Quel profil pour le futur président de la Mauritanie? Rencontre avec Jemila Abdel Vetah

« Dès qu’on leur donne un cadre anonyme d’expression, les mauritaniens se sentent en confiance pour révéler leur soif de changement efficient. Cependant, ce sentiment est réfréné majoritairement par un instinct de survie, tout à la fois individuel et surtout communautaro-tribal ; et on ne peut pas construire ainsi un pays : les crocs sortis de tous les côtés, sans une volonté politique effective d’apaisement » pose d’emblée Jemila. Ce sondage est effectué sur un échantillon de 732 individus sur une période de deux semaines ; celui-ci est plus que viable et représentatif à ses yeux, par rapport à la démographie mauritanienne. En France par exemple, la plupart des sondages sont effectués sur un échantillon de 1000 à 1500 personnes pour une population totale de presque 70 millions d’habitants. 82% d’hommes ont répondu, contre 18% seulement de femmes. « Cela peut s’expliquer par une place plus ou moins relative, pour ne pas dire marginales, des femmes dans le débat d’idées » argue la jeune femme.

36% de l’échantillon a entre 18 et 34 ans, 34% entre 35 et 54 ans, et 30% ont plus de 55 ans. Ainsi, d’un point de vue de l’âge, le questionnaire a réussi à respecter une certaine homogénéité. « A chaud, quand on regarde l’évolution de la fréquence des réponses, on se rend compte que de prime abord, il y a un certain ombrage, mais très vite, une fois rassuré sur le cadre purement anonyme du questionnaire, les citoyens répondent volontiers à celui-ci. »

Un sondage qui porte sur 17 questions, dont les résultats les plus marquants sont partagés à la fin de cet article, et qui taillent la structure essentielle du profil attendu par les mauritaniens à l’égard du prochain président en 2019. Et le moins qu’on puisse dire, est que le désir de renouveau est en effet immense, au vu des données agrégées.

Le sondage, lancé par cette initiative de jeunes « de moins de 30 ans », a révélé principalement deux points sur les caractéristiques espérées du prochain président : les mauritaniens veulent un vrai changement dans la façon de gérer les affaires du pays, et sur le profil de celui ou celle qui aurait cette charge. « L’écrasante majorité des sondés veulent un président, dans l’idéal, anciennement Haut Fonctionnaire émanant d’une Organisation Internationale, plutôt extérieur à l’échiquier politique actuel mais en en comprenant les rouages, un esprit académique chevronné, relativement mur, et par-dessus tout, capable de mener une politique volontaire de cohésion sociale et de dialogue national. Comme président idéal, sans porter de considération pour l’origine régionale, ethnique, sociale ou au parti politique de celui-ci, ils veulent un homme consensuel, intelligent et surtout à l’intégrité morale reconnue de tous.»  souligne la jeune femme.

« Ils ne dressent pas un profil utopique mais assez rationnel, cela démontre d’ailleurs toute l’intelligence de nos concitoyens, leur prise de recul constante sur leur environnement immédiat, ainsi que leur désir profond de voir un changement s’enclencher lors des prochaines élections. Ils semblent d’ailleurs de plus en plus réalistes quant à l’efficacité plus que relative des partis politiques, de tout bord, à représenter et porter la voix et les opinions de la population.» développe Jemila.

Les champs sont réduits avec une telle image d’Epinal dessinée, mais loin d’être dans les parages de zéro. De ce portrait-robot, elle évoque différents candidats potentiels « Comme certains, j’ai ma préférence, une idée assez précise de la personne, répondant au profil rêvé au vu des données, qui pourrait manifester une volonté politique comme elle est tant espérée, mais au-delà de ma préférence, la Mauritanie recèle des femmes et des hommes d’exception de cet acabit, qu’on doit aller dénicher. L’un des succès majeurs du CMJD durant la Transition, était d’avoir attiré des fils du pays compétents, capables de construire une Mauritanie nouvelle » affirme Jemila.

«A l’heure où les gens récoltent les cartes électorales des citoyens, nous semons des questionnements, que nous croyons pertinents, pour récolter leurs opinions »

Aujourd’hui, une initiative de ce type ouvre des perspectives crédibles sur l’avènement d’une structure de sondage sérieuse en Mauritanie. Aux yeux de Jemila : « C’est important que les dirigeants d’aujourd’hui et de demain soient au fait et en phase avec ce que pense le peuple VRAIMENT. De ce point de vue, les partis politiques dans leur globalité, qui ont des moyens financiers et humains variables pour devenir la voix du peuple, ont échoué. L’objectif ici n’étant pas de les éreinter mais peut être de leur lancer un appel à se repenser pour mieux agir avec et en direction des citoyens, à l’heure où, partout dans le monde, les populations nationales mettent à rude épreuve leurs partis politiques.» assène-t-elle.

«Je suis madame-tout-le-monde qui aime son pays ; une citoyenne-lambda. Je n’ai rien accompli de particulier en 26 années d’escalade de la vie, mais j’ai été offerte une éducation d’excellence, francophone sans le moindre complexe ( !), définitivement portée sur la critique et l’analyse que je souhaite constructive, cela me permettant plus aisément de formuler une opinion plus ou moins audible. Mais avec mes petits moyens j’essaie de participer à ce genre d’initiatives qui ont du sens, et qui peuvent apporter une amélioration qualitative au débat public en Mauritanie. A un moment où la cacophonie des extrêmes est telle, nous voulons encourager les autres voix du pays à s’exprimer, à débattre, à convaincre et à vaincre tout préjugé ou fatalisme. C’est un des enjeux de cette initiative. En effet à l’heure où les gens récoltent les cartes électorales des citoyens, nous préférons semer des questionnements pertinents pour récolter leurs opinions, à une échelle plus humble évidemment» raconte-t-elle, calmement mais fermement. « Notre voix, que l’on soit femme, homme, jeune ou moins jeune, d’ici ou de plus loin, c’est notre voix qui fait notre citoyenneté, que l’on pense comme la majorité silencieuse ou la minorité assourdissante. »

Issue des tribus guerrières du grand nord mauritanien, Jemila naît « 20 jours après la Constitution de 1991 », une période éprouvée par la guerre du Golfe, celle au Kosovo, la crise des Grands Lacs… « Une période pas très belle, qui a accouché d’une génération de cyniques élevée par une génération désenchantée ; personnellement cela m’a rendu paradoxalement optimiste, notamment dans le contexte mauritanien » concède-t-elle. « L’optimisme est une question de survie en Mauritanie ; c’est une réelle obligation sinon on ne s’en relève pas. Cet optimisme, les Mauritaniens l’ont encore et ne finiront jamais de prier et d’espérer le changement. En 2018, au temps des grandes intégrations régionales, l’engagement de création d’une zone de libre-échange africaine, du passeport unique africain, nous devons amorcer ce grand changement profond de notre méthode de penser et de faire la politique dans ce pays» ajoute-t-elle.

« Ce miracle africain, rwandais, a été fondé sur deux piliers : une volonté politique ferme et sans équivoque d’amorcer le changement et la place centrale donnée à l’éducation des Rwandais dans la réalisation de cette volonté. »

Insistant sur un contexte « flou », où tous les scénarios ne sont pas clairs, la jeune citoyenne estime que le pays est « pour la deuxième fois à la croisée des chemins» (2005 était la première – ndlr). « Si le pouvoir en place veut que cette jeunesse dont je suis issue œuvre à ses côtés pour un avenir meilleur, qu’il fasse en sorte que le pays ait une vraie chance d’alternance pacifique ! Et quitte à ce qu’il ‘préfère’ un candidat, dans le but d’assurer une transition que nous pourrions qualifier de plus douce, qu’il porte sa préférence dans ce terreau fertile qui regorge de femmes et d’hommes d’Etat!» implore-t-elle non sans quelques traits d’humour.

Le grand enjeu de l’après-élection ? Une idée claire, précise : « L’éducation seule construit un état-nation que nous sommes à mille lieues de voir avec le leadership qui, depuis des décennies, focalise malheureusement son discours sur une communautarisation des enjeux économiques et sociaux». Depuis le 12 juillet 1978, quand Moustapha Saleck changeait l’appellation des régions, cela a été la porte ouverte au tribalisme et au communautarisme, d’où cette communautarisation des discours selon elle.

« Un peuple éduqué, conscient d’un avenir commun, est un peuple dont les différentes composantes peuvent parvenir à un compromis ; or la culture autoritaire n’est pas une culture de débat, sans lequel on ne construit pas une cohésion sociale dans une société mauritanienne multiculturelle. Ce sont de vrais compromis qui construisent un pays. »

Des débats et compromis, qui à ses yeux peuvent être esquissés par des femmes et des hommes d’Etat sérieux et honnêtes, à qui on doit redonner une place dans ce pays. « Encore une fois, on en revient au fondement de l’éducation dans ce projet et de tout ce qu’il englobe. Prenez le Rwanda, Paul Kagamé était invité, pourrait-on dire d’honneur, du Sommet du G7 la semaine dernière, preuve, si besoin est, de la réussite et prospérité économique de son pays. Ce miracle africain a été fondé sur deux piliers : une volonté politique ferme et sans équivoque d’amorcer le changement et la place centrale donnée à l’éducation des Rwandais dans la réalisation de cette volonté. » Conclut-elle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Article original sur MOZAIKRIM

2018 en RDC, les violences et les craintes

L’ Année 2018 démarre sous les pires auspices en République démocratique du Congo, ce pays qui porte si mal son nom, où des forces de l’ordre usent de gaz lacrymogène et tirent à balles réelles à la sortie des églises.

Le 31 décembre, à quelques heures du réveillon, des marches de catholiques contre le pouvoir en place ont été brutalement réprimées et il faut entendre la légitime et puissante indignation de l’archevêque de Kinshasa, le cardinal Laurent Monsengwo. “Nous ne pouvons que dénoncer, condamner et stigmatiser les agissements de nos prétendus vaillants hommes en uniforme qui traduisent malheureusement, et ni plus ni moins, la barbarie (…) Comment ferons-nous confiance à des dirigeants incapables de protéger la population, de garantir la paix, la justice, l’amour du peuple ? Il est temps que la vérité l’emporte sur le mensonge systémique, que les médiocres dégagent et que règnent la paix, la justice en RD Congo »A juste raison, l’International Crisis Group, ce think tank qui analyse les régions à risque dans le monde, décrit la situation en RDC et son année électorale à venir comme l’une des dix crises internationales à suivre avec attention dans les mois qui viennent.

Et pour cause, officiellement, le mandat du président Joseph Kabila s’est achevé le 20 décembre 2016. Depuis, il exerce son pouvoir en dehors de tout cadre constitutionnel, et les élections sont sans cesse repoussées. A la Saint-Sylvestre 2016-2017, sous l’égide de l’Eglise catholique, un accord encourageant avait pourtant été signé avec l’opposition pour annoncer un scrutin un an plus tard et mettre en place une transition. Mais il a été foulé au pied, et voilà les élections générales, présidentielle, législatives et provinciales renvoyées officiellement au 23 décembre 2018, plongeant à nouveau le pays dans l’incertitude. Tout cela alors que l’année a été difficile pour ce pays très fragile, de violents troubles touchant même des régions relativement épargnées jusqu’ici comme le Kasaï.

Ce mystérieux M. Kabila

Finalement, les craintes de l’opposition se sont confirmées. Le président Joseph Kabila, 49 ans, est bien parvenu à faire durer son mandat, et prouve une nouvelle fois, malgré sa personnalité mystérieuse et discrète, qu’il est un fin manoeuvrier, comme le confie Pierre Jacquemot, ancien ambassadeur de France en RDC, interrogé par l’Afrique des idées: “il est beaucoup plus intelligent et subtil qu’on ne le laisse entendre dans certaines chancelleries. Il écoute les uns et les autres mais n’est en aucune manière influencé. Aujourd’hui, il est dans une position extrêmement favorable. Il a réussi à rester au pouvoir pour permettre à son entourage de continuer à amasser de l’argent. Il y a une absence d’unité internationale. On est dans une situation un peu bloquée”.

Le diplomate décrit aussi la profonde déception de l’Eglise catholique congolaise, qui pensait avoir fait le plus dur il y a un an en accompagnant le fameux accord de la Saint-Sylvestre, finalement bafoué. “Dans le passé, il y a eu plusieurs médiations organisées sous l’égide de l’Eglise qui ont donné des résultats. Cette fois, cela n’a pas marché. Tout le monde vit cela comme un échec, ils ont l’impression de se faire avoir, d’être tournés en bourrique par un président, et une commission électorale absolument hallucinante”, estime-t-il.

Les arguments avancés par la commission électorale pour justifier le report des élections sont connus. Il faut du temps pour l’enrôlement des électeurs (leur enregistrement sur les listes électorales) et les défis logistiques et budgétaires sont immenses dans ce pays continent de 80 millions d’habitants.

“C’est très compliqué d’organiser des élections au Congo, ça c’est indéniable. Sur le plan logistique, il faut des moyens considérables, des hélicoptères pour transporter les urnes, installer les bureaux de vote. C’est un pays où l’état civil est défaillant, toutes les opérations, depuis l’enrôlement jusqu’au dépouillement sont compliquées. Mais il n’empêche que cela a déjà été fait dans le passé: il y a eu des élections en 2006 et en 2011. Il n’y a pas de raison d’invoquer des problèmes maintenant, ils ont eu le temps, c’est un argument fallacieux qui ne tient plus à mon avis”, tranche encore Pierre Jacquemot.

Les difficultés de l’opposition

L’autre atout de Joseph Kabila est sa maîtrise de la scène politique congolaise. “Sa majorité politique est restée cohérente toute l’année, alors que l’opposition est divisée, surtout depuis février dernier et la disparition de son chef de file historique Etienne Tshisekedi”, relève Richard Moncrieff, le directeur Afrique Centrale de l’International Crisis Group qui a récemment rendu public un rapport sur la RDC, réclamant une “action concertée” des acteurs occidentaux et africains pour résoudre la crise.

