Le Mali : état des lieux du « changement » après la crise

JPG_IBKLes différentes crises, auxquelles le Mali a eu à faire face, ont soulevé une question essentielle : le désir de changement dans le fonctionnement de l’Etat, et dans le mode de gouvernance. Ce désir de changement se traduisait, dans l’esprit des Maliens, par un renouvellement du personnel politique, aux affaires depuis la révolution démocratique du 26 mars 1991. Plusieurs objectifs devaient en découler : la résolution définitive de la question touarègue, à l’origine de la crise de 2012 ; l’instauration d’une justice impartiale, face aux différentes exactions commises ; la restauration de l’autorité de l’Etat ; reformer l’État affaibli par la crise en proposant une nouvelle forme de gouvernance ; une redistribution plus équitable des richesses nationales…  Élu à la faveur d’un ballotage joué d’avance, les attentes des Maliens à l’égard du président Ibrahim Boubacar Kéita étaient alors immenses. Pourtant, presque deux ans après l’élection présidentielle post-crise, certains agissements démontrent la persistance des pratiques tant décriées du passé.

Les aspirations de changement après la crise 

La crise malienne est aussi apparue comme un moyen de changer les habitudes du passé. La légitimité accordée à Ibrahim Boubacar Kéita, suite à la présidentielle de 2013, représentait une réelle occasion de lancer le Mali dans une réforme en profondeur. L’engouement pour la présidentielle était sans précédent. Avec près de 49 % au premier tour, et 45,73 % au second tour, le taux de participation a été remarquable dans un pays où elle atteint d’habitude des taux particulièrement bas. [1]  Ces chiffres que nous qualifions de remarquables, eu égard aux élections précédentes, sont toutefois la marque d’une défiance vis-à-vis de la démocratie, et restent malgré tout faibles comparativement à d’autres pays.

Dans la situation d’un Mali en pleine crise territoriale, le candidat Ibrahim Boubacar Kéita a axé sa campagne sur la restauration de l’autorité de l’Etat. Ses meetings électoraux étaient rythmés par la volonté de refonder et de renforcer l’Etat très affaiblit. Des discours qui ont su galvaniser un électorat en mal d’Etat. IBK est alors apparu comme étant le mieux à même de formuler des propositions concrètes pour régler la crise du Nord-Mali.

Il nous semble que cet aspect de sa campagne ait séduit de nombreux électeurs. Il a obtenu vingt points d’avance sur son principal rival, Soumaïla Cissé, au premier tour. Au second tour, il a été crédité de 77 % des suffrages, une victoire nette exempte de toutes contestations, lui conférant une certaine légitimité. On pourrait expliquer ce plébiscite électoral par le passé politique d’Ibrahim Boubacar Kéita, un passé auréolé d’une réputation d’autorité, acquise durant sa période passée à la primature entre 1994 et 2000. Il apparait comme celui qui a su faire montre de toute son autorité à l’égard des nombreuses manifestations estudiantines avec, à la clé, une année blanche. Il est parvenu à remettre de l’ordre dans l’armée, en prononçant la dissolution de la coordination des sous-officiers et des hommes de rang. Il a également su gérer la période très délicate de tensions et d’affrontements communautaires qui a suivi la signature du Pacte national en 1992, à la suite de la rébellion touarègue.

Le président IBK ‘’entre rupture et continuité’’

Depuis le renversement de la dictature en 1991, le paysage politique malien souffre d’une absence de renouvellement de personnel politique, restée quasi intacte. Tout au long de la campagne électorale, l’actuel président IBK s’est attelé à incarner la rupture. Si son élection répondait à des besoins de changement exprimés par les Maliens, elle n’a pas favorisé l’alternance de la classe politique. Ce qui, en revanche, a pu être constaté, c’est une forme d’équilibre entre continuité et renouveau dans le mode de gouvernance. Une partie des femmes et hommes politiques qui ont composé le gouvernement d’IBK, sont ceux qui ont auparavant gouverné le Mali. Soumeylou Boubèye Maiga, Sada Samaké, Cheickné Diawara, Moustapha Dicko, Berthé Aissata Bengaly, Bouaré Fily Sissoko, Ousmane Sy, réapparus en tant que membres du gouvernement d’Ibrahim Boubacar Kéita, sont autant de noms anciens du paysage politique malien. 

Ancien Premier ministre du président Alpha Oumar Konaré (1994-2000) et ancien président de l’Assemblée nationale sous la présidence d’Amadou Toumani Touré (2002-2007), IBK, qui avait pourtant axé sa campagne sur le thème du ‘’changement’’ n’incarne pas vraiment la rupture avec l’ancien régime. Le slogan du changement avec l’ancien régime dont il s’est servi, est un vœu également exprimé par les Maliens, du fait que le président Amadou Toumani Touré est considéré, par de nombreux d’entre eux, et par une partie de la classe politique et religieuse, comme responsable de tout ce que le Mali a connu en termes de crise, à partir de 2012. Son mode de gouvernance, sa gestion du Nord-Mali (passivité vis-à-vis d’une insécurité grandissante), ses liens, supposés ou réels avec des personnes concernées par les prises d’otages occidentaux ont achevé de jeter le discrédit sur son régime. Or, la réapparition d’anciens membres de ce régime dans le gouvernement d’IBK, combinée à la politique menée par le président malien après deux années au pouvoir, pourraient être considérées comme la continuité de ce qui auparavant n’a pas fonctionné, à savoir la perpétuation de vieilles pratiques de clientélisme, de corruption, de carence de vision politique structurée, de querelles intestines. En dix-huit mois de présidence d’IBK, trois premiers ministres se sont succédés : Oumar Tatam Ly de septembre 2013 à avril 2014 ; Moussa Mara d’avril 2014 à janvier 2015, et Modibo Keita depuis le 9 janvier 2015.

