L’affaire de l’esclave Furcy, Mohammed Aissaoui

affaire esclave furcyDes histoires d’esclaves courageux, intelligents, intrépides il n’en manque pas. Furcy est tout cela en même temps et tellement plus encore. Furcy est le premier esclave à avoir intenté un procès à son maître. C’est le premier à avoir essayé de prendre possession de sa liberté par la voie de la justice trente années avant l’abolition de l’esclavage.

Mais qui est donc Furcy, et pourquoi cet esclave a-t-il fait trembler la France et ses colonies? Furcy est né à l’ile de la Réunion, anciennement île Bourbon en 1786, de Madeleine, indienne et esclave et d’un père inconnu. La loi étant la loi, Furcy a de fait hérité de la condition d’esclave de sa mère. Pourtant, même dans un système corrompu, certaines lois peuvent réparer les injustices d’autres et c’est ainsi que Furcy bénéficia de l’affranchissement de sa mère. C’est en fouillant dans une vieille malle que Constance, la fille de Madeleine, trouva l’acte déclarant le nouveau statut de sa mère et fit le lien avec le sort de Furcy que lui-même ignorait: « Si ma mère était libre, alors Furcy aussi » (P.41) Restait encore à pouvoir en jouir effectivement.

Furcy avait une intelligence remarquable : il savait lire et écrire mieux que la plupart des colons blancs et comprenait rapidement les choses. Lorsque sa sœur le mit au courant de sa découverte, il ne recula pas devant l’idée de porter l’affaire devant les tribunaux. Aidé de Boucher et Sully Brunet il s’engagea alors dans une bataille juridique non sans péripéties – 27 ans de procès – et sans conséquences sur la carrière des deux hommes de loi. C’était en 1817 une chose impensable et les esclavagistes ne manquèrent pas de le lui rappeler.

« L’histoire de l’esclavage est une histoire sans archives » a affirmé l’historien et romancier Hubert Gerbeau. Parmi tous les contes et légendes sur des esclaves, de Kunta Kinte à Tom, l’histoire de Furcy fait donc figure d’exception. C’est l’un des rares esclaves dont on peut, à quelques points d’ombre près, retracer l’existence grâce à des documents à valeur juridique. Des ordonnances, des comptes rendus, décrets et autres correspondances de Furcy constituent des archives vieilles de plus de 150 ans dans un dossier volumineux retraçant le combat de cet homme hors pair.

Ces documents sont la preuve de son passage à tel ou autre tribunal ou de sa convocation à des dizaines d’audiencesmais il restait encore à imaginer l’homme et son caractère. Mohammed Aissaoui s’est aidé de ces archives impressionnantes pour tenter ce pari risqué. Le travail d’invention qu’il a fourni est remarquable. Certes, il transparait ça et là qu’il a quelques fois laissé libre cour à ses propres fantasmes et lieux-communs mais le Furcy proposé dans la centaine de pages de cet essai est tout à fait vraisemblable. L’auteur ne s’en cache pas, il s’est littéralement laissé envahir par cette histoire pendant près de trois ans jusqu’à rêver de Furcy, s’imaginer lui parler ce qui donne forme aux passages qui sont, à mon sens, les plus intéressants de L’Affaire de l’esclave Furcy. En effet, la richesse de l’œuvre réside aussi dans la retranscription humble de l’auteur du trouble éprouvé face à son personnage.

Furcy était un oublié de l’Histoire et, en écrivant son histoire, Mohammed Aissaoui l’a ramené à la vie. Il a aussi pu vivre une véritable relation fraternelle, unique avec un homme qu’il n’aurait jamais pu rencontrer sans la magie de l’écriture. Seulement, si Mohammed Aissaoui a choisi de faire ressurgir Furcy, ce n’est pas pour s’approprier cette histoire mais pour l’offrir à qui de droit, la mémoire collective.

Aussi, dans L’Affaire de l’esclave Furcy, il a effectué à la fois un double travail impressionnant : celui de l’historien qui déchiffre, classe et complète les archives durant 4 années de recherche, et celui du romancier en imaginant la psychologie de Furcy, ses doutes, ses craintes, sa détermination. Au fil des pages de cet essai, le lecteur tentera, l’espace de quelques heures, à regarder l’histoire de l’esclavage, sa pensée et ses codes avec le regard des hommes de l’époque.

A vous de découvrir cette histoire…

Claudia Soppo