Le Togo, ou l’impossible alternance

JPG_Faure Gnassingbé27 avril 2015, 55 ans jour pour jour que la République du Togo est née. Faure Gnassingbé, sereinement, parade dans la ville de Lomé et se permet un bain de foule avant d’allumer la flamme de l’indépendance au Monument de l’Indépendance. Nous sommes au lendemain du déroulement de l’élection présidentielle, à laquelle il a participé. L’assurance de la victoire ne fait aucun doute  dans son camp. Le jour suivant, il sera réélu pour un troisième mandat. Cela fait dix années qu’il est au pouvoir et quarante-huit ans que sa majorité dirige le pays. Entre une opposition en manque de repères et une majorité qui n’est pas prête à se séparer des privilèges du pouvoir, le changement, ce n’est pas maintenant !

S’opposer pour s’exposer, c’est s’opposer sans s’imposer.

En  2002, le tripatouillage de la constitution par une Assemblée nationale monocolore (80 députés sur 81 étaient issus des rangs du parti au pouvoir) issue d’élections législatives boycottées par l’opposition avait permis au feu président Eyadema de briguer un nouveau mandat. Ce, en violation de l’accord cadre de Lomé du 29 juillet 1999 qui stipulait que le « Baobab de Kara » tirerait sa révérence au soir de son mandat issu d’élections déjà contestées en 1998.

Depuis cette modification en 2002, le retour à la Constitution de 1992, qui prévoyait une limitation de mandats et un scrutin présidentiel à deux tours a été incessamment réclamée par l’opposition. Au lendemain de la sanglante élection d’avril 2005, un accord dit Accord politique global va entériner le retour à la Constitution de 1992. Neuf années après cet accord et surtout deux législatures après, la révision de la Constitution n’a toujours pas été faite.

L’opposition togolaise, qui d’habitude brille pour ses divergences et ses querelles de leadership, a réclamé avec un semblant d’unité la réalisation de la  révision constitutionnelle avant les échéances électorales. Mais ce bras de fer  s’est soldé par un échec en raison d’une intransigeance du principal parti d’opposition, l’Alliance nationale pour le changement (ANC), qui frise une certaine irresponsabilité politique.

En effet, un projet de loi de révision a été proposé au Parlement. Ce projet, issu d’un dialogue entre la mouvance présidentielle et l’opposition, prévoyait la limitation à deux mandats avec effet immédiat, ce qui dans l’esprit du parti au pouvoir, avait pour but d’écarter Faure Gnassingbé des prochaines élections. D’ailleurs, l’opposition à travers l’ANC ne s’en cachait pas. Elle revendiquait ouvertement  sa volonté d’empêcher Faure Gnassingbé de participer à ces échéances. Un consensus avait été trouvé entre l’opposition et le parti au pouvoir. Celui-ci consistait en une limitation de mandat sans effet immédiat ; or, l’ANC, disposant d’une minorité de blocage à l’Assemblée nationale, a posé son véto contre un tel consensus. Le principal parti d’opposition réclamait avec intransigeance une révision constitutionnelle avec effet immédiat. Une position intransigeante de l’ANC qui a finalement permis à Faure Gnassingbé  de pouvoir se représenter  sans aucune barrière légale.

La stratégie du «  tout ou rien » de l’ANC semble difficile à soutenir en l’espèce. D’autant plus que le combat de ce parti depuis sa création  est véritablement l’avènement de l’alternance. Manque de stratégie ou cynisme politique calculé ? On ne saurait répondre à cette interrogation. Tout le monde y va de son point de vue. L’ANC continue de jouir d’une popularité importante, surtout dans le sud du pays où le parti a construit son bastion. Pour une certaine partie des partisans de l’opposition, négocier ou concéder des faveurs au parti au pouvoir est signe d’allégeance à ce dernier. Nombreux sont les opposants qui ont perdu toute légitimité  populaire  en raison du fait qu’à un moment donné de leur parcours politique, ils ont jugé utile de collaborer avec le parti au pouvoir. Le principal parti d’opposition qui tient et tire sa popularité de cette intransigeance envers l’UNIR, le parti de Faure Gnassingbé, avait dès lors tout intérêt à ne pas apparaître comme ce parti qui a permis au président de briguer un troisième mandat.

Cependant, dans la conjoncture politique et constitutionnelle togolaise actuelle, pouvait-il  en être autrement ? L’ANC a choisi de satisfaire sa base électorale plutôt que de prendre une décision courageuse dans l’intérêt supérieur  du peuple togolais. C’est dans ces conditions, que les élections présidentielles ont eu lieu le 26 avril 2015.

Des élections au suspens manifestement inexistant

« Le fichier électoral n’est pas fiable mais consensuel ». Ce sont les mots du général Siaka Sangaré, chargé de mission de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) pour auditer le fichier électoral togolais et remédier aux déficiences dont il fait l’objet. Après deux semaines  d’audit, la conclusion  de l’équipe de l’OIF est sans appel. Le fichier est mauvais. Le fichier électoral Togolais n’est pas fiable et n’est pas de nature à permettre des élections crédibles. Cependant les acteurs politiques du pays, conscients de l’état du fichier, se sont mis d’accord pour organiser des élections présidentielles avec ledit fichier. Comment peut-on alors venir se plaindre au lendemain du scrutin d’avoir été volé, si déjà au départ on avait conscience que l’arbitre du jeu n’est pas fiable ?

Ceci a été en tout cas la réaction du CAP 2015, un regroupement de partis qui a porté la candidature du président de l’ANC Jean-Pierre Fabre, chef de file de l’opposition. Une partie de l’opposition a boycotté ces élections, car estimant qu’elle ne servirait qu’à accompagner le parti au pouvoir dans sa mascarade, et par là à légitimer aux yeux de la communauté internationale, une réélection du président sortant.

Aujourd’hui, Faure Gnassingbé est réélu, avec une Constitution qui lui permet de se représenter autant de fois qu’il le souhaite. Le Togo reste l’un des derniers pays de la sous-région ouest-africaine dont la Constitution ne prévoit pas de limitations de mandat et dont les  élections sont toujours  à un tour. Cette situation est une aubaine pour le parti au pouvoir qui régente ce pays depuis 1967, année de l’accession au pouvoir de Gnassingbé Eyadema. Près d’un demi-siècle de règne plus tard, ce parti n’est pas prêt à mettre  en place les conditions nécessaires  à une alternance. La situation politique togolaise d’une complexité avérée, stagne dans une impasse qui fait les affaires du régime  et de ses alliés. Pour le changement, le peuple attendra.