la structure d’une phrase. Par ailleurs, les obstacles liés à l’énergie que l’on évoque très souvent pour justifier la relégation de l’accès à l’internet au second plan sont très discutables dans la mesure où l’accès à l’énergie n’est qu’un moyen qui ne devient justifié que lorsque les fins pour lesquelles il sera employé sont établies. Les fins ici concernent l’accès à la connaissance moderne dont la production et la diffusion nécessite l’emploi des moyens de communication modernes dont le numérique et l’anglais.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Selon les statistiques de l’IUT pour l’année 2013, seulement 4% de la population des pays d’Afrique francophone à l’exception du Sénégal (21%) de la Tunisie (44%) et du Maroc (56%) utilisent l’internet.

 

Will Africa benefit from its demographic prospects ?

Africa's future is generally described by two figures : 5.2 % and 2 billion. The first figure published in the 2012 Africa Economic Outlook* is the average growth rate of the GDP in Africa from 2003 to 2011. The second figure is the expected growth of the population in Africa by 2050 predicted by the United Nations population division in 2012. These figures are systematically used in reports, articles and by economists. More and more studies are questioning the accuracy of the 5.2 percent growth rate. However, the demographic prospects do not seem to be questioned at all. Demography is a challenge and it is important to create economic prospects for the local consumers, investors and the State.

The latest population projection of the United Nations has stated that the African population should reach 2.4 billion by 2050. This is the double of the population in 2010. This projection makes Africa the most populated region in the whole world, way ahead of China and India. This situation is very challenging geopolitically and economically. Yet, in this article, we shall only focus on the economic challenges presented by this population doubling. Even if the current level of productivity were maintained, each person in Africa will have to be equipped with the same work tools we have today to maintain the income per capita. Thus, the doubling of the population will also combine the doubling of the potential market and eventually of the cash flow for investors. Hence, demographic prospects are undeniably a strong argument to attract investors.

population 1Source: Graphic presentation of the author based on data from World Population Prospects

Prospects: the 2012 revision of the division of the population (United Nations)

However, more benefit can be derived from this population prospect by increasing the productivity of the new generations of workers from now on. African workers should be equipped with more productive tools. The use of new information technologies, the construction of transport and energy infrastructure have to be taken into account as well. Still, this approach does not take into account the increase in the « human » productivity of the worker which is more important for the use of more elaborate and productive tools. Thus, it is all the more important to improve the general health and education of the population so that the investors, the population and the State can benefit from these demographic prospects.

Even though there has been some progress in human development in the past few decades, there are bigger challenges ahead of us. Here we are not going to focus on classic indicators such as lifespan, birth rate and schooling rate but on new levers that could be used to improve the productivity of the future generations of African workers.

As far as health is concerned, recent studies such as the one conducted by Nobel Prize winner James Heckman among Jamaican children have shown that the first two years of one's life are the most important. More specifically, this study showed that the psychologic and social stimuluses received by Jamaican children in their first two years of life have a significant effect on their earnings twenty years later. Actually, their salaries have increased by 42 % on average, suggesting that a good nutrition and a positive social environment in the first two years has an important impact on the future of children.

population 2

Source : Calculations of the author based on data from the World Health Organisation

There is currently a lack of reliable statistics on child nutrition in Africa. As we can see in the graph above, 35 % of children aged 5 or less suffer from stunting in 2010. The WHO expects this rate to decrease but it will still be over 25 % by 2025. One child out of 4 will still be stunted.

In a recent press release, the UNICEF has explained that stunting is not simply an issue of low height stature; but an indicator of their health and productivity as an adult. Neurologists also agree to say that stunting is correlated with a lack some cognitive abilities. Unfortunately, after the age of 5, this cognitive skills can no longer be acquired, thus limiting the child's future economic productivity; that is to say his welfare. Hence, it is all the more necessary to take action as soon as possible to avoid these deficiences for the upcoming generations. The children born from 2015 to 2030 will be 20 to 25 years old in 2050. They will be the next generation workers in 2050.

Education is another major challenge. Some progress has been made as seen in the graph below. Access to primary education has become universal as of the year 2012. Likewise, secondary and tertiary enrolment has slightly increased. However, the enrollement rates, especially in the teriary education, are still very low.

population 3

Source: Calculations of the author based on data from the UNESCO

Another issue is the mismatch between supply and demand on most of African labor markets. As a matter of fact, the more educated are much more likely to be unemployed. This does not imply that students should be discouraged from pursuing long studies and follow vocational trainings. A recent study by the International Labour Office** showed that in 8 countries in Africa, the new graduates who found a job earned higher salaries than the job seekers with lower level of education.