La situation du RDPS symbolise les difficultés de l’opposition: le parti fondé par Etienne Tshisekedi est scindé en deux. D’un côté le premier ministre Bruno Tshibala, qui a fait le choix de gouverner pendant la transition avec le soutien de quelques dissidents du parti, de l’autre Félix Tshisekedi – fils d’Etienne – et les siens qui estiment représenter le RDPS canal historique et jugent que Tshibala s’est auto-exclu du parti…

Dans ses recommandations, publiées avant les événements du 31 décembre, l’International Crisis Group en appelle à une “opposition engagée”, en l’encourageant à prendre part aux négociations avec le pouvoir et entrer plus concrètement dans le jeu politique. Mais comment ne pas se retrouver à nouveau dans le rôle du dindon de la farce ?

“Il y a un risque, mais c’est la vie politique. Il faut accepter ce risque. Il faut s’impliquer, critiquer le gouvernement à partir d’éléments solides. Il faut rester dans l’esprit d’une opposition constructive même si les frustrations sont très fortes”, considère Richard Moncrieff.

“Dans une certaine mesure, le risque de se faire rouler par un président qui veut rester au pouvoir s’est déjà produit. Le président est là. Rester en exil, ça n’apporte pas grand chose non plus. Il faut une implication plus importante et quotidienne à la fois des membres de l’opposition et des acteurs internationaux afin de contrecarrer les manoeuvres du régime sur le terrain”, poursuit-il.

De son côté Pierre Jacquemot se souvient d’un président Kabila plus que sceptique sur la qualité des dirigeants de l’opposition. “Il n’accordait aucun crédit à l’opposition et aux personnalités qui la composaient. Il les jugeait tous comme étant des gens qui avaient profité du système à un moment ou un autre, et qui pour beaucoup s’étaient remplis les poches”.

Eviter le découragement international

Outre l’engagement de l’opposition, la relance du processus politique passera par une mobilisation internationale qui fait défaut. Ces derniers mois, ce sont les Etats-Unis qui ont semblé vouloir reprendre le leadership sur le dossier avec la venue fin octobre de Nikki Haley, l’ambassadrice américaine aux Nations Unies. Mais il faudra un engagement dans la durée, alors que les Américains n’ont pas d’ambassadeur à Kinshasa, mais une chargée d’affaires ad interim, et que l’administration Trump a décidé de supprimer les postes d’envoyés spéciaux régionaux, dont celui d’envoyé spécial en charge des Grands Lacs.

Il faut aussi trouver une voix commune entre les acteurs occidentaux et africains, souvent moins ouvertement critiques au sujet du régime de Kabila. Certains voisins ont parfois semblé se satisfaire de repousser à plus tard les incertitudes d’une présidentielle à risque. L’International Crisis Group cite le Congo-Brazzaville, dont la proximité géographique avec Kinshasa incite à la prudence, ou l’Angola et son immense frontière de 2.500 kilomètres avec la RDC.

“Le problème de ce raisonnement à court terme, c’est de laisser perdurer une crise qui va détériorer chaque jour un peu plus l’état de droit, le respect de la constitution et des institutions. C’est une bombe à retardement. Plus on attend, plus il sera difficile d’éviter l’explosion du pays”, met en garde Richard Moncrieff.

Cet expert considère également que le système des sanctions ciblées des Etats-Unis ou de l’Union Européenne contre des responsables congolais est en train d’atteindre ses limites, en l’absence de position concertée avec l’Union Africaine et les pays de la région.

“On est pas contre les sanctions, mais les sanctions devraient faire partie d’une stratégie politique cohérente. On constate que le résultat des sanctions diminue avec le temps, surtout parce que le pouvoir à Kinshasa s’en sert volontiers pour diviser les positions des acteurs africains et occidentaux au sujet de la RDC. Donc, en ce moment, les sanctions ne servent pas à grand chose, la priorité devrait être une meilleure coordination avec les pouvoirs africains”, insiste Richard Moncrieff.

La difficulté est de se mobiliser sur une crise qui dure depuis de longues années, dans un pays où l’instabilité chronique fait le jeu de ceux qui veulent en exploiter les ressources, notamment dans l’Est de la RDC. Ces derniers mois, la communauté internationale s’est aussi concentrée sur d’autres dossiers sensibles du continent: les pays du Sahel, déstabilisés par le terrorisme, ou la Libye.

La tentation de céder au découragement est donc bien réelle dans une Afrique centrale restée complètement à l’écart de la dynamique démocratique en cours en Afrique de l’Ouest. Pour ne pas s’y abandonner, Pierre Jacquemot insiste sur l’existence d’une identité congolaise forte, “même si le pays est grand et qu’on y parle quatre langues”. Malgré les épreuves, “ce pays indépendant depuis presque 60 ans est encore dans ses frontières. C’est déjà assez miraculeux”.

Il souligne aussi le bouillonnement, “la vitalité et la créativité assez exceptionnelles” d’une ville comme Kinshasa, que ce soit sur le plan artistique ou entrepreneurial. Et la qualité de l’élite intellectuelle dans les milieux littéraires ou à l’Université. “Il se passe beaucoup de choses, dès lors qu’il y a un peu de stabilité”, conclut-il.

Adrien de Calan

Que peut espérer l’Afrique de la présidence Macron?

 Le 07 mai 2017, la France a élu un nouveau président, en la personne d’Emmanuel MACRON.

Le nouveau président coche toutes les cases de l’atypisme en politique[1].  Il y a environ une année qu’il a créé son mouvement politique. Personne ou presque au sein de la classe politique, ne lui donnait une chance de réussir son pari, celui de remporter les élections présidentielles. Quelques mois après, il est non seulement le 8ème président de la Ve République mais a également obtenu la majorité absolue aux dernières élections législatives. Actant au passage la définitive désintégration du Parti socialiste, le président Macron a également fortement affaibli la droite républicaine.

Affirmer que le succès d’Emmanuel MACRON a modifié l’échiquier politique français n’est qu’un euphémisme. Ses premières sorties sur le plan international sont venues confirmer cette impression. Entre la symbolique poignée de main avec le président Trump et la réception du président russe Vladimir Poutine, le jeune président a pris ses marques et a fait taire les premières critiques visant son inexpérience pour conduire une bonne politique étrangère de la France.  Si pragmatisme et opportunisme peuvent qualifier ses premières sorties face aux géants russe et américain, sa politique africaine reste plus difficile à décrypter. La longue et sulfureuse histoire de la françafrique n’aide pas le nouveau président en ce sens. En effet, durant les dernières décennies, les politiques africaines des exécutifs français se suivent et se ressemblent.  Le président Sarkozy avait, dès son arrivée au pouvoir, affirmé sa volonté de mettre fin à ce réseau d’amis et d’intérêts privés priorisés au détriment des intérêts des populations. Il n’en a pourtant été rien. La présidence Hollande, quant à elle, a très timidement tourné le dos à certains gouvernements africains considérés comme peu enclins à la valorisation de la culture démocratique. Le nouvel homme fort de la France pourra-t-il abonder dans le même sens en incarnant un tout autre postulat des relations entre la France et l’Afrique ? Quelles conséquences pourraient avoir l’élection d’un président, non rompu aux codes des relations France Afrique sur la politique africaine de la France ?

Macron, président d’une autre époque

Emmanuel Macron est né en 1977, 32 ans après la fin de la seconde guerre mondiale. Ce détail a une importance capitale. Il met en exergue sa jeunesse. Mais au-delà de son jeune âge, il est le seul président de la Ve République à ne pas avoir véritablement vécu la guerre froide. Il avait 12 ans lors de la chute du mur du Berlin.  Il ne porte donc pas l’héritage des nébuleuses relations liées à la « françafrique » qui ont brillamment porté leur fruit lors de la période de la guerre froide. Comme le résumait très excellemment Lionel Zinsou lors d’une interview sur les chaines de France 24, « il n’est pas pris dans des héritages liés à d’autres relations entre la France et l’Afrique. Il a dépassé les clivages gauche et droite, la gauche pour la décolonisation, la droite qui assume l’héritage colonial ». L’ancien premier ministre du Bénin poursuivit en affirmant qu’Emmanuel Macron a pris des risques politiques en France en qualifiant la colonisation de « crime contre l’humanité. ».

Loin d’une posture à visée électoraliste, les prises de position du président Macron vis-à-vis de la colonisation peuvent être interprétées comme la résultante de son époque. Il s’agit là d’une chance inouïe pour l’Afrique et sa société civile, en quête d’interlocuteurs qui ne les analyseraient ni sous le prisme du néocolonialisme ni sous celui de menaces aux intérêts français en Afrique. Cette lecture des relations franco-africaine a été dominante durant ces trente dernières années. Elle pourra peut-être changer avec la présente mandature.

La jeunesse du président Macron, une chance pour la jeunesse africaine ?

L’Afrique est un continent jeune.  D’après les chiffres de l’Unesco, 70% de la population a moins de 30 ans[2]. Paradoxalement, c’est le continent sur lequel les jeunes sont les moins représentés aux postes de responsabilité.  Ceci s’explique en partie par la longévité au pouvoir de certains chefs d’Etat qui ne créent pas forcément les conditions idoines pouvant permettre à la jeunesse de faire ses preuves.

Ces règnes ont souvent été possible grâce à la bénédiction de gouvernements occidentaux, notamment français. La jeunesse du nouveau président français pourrait radicalement rompre avec cet état de fait. Elle pourrait en conséquence constituer une chance pour une jeunesse africaine qui cherche à prendre en main son destin.

Le président Macron croit en l’avenir de l’Afrique et en à la « créativité » de sa jeunesse. Lors d’une interview au journal Le monde, il a déclaré vouloir être à côté « des ONG, de la diaspora africaine et des entreprises »[3]. En un mot, le président Macron promet de soutenir les sociétés civiles africaines et forcément au détriment des pouvoirs politiques souvent décriés par les populations. L’aide au développement qu’il souhaite doubler devrait donc principalement bénéficier à ces sociétés civiles qui mènent le combat de la bonne gouvernance et de la vulgarisation des bonnes pratiques démocratiques sur le continent.

Les certitudes de sa politique

Pour son premier voyage sur le continent africain, Emmanuel Macron s’est rendu au Mali, pour saluer les troupes françaises de l’opération « Barkhane ». Par ce déplacement, il a donné un signe de ce que constituera l’un des piliers de sa politique africaine. La lutte contre le terrorisme en Afrique de l’ouest sera certainement l’une de ses priorités.

Les intérêts français dans la zone sahélo-sahélienne sont nombreux. L’énergie nucléaire est la principale source d’électricité utilisée en France avec l’uranium en provenance du Niger constituant, à elle seule, un tiers de la production énergétique du pays[4]. C’est dire à quelle point la sécurisation de cette zone peut avoir des conséquences directes sur le quotidien des populations françaises.

Toute la question qui se pose à ce propos est relative à la stratégie politique et militaire qu’adoptera le nouvel exécutif. Si un départ des troupes françaises n’est pas à l’ordre du jour, un renforcement de la présence française n’est pas non plus évoquée. Le nouvel homme fort français espère convaincre l’Allemagne à participer d’une manière plus pérenne à l’effort de guerre dans le Sahel. Le président compte également mettre l’accent sur la formation et l’équipement des troupes africaines.  Alors que l’armée malienne et ses alliés de l’Union Africaine et de la CEDAO[5] peinent à sécuriser le nord du pays, le soutien de la France à la région est plus que jamais nécessaire.

Il faudrait, somme toute, rester prudent quant aux déclarations d’intention du président élu et aux différentes analyses qui peuvent être faites sur la base de son parcours politique. Lorsque les promesses électorales rencontrent la réalité du pouvoir, l’expérience a montré que les déceptions ont assez souvent triomphé.

                                                                                                                                                                 Giani GNASSOUNOU

 


[1] Avant son élection à la magistrature suprême, il n’avait jamais exercé de mandat électoral. Son mouvement politique est devenu le premier parti politique avec seulement une année d’existence. A côté, le parti socialiste a dû attendre 12 années après sa création pour voir son candidat accéder au poste de président de la république.

[2] http://www.unesco.org/new/fr/unesco/events/prizes-and-celebrations/celebrations/international-days/world-radio-day-2013/statistics-on-youth/

[3] http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/04/12/emmanuel-macron-son-programme-afrique-je-veux-mobiliser-plus-de-financements-pour-les-pme-locales_5110340_3212.html

[4] http://www.atlantico.fr/decryptage/combien-couterait-vraiment-prise-stocks-uranium-niger-groupes-islamistes-florent-detroy-614999.html

[5] Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest.

 

 

 

Ultralibéralisme, démocratie et citoyenneté : l’improbable compromis.

démocratie-député JB Belley
Jean-Baptiste Belley, député sous la Révolution française. 1798.
La démocratie est à ce jour, dans ses principes du moins, le régime qui favorise le mieux l’éclosion de l’homme dans toute sa splendeur, mais l’application effective de ses principes n’a rien d’aisé, car elle est un régime des hauteurs. La vivre véritablement suppose de débarrasser l’homme de sa pesanteur, de réduire sa charge d’égoïsme et de mesquinerie, car ce régime exige, pour briller de tous ses feux, des hommes magnanimes. C’est pourquoi elle doit demeurer une quête permanente. Le moindre relâchement, la plus petite négligence quant à ce vaisseau en route vers la félicité, dont la barre et les instruments de navigation doivent être surveillés en permanence mènent à des dérives et des régressions dangereuses auxquelles les gredins n’hésiteraient pas à exposer ceux qu’ils ont la charge de conduire (la démocratie n’est pas pour eux).

Vigilance, une exigence citoyenne

Vigilance, donc ! Tel est le mot d’ordre. En tous instants, en toute circonstance. Au niveau des individus, il s’agit de vigilance envers soi-même, envers son engagement citoyen d’abord, puis vigilance envers le fonctionnement des institutions. Vigilance quant à la force de la loi, sans laquelle les institutions n’ont de sublime que la beauté des murs qui les abritent. Leurs frontons, leurs colonnes, leurs frises, leurs statues, ne cessent pourtant de nous rappeler la grandeur et la noblesse des premiers qui en instituèrent les principes et de ceux qui les portèrent jusqu’à nous.

