Les réformes du secteur public en Afrique

Au regard de la place du secteur public en Afrique et des quatre enjeux de transformation qui se posent à elle, il est aujourd’hui nécessaire pour les administrations publiques africaines de suivre en profondeur deux logiques de transformation : d’une part l’amélioration de l’efficience dans la gestion des finances de l’Etat et d’autre part l’amélioration de la qualité du service public.

Une meilleure gestion des finances publiques nécessite de placer la performance, i.e. la capacité à atteindre les résultats attendus, au cœur de l’action publique. En la matière, le triangle de performance du secteur privé peut servir d’exemple au secteur public même s’il reste judicieux d’avoir à l’esprit les finalités différentes qui animent les deux sphères.

Si la performance demeure donc cruciale dans la réforme du secteur public en Afrique, elle ne peut être inscrite dans les pratiques de gestion sans deux préalables : un cadre budgétaire rénové et un renforcement du rôle des Parlements africains en matière de contrôle de l’exécution des budgets.

L’expérience française en matière de rénovation du cadre budgétaire et de renforcement du rôle du Parlement

Au cours des dernières années, la France a offert un exemple intéressant de rénovation du cadre budgétaire avec l’entrée en vigueur en 2006 de la Loi Organique sur les Lois de Finances (LOLF). Auparavant, le cadre budgétaire de la France était régi par une ordonnance du 2 janvier 1959 qui présentait des lacunes significatives : une logique de consommations de moyens plutôt qu’une logique de résultats, une reconduction des crédits budgétaires d’une année à l’autre sans réflexion stratégique sur les politiques à mener ni justification de l’essentiel des dépenses avant le vote du budget, une absence de vision prospective, etc. Face à ces situations et sous l’effet de facteurs de transformation comme la persistance de déficits budgétaires devenus structurels et la part croissante de la dette publique dans le PIB, une réforme du cadre budgétaire est apparue nécessaire.

Le cadre budgétaire de la LOLF présente deux principaux avantages. La première est une meilleure orientation du budget vers les politiques publiques. Le budget de l’Etat est désormais présenté, non plus par types de dépenses, mais plutôt par missions correspondant aux politiques publiques prioritaires définies par l’Etat. Cette présentation amène ainsi l’Etat à mieux structurer la gestion de ses finances publiques autour de grands domaines tels que l’éducation, la santé, la culture, la justice, la défense.

Le deuxième avantage est l’accent mis sur une gestion axée sur la performance à travers de nouveaux outils de pilotage. C’est ainsi que chaque programme à l’intérieur d’une mission comporte, en plus du volet budgétaire, un volet performance à travers le projet annuel de performance (PAP). Ce document intègre la stratégie générale qui guide le programme, définit des objectifs précis à atteindre, et spécifie des indicateurs associés aux objectifs avec une valeur à atteindre pour l’année du projet de loi des finances et une cible de moyen terme. Dans le cadre de ce chainage vertueux de gestion budgétaire, a été aussi institué en aval, un rapport annuel de performance (RAP) pour l’examen de l’exécution du budget avec une évaluation et une analyse des écarts entre les prévisions et les résultats. Ce rapport annuel de performance permet ainsi d’apprécier le bon usage qui a été fait de l’argent public, ce qui constitue pour les Etats africains aussi, un enjeu majeur.

En plus de la gestion budgétaire rénovée, l’expérience française de la performance publique s’appuie aussi sur le renforcement du rôle du Parlement, qui vote désormais l’intégralité des crédits alloués dans le cadre du budget de l’Etat et voit aussi s’accroitre son rôle de contrôle de l’exécution du budget et de l’atteinte des résultats fixés au gouvernement.

Les réformes du cadre budgétaire actuellement en cours dans les pays des zones UEMOA et CEMAC

Depuis février 2008, l’UEMOA et la CEMAC ont initié un processus de modernisation de la gestion des finances publiques dans leurs Etats membres. Ce travail a débouché sur l’adoption de plusieurs directives qui constituent aujourd’hui le nouveau cadre harmonisé des Finances Publiques dans ces deux zones.