Therefore, the education level is not the problem. It is rather the type of education that determines employability. It is important to encourage studies adapted to the needs of the labour market and to improve the quality of the education. The State can implement specific education counceling programs for the youth in collaboration with the private sector and subsidise vocational training programs adapted to the specific needs of the private sector. This program can be funded by a specific tax on the revenues of companies or the companies can themselves fund these vocational training programs with the financial help of the State.

Above all, Africa is considered in this anlysis as a single nation and market. However, the situation is not the same across all of the African countries. Moreover, analysts often make a parallel between Africa's demographic prospects and China's. Still we believe that governing 2 billion people within a single nation is not the same as dealing with the same amount of individuals scattered in 54 different states. Nonetheless, the conclusions in this article do apply to the majority of African countries, though they have to be tailored with specific contexts.

Georges Vivien Houngbonon

Translated by: Bushra Kadir

* Studies by Morten Jerven on the quality of macroeconomic statistics in Africa and the African Development Bank publications and the inclusive growth in Africa study published by Afrique des Idées

** The inequalities are not studied here, given that we cannot predict its evolution.

Sources :

Elder, S., Koné, K. S. 2014. Transition vers le marché du travail des jeunes femmes et hommes en Afrique Sub-Saharienne. Work for Youth N°10. Bureau Intenational du Travail

Gertler, P., Heckman, J., Pinto, R., Zanolini, A., Vermeesch, C., Walker, S., Chang, S., Grantham-McGregor, S. 2013. Labor Market Returns to Early Childhood Stimulation: A 20-Year Follow-up To An Experimental Intervention In Jamaica. NBER Working Paper Series.

Morten Jerven. 2013. Poor Numbers: How We Are Misled by African Development Statistics and What to Do about It. Cornell University Press

Economic Outlook, 2012. Development Centre OECD.

Progress shows that stunting in children can be defeated, Communiqué de Presse. Avril 2013. UNICEF.

Le partenariat public-privé est-il adapté aux pays en développement ?

arton44Etant donné les technologies qu’elle doit incorporer pour rattraper son retard sur les autres régions du Monde, le financement du développement est devenu un enjeu majeur en Afrique. C’était d’ailleurs le thème de la conférence sur le développement de l’Afrique. L’enjeu est encore plus crucial dans le domaine des infrastructures depuis la publication du rapport de la Banque Mondiale intitulé « Infrastructures Africaines : une transformation impérative ». Pour répondre à ce besoin de financement, davantage de pays africains ont recours aux projets de partenariats public-privé (PPP).[1] Cet engouement n’est pas sans fondement si l’on en croit les estimations de la Banque Mondiale sur le déficit de financement des infrastructures en Afrique.[2] Cependant, si l’on considère les origines de ce type de financement, il s’avère que le contexte spécifique de certains Etats Africains ne se prête pas nécessairement à la mise en œuvre effective des PPP.

Pour financer les infrastructures de développement, les Etats ont traditionnellement recours aux émissions de bons du trésor, aux prêts bilatéraux (entre pays) ou multilatéraux (octroyés par les Banques de Développement).[3] Jusqu’au début des années 2000, ces moyens de financement étaient utilisés pour financer des infrastructures publiques construites et gérées par l’Etat. Dans ce processus, l’Etat fait appel à des entreprises privées pour la construction des infrastructures et prend lui-même en charge la prestation du service. Dans le cas de la construction d’une route par exemple, l’Etat lance un appel d’offre pour sélectionner une entreprise de BTP, chargée de la construction. Ensuite, il s’assure de l’entretien et de l’usage de la route par les usagers à travers le ministère en charge des infrastructures.[4]

Toutefois, cette procédure, dite de marché public, pose deux problèmes. D’une part elle n’incite pas le constructeur à produire une infrastructure de qualité, même si le maître d’œuvre est chargé de garantir la qualité de l’ouvrage. Dès lors, la durée de vie des infrastructures à la fin de leur construction est souvent plus faible que leur durée de vie potentielle, ce qui engendre des coûts de financement plus élevés à l’Etat. D’autre part, le fait que les services publics ne soient pas à but lucratifs n’incitent pas non plus l’Etat à entretenir voire améliorer la qualité des services fournis.

