Depuis quelques années, tous les organismes internationaux s’accordent à reconnaître ce qu’ils appellent la «féminisation» de la pauvreté – aujourd’hui les femmes sont 70% des pauvres de notre planète et 60% des travailleurs pauvres (1/4 des travailleurs totaux) gagnant moins d’1 $ par jour. Après avoir précisément cerné le phénomène (1ère partie), nous en faisons l''état des lieux et en déterminons les causes afin que des stratégies efficaces d'autonomisation des femmes puissent être formulées.
Etat des lieux dans les pays africains
Les femmes étant surreprésentées dans l’économie informelle et les emplois non qualifiés (agriculture, secteur primaire), les inégalités hommes-femmes s’en trouvent aggravées. La pauvreté entraîne aussi des inégalités dans l’espérance de vie (32,5ans pour les Zambiennes en 2002 contre 43,4 en 1995, 33,5ans contre 49,9 au Zimbabwe, contre plus de 80 ans pour les femmes occidentales), la santé (les femmes sont les principales victimes du Sida, en Afrique Subsaharienne, 76% des personnes de 15 à 24 ans infectées sont des femmes) , la nutrition et l’éducation, non seulement entre hommes et femmes mais aussi entre femmes du Sud et femmes du Nord.
Géographiquement, sur le continent, les femmes d’Afrique subsaharienne et de Madagascar sont les premières touchées, Socialement, les migrantes, les handicapées, les femmes chefs de famille monoparentale, les chômeuses, les sans domicile, les précaires à temps partiel, les rurales, les moins de 25 ans et les plus de 55ans sont plus souvent pauvres que les autres femmes. Le taux de participation des femmes à la vie économique n’a cessé d’augmenter depuis 1989 en Afrique, sauf en Afrique du Nord où il reste inférieur à la moyenne mondiale (les femmes sont 40% de la population active dans le monde) . Mais cela est accompagné d’un taux de chômage plus élevé pour les femmes que les hommes, des salaires plus bas, de la détérioration des conditions d’emploi, surtout en raison de la précarité des contrats et du manque de protection sociale. Les moins qualifiées sont les plus vulnérables, avec une forte instabilité de l’emploi et des salaires très bas, des horaires flexibles et extensibles, sans avantages sociaux ou aide publique pour les décharger du travail domestique. De plus, les législations du travail ne les protègent pas, surtout les femmes migrantes, les femmes handicapées et celles qui travaillent à domicile. Dans les pays africains, le plus inquiétant est la surreprésentation des femmes dans le travail informel, dit non-structuré au Sud et leur sous représentation ou même leur absence des instances de décisions économiques et des postes de responsabilité, ainsi que la persistance des stéréotypes sexistes au niveau professionnel et familial.
Les causes de l’appauvrissement des femmes africaines
La principale cause structurelle de la pauvreté des femmes se trouve dans l'interaction entre la dépendance, l’exclusion sociale et changement social au sein :
(a) De la sphere domestique privée
Jusqu’à une époque récente, La cause principale attribuée à la féminisation de la pauvreté en Afrique était l’augmentation de ménages dirigés par des femmes seules dans les pays émergents, la parentalité étant connue pour entraîner une baisse des gains de revenus des femmes. Les femmes chef de famille monoparentale prenant du temps pour s’occuper de leurs enfants, leur temps de travail et leur salaire est compromis à terme. En outre, ces ménages ont souvent au plus un seul adulte salarié. Cela rend l'ensemble du ménage sensible à la pauvreté, augmentant ainsi le nombre d'enfants vivant dans la pauvreté.
(b) Du marché du travail
En Afrique, dans un large éventail de cultures et de niveaux de développement économique, on estime que les responsabilités des femmes imposent des limites sur la gamme des activités économiques auxquelles elles peuvent prétendre. Dans le milieu salarié, les femmes sont souvent employées comme domestiques ou dans d'autres activités semblables. Toutefois, la nature de ces emplois les rend précaires et les confronte aux risques de l’exploitation. Par exemple, en Ethiopie, un des principaux producteurs de café au monde, les producteurs préfèrent embaucher des filles et des femmes comme ouvriers, parce qu'elles sont prêtes à accepter des salaires plus faibles.
Il y a bien d’autres facteurs responsables de la féminisation de la pauvreté dans les Etats africains. On peut citer notamment le changement dramatique dans la vie d'une femme en cas d'événements familiaux tels que le mariage, le divorce ou l’accouchement. La violence contre les femmes, les politiques du gouvernement , les droits de propriété et de succession, les abus sexuels sont d'autres raisons pour lesquelles les femmes ont du mal à échapper au piège de la pauvreté. Ces causes indiquent différents types de pauvreté vécue par les femmes africaines, une pauvreté pas seulement liée aux revenus, mais également à la nutrition, à la santé, aux droits juridiques et à l'éducation.
Quelles solutions envisager ?
Nous n’en discuterons pas, mais nous invitons chaque lecteur à formuler ses propres solutions. Elles sont nombreuses et font souvent l’objet de consensus dans les démocraties modernes car elles relèvent du bon sens. Dans une Afrique diverse, aux problèmes et aux niveaux de développement variés, trouver une solution globale n’est pas concevable. Toutefois nous donnons les exemples, reconnus pour leur efficacité à l’échelle internationale, de l’association indienne SEWA (Self-Employed Women’s Association) qui prépare plus d’un million de membres au travail en temps plein et du BRAC (Bangladesh Rural Advancement Committee), une ONG pionnière du développement économique et social par la microfinance
Critique de la notion de «féminisation» de la pauvreté
La pauvreté particulière des femmes par rapport aux hommes est-elle devenue une orthodoxie mondiale que l’on ne remet plus en question ? En effet, certains considèrent que la question de la féminisation de la pauvreté est un prétexte féministe et qu’il faudrait s’attaquer à la pauvreté dans son ensemble. De fait, la discrimination positive envers les femmes comme politique publique contre l’appauvrissement de ces dernières ne fait pas l’unanimité. On peut tout de même recommander aux décideurs de bien s’assurer que leurs politiques pour l’autonomisation des femmes n'aient pas un biais contre les hommes. Car, si la partie de notre analyse fondée sur les femmes chefs de ménages a été d'une grande aide dans la compréhension de la spécificité de la pauvreté des femmes, les tentatives pour mettre en évidence d'autres liens entre genre et pauvreté se sont soldés par un échec. La reconnaissance de la nature multidimensionnelle de la pauvreté a élargi le concept de pauvreté pour y inclure une discussion sur les ressources collectives, les choix et opportunités, le manque de dignité et d'autonomie, entre autres facteurs. Puisque les femmes, mêmes pauvres, ne constituent pas une masse homogène et ont chacune des exigences et des aspirations différentes, leur perception de la pauvreté devrait être prise en compte afin d’améliorer véritablement leur niveau de vie.
Néanmoins, force est de constater le rôle grandissant des femmes dans la vie politique comme l’atteste le trio de leaders féminins, Prix Nobel de la Paix en 2011, pour la première fois dans l’histoire, «pour leur lutte non violente en faveur de la sécurité des femmes et de leurs droits à participer aux processus de paix», comme l'a déclaré le président du comité Nobel norvégien, Thorbjoern Jagland lors de leur consécration.
Et les hommes dans l’histoire ? A ma connaissance, il y a un manque considérable de recherche les concernant car se pose la question naturelle de savoir si la «féminisation de la pauvreté» a conduit à une «masculinisation de la richesse.»
Abdoulaye Ndiaye