Démocratie, entre luttes et défense de la dignité humaine

L’aventure démocratique occidentale, hormis son aïeule grecque dont le terreau était une certaine idée de l’homme, mesure de toute chose et par essence libre, n’était pas le fait d’une constitution particulière de l’homme d’Occident, mais elle était fille de l’audace et de l’insoumission, seules capables d’inventer d’autres possibles. Soutenue par une pensée juchée sur une conception élevée de l’homme et par conséquent des rapports sociaux et des institutions qui les régissent, au secours desquels s’étaient plus tard portées des actions militaires ou des soulèvements populaires, la démocratie finit par s’imposer en Occident et être portée en triomphe, dressée sur un char dont l’attelage était fait de la loi, de l’égalité, de la liberté, de la séparation des pouvoirs, du pluralisme, du respect de la dignité humaine. Enracinés, tels de vieux chênes, dans l’esprit et les institutions occidentaux, ayant eu le dessus sur leurs adversaires idéologiques d’hier, les principes de la démocratie, renforcés par leur victoires historiques, furent propagés avec un succès relatif au-delà de leurs limites traditionnelles. Ils furent reconnus et acceptés par des peuples qui, quoique les vivant peu du fait de barrières plus politiques que culturelles comme on veut souvent le faire croire, y aspiraient néanmoins fébrilement. Aussi, même acceptés, dans ces contrées peu habituées à cette façon d’organiser la vie politique, comme la parole de l’Evangile tombant sur un sol rocailleux, ces principes ne purent-ils germer partout où ils furent semés. Elle ne germa pas faute d’y croire, mais elle n’advint pas par défaut de batailles. Aux hommes vaillants les grandes choses, aux sociétés lutteuses le progrès. La démocratie, la vraie, la révolutionnaire, nous dit l’histoire, ne s’instaure que par la lutte. Son avènement menace les pouvoirs, les privilèges, les rentes, les aristocraties, elle fait place à la véritable noblesse celle du partage, de la justice, de l’égalité et de la liberté. Cependant, nous l’avons dit, le progrès est fils de luttes, de dépassements, de privations toujours plus grands pour donner cours à des meilleurs lendemains. C’est pourquoi les plus grands progrès politiques et sociaux sont souvent précédés de périodes plus ou moins longues de souffrance, d’étouffement, de frustrations, de honte. Lorsqu’ils surgissent enfin, ils sont accueillis avec liesse et souvent ébahissement car ils libèrent.

Occident :l’essoufflement citoyen

Or depuis la Libération, la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, l’Occident libéré n’a plus eu à connaitre les hésitations de l’histoire, atermoyant entre évolutions et régressions. Habitué à une paix merveilleusement longue comparée aux détonations que ne manquait pas connaitre toute génération ou presque, et à un progrès technologique époustouflant auquel les masses accèdent sans encombre, l’Occident (et le reste du monde créé à son image), vautré dans son confort, entièrement acquis aux valeurs les plus matérialistes, a perdu le sens du  tragique. En même temps qu’on y crée le progrès tel qu’entendu dans la société ultra libérale, on s’y amuse à un point qui confirme que l’homme, qui y était jadis volonté de conscience y a perdu la tête ; on le croirait devenu volonté d’insouciance. Les préoccupations qui le plongeaient dans de graves méditations sur sa condition et son devenir ont été balayées par un excès d’assurance qui l’a plongé dans une profonde inconséquence. La facilité inouïe de son existence aussi banale qu’insipide en a fait un être désincarné, malléable et dangereusement servile.

C’est preuve que ce progrès-là est malsain. Contrairement au progrès d’antan qui se voulait collectif, affectait la société dans sa globalité et révélait à l’homme sa dignité, celui-ci il est abrutissant. Il produit des imbéciles savants complètement détournés des questions non seulement personnelles nées de la volonté de savoir et de comprendre, caractéristique de l’homme, mais aussi des préoccupations collectives, les seules capables, parce qu’elles révèlent les véritables conditions de l’épanouissement des êtres sociaux, de hisser l’homme au-dessus de la médiocrité.

Sous l’impulsion de ce progrès déshumanisant, qui assèche l’esprit et réduit l’homme à l’état de consommateur en ce qu’il stimule le désir de s’encombrer toujours, le gave sans le tonifier, et favorise un quant à soi si loin de l’individualisme des Lumières, la défense d’intérêts collectifs a perdu son souffle. Adieu syndicats, adieu militantisme ! Effrayé, leurré et surtout occupé par cette société chronophage où faute de temps à soi, on rechigne à en donner pour la collectivité, le peuple s’est vu remplacé par des défenseurs qui roulent bien peu pour lui.

Les libertés individuelles chèrement acquises, dont, à vrai dire, la conscience chez les individus d’aujourd’hui se limite à la possibilité d’aller et venir et d’étendre chaque jours un peu plus l’emprise de la bêtise, sont menacées sous les yeux de ceux-là mêmes à qui elle confère des privilèges. Les libertés publiques maintenues avec une habileté d’artiste ne sont plus qu’un épouvantail, en tout cas tant qu’elles ne serviront pas les buts pour lesquels elles ont été instituées, elles demeureront des armes inefficaces. Tout le monde a ce mot à la bouche : démocratie, mais semble oublier que ce régime implique des citoyens responsables et impliqués dans le devenir de leur société. Il implique également qu’on fasse attention à la conduite des affaires. Confier les rênes à des instances aux mandats importants et peu comptables des choix qu’elles imposent, qui ont réduit le peuple à un rôle de téléspectateur qui donne son avis lors de consultation graves avec la légèreté et la désinvolture qui convient à une élection de miss, est sans conteste une régression démocratique que rien ne justifie. Pourtant, malgré sa tendance moutonnière, ce n’est pas vraiment au peuple qu’il faut en vouloir. Brouillé par le discours des politiques de gauche et de droite qui, défendant moins ses intérêts que ceux des puissants, appliquent à quelques nuances près les mêmes politiques, le peuple d’Occident, jusque-là jouant ce jeu du ni-ni, montre des signes de lassitude et peu à peu sourit aux thèses populistes.

 

 

2016 : une année électorale pour l’Afrique

JPG_Elections1806142016 est une année qui fera date dans l’histoire des élections en Afrique. Plusieurs raisons peuvent être retenues à cela. Pas moins de 16 pays du continent ont à relever le défi de l’organisation d’élections crédibles, transparentes et démocratiques. Cela démontre bien l’apparition d’une nouvelle Afrique dans laquelle les électeurs demandent des comptes à leurs représentants, la société civile participe activement aux processus électoraux et les gouvernements vont aux élections. Il y a donc une évolution nette de la société politique africaine qui fait que désormais les citoyens sanctionnent les dirigeants lors de consultations électorales, les médias relaient les préoccupations. Les paradigmes anciens en faveur desquels l’Occident dicte sa politique aux pays africains sur les questions de gouvernance, et investit son secteur économique sans aucune appréhension citoyenne ont cédé la place à de nouvelles règles du jeu qui exigent une large participation politique en Afrique.  Cette situation nouvelle a cependant conduit les pays africains qui ont organisé des élections en 2016 à des résultats mitigés, entre certains pays où la participation est élevée et d’autres où elle est balbutiante. Les joutes électorales ont lieu dans un paysage politique contrasté et dans l’apprentissage démocratique.

Entre progrès…

On peut retenir plusieurs leçons de ces élections. D’une part les Africains n’attendent plus personne pour parler à leurs dirigeants à leur place. Auparavant, c’étaient les dirigeants occidentaux qui dictaient leur opinion à leurs homologues africains sans que les peuples ne réagissent. Les dénonciations d’élections truquées et de manque de démocraties provenaient de dirigeants européens ou américains, en plus d’ONG et d’organisations du système international. L’unité africaine était limitée à de vagues conférences au sommet, un syndicat de chefs d’État hyperpuissants qui ne craignaient rien. Ceci tend à s’éroder dans la nouvelle Afrique. Il faut désormais compter avec la force de résilience de la société civile et de l’opposition politique. Les Africains sont capables de mettre sur pied des gouvernements légaux et légitimes et de les renverser en cas d’abus de droits humains à travers des contestations sociales.  Les pouvoirs africains sont maintenant mis en face de leur responsabilité en cas de violation des droits politiques auxquels il faut désormais ajouter les droits sociaux et économiques. Les régimes issus des élections sont des régimes qui ne durent pas au pouvoir sur la simple volonté du Chef. Au Bénin, Boni Yayi a voulu positionner Lionel Zinsou sans succès, montrant les failles qu’il y a à imposer un chef non désiré par le peuple. Zinsou a été renvoyé à ses origines occidentales et a perdu une élection qu’il a eu tort de croire gagnée d’avance, face à son riche adversaire Patrice Talon qui a mis d’importants moyens dans la campagne présidentielle. Au Burkina Faso, la révolution populaire a résisté aux tentatives de récupération militaires et a permis la désignation d’un chef accepté par le peuple après une transition constitutionnelle.

A Djibouti et aux Comores, c’est la même verve électorale qui anime l’opposition et la société civile. Guelleh a du mal à se départir de la gangue corruptrice qui caractérise son régime ; et le pouvoir comorien doit se renouveler selon la Constitution du pays. Dès lors, les élections ont été l’occasion de renouveler la classe politique, même si des résistances apparaissent.

Dans certains pays, il a été plus difficile d’implémenter une participation réussie (sans heurts) de la société civile et de l’opposition aux élections. En République de Guinée, c’est l’opposant Cellou Dalein Diallo qui a contesté avec vigueur la crédibilité du scrutin, provoquant une réticence des organisations de la société civile à participer jusqu’au bout au processus électoral. Au Gabon, l’opposition a du mal à s’affranchir de la tutelle internationale car le pouvoir d’Ali Bongo a beaucoup d’arguments financiers à l’endroit de la communauté internationale qui le laisse gouverner calmement.

Le fils d’Omar Bongo n’a cependant pas la même carrure que son père ni la même capacité à diriger. Dans une moindre mesure, il lui sera plus difficile de tenir tête à ses adversaires parmi lesquels il faut compter l’ancien Président de l’Assemblée nationale qui a reculé au dernier moment lors de la dernière élection présidentielle malgré l’appel d’une bonne partie du peuple. Guy Nzouba-Ndama a démissionné de son poste de Président de l’Assemblée nationale et annoncé sa candidature à la présidentielle. Mais il ne suffit pas de se présenter contre un leader impopulaire ou non démocrate pour gagner une présidentielle, il faut aussi avoir une base sociologique passant par la société civile et démocratique. De son côté, l’ancien Président de la Commission africaine Jean Ping va catalyser une frange politique déçue par la gouvernance d’Ali Bongo composée d’anciens compagnons d’Oumar Bongo, ce à quoi il faut ajouter cette affaire de nationalité du Président qui s’est invitée dans le débat électoral et l’affaire des immigrés qui est encore une fois mal gérée par le pouvoir en place.

… et balbutiements

D’autre part, on retrouve des pays où la participation électorale est moins importante et la démocratie n’est qu’un balbutiement voire un leurre. En Somalie et à Djibouti, les observateurs en viennent à s’interroger sur la pertinence de l’existence d’une opposition si elle ne parvient pas à s’ériger en véritable défense contre la violation des droits humains. Au Congo et en Ouganda, Denis Sassou Nguesso et Yoweri Museveni  continuent à régner en chefs hyperpuissants de pays qui n’ont pas encore structuré une opposition organisée et capable de renverser le pouvoir en place. Cela est plus souvent possible lorsque l’opposition est adossée à une société civile bien organisée, et dans ces derniers pays cela n’est pas le cas.

En Somalie la tenue d’élections sera juste un épouvantail démocratique dans une Corne africaine très instable. L’environnement politique extrêmement précaire, la percée des Shebabs dans le pays et les Etats voisins comme le Kenya, l’affaiblissement continu de l’AMISOM, en font un pays au bord du gouffre, sinon en plein chaos. La reconstruction de l’Etat voulue par la communauté internationale y a connu un grand échec. Le semblant d’élections qui y est organisé ne sert qu’à apprivoiser les pions de la reconstruction étatique.

Au Djibouti, même si le cas n’est pas aussi grave, la cause était entendue. Guelleh ne souffre d’aucune contestation crédible, à peine certaines velléités opposantes, n’ayant aucun sérieux. Le système pluraliste, récemment introduit, n’a pas atteint une maturité nécessaire à la production d’une opposition sérieuse, encore moins de société civile solide. Le scrutin y a été sinon une mascarade, du moins un processus habillé d’apparats électoraux très symboliques.

Au Tchad c’est l’affaire Habré qui a peu ou prou risqué de mettre Idriss Déby en difficulté. Mais l’élection présidentielle était gagnée d’avance dans un jeu démocratique hypothéqué. La société civile ne joue pas ce rôle de contrepoids qu’elle a pu jouer dans d’autres pays. Dans un pays qui subit les attaques de Boko Haram et qui a décidé de se battre contre cette nouvelle menace, il est possible que le maintien d’Idriss Déby assure une certaine stabilité au pays.

D’autres pays connaissent une participation politique encore très rudimentaire, au égard au déroulement du processus électoral. En Ouganda, Besigye a décidé de lutter une quatrième fois contre un Museveni qui n’hésite pas à faire changer la Constitution pour se maintenir au pouvoir qu’il détient depuis 1986. Là, aucune opposition sérieuse à Museveni et aucune société civile assez forte pour représenter une alternative pour inquiéter le pouvoir en place. En RDC, le fichier électoral est l’objet de vives luttes fratricides (internes au pouvoir) et internes à l’opposition.  Ce, d’autant plus que la date du scrutin n’est jamais stable (elle est repoussée plusieurs fois). L’article 70 de la Constitution est souvent brandi par le régime pour maintenir Kabila au pouvoir. La décision de la Cour Constitutionnelle qui permet à Kabila de rester au pouvoir jusqu’aux élections a poussé l’opposition à se radicaliser autour d’un Rassemblement anti-Kabila mené par Etienne Thisekedi. Mais là, la société civile n’est pas rejointe et ne peut donc pas compter sur le système judiciaire dont l’assujettissement au pouvoir à travers les liens corruptifs et patrimoniaux a fini de l’arrimer à Joseph Kabila.

L’enjeu principal de la conquête et du maintien au pouvoir en Afrique demeure économique. Les luttes pour le pouvoir en Afrique ont toujours des soubassements économiques. Le pétrole au Gabon et en Guinée équatoriale, les ressources minières au Tchad, en Guinée Conakry, l’or et le diamant en Afrique du Sud, où Julius Malema incarne un leadership jeune et débarrassé des scories des vieilles dictatures, tous ces enjeux économiques impactent la vie politique africaine au sens où ils la déterminent. Au Ghana, John Dramani Mahama fait face à une opposition qui tire l’alarme sur une inflation galopante (30%) et des taux d’intérêt très élevés, occasionnant de nombreuses pertes d’emploi. Là, le contrepoids qu’elle représente, alliée à une forte société civile, en fait un bel exemple de maturité démocratique. Les élections sont tenues régulièrement et la participation y est élevée. Il faut déplorer quelques épisodes violents dont les ressources économiques sont un soubassement, comme l’explosion d’une station-service au mois de juin. Le chômage y est un handicap très gênant pour le pouvoir.