Pour résoudre ces problèmes, les concessions publiques ont été envisagées. Dans ce cas, l’Etat finance et construit l’infrastructure, mais délègue sa gestion à une entreprise privée. C’est notamment le cas aujourd’hui de certaines activités portuaires, des postes de pesage et de péage ou même de l’exportation de certaines matières premières agricoles.[5] Toutefois, les concessions ne sont pas non plus indemnes de tout problème. En particulier, elles transfèrent intégralement le risque lié à la demande ou au coût de l’Etat vers l’opérateur privé.

Sans titre

C’est donc pour mieux partager le risque que les PPP ont été développés. Au cœur de ce partage du risque se trouve les clauses de garantie qui comme leur nom l’indique, prévoient des compensations de l’Etat aux opérateurs privés lorsque les prévisions de cash flow sont affectées par des risques commerciaux imprévisibles. Ces risques peuvent être liés à une demande plus faible que prévue, ou à des coûts de production plus élevés que prévus.[6] Ce sont des facteurs qui peuvent à priori décourager les investisseurs étrangers dans la mesure où ceux-ci ont une maîtrise imparfaite de l’environnement économique des pays.

En même temps, l’Etat non plus ne maîtrise pas les risques commerciaux liés aux investissements dans les infrastructures. Typiquement, la prévision du trafic de passagers dans un aéroport ou sur un chemin de fer est difficile à prévoir surtout dans un contexte où le marché est très peu développé et où des évolutions technologiques peuvent apporter à court termes des choix alternatifs aux consommateurs. Par conséquent, les Etats qui s’engagent actuellement dans la signature de ces contrats de PPP risquent de se retrouver à payer des compensations pour des services qui ne sont mêmes pas rendus. Ce risque est d’autant plus élevé que les contrats sont signés dans des cadres réglementaires internationaux qui échappent au contrôle des Etats et dans un contexte où la corruption et la mauvaise gouvernance peuvent introduire des biais dans l’attribution et l’exécution des marchés.

Si l’on regarde de plus près, les PPP ont été initialement utilisés dans des pays comme la France et la Grande Bretagne qui disposent d’un marché assez développé et d’un cadre réglementaire fiable. Ces deux facteurs minimisent l’occurrence des risques liés à la rentabilité des projets de PPP. Par ailleurs, un autre facteur très important concerne le pouvoir de négociation entre les parties prenantes aux contrats PPP. Dans les pays suscités, ce pouvoir est plus équilibré que dans les pays en développement où le chiffre d’affaire des entreprises impliquées dans la signature des contrats de PPP dépasse souvent la moitié de leur PIB.

Une approche pour remédier à ces problèmes consisterait à mettre en place des organismes techniques régionaux chargés de l’examen et de la signature des contrats de PPP. Cette approche a le mérite de s’appuyer sur un marché plus vaste, ce qui lui confère un pouvoir de négociation plus élevé. En plus, elle permettra d’attirer les experts en analyse et négociation de contrats de PPP au service des Etats.

Georges Vivien HOUNGBONON


[1] Deux articles dont celui de Simel et de Foly analysent déjà en quoi les PPP peuvent être une option intéressante pour le financement des infrastructures.

[2] Le rapport “Infrastructures Africaines: Une transformation impérative” estime à 93 milliards de dollars US, le montant annuel des besoins de financement d’infrastructures en Afrique.

[3] On peut mentionner aussi les transferts d’argent des émigrés Africains dont le montant dépasse aujourd’hui l’aide au développement, i.e. les prêts concessionnels octroyés à des taux préférentiels par des pays développés.

[4] L’entretien des routes est de plus en plus confié à des prestataires privé qui se charge de collecter des droits de passage chez les usagers et d’assurer l’entretien des routes.

[5] Cette procédure se distingue bien de la privatisation, dans la mesure où l’opérateur privé n’est pas propriétaire de l’infrastructure.

[6] L’agence MIGA de la Banque Mondiale s’occupe généralement des risqué non commerciaux.

Faut-il des chefs d’Etats plus instruits en Afrique ?