Le caractère opportuniste da la vie politique malienne

Sous le président ATT, la politique du consensus – désignée par la « neutralisation des partis politiques, la distribution de prébendes, et les liens clientélistes tissés entre le pouvoir et les dirigeants des principales formations politiques » (Boudais & Chauzal, 2006) semble être toujours d’actualité, sous la présidence d’IBK. A l’issue des élections législatives de 2013, le parti du président IBK, le Rassemblement pour le Mali (RPM), a remporté seulement 66 sièges. Ne disposant pas, à lui seul, de la majorité des 147 sièges du parlement, et compte tenu du caractère opportuniste des alliances électorales, le parti présidentiel est toutefois parvenu à constituer une alliance qui a permis la formation d’une majorité présidentielle composée de 115 parlementaires. Les élections n’ont d’ailleurs permis qu’un renouvellement limité du personnel politique au sein du parlement malien.

L’anthropologue malien Birama Diakon (2013) impute le refus d’alternance de la classe politique malienne à un sentiment de crainte, et estime qu’il faudrait que ceux qui ont gouverné le Mali pendant deux décennies se disent : « 20 ans, ça suffit, on se retire. Mais ils savent que s’ils perdent leurs postes au gouvernement, ils risquent d’aller en prison. C’est pour cela que nous assistons aujourd’hui à la formation d’une coalition de tous ceux qui veulent sauver leur tête […] ».

Un des partis pris de cette note est de considérer qu’Ibrahim Boubacar Kéita n’avait pas de programme intégral pour le Mali. Celui présenté durant la campagne électorale était d’ailleurs assez flou, contrairement au programme du challenger Soumaïla Cissé. Le slogan de la restauration de l’autorité et de la souveraineté de l’Etat, qu’il avait fait sien, ne résultait d’aucune planification étayée. Depuis, la popularité recueillie par IBK, à l’issu de l’élection présidentielle de 2013, s’est très vite érodé sur le plan national, les attentes de changement tant exprimé par les Maliens, jusque-là, tardant à se concrétiser.

Les surfacturations dans l’achat de l’avion présidentiel et des équipements militaires, une preuve de la persistance de  pratiques de corruption et de clientélisme

Dans le contexte de la crise sécuritaire, les impératifs de dotation des forces armées malienne, engagées dans les opérations de reconquête du territoire, ont servi de contexte au ministère malien de la Défense, pour instaurer une politique d’équipement. Ainsi, le gouvernement malien a effectué en 2014 des acquisitions d’un montant total de 88 milliards de francs CFA (134 millions d’euros), dont 19 milliards de francs CFA (29 millions d’euros) pour l’acquisition d’un avion destiné au président de la République, et 69 milliards de francs CFA (105 millions d’euros) pour des équipements et matériels destinés aux forces armées.

Les contrats d’acquisition d’un aéronef présidentiel et la fourniture aux Forces armées maliennes d’équipements militaires, signés par le ministre de la défense et des anciens combattants, nous ont démontrés que la corruption, difficile à enrayer, est un phénomène institutionnalisé au Mali. Si les élites politiques peuvent se succéder, le système de gouvernance, lui, reste inchangé. Pendant que le Mali, au lendemain de l’élection présidentielle, s’achemine lentement vers la sortie de crise, les Maliens, ‘’agacés’’ par l’inopportunité de l’achat d’un nouvel avion présidentiel, ont vu dans cet acte une dépense de prestige qui n’était guère indispensable dans une situation économique catastrophique. C’est dans ce cadre qu’une mission du Fonds monétaire international (FMI), s’est rendue au Mali en septembre 2014, dans le but de faire toute la lumière sur l’achat du nouvel avion présidentiel, et sur le contrat d’équipements militaires passé par le ministère malien de la Défense. Cette situation a poussé le Fonds monétaire international (FMI) à geler ses crédits pour le compte de l’Etat malien.

Le rapport du bureau du Vérificateur général, l’organisme principal de lutte contre la corruption, décrit des transactions illégales exécutées par l’Etat : « Le ministère de la Défense et des Anciens Combattants et le ministère de l’Économie et des Finances ont irrégulièrement passé, exécuté et réglé les deux contrats d’acquisition et de fourniture ». Il met en évidence une surfacturation de 29 milliards de francs CFA dans le cadre du contrat de fournitures militaires passé de gré à gré, en 2013, entre le gouvernement malien et l’entreprise Guo-Star. Dans cette affaire, une entreprise privée s’est ainsi vue attribuée, « sans avoir même demandé », un contrat de 69 milliards de francs CFA exonéré de tous droits d’enregistrement.  Elle a également reçu une garantie de l’acheteur – Etat – sans laquelle la banque n’aurait jamais financé une telle opération au profit de cette société. D’où l’interrogation du bureau du vérificateur : « Peut-on indiquer le moindre risque qu’a pris cette entreprise dans le cadre de ce contrat, pour bénéficier  in fine d’une marge bénéficiaire de plus de vingt-cinq milliards de francs CFA » ?

Par la suite, tout au long de la présidence d’IBK, le problème de la corruption s’est visiblement considérablement empiré, dans la mesure où il a atteint des proportions inédites. Le dernier rapport du Vérificateur général, portant sur les années 2013 – 2014, a été remis au président malien début mai 2015. En citant des exemples très précis, le rapport dénonce un manque pour les caisses de l’État s’élevant à 153 milliards de francs CFA (environ 234 millions d’euros), qu’il impute à la corruption et à la mauvaise gestion…

 


[1] Dans son Rapport final sur l’élection présidentielle de 2013, la Mission d’observation électorale de l’Union européenne au Mali relève qu’un tel taux de participation n’avait jamais été atteint sous la Troisième République.

 

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