Plus loin, la Gambie de Yahya Jammeh n’est pas l’objet d’autant d’attention sur la scène internationale alors que son leader Yahya Jammeh tient le pays d’une main dictatoriale qui ne fait de place à aucune opposition. Les rares voix discordantes sont au mieux pourchassées au pire emprisonnées si elles ne sont pas simplement exilées. La société civile est inexistante et le système judiciaire y demeure corrompu. Son voisin sénégalais est accusé de tous les maux. Jammeh a fabriqué son propre clergé, muselé l’opposition qui a implosé, et gagné toutes les élections en 2001, 2006 et 2011 dans des conditions totalement opaques, et islamisé l’Etat.

Il faut cependant saluer la transition centrafricaine réussie menée par Catherine Samba Panza qui a permis l’élection de Faustin Archange Touadéra à la présidence, malgré quelques grosses difficultés liées aux violences qui ont opposé les milices Séléka et les anti-Balaka.

Une année électorale marquante

Dans l’ensemble les élections de 2016 ont été plutôt stables puisqu’on a rompu avec les coups d’état et guerres civiles qu’on connaît. Les deux Congos font exception à cette généralité de l’année électorale africaine au paysage électoral contrasté augurant de meilleurs lendemains. 

Toutes considérations qui font que l’année 2016 restera comme une année électorale marquante. Même si à Brazzaville des heurts ont éclaté qui entachent, comme à l’accoutumée, la tenue des scrutins sur le continent, l’Afrique doit démontrer qu’elle peut organiser des élections transparentes et démocratiques. C’est une responsabilité historique pour la société civile, pour l’opposition, pour les citoyens du continent, et bien entendu, pour les pouvoirs en place. La société civile en particulier a un grand rôle à jouer puisque, comme au Tchad, elle est souvent confrontée à des forces de recul. En effet, la société civile, tout en n’étant pas pouvoir public, est amenée à participer au processus électoral. Cela le rend crédible, transparent et plus démocratique que si ce n’était pas le cas. Même si beaucoup de dirigeants actuels conservent une forte emprise sur le pays, dans certains Etats ils devront compter avec une société civile forte et informée, une opposition capable de résilience, et de nouveaux paradigmes de gouvernance liés à la modernité. Il y a donc de vrais défis à relever.

Le Congo-Brazzaville sous haute tension

JPG_CongoSassouVote 270416Une élection présidentielle décriée, le retour de la violence et des fantômes du passé, voilà où en est le Congo-Brazzaville, plus que jamais à l’écart d’une Afrique qui bouge et rêve d’un tournant démocratique. Il y a des eu des alternances au Sénégal, au Nigéria, au Bénin et une révolution au Burkina Faso… À Brazzaville, il y a un chef d’État jusqu’au-boutiste qui cumule plus de trente ans au pouvoir.

La volonté coûte que coûte de Denis Sassou Nguesso de briguer un troisième mandat et le déroulement du scrutin présidentiel du 20 mars sont le signe d’une radicalisation du pouvoir. Avant le vote, des diplomates confiaient l’impossibilité de dialoguer avec un régime de plus en plus recroquevillé sur lui-même. À Brazzaville, certaines chancelleries ont tenté de s’accrocher tant bien que mal à l’élection en conseillant aux opposants d’aller défendre leurs chances. Mais le résultat est là. Le calendrier électoral a été bousculé au bon vouloir du président, avec une élection anticipée de plusieurs mois. Et le scrutin n’a pas été crédible, ont convenu l’Union européenne et les États-Unis, qui ont dénoncé des “irrégularités généralisées” et l'arrestation d’opposants.

Le vote s’est déroulé dans un troublant silence: l’ensemble des télécommunications ont été coupées la veille du scrutin et durant plusieurs jours. Étrangement, les résultats ont été proclamés au beau milieu de la nuit du 23 mars, donnant sans surprise une victoire par KO dès le premier tour au président Sassou. Le lendemain trois journalistes ont été agressés, après un entretien avec Jean-Marie Michel Mokoko, l’un des principaux candidats de l’opposition.

Avec 60% des voix, le chef de l’État a fait moins bien qu’en 2009 (78,6%) ou qu’en 2002 (89,4%) et on pourrait arguer que les conditions du vote n’ont pas été pires que par le passé. Seulement, le contexte a radicalement changé. De Y en a marre au Sénégal au Balai citoyen burkinabè, la société civile africaine se fait de plus en plus entendre. Et le refus d’un troisième mandat, qui a conduit à chasser du pouvoir Blaise Compaoré, est devenu un mot d’ordre, décliné au Congo avec l’expression “Sassoufit”.

En outre, l’argumentaire principal de Denis Sassou Nguesso, celui d’être le garant de la stabilité et de la paix dans un pays qui a tant souffert de la guerre civile, perd de sa crédibilité. Le temps fait son effet et s’il n’a pas effacé les blessures, il fragilise ce discours du prétendu pacificateur, qui passe de plus en plus pour celui qui met de l’huile sur le feu.

Depuis la nuit du 3 au 4 avril, la situation sécuritaire est extrêmement confuse. Cette nuit-là, des affrontements ont eu lieu entre forces de l’ordre et hommes en armes dans les quartiers sud de Brazzaville. Le bilan officiel fait état de 17 morts, trois policiers, deux civils et douze assaillants. Dénonçant une “attaque terroriste”, le gouvernement a aussitôt accusé d’anciens miliciens ninjas, à la solde du Pasteur Ntumi, un ex-rebelle de la guerre civile qui s’était rallié au pouvoir en 2007, contre un titre paradoxal de délégué général chargé de la promotion des valeurs de paix.

Depuis ces affrontements, les autorités ont lancé plusieurs raids aériens sur les villages de son fief, dans le Pool, un département du sud du Congo. Les combats se déroulent à “huis clos”, a dénoncé une ONG congolaise. Il y a très peu d’informations, aucun bilan confirmé même si une ONG comme Amnesty International évoque le chiffre de 30 morts à partir de témoignages sur place. Monseigneur Portella, l’Evêque de Kinkala, préfecture du Pool, a réclamé sur RFI la fin des bombardements. Au passage, il s’est dit perplexe sur le déroulement des événements du 3-4 avril et a dénoncé le manque de transparence des dernières élections. Cette prise de parole d’un homme d’Église n’est pas anodine. Depuis de longs mois, la conférence épiscopale congolaise avait en partie abandonné son rôle traditionnel d’autorité morale, critique de la vie politique au Congo. Fin 2014, les évêques avaient ainsi renoncé à un message de Noël réclamant de préserver la constitution. Ils avaient eu droit à une réunion houleuse avec le chef de l’État, qui allait faire adopter une nouvelle loi fondamentale quelques mois plus tard pour pouvoir se présenter à nouveau… Et leur message de Noël était passé à la trappe.

D’autres voix sont aussi de plus en plus critiques à l’égard du régime, dénonçant une “dictature” au Congo, des termes qui n’étaient pas forcément employés par le passé. Parmi elles, l’écrivain Alain Mabanckou pour qui l’élection a été une forme de déclic. Jusqu’il y a quelques mois, il était plutôt discret sur la situation politique congolaise en dénonçant globalement la corruption ou les difficultés de la démocratie en Afrique sans parler spécifiquement de son pays. Il dénonce maintenant avec force une élection “frappée de petite vérole” et qui s’est déroulée “dans les ténèbres les plus absolues”.

Inexorablement, la vie politique congolaise se transforme en un référendum permanent pour ou contre Sassou, où les dés sont pipés. Bien sûr rien ne dit que sans lui, le Congo irait mieux, que d’autres responsables politiques échapperaient subitement aux sirènes de l’argent du pétrole, qu’ils parviendraient à dépasser les divisions géographiques et ethniques qui ressurgissent à chaque crise. Mais avec lui, le pays se porte bien mal.

Adrien de Calan

How citizens’ activism brings hope to Africa

On October 13, 2015, after 28 years of omerta imposed by the government of Blaise Compaoré, the remains of former President of Burkina Faso, Thomas Sankara (1983-1987), one of the emblematic figures of African citizens' movements, was exhumed for autopsy. The conclusion is clear: the body of the revolutionary riddled with bullets confirms that it was an assassination, a fate reserved to democrats by authoritarian regimes.

“Y’en a marre” (Fed up), “le balai citoyen”(The Citizen’s Broom) or “Filimbi”, these movements identifying with Sankara, Patrice Lumumba or Mandela, emerged in the 2010s.

From 2012, they yielded strong democratic victories:  fall of the "old" Abdoulaye Wade in Senegal, Compaoré’s expulsion of Burkina throne and (provisional) sanctuarization of the Congolese Constitution against Joseph Kabila’s will to extend his stay in power.

What are these innovative initiatives? What are their influences and how are they organized?

 

A diplomatic strategy that embraces the international codes…

Although quite unusual, these citizens’ movements are different from existing social movements because they have managed to seize all conventional political legitimacy levers while focusing on African values ​​and advocating cultural references.

First of all, the rhetoric used is very much appreciated by international organizations. The terms "democracy", "non-violence", the rejection of radicalism and even "good governance” feature prominently in the African Citizens Movements Declaration written and co-signed in Ouagadougou during summer 2015 by more than 30 movements of the continent.

These organizations are “legitimists”. They do not advocate revolutionary uprisings, as social movements created under colonization, nor the denunciation of structural adjustments plans imposed by the IMF, like those of the 1980s, but they advocate respect for constitutions in place. This is the case for  “Filimbi”, "Ras-le-bol"(Fed up), and "Touche pas à mon 220"(Don’t touch my -article- 220) movements started in Congo – Brazzaville, that fight for the respect of the limitation of presidential terms imposed by the laws.

In addition to speaking the language of western investors, these movements rely on their negotiation boards and seek to bring their demands to the UN and the African Union (AU), while their representatives do not hesitate to meet with influential politicians of the international scene  (the "yenamaristes" have been received by Laurent Fabius and Barack Obama, among others).

 

… And that advocates the continent’s own values

However, while using western communication vehicles, they emancipate themselves with ideological references specific to Africa. Charismatic leaders of these groups openly criticize the models and methods used by developed countries. "In Senegal, as in France, we are fighting the same form of social injustice, the same pangs of uncontrolled and wild liberalism" said Fadel Barro at the French NGO Survie.

This is the concept of liberalism, as a whole, that is rejected:  one of the main objectives of these movements is to propose "an alternative political project to the dominant neoliberal system. The vocabulary used, as well, is close to Marxist philosophy: "the labor" must fight against "land grabbing", while the terms "capital" and "struggle" are hammered. We find similarities with references to Marxism-Leninism of the social movements of the 1970s, which had caused agitation mainly in Portuguese-speaking countries.

 

But, the work of Senegalese, Burkinabe, and Congolese movements are not limited to a strict rejection of a discredited model. Their ambition is to create an "Africa-centered" academic reflection promoting their cause: the Ouagadougou Declaration therefore "encourages the production of academic research (…) to promote the existence of African experts on the citizens movements in Africa” The emancipation however has its limits, particularly when it comes to the issue of funding. Accusations that have been made ​​against them, to be supported by Washington and Ottawa, even if they haven’t been proven, however, raise the issue of the actual independence of these movements.

 

The ideal of panafricanism, for the expansion of a movement that is still an exception

Another interesting aspect of the philosophy of citizen initiatives is panafricanism. Promoted in 1949 by the Central African Barthélémy BOGANDA and by Kwame Nkrumah, panafricanism represents the hope that one day the “United States of Africa” will emerge. From the first clashes in Burundi, the “Balai Citoyen” (Citizen’s Broom) sent messages of support to the Burundian people, while the 30 movements gathered in Ouagadougou last summer asked for the release of political prisoners held in Kinshasa. There are exchanges between their structures, they advise each other on action and training of their members: for example, members of the Congolese organizations “Filimbi” and “Lucha” met their counterparts from the “Balai Citoyen” and “Y’en a marre” in march 2015 in Kinshasa.

This dynamic and variable proven successes should remind us that such organized and influential movements are still missing in too many countries of the continent, in opposition to authoritarian regimes from Pierre Nkurunziza or Robert Mugabe, just to name a few.

Where the civil war is still too fresh or repression too harsh, it is difficult to consider any organized and claimed opposition before a long time.

But the statement is full of hope: in just five years, concrete civic organizations rose up and brought down political figures that once seemed unshakeable. These movements are rooted locally, branched with their counterparts in neighboring countries and work to establish a philosophy of their own, and the more capable of mobilizing energies. Many obstacles still await citizen movements of the continent, the fifteen elections scheduled for 2016 will be an uncompromising test, but there are reasons for hope.

Translated by Anne-Sophie Cadet

Elections au Burkina Faso : un exemple de transparence et d’efficacité.

Cette contribution est une version traduite et mise à jour d’un article originalement publié en anglais par African Arguments.

JPG_BurkinaElections3Le 29 novembre, le peuple du Burkina Faso s’est rendu aux urnes pour élire leur prochain président et leurs députés. Roch Marc Christian Kaboré du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) a été officiellement déclaré vainqueur de l’élection présidentielle le 1er décembre, ayant obtenu 53,49% des voix. Son poursuivant, Zéphirin Diabré de l’Union pour le Progrès et le Changement (UPC), a reconnu sa défaite sur Twitter avant de féliciter Kaboré en personne. Les résultats des élections législatives ont été dévoilés le lendemain, donnant une majorité simple au président élu.

Comme plusieurs fois durant l’année précédente, le Burkina Faso s’est dressé en exemple éclatant dans une région où les irrégularités, les allégations de fraude et la violence électorale émaillent régulièrement les scrutins. Un an après qu’une insurrection populaire ait empêché l’ancien président Blaise Compaoré de supprimer la clause constitutionnelle limitant le nombre de mandats – une mobilisation qui a inspiré d’autres mouvements sur le continent – et seulement quelques semaines après que la société civile, des soldats de rang, et des manifestants de tous les coins du pays aient empêché une tentative de coup d’État de la garde présidentielle, la conduite exemplaire des élections renforce l’idée que le Burkina Faso mérite son nom de « pays des hommes intègres ».