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Les chefs d’Etats sont très souvent désignés comme responsables des performances économiques de leurs pays, car ce sont eux qui fixent les priorités en matière de politiques publiques et d’allocation des ressources financières publiques. Ce sont aussi eux qui signent les traités internationaux qui affectent la position relative de leurs pays par rapport au reste du monde. Une des raisons qui pourrait expliquer un lien entre le leadership politique d’un chef d’Etat et la performance économique de son pays pourrait être son niveau d’éducation. Si cela était vrai, alors l’Afrique serait le continent le mieux indiqué pour promouvoir l’accession au pouvoir de chefs d’Etats plus instruits. Cela tient du fait que jusqu’à une période très récente, c’est en Afrique qu’on trouve les chefs d’Etats les moins instruits, d’après le site internet Skyrill, qui recense le niveau d’éducation des leaders politiques à travers le monde. Mais comment sait-on si les performances économiques d’un pays dépendent de son chef d’État et plus particulièrement de son niveau d’éducation ?

C’est à cette question qu’ont répondu le chercheur Timothy Besley et ses coauteurs dans une étude publiée en 2011. De manière générale, les résultats de leurs travaux montrent qu’une partie de la croissance économique d’un pays est déterminé par le profil du chef d’État en exercice. Pour éviter que des chefs d’Etat spécifiques soient élus dans des conditions économiques particulières, ils étudient l’évolution de la croissance économique cinq années après le décès soudain d’un chef d’Etat dans plusieurs pays du monde. Ainsi, ils trouvent que la croissance économique est plus faible pendant les cinq années qui suivent la  mort inattendue d’un chef d’Etat.

Plus spécifiquement, cette baisse de la croissance économique diffère selon le profil du chef d’Etat, notamment son niveau d’éducation. En effet, Timothy Besley et ses coauteurs constatent que la baisse du taux de croissance suivant la mort d’un chef d’Etat est plus forte lorsque son niveau d’éducation est plus élevé, que ce soit un Master ou un Baccalauréat. Ainsi, le niveau d’éducation des chefs d’Etat est déterminant dans les performances économiques de leur pays. En particulier, l’étude montre que le passage d’un chef d’Etat ayant au moins un Master à un autre qui n’en possède pas fait baisser la croissance économique de 2.1 points en moyenne pendant les cinq années qui suivent cette transition.

Pour expliquer les mécanismes à la base d’un tel impact, d’autres chercheurs, notamment Luis Diaz-Serrano et Jessica Pérez ont examiné dans une étude publiée en 2013 le canal reliant le niveau d’éducation du chef de l’Etat à celui de la population. Comme on pouvait s’y attendre, l’exercice du pouvoir par un président plus instruit conduit à une nette augmentation du niveau d’éducation de la population. D’autres résultats indiquent que les dirigeants politiques ont tendance à mettre en place des politiques publiques qui correspondent à leurs propres préférences. C’est ainsi par exemple qu’en Inde, Chattopadhyay et Duflo trouvent que les élues féminines ont tendance à investir dans les infrastructures plus favorables aux femmes. De même, d’autres chercheurs trouvent que la mise en œuvre de réformes économiques favorables à la croissance et la maîtrise du taux d’inflation dépendent du niveau d’éducation des dirigeants politiques. Dès lors, l’impact du chef de l’Etat sur la croissance économique passe par l’alignement de ses choix de politiques publiques sur ses propres préférences qui dépendent en partie de son niveau d’éducation. Dans le cas de l’étude de Besley, c’est probablement la mise en œuvre de politiques efficaces qui est en jeu, car la période de cinq ans est assez courte pour que des investissements dans l’éducation puissent avoir un effet sur la croissance économique.

Dans le cas particulier de l’Afrique, les données ne permettent pas de vérifier si ces résultats s’appliquent effectivement au continent. D’un point de vue empirique, la situation est assez contrastée pour permettre de dégager des conclusions sans craindre que d’autres effets n’interagissent avec les observations. Dans certains pays par exemple, des docteurs en économie ou des professionnelles des questions de développement ont dirigés des Etats sans pour autant que les performances économiques n’aient été remarquables. Peut-être que la situation économique aurait été pire en leur absence ; nous en savons rien. Toutefois, les résultats de recherche présentés ci-dessous tiennent compte des différences entre les pays pour être applicables à l’Afrique.

