Réduire les inégalités pour booster le développement

En 2008, environ la moitié de la population d’Afrique subsaharienne vivait avec moins de 1,25 dollar par jour[1].  Ces données ont suscité de nouvelles stratégies de développement de la part des institutions de développement en Afrique, en vue d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement. C’est le cas notamment de la Banque Africaine de Développement qui a accru la mise en œuvre de programmes d’intervention dans les domaines de l’éducation, la santé et les infrastructures. Dans un récent rapport sur les perspectives de croissance économique de l’Afrique, la Banque relève que l’émergence d’une classe moyenne, l’urbanisation et la jeunesse de la population constituent trois atouts majeurs pour la croissance économique dans les 50 prochaines années. En dépit de l’intérêt que présente ce rapport, il ne mentionne pas l’importance de la réduction des inégalités comme conditions nécessaires à la réalisation des projections effectuées.

En effet, l’on se demande comment l’émergence d’une classe moyenne peut stimuler la croissance ou favoriser le processus de démocratisation si les inégalités de revenu sont élevées et persistantes ? Comment l’urbanisation peut-elle être source de transformation structurelle de l’économie si l’accès au foncier continue d’être inégal? En quoi la jeunesse d’une plus grande part de la population constitue-t-elle une opportunité de croissance si en plus de la qualité de l’éducation, l’accès à l’éducation reste faible pour la majorité ? Voilà des questions qui mériteraient d’être approfondies pour donner un aspect plus exhaustif au rapport sus-mentionné. Sans y répondre directement, cet article fait l’état des lieux des inégalités en Afrique sous une approche comparative.

Comme le montre le tableau ci-dessous, la répartition des revenus est très inégale en Afrique et plus particulièrement au sud du Sahara. Le niveau des inégalités en Afrique subsaharienne est le second le plus élevé au Monde après l’Amérique latine[2]. Ce niveau d’inégalité met en doute d’abord l’émergence d’une classe moyenne et ensuite sa capacité à influencer le processus démocratique le cas échéant. En effet, l’émergence d’une classe moyenne qui triplerait d’ici 40 ans suppose une réduction significative de la pauvreté. Or, le taux de réduction de la pauvreté est lié quadratiquement au niveau des inégalités et linéairement au taux de croissance du PIB. Ainsi, un niveau élevé d’inégalité requiert plus de croissance du PIB pour une même réduction de la pauvreté. Par conséquent, avec le niveau actuel des inégalités de revenus de même que du taux de croissance, ces projections sont très peu probables. Par ailleurs, les modèles d’économie politique prédisent le choix de la répression lorsque le niveau des inégalités est élevé, comme c’est le cas en Afrique. Ainsi, à moins que le niveau des inégalités diminue, l’influence d’une éventuelle classe moyenne qui émergerait serait limitée.

Contrairement aux revenus, l’accès à la terre en Afrique subsaharienne demeure parmi les plus égalitaires au Monde après l’Asie de l’Est et le Pacifique. Ce niveau contraste avec celui de l’Afrique du Nord qui reste parmi les plus élevés. Dans la mesure où l’accès à la terre est une composante majeure du développement – il favorise le niveau de productivité agricole nécessaire à un développement industriel urbain – l’Afrique aurait dû connaitre une urbanisation génératrice de croissance économique. Cependant, le constat est plutôt l’inverse. Il est possible que cet état des choses soit en partie dû à l’accès à l’éducation.

En effet, le niveau d’éducation en Afrique est le plus inégal au Monde. Autrement dit, seulement une faible part de la population parvient à atteindre un niveau d’éducation donné. Par exemple en 2011, seulement 6% de la cohorte en âge d’aller dans l’enseignement supérieur y ont eu accès. De plus, le nombre moyen d’années d’étude en Afrique subsaharienne est de 4,3 années contre une moyenne de 6,2 années en Asie de l’Est en 2005[3]. Par conséquent, il est difficile de voir à travers l’augmentation de la part de la population jeune une opportunité de délocalisations des entreprises actuellement installées en Chine sans une réduction significative des inégalités dans l’accès à l’éducation et une meilleure orientation vers la formation professionnelle.

Notons toutefois que l’état des inégalités est assez hétérogène en Afrique. Dès lors, il est possible que certains pays notamment ceux d’Afrique anglophone bénéficient davantage de ces atouts que leurs voisins francophones. Par ailleurs, la Banque Africaine de Développement a publié très récemment un article sur la nécessité de prendre en compte les inégalités dans l’appréciation de la capacité du continent à réduire la pauvreté. Toutefois, cet article reste focalisé sur l’inégalité des revenus. Or comme le montre le tableau ci-dessus, l’inégalité du niveau d’éducation est plus importante et constitue par ailleurs un déterminant important de l’inégalité des revenus.

En conséquence, il est important de prendre en compte principalement les inégalités d’accès à l’éducation dans les programmes de développement en Afrique. Cela passe par des politiques et stratégies davantage orientées vers une meilleure offre en quantité et en qualité de l’éducation et de la formation professionnelle. Il en va de la capacité de l’Afrique à transformer ses atouts en opportunités réelles de développement.

Georges Vivien Houngbonon


[1] En Dollar des USA. Précisément 48,2% selon les données croisées à partir des sources de la Banque Mondiale et de la Banque Africaine de Développement

[2] En dépit du fait que les mesures utilisées conduisent à surestimer l’écart entre les deux zones géographiques.

[3] Même source que celle du tableau.

Crédit photo : Encyclopédie du Développement Durable