Ces élections ont été historiques car elles concluent la transition politique mise en place après la démission de Compaoré en 2014 et parce que, pour la première fois en presque 30 ans, le nom de Compaoré n’apparaissaient pas sur les bulletins de vote. Cela signifie des enjeux inégalés pour les élections les plus ouvertes depuis des décennies, et une responsabilité immense reposait donc sur les épaules de la commission électorale (CENI) pour assurer la conduite irréprochable du scrutin.

Juste avant les élections, de nombreuses personnes semblaient confiants que celles-ci seraient transparentes, mais d’autres avaient des doutes. « On dirait qu’ils soutiennent le MPP » a déclaré un électeur à un meeting de l’UPC à Ouagadougou, en parlant des autorités de la transition et de la CENI. Cependant, en partie grâce à la mobilisation massive d’activistes et à une série de mesures prises par la CENI pour garantir l’efficacité et la transparence, les élections se sont déroulées dans le calme et tous les observateurs ont loué la conduite du scrutin.

Une observation minutieuse du processus électoral

Les élections au Burkina Faso ont attiré des missions d’observations de multiples organisations internationales, telles que l’Union européenne et l’organisation régionale ouest-africaine de la CEDEAO. Mais les membres de la société civile burkinabè se sont également saisis de cette affaire de façon cruciale. A de nombreux bureaux de vote, des petits groupes d’électeurs restaient après avoir mis leurs bulletins dans les urnes pour observer par eux-mêmes que le processus était transparent. Le Balai Citoyen, un mouvement de la société civile ayant joué un rôle clé dans la mobilisation anti-Compaoré, avait en effet appelé ses militants à agir ainsi dans le cadre d’une campagne intitulée « Je vote et je reste ».

De manière plus formelle, 35 organisations de la société civile se sont rassemblées en juillet pour former la Convention des organisations de la société civile pour l’observation domestique des élections (CODEL), une alliance visant à mettre en œuvre une « observation harmonisée, proactive et civique » du processus électoral. Forte de son expérience en la matière au Sénégal, au Mali et en Sierra Léone, l’ONG londonienne OneWorld a travaillé avec la CODEL pour mettre en place un système impliquant 6 000 observateurs déployés à travers 1 490 bureaux de votes. Ces individus pouvaient alors transmettre des données par SMS à la ‘situation room’ de Ouagadougou, leurs analyses nourrissant alors une plateforme publique. « C’est un devoir patriotique en tant que citoyen » explique un observateur déployé dans un bureau de vote de la capitale. Mamadi, un des superviseurs travaillant depuis la ‘situation room’, lui fait écho, ajoutant : « c’est une cause nationale. Il faut que chacun y mette du sien pour avoir des élections apaisées et acceptées par tous. »

Le jour des élections, des rapports d’observation transmis à la ‘situation room’ ont permis au personnel de la CODEL d’identifier les incidents et d’en alerter la commission électorale. La CODEL a noté plus de 30 incidents majeurs qui ont alors pu être résolus en partenariat avec la CENI. Selon les données de la CODEL, 99% des bureaux de vote avaient ouvert à l’heure ou moins d’une heure après l’ouverture programmée, et 91% étaient correctement équipés avec tout le matériel requis. Malgré quelques soucis logistiques inévitables, tels que des bureaux de vote ayant ouvert tardivement à cause du manque de personnel ou de matériel, ou des électeurs ayant des difficultés à trouver leur bureau de vote, l’organisation du scrutin a été unanimement applaudie par les observateurs.

Une collecte efficace des résultats

Pour réduire les risques de contestation, la CENI avait promis de communiquer les résultats des élections présidentielles 24 heures après le vote au plus tard, une tâche particulièrement difficile dans un pays où un fort analphabétisme et un manque d’électricité rendent le dépouillement difficile. 

Les résultats ont d’abord été compilés au niveau communal, puis consolidés nationalement à travers une plateforme électronique. Les premières estimations étaient disponibles seulement 12 heures après la fermeture des derniers bureaux de vote et étaient mis à jour régulièrement durant la journée jusqu’à la proclamation officielle des résultats provisoires peu après minuit. La CODEL avait également mis en place un système de comptage parallèle des voix basé sur un échantillon représentatif de 251 bureaux de vote, qui a permis de montrer une corrélation avec les résultats de la CENI. De plus, certains partis comme le MPP, qui disposaient également de délégués dans tous les bureaux de votes pour observer le processus, avaient leur propre système en place pour obtenir les résultats.

Le recours à ces méthodes diverses et indépendantes pour surveiller le dépouillement ont garanti des résultats crédibles tandis que les efforts fournis avant les élections pour informer les partis politiques, la société civile et les médias à propos du processus mis en place par la CODEL ont contribué à ce que les citoyens aient confiance en la conduite des élections. Une fois les résultats proclamés, les électeurs ont rapidement accepté l’issue du scrutin. « Je suis très fier car j’ai grandi durant le régime de Compaoré et c’est la première fois que je vois des élections qui sont réellement transparentes » a déclaré un jeune homme soutenant le MPP. Parallèlement, même ceux qui espéraient un autre résultat semblaient satisfaits du processus. « Je ne suis pas trop déçu ; le vote a été transparent et notre leader a accepté les résultats, donc ça va » a déclaré un électeur de l’UPC.

Le président-élu Kaboré, qui sera investi le 29 décembre, devra respecter ses promesses sans tarder pour montrer qu’il peut apporter un réel changement dans le pays malgré son association passée avec le régime de Compaoré. Si l’ancien premier ministre de Compaoré n’en est pas capable, la « Place de la Révolution » – le point de ralliement des manifestants dans le centre de Ouagadougou – sera de nouveau pleine, ont prévenu les activistes. Mais au moins, Kaboré n’aura pas besoin de s’inquiéter d’allégations de fraude ou de suspicions concernant la légitimité de son arrivée au pouvoir, et cela grâce à la conduite transparente des élections. Même si tous les Burkinabè n’ont pas obtenu le résultat qu’ils souhaitaient, les élections ont été acceptées et la transition politique se termine sur une note positive grâce aux efforts de la CENI, la CODEL et des observateurs internationaux comme domestiques.

« Nous arborons un large sourire, nous poussons des soupirs de soulagement » a déclaré le Président de la CODEL Halidou Ouédraogo. Après des mois de préparation et quelques jours mouvementés, il en a bien le droit.

Elections au Burkina Faso : Que doit-on retenir ?

JPG_BurkinaElections3Le Burkina Faso a vécu dimanche 29 novembre des élections qualifiées « d’historiques » mettant un terme à la transition politique instaurée en octobre 2014 suite au départ de Blaise Compaoré (1987-2014), poussé vers la sortie par la pression populaire. Ces élections présidentielles et législatives étaient attendues par la communauté internationale, qui y voyait la promesse d’un retour à l’ordre constitutionnel et de l’avènement d’une vraie démocratie, mais aussi par les Burkinabè, déterminés à faire entendre leur voix. Mais que faut-il retenir de ces élections ?

Un scrutin mobilisateur, transparent et apaisé

Tout d’abord, il faut noter un engouement particulier pour un scrutin d’un genre nouveau. Pour la première fois depuis le début des années 1990, le nom de Blaise Compaoré n’apparaissait pas sur les bulletins – déjà un grand changement dans un pays où plus de 70% de la population a moins de 30 ans et n’avait donc jamais connu un autre Président. « Franchement, je n’avais pas voté depuis longtemps. Mais là tout le monde est mobilisé pour participer » témoigne un électeur, en montrant fièrement son doigt teinté d’encre, preuve qu’il a mis son bulletin dans l’urne.  Il n’aura pas été le seul à montrer plus d’intérêt pour ces élections que par le passé : la commission électorale avait annoncé que les listes électorales comptaient 27% d’inscrits de plus qu’en 2012 suite à la campagne exceptionnelle d’enregistrement menée entre mars et mai 2015, tandis que le taux de participation s’est élevé à 60%.

Ensuite, des avancées notoires sont à saluer aussi bien dans le déroulement de la campagne que dans l’organisation logistique du scrutin. L’interdiction de gadgets (T-shirts, pagnes, etc.) et sa couverture médiatique équitable et professionnelle ont permis d’établir un climat apaisé laissant la possibilité à tous les candidats de présenter leur programme. La non-limitation des dépenses de campagnes a toutefois favorisé les candidats et partis disposant de ressources qui pouvaient ainsi parcourir le pays et recouvrir les rues de leurs affiches, au détriment des petits partis et groupements indépendants aux moyens plus limités. La Commission électorale nationale indépendante (CENI) a également mis en œuvre de nombreux moyens pour assurer un déroulement optimal le jour du vote, un dépouillement transparent, et une proclamation rapide des résultats. Malgré quelques problèmes logistiques dimanche – certains bureaux ont ouvert en retard par manque de matériel ou de personnel notamment – ces incidents sont restés ponctuels et ont dans l’ensemble trouvé des solutions rapidement. Selon la CODEL, la structure de la société civile pour l’observation domestique des élections, 99% des bureaux de vote étaient ouvert à 7h (soit une heure après l’heure prévue).

Cette bonne organisation et les gages de transparences, le professionnalisme des médias et la retenue des candidats qui ont tous appelé leurs militants à accepter les résultats ont permis des élections « pacifiées » et l’absence de contestation par la rue de ce qui est ressorti des urnes, comme l’illustre un électeur de Zéphirin Diabré, candidat malheureux de la présidentielle : « Je ne suis pas trop déçu. Le vote a été transparent et notre chef a accepté les résultats donc ça va ». Cela a démontré, encore une fois, l’attachement des Burkinabè à la paix.

Un vote « utile » et des valeurs sûres

JPG_BurkinaElections1Les résultats des élections présidentielles montrent que les Burkinabè ont choisi de voter « utile », c’est-à-dire de voter dès le premier tour pour l’un des deux candidats favoris. Alors que de nombreux analystes prédisaient un second tour, et s’attendaient à ce qu’une poignée de candidats puissent se positionner en « faiseurs de rois », Roch Marc Christian Kaboré du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) a été élu dès le premier tour avec 53,49% des voix, tandis que Zéphirin Diabré de l’Union pour le Progrès et le Changement (UPC) a rassemblé 29,65% des suffrages. Tahirou Barry, en troisième place, est loin derrière et obtient à peine plus de 3% des voix, tandis que les onze autres candidats oscillent entre 0,26% et 2,77%.

L’élection confortable de ‘Roch’, pourtant un cacique du régime Compaoré jusqu’à son revirement en janvier 2014, pourrait surprendre à peine un an après l’insurrection populaire qui a balayé ce régime et réclamé le changement. Mais son expérience au sein du système Compaoré lui a plutôt été favorable, les électeurs voyant ainsi en lui le seul candidat ayant les capacités de gérer les affaires du pays. En quittant le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP), le parti de Blaise Compaoré, il a emmené avec lui d’autres figures de proue comme Salif Diallo et l’ancien maire de Ouagadougou Simon Compaoré, ainsi qu’un nombre important de militants. A la chute du régime, il a pu bénéficier de réseaux importants à travers le pays, en particulier en milieu rural, et nombreux sont les votants du CDP qui ont rejoint le parti s’en rapprochant le plus, de par son idéologie ou son personnel politique. 

Bien qu’élu par « un coup-KO » aux présidentielles, Roch ne dispose toutefois pas d’une majorité absolue à l’Assemblée Nationale. Les résultats provisoires présentés par la CENI donnent 55 sièges sur 127 au MPP, tandis que l’UPC en obtient 33. Le CDP ne s’en sort pas mal, se positionnant comme troisième force avec 18 députés, pouvant ainsi peser dans les débats politiques. L’UNIR-PS, le parti sankariste de Maitre Bénéwendé Sankara, a obtenu cinq sièges tandis que dix autres partis se partagent les 15 sièges restants. Roch aura donc besoin de créer des alliances pour gouverner et mettre en œuvre son programme, et d’autant plus pour élaborer une nouvelle Constitution comme il l’a promis, pour laquelle il aura besoin du soutien des deux-tiers du parlement. L’Assemblée nationale pourrait donc être le théâtre de débats politiques, permettant ainsi l’émergence d’une opposition crédible et la recherche de consensus, loin de la chambre d’enregistrement du gouvernement qu’elle représentait sous Compaoré.

Et maintenant ?

La nouvelle équipe doit prendre les rênes dans les prochaines semaines, et la tâche qui les attend n’est pas mince. Les attentes de la population sont immenses, en particulier en matière d’emploi, d’amélioration des conditions de vie, et de bonne gouvernance. Roch n’aura pas le droit à un état de grâce, et le peuple est désormais aux aguets pour surveiller les actions de ses dirigeants. Un de ses électeurs a été clair : « S’ils ne respectent pas leurs promesses, la place de la Révolution sera encore pleine ! ».

Eloïse Bertrand

Le Togo, ou l’impossible alternance (2) : Comment entrer dans une nouvelle ère politique ?

JPG_OppositionTogo291015Suite et fin d'un panorama de la situation politique au Togo par Giani Gnassounou, dont la première partie est parue sur L'Afrique des Idées il y a quelques semaines sous le titre: "Le Togo, ou l'impossible alternance". 

Plusieurs mois après les élections présidentielles remportées par le président sortant Faure Gnassingbé (2005-), la vie politique togolaise semble en léthargie. Les leaders de l’opposition s'expriment de moins en moins, contrairement aux élections précédentes où ils étaient légion à prendre d'assaut les médias pour contester  vigoureusement  les résultats proclamés. Ce n’est pas l'envie qui leur manque, bien au contraire, mais leur position est plutôt précaire. Ils avaient promis aux populations que les élections de 2015 seraient « l’ultime rendez-vous » pour obtenir l’alternance politique au Togo et proposer aux Togolais, après près d’un demi-siècle de règne sans partages, une autre manière de faire de la politique. Affirmer  que cette mission s’est soldée par un échec est un pur euphémisme. L’impasse politique est sans précédent dans l’histoire politique togolais et ceci, en raison de plusieurs facteurs.