Par conséquent, il faudra mettre en place des règles pour promouvoir l’exercice du pouvoir politique par des dirigeants bien instruits, idéalement ayant au moins un diplôme de Master ou équivalent. Une telle règle pourrait être par exemple que les candidats aux élections présidentielles, voire aux élections législatives, soient issus d’une primaire au sein de leurs partis politiques qui permettra d’abord de sélectionner le candidat le plus adapté aux attentes des populations avant même qu’il ne concoure à l’élection proprement dite. Si l’on considère le fait que l’Afrique a actuellement besoin d’augmenter sa croissance économique de 2 points pour doubler son PIB par tête en dix ans et réduire significativement la pauvreté, alors il importe surtout d’éviter le passage à des chefs d’Etats moins instruits que leurs prédécesseurs.

Georges Vivien Houngbonon

Pourquoi faut-il s’approprier le discours sur le développement de l’Afrique ?

une_croissance_inclusive_folyAujourd’hui, l’Afrique fait l’objet de prises de position sur son développement. Ces prises de position se font à travers un discours qui peut prendre plusieurs formes comme le témoigne la multitude de rapports, d’ouvrages et d’événements organisés au cours des dernières années d’abord pour décrire un continent sans espoir et ensuite pour la présenter comme un continent d’avenir. L’évolution du titre de la revue The Economist qui passe de « The hopeless continent » en 2000 à « The hopefull continent » en 2011 illustre le changement de paradigme dans le discours sur le développement de l’Afrique. Ce changement de paradigme, fondé sur des observations empiriques, ne met pas toujours en lumière les causes profondes des fortunes de l’Afrique. Pourtant, deux principales raisons militent pour une meilleure connaissance de ces causes afin de mieux accompagner le continent dans son processus de développement.

Il y a une demande de production d’idées pour éclairer les perspectives de développement de l’Afrique

En effet, le niveau de développement actuel de l’Afrique soulève de grandes questions auxquelles très peu de réponses ont été apportées, de sorte qu’il est difficile d’afficher un optimisme béat sans craindre un retournement de la tendance actuelle du progrès économique. Les taux de croissance sont certes élevés depuis plus de dix ans ; mais ils sont encore fortement liés aux termes de l’échange et donc de l’exploitation des ressources naturelles. Des progrès ont été enregistrés en termes de gouvernance économique et politique ; mais nous en savons actuellement très peu sur l’ampleur de ces progrès et la part de leur contribution à la croissance économique observée jusqu’ici.

Le maintien de cette dynamique de la croissance économique nécessite de lourds investissements dans les capitaux physiques tels que les équipements agricoles, les infrastructures énergétiques, hydrauliques et de transports. Dans le même temps, il est aussi nécessaire d’investir dans le capital humain à travers l’amélioration de la santé et de l’éducation des populations. Cette conjonction des besoins d’investissement soulève la question de savoir comment trouver les financements nécessaires à ces projets d’investissements et dans quelle proportion les allouer  aux investissements en capitaux physique et humain pour générer une croissance forte et inclusive. Il en est de même pour les dépenses dans le cadre des programmes sociaux tels que l’assurance maladie ou les transferts sociaux. La prise en compte du cadre de gouvernance politique, des contraintes réglementaires notamment sur le droit de la concurrence, de l’intégration régionale complexifie davantage l’analyse de ces questions. Par ailleurs, les réponses à ces questions requièrent la prise en compte de contraintes extérieures telle que le dérèglement climatique et la préemption de l’industrie manufacturière par la Chine.

Toutes ces questions sont posées dans un contexte particulier caractérisé par un niveau de vie moyen africain qui décroche par rapport au reste du monde et une augmentation du nombre de pauvres. Comme le montre le graphique ci-dessous, l’Afrique sub-saharienne est la seule région du monde ayant connu une baisse de son PIB par habitant relativement à celui des Etats-Unis. Alors que les autres régions en développement tendent globalement à rattraper le niveau de vie des pays développés, l’Afrique sub-saharienne décroche avec un PIB par habitant qui chute de 4% du PIB par habitant américain en 1960 à 2% en 2012.

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Source : Calculs de l auteur a partir des donnees du World Development Indicators de la Banque Mondiale.

Aussi, en dépit d’une légère baisse de la proportion de pauvres au cours des dix dernières années, le nombre de pauvres, quant à lui, a doublé en 30 ans, passant de 205 à 413 millions de pauvres entre 1981 et 2012. Contrairement aux autres régions en développement, l’Afrique sub-saharienne est là encore la seule région au monde ayant connu une augmentation du nombre de pauvres. En ce qui concerne les inégalités, les dernières estimations fournies par la Banque Africaine de Développement place le continent en deuxième position des pays les plus inégalitaires dans le monde après l’Amérique latine.[1] Il ne s’agit là que des inégalités de revenus. Nous en savons encore très peu des inégalités de patrimoines qui sont généralement plus fortes que les inégalités de revenus.[2]

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Source : Calculs de l auteur a partir des donnees du World Development Indicators de la Banque Mondiale.