Dans le domaine budgétaire, il s’agit d’améliorer l’efficacité de la dépense publique par le biais de nouvelles règles dans l’élaboration, l’exécution et le suivi du budget de chaque Etat membre. C’est ainsi qu’on passe d’une logique de moyens à une logique de résultats comme a cherché à le promouvoir en France la LOLF.

Ce nouveau cadre harmonisé cherche aussi à améliorer la transparence dans la gestion des finances publiques. Ainsi, les crédits budgétaires font l’objet d’une présentation plus exhaustive en programme de sorte à ce que les parlementaires tout autant que les citoyens aient une vision globale des finances publiques.

Enfin, ce nouveau cadre instaure l’obligation d’un document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle. Le cadre des dépenses à moyen terme (CDMT) doit notamment permettre de mieux mettre en perspective les dépenses publiques dès lors qu’il est censé faire le lien entre les politiques de développement et leur traduction budgétaire. Le CDMT doit également permettre de s’assurer que le budget de l’année répond à des critères de soutenabilité par rapport aux budgets des années suivantes et de respect de la stratégie des gouvernements au niveau de l’allocation intersectorielle.

Si ces réformes en cours présentent des avantages certains, elles ne vont cependant pas assez loin dans l’installation de la performance au cœur de l’action publique et le renforcement du contrôle du Parlement par rapport à la gestion que les gouvernements de ces pays font de l’argent public. En outre, ces réformes ne prennent pas en compte les questionnements stratégiques sur le rôle et l’efficacité de l’Etat.

Les questionnements stratégiques sur le rôle et l’efficacité de l’Etat dans les pays africains

Au-delà de la nécessité de la performance dans la gestion budgétaire des Etats en Afrique, il est aussi important de mener des questionnements stratégiques s’inscrivant dans le cadre de ce qu’on a appelé « les démarches enveloppantes » et dont les exemples les plus connus sont la Revue des programmes au Canada dans les années 1990 et la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) en France entre 2007 et 2012. En France notamment, la RGPP a été sous-tendue par une réflexion qui posait les questions stratégiques suivantes : Que fait l’Etat ? Quels sont les besoins et les attentes collectives ? Faut-il continuer à faire de la sorte ? Qui doit faire ? Qui doit payer ? Comment faire mieux et moins cher ? Quel scenario de transformation ?

Cette réflexion stratégique à mener dans la plupart des Etats africains devrait conduire à deux résultats précieux dans le développement des pays africains et le bien-être des populations : d’une part la rationalisation de l’organisation du secteur public et d’autre part l’amélioration de la qualité du service public.

Vers une rationalisation de l’organisation des administrations et une amélioration du service public

La rationalisation de l’organisation du secteur public ne devrait cependant pas se faire sous le modèle des réformes de l’Etat qui ont eu lieu dans plusieurs pays africains au cours des décennies 1980 et 1990. Au début des années 1980, dans un contexte de politiques d’ajustement structurels, une rationalisation radicale a été menée sous formes « de commercialisation, de privatisation et de liquidation en différentes phases ». La décennie 1990 a été quant à elle celle d’une « agencification » de divers pans du secteur public, souvent sans une grande efficacité et presque toujours avec une accentuation du flou pouvant régner autour du secteur public.

Les réformes à mener aujourd’hui appellent un changement profond de paradigme par rapport à celles qui ont été menées au cours des décennies précédentes. Elles doivent désormais être résolument tournées vers l’amélioration du service public, par ricochet vers la satisfaction des clients de l’Etat. Une telle orientation appelle une nouvelle conception de la place du rôle de l’Etat dans nos sociétés et de ses interactions avec le citoyen, le contribuable et l’usager.

Il est urgent de mener cette réflexion stratégique dans beaucoup d’Etats africains, d’envisager des réformes structurelles profondes, de conduire le changement et de l’inscrire dans la durée. Bien entendu, d’un bout à l’autre du continent, ce travail ne saurait se faire sans le leadership et l’engagement de femmes et d’hommes aptes à mener ces transformations profondes.

Nicolas Simel