Un président protégé de toutes parts 

Sur le plan interne, l’Union pour la République (UNIR), parti du président réélu, est majoritaire  à l’Assemblée nationale. Dans ce contexte, une modification de la Constitution actuelle, qui ne prévoit pas de limitation de mandats, ne se fera qu’au gré de la volonté de la majorité dirigeante ; quand bien même la grande majorité de la population togolaise (85%) souhaite une révision de cette constitution, d’après un sondage réalisé par l’institut Afrobaromètre en 2014.

L’opposition togolaise est plus que jamais divisée et sort très affaiblie de ces élections. Entre une opposition « participationniste »,  qui a essuyé un cuisant échec ; une opposition « abstentionniste », qui ne cesse d’accuser la première d’avoir légitimé des élections frauduleuses ; et un président sortant qui n’attendait que cela, le peuple semble résigné à l’idée d’une quelconque alternance. Sur le plan externe, les  dernières élections ont été saluées par l’ensemble de la communauté internationale et des chancelleries occidentales présentes au Togo. Faure Gnassingbé y a ainsi gagné en légitimité et en reconnaissance. Avec une opposition décimée par des querelles internes et un président béni par ses pairs  à l’international, Gnassingbé a un boulevard devant lui et rien ne semble pouvoir  l’empêcher de poursuivre sereinement son règne à la tête du pays. L’alternance est-elle à jamais compromise ?

Excepté le bien vouloir du prince, les moyens pour entrer dans une nouvelle ère politique sont rares voire utopiques

La mauvaise idée d’une lutte armée

En Afrique, l’alternance s’obtient souvent par la lutte armée, sans pourtant qu’elle produise des résultats meilleurs ; la situation tend plutôt à se dégrader. Les régimes renversés par les armes ont généralement été remplacés par des régimes de même nature sauf  quelques cas marginaux tels que le  Ghana, où l’utilisation de la force armée a permis l’instauration plus tard d’un régime démocratique pérenne. Depuis 1960, années des indépendances de la majeure partie des pays africains, pas moins de 80 coups d’État ont été perpétrés. 40% des régimes politiques africains entre 1960 et 1990 avaient des origines militaires. En 2014, plus de cinquante années après les indépendances, encore un État sur trois est dirigé par un régime d’origine militaire. Au Togo, ce moyen est inenvisageable. L’armée est acquise à  la cause de  la majorité dirigeante, du fait de sa composition ethnique. En effet, sous l’ère du père de Faure Gnassingbé, Gnassingbé Eyadéma (1963-2005), une politique d’ethnicisation de l’armée a été menée de sorte que cette dernière est composée aujourd’hui majoritairement de personnes originaires du nord du pays, fief électoral du pouvoir en place.  Depuis les années 1990, début de la lutte pour l’instauration de la démocratie, l’armée constitue un acteur clé de la scène politique. A la solde du pouvoir en place, elle a permis son maintien aux affaires et n’a pas hésité comme en 2005, à perpétrer des massacres au nom de la survie du régime.

La partialité et l’ethnicisation de l’armée ont toujours fait craindre une guerre ethnique sur le territoire togolais. Cette stratégie serait donc très mal venue et ne ferait que déplacer ou aggraver  le problème.

L’illusion du pouvoir au peuple et du peuple au pouvoir

Le pouvoir au peuple ou le peuple au pouvoir. Pour être exact ce serait le peuple dans les rues et le pouvoir au peuple. Quelques mois avant la tenue des élections présidentielles togolaises, le Burkina Faso, pays voisin du Togo a connu une accélération inattendue de son histoire  politique. Le peuple s’est levé comme un seul homme pour empêcher l’ex-président Blaise Compaoré (1987-2014) de modifier la constitution et de rempiler pour un nouveau mandat. L’expérience burkinabè a flatté l’opposition togolaise, qui s’est convaincu qu’elle pouvait être répliquée au Togo, mais il n’en a été rien.  Au Burkina, mais également  en  Tunisie lors du Printemps arabe de 2011, la version surmédiatisée qui présente le peuple prenant son destin en main et imposant sa souveraineté devrait fortement être nuancée. En effet, le comportement des forces armées, autant dans le cas du Faso que celui de la Tunisie, a déterminé l’issue du soulèvement populaire. C’est également le comportement des corps habillés qui a déterminé la situation du Printemps égyptien, dont l’état actuel atteste bien mon propos sur le rôle des forces armées dans ces situations.

Les révolutions populaires dans ces pays  précités, n’auraient  pas produit ces résultats si l’armée ne s’était pas désolidarisée du pouvoir en place. Dans le contexte togolais, cette neutralité de l’armée n’est pas encore acquise. En effet, s’il y a bien une institution (si on peut se permettre ce terme) qui au fil des années est restée solide et efficace malgré les soubresauts internes (qui n’ont jamais filtré) qu’elle a pu connaitre, c’est bien les Forces armées togolaises. C’est peu dire que l’inébranlable fidélité de la Grande Muette au régime  explique la longévité de ce dernier.

On pourrait même être tenté de dire qu’elle est le  premier garant  de la République, devant la Cour constitutionnelle et les autres institutions. On se rappelle bien le triste épisode de la nomination de Faure Gnassingbé par l’armée  à la tête du pays le soir de l’annonce du décès de son père le 5 février 2005. Au Togo, l’armée semble avoir plus de pouvoir qu’elle ne le montre. Inféodée au pouvoir en place, elle n’hésite pas à le faire valoir quand le besoin se fait sentir.

Toutefois, il faut préciser que c’est aussi toute la classe politique togolaise (opposition et majorité)  qui a conféré ce pouvoir à  l’armée: la majorité avec sa politique d’ethnicisation et de favoritisme ; mais aussi l’opposition, avec ses prises de position extrêmes contre l’armée, qui font craindre des représailles en cas d’alternance. Dans ce contexte, un soulèvement populaire ne saurait à lui seul provoquer une alternance au Togo. D’ailleurs, on en est loin tant le peuple semble résigné à propos de cette problématique.

La sagesse d’un compromis patriotique

La question  prioritaire et brulante  n’est pas la nécessité d’une alternance. Il s’agit surtout d’installer un débat politique franc, accepté par le peuple, qui ne souffre d’aucune contestation ou ambiguïté pouvant conduire à l’alternance. Le verrou politique, imposé par l’armée, ne sera levé que par un sursaut patriotique et la volonté de tous les acteurs du jeu politique  d’aligner le Togo dans le chœur des pays africains « considérés » comme démocratiques.

Ce sursaut patriotique, au nom de l’intérêt supérieur de la nation, passera par l’ouverture d’un vrai dialogue entre la classe politique et les F.A.T. En effet les forces armées constituent  un acteur incontournable  dans le jeu politique togolais ainsi que dans le jeu politique de plusieurs autres pays africains. Depuis les années 1990, cette armée fidèle au père et aujourd’hui au fils a été accusée des crimes les plus atroces contre la population. Elle est très impopulaire au sein de la population mais également auprès de l’opposition.

L’armée eu l’occasion de s’expliquer sur son rôle dans les tragédies qu’a connu le Togo lors des auditions de la Comité Vérité Justice et réconciliation (mise en place par le gouvernement togolais en 2009 chargée de faire la lumière sur  les heures obscures de la nation entre 1958 et 2005 ). Malheureusement, les F.A.T n’ont pas su profiter de cette occasion pour épurer leur passif auprès des populations et redorer leur blason. Le président Faure a tenté, ça et là, à travers certains évènements, de rapprocher l’armée du peuple mais le résultat reste assez mitigé. Il faut dire que les crimes dont est accusée l’armée peuvent constituer des crimes internationaux de nature imprescriptibles. En d’autres termes, la peur n’est pas que dans le camp des révoltés et des lassés du régime.

C’est à ce niveau que l’opposition a une obligation certaine de pédagogie dans la communication. Rassurer ces hommes contre l’idée de toute chasse aux sorcières et leur expliquer qu’un Togo libre, pluraliste ne peut être bénéfique qu’à tout le monde. L’intérêt supérieur de la nation passe également par un consensus purement politique entre les différents acteurs.

Aujourd’hui, la classe politique est un immense champ de ruines : une opposition diverse et divergente, incapable d’adopter une stratégie unitaire en son propre sein et un pouvoir incapable de discuter  et d’incarner une réelle ouverture démocratique et de mettre en application ses propres engagements. Mais quel autre destin pourrait-on proposer aux descendants de Dzitri[1] si le dialogue reste impossible ?

Giani Gnassounou

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1]  Dzitri est le fondateur de la ville de Lomé, capitale politique et économique du Togo

 

Démocratie et alternances régulières au pouvoir en Afrique

Afrique_cultureDans les régimes considérés comme étant démocratiques ou ceux qui essayent vraiment de le devenir, le remplacement des dirigeants au pouvoir s’effectue par la tenue d’élections libres et transparentes, d’où l’équation suivante : pas de démocratie réelle sans alternances régulières au pouvoir.

Dans son article « Démocratie et développement économique », le politologue américain Seymour Martin Lipset définit la démocratie « comme un système politique qui, à l’intérieur d’un complexe social, permet le renouvellement légal du personnel dirigeant, et comme un mécanisme social qui permet à une très grande partie de la population d’exercer une influence sur les décisions importantes en choisissant les responsables. » Rappel important : c’est au lendemain de la Guerre froide, qui s’est soldée par le triomphe de la démocratie libérale sur le communisme, que les régimes autoritaires africains s’inscrivent, à l’aube des années 1990, dans ce que Samuel Huntington a décrit comme étant la « troisième vague de démocratisation ».

Les résultats de la dernière enquête réalisée par l’Institut Afrobaromètre en 2014 dans 34 pays africains nous apprennent que la majorité des peuples africains (71%) préfèrent encore la démocratie à tout autre régime politique. Pourtant, en matière d’alternance au pouvoir, les performances globales de l’Afrique sont plutôt faibles. Le cas guinéen l’illustre parfaitement. Car si jamais le président Alpha Condé cède le pouvoir suite à la présidentielle dont le premier tour se tiendra le 11 octobre prochain, ce sera une première en Guinée. Et s’il est réélu, certains de ses concitoyens pourraient bien craindre qu’il n’imite son prédécesseur Lansana Conté qui, après avoir épuisé ses deux mandats présidentiels, a modifié la Constitution en 2002, ce qui lui avait permis de briguer un troisième mandat en 2003. Arrivé au pouvoir en 1984 à la faveur d’un coup d’État militaire survenu au lendemain de la mort du premier président guinéen, Ahmed Sékou Touré, Conté s’accrochera au pouvoir jusqu’à sa mort en 2008.

Et plus près de nous, les conditions sociopolitiques dans lesquelles Pierre Nkurunziza vient de se faire réélire pour un troisième mandat au Burundi le confirment : nombreux sont les dirigeants africains qui sont très habiles lorsqu’il s’agit de se maintenir au pouvoir par tous les moyens possibles et imaginables, notamment par des répressions sanglantes de toute manifestation publique organisée par leurs adversaires politiques, par des mascarades électorales ou des modifications constitutionnelles. Nkurunziza a usé de ces trois procédés en même temps.

Mais l’Afrique nous offre aussi quelques exemples de chefs d’État modèles qui sont bien élus et qui choisissent de quitter le pouvoir après un ou deux mandats, tel que stipulé par la majorité de ses constitutions. Tout n’y est pas noir ou blanc. Ce paradoxe suffit amplement pour expliquer l’intérêt de cette question fondamentale : comment se fait-il que certains pays africains parviennent à régulièrement remplacer leurs dirigeants par la voie légale des urnes, tandis que d’autres n’y parviennent pas ?

Entendons-nous bien : cette interrogation est d’une complexité telle que nous pourrions fournir autant de réponses que de pays africains, car il existe des facteurs endogènes et exogènes qui singularisent chaque pays. Le Sénégal n’est ni la Centrafrique, ni le Rwanda, encore moins l’Algérie, pourrait-on affirmer pour donner une idée de cette complexité.

Néanmoins, l’Afrique du Sud et le Ghana, pour ne citer que ces deux exemples, sont non seulement là pour montrer à certains pays, comme la Côte d’Ivoire, qu’une alternance est possible sans effusion de sang, mais aussi et surtout pour prouver à d’autres pays, comme la Guinée, que la présidence à vie ou l’intervention de l’armée nationale ne constituent pas des passages obligés pour réussir une alternance au pouvoir.

En Afrique du Sud, Nelson Mandela choisira de quitter la présidence, après un unique mandat au pouvoir, en cédant son fauteuil à Thabo Mbeki en 1999. À son tour, ce dernier fera deux mandats au pouvoir avant que l’actuel président Jacob Zuma ne prenne sa place en 2009. Au Ghana, après avoir été élu en 1992 et 1996, Jerry Rawlings choisira, lui aussi, de s’incliner face à la constitution ghanéenne de 1993 qui limite le nombre de mandats présidentiels à deux. C’est ainsi que son concitoyen John Kufuor lui succèdera suite à la présidentielle de 2000.

En fait, depuis 1990, force est de noter que tous les pays africains qui remplacent régulièrement leur président ont eu de grands guides politiques qui ont su fixer le cap de la réussite en matière d’alternance  au pouvoir. Ils ont eu la volonté, la sagesse, le courage et le patriotisme nécessaires pour apprendre à leurs concitoyens que l’alternance au pouvoir est le carburant de la démocratie.

Au fond, dans le jeu politique africain, la probabilité de réussite d’une alternance au pouvoir devient plus grande sous l’une des deux conditions qui suivent : une volonté politique réelle du président sortant d’organiser des élections considérées crédibles par tous, y compris par l’opposition. Au Nigéria, c’est de cette façon que Goodluck Jonathan a cédé le pouvoir au président actuel. C’est la première condition. Voici la seconde : une candidature unique de tous les opposants politiques qui cherchent sérieusement l’alternance au pouvoir. N’est-ce pas ainsi que l’actuel président sénégalais Macky Sall est arrivé au pouvoir en 2012 ? Le dicton se vérifie toujours : l’union fait la force.

Somme toute, en prenant la parole devant la tribune de l’Union africaine en juillet dernier, Barack Obama a bien fait de rappeler que « si un dirigeant pense être le seul capable d’unir sa nation, alors ce dirigeant n’a pas réussi à réellement bâtir son pays. Nelson Mandela et George Washington ont laissé un héritage durable en quittant leurs fonctions et en transmettant le pouvoir pacifiquement ».