Tous ces éléments placent l’Afrique face à un grand défi : celui d’assurer le bien-être de chaque composante de sa population dans un monde globalisé. Loin de l’afro-pessimisme des années 90 et loin aussi de l’afro-optimisme actuel, le think-tank L’Afrique des Idées (ADI) propose l’afro-responsabilité comme nouveau paradigme. Celui ci consiste à entamer une démarche de réflexion pour comprendre les défis auxquels font face l’Afrique afin d’œuvrer à ce qu’elle puisse les relever.

Contrairement aux décennies précédentes, il existe aujourd’hui des leviers pour satisfaire cette demande d’idées

Certes, il existe déjà des groupes de réflexions qui travaillent sur certaines des questions évoquées plus haut. Cependant, ces groupes restent à l’échelle nationale alors que la plupart des défis qui se posent aux pays africains dépassent les frontières nationales. Par exemple, les questions de développement économiques ne peuvent plus se poser à l’échelle nationale dans la zone CFA dont les pays partagent une monnaie commune depuis plus de 50 ans. L’approche nationale occulte très souvent la perspective régionale dans l’analyse des problématiques identifiées à l’échelle nationale. Typiquement, la gestion de l’environnement ne peut être appréhendée dans un pays, ou même une région, sans prendre en compte ce qu’il se passe dans les autres régions du monde. En outre, la plupart des initiatives nationales courent le risque de se transformer très vite en un mouvement de lutte pour le pouvoir politique, perdant ainsi de vue l’objectif initial qui est de rester une force de propositions de nouvelles idées indépendamment du processus politique en cours. Il s’agit donc d’un engagement strictement intellectuel qui vise une compréhension rationnelle des enjeux de tous ordres qui se posent à chaque pays africain.

Par ailleurs, le contexte actuel se prête bien à la déclinaison opérationnelle de l’afro-responsabilité. Il est caractérisé par un nombre plus important de jeunes africains qui vont étudier dans les meilleures universités. Selon les statistiques de l’UNESCO, le nombre d’étudiants africains en mobilité a augmenté de 40% en dix ans passant de 205 à 288 mille entre 2003 et 2012.[3] Cette accumulation de la connaissance a besoin d’être employée au service de la compréhension des défis de l’Afrique plutôt que de conduire principalement à accentuer la concurrence politique avec les conséquences que l’on observe actuellement dans certains pays africains. Cette dynamique de l’accumulation de la connaissance par les jeunes africains vient s’ajouter au stock de connaissances accumulé par les aînés et complétée par un nombre croissant de personnes originaires des pays développés qui s’intéressent à l’Afrique notamment lors de stage d’études.

C’est fort de ces circonstances que L’Afrique des Idées ambitionne d’opérationnaliser l’afro-responsabilité en s’appropriant le discours sur le développement de l’Afrique. Cette opérationnalisation s’est traduite par la réalisation d’études sur des sujets tels que la croissance inclusive, les choix de carrières des africains de la diaspora en Afrique et l’économie verte. En particulier, l’étude sur la croissance inclusive qui a déjà été présentée à l’Université des Nations Unies à Helsinki, vient d’être retenue pour être présentée lors de la conférence annuelle de la Banque Mondiale sur l’Afrique à Paris. De même, nos publications sur l’économie verte en Afrique ont fait l’objet d’une synthèse distribuée aux participants du Forum International sur le Green Business organisé par la Chambre de Commerce de Pointe-Noire. Parallèlement, L’ADI dispose d’une équipe de rédacteurs qui publient quotidiennement des articles d’analyse et des chroniques dans des domaines aussi variés que l’économie, la politique, la culture, le développement durable et l’histoire.

Georges Vivien Houngbonon, article initialement publié dans la Gazette du Golfe du Bénin (23 – 27 juin 2014)


[1] African Development Bank’s Briefing Note N°5: Income Inequality in Africa, 2012.

[2] Le Capital au 21ème Siècle, Thomas Piketty, 2013.

 

[3] Global Flow of tertiary-level students, UNESCO. Page consultée le 7 juin 2014 à 22h de Paris.