Ousmane Diallo

Trois dimanches, cinq élections: un octobre africain

JPG_Elections180614Trois dimanches chargés attendent les passionnés de politique africaine en octobre prochain. Trois jours pour pas moins de cinq élections présidentielles sur le continent, complétées de surcroît par des législatives dans certains cas. Le Burkina Faso et la Guinée ouvrent le bal le 11 octobre. Une présidentielle est ensuite annoncée en Centrafrique le 18. Les électeurs ivoiriens et tanzaniens se présenteront eux dans les bureaux de vote la semaine suivante, le 25 octobre. Cinq scrutins, qui chacun à leur manière ont une saveur particulière.

C’était déjà un jour d’octobre, il y a près d’un an, que les Burkinabè se soulevaient pour chasser du pouvoir Blaise Compaoré et ses velléités de présidence à vie. En quatre jours, le peuple du Faso inscrivait ainsi son nom tout en haut d’une page d’histoire, peut-être en train de s’écrire sur le reste du continent. Celle où un chef d’État ne gagne pas automatiquement le droit de se porter candidat à sa propre succession, et où le multipartisme ne ressemble plus à une façade où prospèrent les entreprises politiques personnelles des uns et des autres.

C’est donc peu dire que la présidentielle burkinabè est très attendue après une transition d’un an. Son bon déroulement sonnerait comme un message d’espoir pour ceux qui au Rwanda, au Congo-Brazzaville ou en RDC, s’opposent à la reconduction de leur président pour un troisième mandat, ou pour les Burundais qui ne veulent pas se résoudre à accepter la réélection controversée de Pierre Nkurunziza. A l’inverse, un scrutin raté, même à moitié, ferait le jeu de tous ces dirigeants qui se présentent comme les incontournables garants de la stabilité et la paix. Et il y a déjà comme un mauvais signal, à moins de deux mois du vote. Le choix des autorités de transition d’invalider les candidatures aux législatives d’anciens cadres du régime Compaoré, au nom de la constitution, ressemble à un premier accroc sur les voies de la réconciliation.

En Guinée, après des mois de désaccord, le pouvoir et l’opposition ont enfin trouvé un compromis sur les dossiers aussi sensibles que la composition de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) – qui devrait bientôt accueillir deux nouveaux représentants de l’opposition – l’organisation des élections locales, ou le réexamen du fichier électoral. Prudence, affirment malgré tout certains responsables politiques, qui redoutent des délais trop courts pour permettre aux autorités de respecter leurs engagements.

Quoi qu’il en soit, le 11 octobre, comme lors de la présidentielle “historique” de 2010, le duel au sommet devrait opposer Cellou Dalein Diallo et son UFDG, à Alpha Condé, qui depuis a passé cinq ans à la présidence. La crainte, ce sont de nouveaux épisodes de violences, comme ceux qui surviennent régulièrement en Guinée quand il s’agit d’élections, à l’image des incidents meurtriers d’avril et mai dernier lors des manifestations de l’opposition. L’autre inquiétude c’est encore un raidissement sur des bases ethniques avec d’un côté les Peuls rassemblés derrière Cellou Dalein Diallo et de l’autre les Malinké avec Alpha Condé. Pour cette présidentielle, Cellou Dalein Diallo a scellé une alliance électorale opportuniste mais ambiguë avec l’ancien chef de la junte Moussa Dadis Camara, qui pourrait lui apporter des voix de sa région d’origine, la Guinée forestière. Un geste surprenant quand on sait que des partisans de l’UFDG faisaient partie des victimes des massacres du 28 septembre 2009, pour lesquels Moussa Dadis Camara a été inculpé il y a quelques semaines.

Une présidentielle le 18 octobre en RCA ?

Le premier tour de présidentielle centrafricaine pourra-t-il avoir lieu la semaine suivante ? Certains observateurs ou des responsables politiques comme le candidat déclaré Crépin Mboli Goumba n’y croient guère. Après deux ans et demi de crise, la Centrafrique reste un Etat “failli” où la plupart des services publics sont à terre. Y organiser des élections dans de bonnes conditions relève du défi, et le mot est faible. D’autant que de nouveaux affrontements entre chrétiens et musulmans ont eu lieu ces derniers jours à Bambari, dans le centre du pays, faisant au moins une quinzaine de morts. Il faudra ramener le calme, aller au bout d’un recensement électoral difficile, trouver les fonds nécessaires au scrutin, établir le fichier électoral et comment faire voter les réfugiés qui ont fui le pays pendant les violences. Soit près de 500 000 personnes dont un peu moins de la moitié d’électeurs potentiels. La communauté internationale s’accroche pourtant à ce calendrier électoral comme à une bouée de sauvetage et son respect est la mission numéro 1 assignée aux autorités de transition. En attendant les candidats se bousculent, dont l’ancien président François Bozizé, des ex-premiers ministres comme Martin Ziguélé, Nicolas Tiangaye ou Anicet Dologuélé… pour un scrutin censé permettre de tourner la page.

La Côte d’Ivoire a quant à elle retrouvé sa tranquillité et son allant économique. Fort de ces résultats, Alassane Ouattara rêve de se faire réélire dans un fauteuil. Une présidentielle apaisée et crédible le 25 octobre servira en tout cas à tenter d’oublier le traumatisme du scrutin précédent et des quelque 3 250 personnes qui ont perdu la vie pendant la crise post-électorale et les affrontements fratricides entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara. La société civile ivoirienne vient d’ailleurs de rendre publique une charte qu’elle souhaite faire signer à tous les candidats pour qu’ils s’engagent à une élection sans violence. La quasi-totalité des figures de la vie politique ivoirienne devraient la parapher parce qu’à peu de chose près, ils sont tous sur la ligne de départ : Ouattara bien sûr, mais aussi Pascal Affi Nguessan, Charles Konan Banny, Kouadio Konan Bertin (KKB) pour ne citer qu’eux… Des rivaux qui se présentent donc divisés face à un chef de l’État qui se sent fort.

Le modèle tanzanien

Enfin la Tanzanie aura elle aussi droit à une présidentielle le 25 octobre. Une élection inédite entre d’un côté le ministre des Travaux Publics John Magufuli, vainqueur surprise de la primaire au sein du parti au pouvoir, et de l’autre côté l’ancien premier ministre Edward Lowassa. Défait pendant la primaire, Edward Lowassa a réussi une jolie manœuvre puisqu’il a tout simplement changé de camp pour devenir le chef de file de l’opposition, dont il sera le candidat unique. A l’approche du scrutin, on retiendra surtout le passage de relais du chef de l’État Jakaya Kikwete, qui conformément à la constitution, ne brigue pas un troisième mandat. La Tanzanie fait figure de modèle puisqu’aucun président n’y a tenté un quelconque tripatouillage électoral pour s’accrocher au pouvoir.

Cinq présidentielles donc après lesquelles courront les journalistes et les observateurs, happés par les soubresauts de l’actualité et son temps forcément trop court. Aura-t-on le recul nécessaire pour voir que 2014, 2015 et 2016 pourraient bien ressembler à un tournant de la politique africaine, comme le furent les années 1990 et les grandes conférences souveraines, préludes à la démocratisation.

Il y a déjà eu une révolution au Burkina Faso, une alternance paisible au Nigéria. Il y a maintenant une série d’élections qui se profilent et peuvent chacune incarner un symbole fort pour leur peuple et les dirigeants de la région. L’ouverture au multipartisme des années 1990 s'est malheureusement conclue par un grand espoir déçu. Qu’en sera-t-il cette fois-ci ?

Adrien de Calan

Le Togo, ou l’impossible alternance

JPG_Faure Gnassingbé27 avril 2015, 55 ans jour pour jour que la République du Togo est née. Faure Gnassingbé, sereinement, parade dans la ville de Lomé et se permet un bain de foule avant d’allumer la flamme de l’indépendance au Monument de l’Indépendance. Nous sommes au lendemain du déroulement de l’élection présidentielle, à laquelle il a participé. L’assurance de la victoire ne fait aucun doute  dans son camp. Le jour suivant, il sera réélu pour un troisième mandat. Cela fait dix années qu’il est au pouvoir et quarante-huit ans que sa majorité dirige le pays. Entre une opposition en manque de repères et une majorité qui n’est pas prête à se séparer des privilèges du pouvoir, le changement, ce n’est pas maintenant !

S’opposer pour s’exposer, c’est s’opposer sans s’imposer.

En  2002, le tripatouillage de la constitution par une Assemblée nationale monocolore (80 députés sur 81 étaient issus des rangs du parti au pouvoir) issue d’élections législatives boycottées par l’opposition avait permis au feu président Eyadema de briguer un nouveau mandat. Ce, en violation de l’accord cadre de Lomé du 29 juillet 1999 qui stipulait que le « Baobab de Kara » tirerait sa révérence au soir de son mandat issu d’élections déjà contestées en 1998.

Depuis cette modification en 2002, le retour à la Constitution de 1992, qui prévoyait une limitation de mandats et un scrutin présidentiel à deux tours a été incessamment réclamée par l’opposition. Au lendemain de la sanglante élection d’avril 2005, un accord dit Accord politique global va entériner le retour à la Constitution de 1992. Neuf années après cet accord et surtout deux législatures après, la révision de la Constitution n’a toujours pas été faite.

L’opposition togolaise, qui d’habitude brille pour ses divergences et ses querelles de leadership, a réclamé avec un semblant d’unité la réalisation de la  révision constitutionnelle avant les échéances électorales. Mais ce bras de fer  s’est soldé par un échec en raison d’une intransigeance du principal parti d’opposition, l’Alliance nationale pour le changement (ANC), qui frise une certaine irresponsabilité politique.

En effet, un projet de loi de révision a été proposé au Parlement. Ce projet, issu d’un dialogue entre la mouvance présidentielle et l’opposition, prévoyait la limitation à deux mandats avec effet immédiat, ce qui dans l’esprit du parti au pouvoir, avait pour but d’écarter Faure Gnassingbé des prochaines élections. D’ailleurs, l’opposition à travers l’ANC ne s’en cachait pas. Elle revendiquait ouvertement  sa volonté d’empêcher Faure Gnassingbé de participer à ces échéances. Un consensus avait été trouvé entre l’opposition et le parti au pouvoir. Celui-ci consistait en une limitation de mandat sans effet immédiat ; or, l’ANC, disposant d’une minorité de blocage à l’Assemblée nationale, a posé son véto contre un tel consensus. Le principal parti d’opposition réclamait avec intransigeance une révision constitutionnelle avec effet immédiat. Une position intransigeante de l’ANC qui a finalement permis à Faure Gnassingbé  de pouvoir se représenter  sans aucune barrière légale.

La stratégie du «  tout ou rien » de l’ANC semble difficile à soutenir en l’espèce. D’autant plus que le combat de ce parti depuis sa création  est véritablement l’avènement de l’alternance. Manque de stratégie ou cynisme politique calculé ? On ne saurait répondre à cette interrogation. Tout le monde y va de son point de vue. L’ANC continue de jouir d’une popularité importante, surtout dans le sud du pays où le parti a construit son bastion. Pour une certaine partie des partisans de l’opposition, négocier ou concéder des faveurs au parti au pouvoir est signe d’allégeance à ce dernier. Nombreux sont les opposants qui ont perdu toute légitimité  populaire  en raison du fait qu’à un moment donné de leur parcours politique, ils ont jugé utile de collaborer avec le parti au pouvoir. Le principal parti d’opposition qui tient et tire sa popularité de cette intransigeance envers l’UNIR, le parti de Faure Gnassingbé, avait dès lors tout intérêt à ne pas apparaître comme ce parti qui a permis au président de briguer un troisième mandat.

Cependant, dans la conjoncture politique et constitutionnelle togolaise actuelle, pouvait-il  en être autrement ? L’ANC a choisi de satisfaire sa base électorale plutôt que de prendre une décision courageuse dans l’intérêt supérieur  du peuple togolais. C’est dans ces conditions, que les élections présidentielles ont eu lieu le 26 avril 2015.

Des élections au suspens manifestement inexistant

« Le fichier électoral n’est pas fiable mais consensuel ». Ce sont les mots du général Siaka Sangaré, chargé de mission de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) pour auditer le fichier électoral togolais et remédier aux déficiences dont il fait l’objet. Après deux semaines  d’audit, la conclusion  de l’équipe de l’OIF est sans appel. Le fichier est mauvais. Le fichier électoral Togolais n’est pas fiable et n’est pas de nature à permettre des élections crédibles. Cependant les acteurs politiques du pays, conscients de l’état du fichier, se sont mis d’accord pour organiser des élections présidentielles avec ledit fichier. Comment peut-on alors venir se plaindre au lendemain du scrutin d’avoir été volé, si déjà au départ on avait conscience que l’arbitre du jeu n’est pas fiable ?

Ceci a été en tout cas la réaction du CAP 2015, un regroupement de partis qui a porté la candidature du président de l’ANC Jean-Pierre Fabre, chef de file de l’opposition. Une partie de l’opposition a boycotté ces élections, car estimant qu’elle ne servirait qu’à accompagner le parti au pouvoir dans sa mascarade, et par là à légitimer aux yeux de la communauté internationale, une réélection du président sortant.

Aujourd’hui, Faure Gnassingbé est réélu, avec une Constitution qui lui permet de se représenter autant de fois qu’il le souhaite. Le Togo reste l’un des derniers pays de la sous-région ouest-africaine dont la Constitution ne prévoit pas de limitations de mandat et dont les  élections sont toujours  à un tour. Cette situation est une aubaine pour le parti au pouvoir qui régente ce pays depuis 1967, année de l’accession au pouvoir de Gnassingbé Eyadema. Près d’un demi-siècle de règne plus tard, ce parti n’est pas prêt à mettre  en place les conditions nécessaires  à une alternance. La situation politique togolaise d’une complexité avérée, stagne dans une impasse qui fait les affaires du régime  et de ses alliés. Pour le changement, le peuple attendra.

Côte d’Ivoire : réconciliation acquise ou à construire ?

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La Côte d’Ivoire a connu une longue et difficile période de divisions sociales exacerbées par  des conditions économiques peu favorables, et par des hommes politiques animés par de sinistres intentions. Ces divisions ont conduit à des démonstrations inouïes de violence entre les différents groupes qui la composent. Or, avant ces circonstances dévastatrices, ces derniers n’entraient pas des relations aussi bellicistes. La crise post électorale de 2010-2011, ayant conduit à plus de 3000 morts en moins de cinq mois, a été le paroxysme de ces violences inter-ethniques à forts relents politiques.

Retour sur quinze années ponctuées de malentendus et de guerres fratricides alors qu’un scrutin déterminant pointe à l’horizon.

La prochaine élection présidentielle en Côte d’Ivoire est prévue au mois d’octobre de cette année. Force est de se demander si, d’une part, les populations, avec les différentes mesures prises par l’Etat pour tenter d’apaiser leurs peines, de compenser les pertes subies, de leur faire tourner la page sur les horreurs vécues et de remettre au goût du jour le « vivre ensemble » dans la paix, et d’autre part, l’Etat, représenté par ses instances et dirigeants, ont mesuré l’impact de ces incitations à la haine. S’ils ont pris la pleine mesure de leurs conséquences socio-économiques. S’ils les prennent en compte dans leurs différents calculs politiques afin de ne plus faire sombrer les peuples dans ce genre d’errements meurtriers.

Contexte

Comme beaucoup de pays africains, la Côte d’Ivoire est composée de plusieurs groupes sociaux. Il s’agit d’une soixantaine d’ethnies regroupées dans quatre grands groupes, allant au-delà des frontières ivoiriennes, partageant des codes sociaux plus ou moins différents mais vivant sur un même territoire dont les limites ont été dessinées depuis la conférence de Berlin de 1884. À l’indépendance du pays, en 1960, son premier président, Félix Houphouët Boigny, avait, d’une certaine manière, intégré cet état des choses dans sa stratégie de gouvernance en positionnant des « fils » et des « cadres des régions » qui pourraient être considérés, en réalité, comme représentants des différentes ethnies du pays.

Ce système de gouvernance n’était pas admis par tous comme le montrent les tentatives de scission qui se sont manifestées dès les premières années d’indépendance du pays, au royaume du Sanwi situé dans Sud-est du pays. Tentatives énergiquement refrénées par le nouveau président : les « évènements du Guébié »,  qui s’étaient déclenchés dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire en 1970, auraient conduit à la mort de 4 000 personnes au minimum.

En plus de ses groupes ethniques, la Côte d’Ivoire a été très tôt enrichie d’une forte population étrangère. Les résultats du recensement général de la population et de l’habitat de 1975 indiquent que la population non-ivoirienne représente 22% de la population totale. Ce taux atteint 28% en 1988 avec une majorité de Burkinabè, Maliens et Guinéens – plus de 80% des étrangers – d’après le recensement effectué cette année-là. Malgré leur contribution à la croissance démographique et au développement économique du pays, ces populations étrangères culturellement proches des Ivoiriens du Nord sont rapidement mises en cause pour le déséquilibre économique et l’insécurité accrue dans le pays. En effet, la Côte d’Ivoire connaît dans les années 1980 ses premiers Plans d’Ajustement Structurel, destinés à redresser son économie qui avait subi les effets de la crise des années 1970.

A ces considérations économiques et sociales, s’ajoute la dimension politique lorsqu’à la mort du président Houphouët-Boigny, sous le président par intérim Henri Konan Bédié, le code électoral est modifié avec la précision que nul ne peut être élu président de la République s'il « n'est Ivoirien de naissance, né de père et mère eux-mêmes Ivoiriens de naissance ». Cette disposition légale empêche le candidat Alassane Ouattara de se présenter à l’élection présidentielle. Son père étant d’origine burkinabè, il est accusé d’être de nationalité « douteuse ».

Conséquemment, les conflits entre les communautés, attisés par ces différents facteurs, se déclarent et se multiplient dans le pays. Le coup d’Etat de 1999 permet au Général Robert Gueï de prendre le pouvoir. Sous sa présidence une nouvelle constitution est adoptée, en 2000, avec notamment l’article 35 reprenant la loi introduite précédemment sous Henri Konan Bédié, avec un débat sur certains de ses termes jugés « confligènes ». Laurent Gbagbo accède au pouvoir à l’issue de la présidentielle d’octobre 2000, marquées par des heurts après le refus du Général Robert Gueï de reconnaître les résultats et des batailles meurtrières entre les militants du président élu et ceux d’Alassane Ouattara. Durant son règne, les populations du Nord constituant environ 40% de la population du pays et soutenant majoritairement le candidat Alassane Ouattara écarté, sont exclues des postes de responsabilité jusqu’en 2007, année où Guillaume Soro, chef de la rébellion qui avait éclaté en 2002 après la tentative de coup d’État durant la même année, est nommé Premier ministre. L’élection présidentielle prévue en 2005 a finalement lieu en 2010 à la suite de plusieurs accords, impliquant la communauté internationale et par lesquels la candidature d’Alassane Ouattara est acceptée.

Une guerre civile est de nouveau déclenchée à la fin de l’élection présidentielle du fait d’un désaccord sur les résultats du scrutin, entre le président sortant soutenu par le Conseil Constitutionnel et Alassane Ouattara soutenu par la communauté internationale. Les affrontements tournent, une nouvelle fois, à des exactions et violences inter-ethniques qui prennent officiellement fin en mai 2011.

Accords, mesures de réconciliation et réunification

Pendant toutes les années de conflits, différentes mesures et accords ont été mis en place pour favoriser l’unité du peuple. Ces actions visent en premier lieu la cessation des affrontements mais aussi la mise en place d’un climat plus propice à la paix et au développement économique.

En 2001, un Forum de réconciliation nationale est organisé par le Président Gbagbo pour examiner les questions sources de conflit à savoir la nationalité, la propriété des terres et les conditions d’emploi dans les forces de sécurité. Tous les partis politiques étaient conviés à ce forum dont les recommandations finales ne seront pas finalement toutes appliquées. Après l’éclatement de la guerre civile en 2002, des négociations sont entamées entre un groupe de contact créé au niveau de la CEDEAO et la Côte d’Ivoire. Elles conduiront à un cessez-le-feu signé par le président Gbagbo et les rebelles qui exigeaient son départ. Par la suite, des pourparlers sont entamés au Togo pour renforcer ce retour vers la paix. Des accords seront finalement signés par tous les partis politiques en 2003 à Linas-Marcoussis, en France, avec notamment comme disposition la création d’un gouvernement de réconciliation nationale. Ils ne seront jamais appliqués complètement. Malgré d’autres cessez-le-feu et accords signés par la suite, le pays reste secoué par des affrontements meurtriers.

C’est en 2012, qu’un processus de désarmement, de démobilisation, de réinsertion, de réintégration socio-économique des ex-combattants (DDRR) est réellement entrepris. Ce programme permet de contribuer à la sécurité et à la stabilité du pays dans un contexte d'après-guerre et de favoriser ainsi la reconstruction et le développement. L’article Côte d'Ivoire: Paix, sécurité, émergence explique de manière plus détaillée les missions, objectifs et résultats de l’agence (ADDR) créée dans le cadre de ce programme.

Une Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) a été créée en 2011 pour situer les responsabilités, entendre les victimes, auteurs et témoins des crises politico-militaires qui ont déstabilisé la Côte d’Ivoire depuis 1999. Critiquée pour ses résultats peu visibles, ses activités se sont officiellement achevées en décembre 2014 avec un rapport comportant des recommandations comme la libération de prisonniers, le dégel des avoirs ou la réparation des préjudices subis. En mars 2015, une nouvelle Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes (Conariv) a été créée pour parachever le travail du CDVR. Elle dispose d’un Fonds d’indemnisation des victimes des crises survenues en Côte d’Ivoire et d’un organe chargé de l’indemnisation et de cohésion sociale, à savoir le Programme National de Cohésion Sociale (PNCS).

Enfin, le système judiciaire du pays considéré comme étant de nouveau fonctionnel, des procès ont été enclenchés contre les différents acteurs ayant pris part à la dernière crise. C’est dans ce cadre que Simone Gbagbo, ex-Première dame de Côte d’Ivoire a été jugée et condamnée à 20 ans de prison en mars 2015. Cependant, des organismes de défense des droits de l’homme comme l’ONG Human Rights Watch mettent en garde le président contre une politique de justice partiale qui ferait obstacle à une véritable réconciliation.

Des débats soulevés sur l’éligibilité d’Alassane Ouattara dans le cadre de la prochaine élection ont vite été écartés. L’article 35, toujours en cause, devrait être modifié après ce scrutin par voie référendaire. Il semblerait alors que la machine soit véritablement en marche vers l’émergence dans l’unité que vise le président Ouattara pour 2020.

Toutefois, sa réponse : « il s’agit d’un simple rattrapage », en janvier 2012, lors de sa visite en France, à une remarque d’un journaliste de l’Express sur la nomination de nordistes aux postes clés, questionne cette dynamique d’unité et de réconciliation. Il faudrait qu’en tant que chef de l’Etat, Alassane Ouattara ne tombe pas dans un clientélisme ethnique qui plongerait à nouveau le pays dans le chaos : le plus lourd tribut serait encore payé par les populations.

Oulématou Camara

Sénégalaise, Oulématou s’intéresse aux questions politiques, économiques et culturelles du monde et particulièrement de l’Afrique. Titulaire d’un diplôme en Supply Chain Management, domaine dans lequel elle exerce, elle a rejoint l’Afrique des idées car elle souhaite contribuer à ces réflexions qui sont, selon elle, la première étape vers la mise en œuvre d’actions de développement constructives.

 

Nigerian politics : a small arrangement between friends

IBB-OBJ-and-GMB-150x150On the 28th of March, Nigeria, the largest economy in Africa, will be having its presidential elections. This will have an determining impact on the uncertain future of a country also dealing with the issues of violence with Boko Haram. The election, the most inclusive in the history of the country, could lead to a new wave of violence. Terangaweb.com has dedicated a series of articles to the elections and this first article by Tity Agbahey, is focused on the ambiguous relationships in the country’s political class. 

On the 28th of March, Nigerian voters will go to the polls to elect their new president. In a country with a population of about 178 million (also the largest economy in Africa), this time is usually troubling because it is almost always accompanied by election violence. However this year, the stakes are even higher as it may lead to the first party change since 1999. That was the year of return to civilian rule. Since then, the People’s Democratic Party (PDP) holds the power. The PDP candidate, Goodluck Ebele Jonathan is facing Muhammadu Buhari, the All Progressives Congress (APC) candidate. APC is a coalition of opposition parties which was created in July 2013. If Buhari wins the elections, Nigeria will be led by a different party. This represents a small revolution, very small. As a matter of fact, in Nigeria, there are no coincidences. Politics is an arrangement between friends. The fate of more than 100 million lives rests in the hands of small portion of the society, who are always the same people.

Ironically, even if President Jonathan’s critics claim he is “the worst president Nigeria has ever known”, his election in 2011 raised the hopes of many. It represented a change in a country where the political class always remained the same. Four years ago, Jonathan was presented as a man of the people, without ties to the upper reaches of power, since he is a native of a minority ethnic group that had been under represented in politics.

In an immensely rich country with a mostly poor population, the people identified with this man who told the story of his modest upbringing ‘‘with no shoes nor school bag’’. He is not a soldier and has never led the country. He was a clean slate. In fact, his political ascension looks much like an accident. In 2005, during his term as the deputy governor of his home state, Bayelsa, he was appointed as governor and replaced Diepreye Alamieyeseigha, who was impeached. Two years later, he moved on to Abuja, where he became the vice-president to Umaru Yar’Adua, who died in 2010. He, thus, became the president of the immense country. With no attachments, he said. Not even to the highest reaches of power, his mandate was doomed for failure right from the beginning. This is because in Nigeria, politics has been a game of soldiers (who are still involved today) for a long time, before civilians got involved. Some of them actually. And the same ones. In Nigeria, there are no coincidences. Why should the decision be left to the citizens when you can always agree among friends?
In 2006, as President Obasanjo’s mandate was ending, he tried to modify the constitution, so as to run a third time in the elections. Unfortunately, this motion was rejected by the Nigerian senate. So, Obasanjo was left with no other choice than to leave at the end of his second mandate in 2007. He decided to play the role of an elder statesman, who by all means must express his opinion about the political leaders of the country.

Nevertheless, there are other ways to govern. According to the zoning rule in Nigeria, political power is meant to alternate between the north and the south. After Obasanjo (south-west), the power was to go to someone from the north. Therefore, the outgoing president decided to support, infact impose Umaru Yar’Adua’s candidacy in the elections. Umaru Yar’Adua was the former governor of Katsina state and the brother of Shehu Musa Yar’Adua, vice-president to…Olusegun Obasanjo, while he was president under the military regime from 1976 to 1979. Nigerian politics is like a bad movie, always with the same characters that only change position and title. In that manner, Obasanjo was president from 1976 to 1979 under military rule and was president again under civilian rule from 1999 to 2007. At the end of his mandate, he was replaced by Umaru Yar’Adua, the brother of his vice president from 1976 to 1979.

On the other hand, Goodluck Jonathan’s supporters say that it is his lack of political bonds with the upper class of the political and military circles that is destroying the efforts of this Bayelsan native. They say that, some ill-intentioned politicians first sponsored Boko Haram. They did that to discredit Jonathan’s rule. Now, Boko Haram has become the monster that it is today. At one time, Boko Haram was sponsored by the Northern governors; however, the monster has grown wings of its own and is no more under their control. It is terrorizing both the north and south and makes no distinction between religion nor ethnic group. Nigeria has lost some of its territory to the terrorist group. The situation is alarming especially from a humanitarian perspective.

In 2011, we all thought that Jonathan would bring change. He, who had not yet known corruption, criminal indecency or ridicule. However, the American dream is not the Nigerian dream. In 2015, bruised, terrorised and desperate, Nigeria is trying to stop this enchanted interlude. Zoning can wait, truth can wait. For the time being, we want a saviour and as often as this happens, we do not have to search afar off. Muhammadu Buhari is an attractive choice for those who are looking for a radical response to the troubles of Nigeria.
In the soap opera of Nigerian politics since, Buhari has played quite a number of roles since 1960: Major General, Minister of Petroleum and natural resources under Obasanjo (from 1976 to 1979), and President from 1983 to 1985. Since then, he has been trying to return to power.
He lost three times (2003, 2007, 2011). Now, he runs for the fourth time and might just win. Nigeria needs fresh blood. Fresh blood at 72 years! Well no one cares, it is experience that matters and old friends like: Babangida, Yar’Adua and the undeterred Obasanjo.
Nigeria dey oh !

Translated by Onyinyechi Ananaba