Zoom sur un pays : Guinée Équatoriale

Situation géographique de la Guinée Equatoriale

Situation géographique de la Guinée Équatoriale 

Lorsqu'il s'agit d'évoquer le palmarès des régions enregistrant les taux de croissance économiques les plus élevés de la planète, la plupart des observateurs s'accordent spontanément pour mentionner certains pays asiatiques, plus connus sous les vocables de dragons et tigres économiques (Chine, Corée du sud, Taiwan, Thailande, Vietnam, Inde, Philippines, Malaisie, Indonésie). Et il est vrai que la performance d'ensemble de ces nations conquérantes laisse souvent rêveur. Et pourtant, le recordman mondial de l'expansion économique au cours des vingt dernières années n'est pas asiatique, mais africain. Un lion plutôt qu'un dragon.

Un lion africain à la croissance rugissante…

Petit pays d'Afrique Centrale de 28.000 km², pour une population d'environ 500.000 habitants, la Guinée Équatoriale demeure peu connue du plus grand nombre. Un confetti de territoire noyé dans l'immensité du continent noir. Après avoir gagné son indépendance du colonisateur espagnol en 1968, le pays à longtemps vécu chichement des exportations de cacao, et des revenus de ses expatriés en Espagne, au Cameroun et au Gabon où ils occupaient le plus souvent les petits métiers délaissés par les nationaux. Les voisins gabonais et camerounais, condescendants à l'égard des ressortissants de cette chétive nation, les appelaient dans un mélange de morgue et de dérision, les équatos.

La logique aurait donc voulu que cette petite république poursuive son chemin sans bruit, loin des agitations et bouleversements de la scène mondiale. Le Destin en a décidé autrement : Les fées semblent s'être penchées sur le berceau de cette nation au début des années 90, avec la découverte d'importantes réserves de pétrole et de gaz naturel. Depuis, avec l'exploitation de ces nouvelles ressources providentielles, la croissance carbure à marche forcée aux hydrocarbures. Jusqu'en 1991, à la veille du grand bond en avant, le PIB de ce petit pays agricole et arriéré était dérisoire, s'élevant péniblement à 147 millions de dollars. Et puis, vient le miracle de l'or noir. Les découvertes importantes ont alors attiré les majors américains, qui y règnent aujourd'hui en maîtres. ExxonMobil, Hess, Marathon, Chevron sont désormais les premiers investisseurs dans le pays, et de très loin. Naguère ignoré, dorénavant propulsé quatrième producteur subsaharien derrière le Nigeria, l'Angola et le Soudan, le pays est devenu un véritable émirat tropical, envié et courtisé, propulsé en à peine deux décennies au coeur de la mondialisation.

Contribuant à 82% à la formation du PIB, le secteur pétrolier aura joué le rôle de thaumaturge, apportant dans son sillage le miracle de la croissance tant espérée. Les chiffres sont éloquents : entre 1991 et 2010, le PIB est passé de 147 millions $ à 14,547 milliards $ (estimations du FMI, voisines de celles de la banque mondiale et de la CIA), soit une progression de près de… 10.000 %. Sur le papier, le demi-millions d"équatos" peut aujourd'hui se targuer de dégager une richesse nationale annuelle supérieure à celle produite par le Sénégal et ses 13 millions d'habitants. C'est la plus forte croissance économique du monde et elle a de quoi donner le vertige. Il est vrai aussi que l'évolution est d'autant plus spectaculaire que le pays vient de très loin.

A l'extérieur, la nouvelle puissance financière de la Guinée Équatoriale a complètement rebattu les cartes du jeu géopolitique dans la sous-région. Autrefois parent pauvre au regard de ses voisins, qui n'avait que rarement voix au chapitre dans les pourparlers multilatéraux, le pays est aujourd'hui un acteur incontournable, capable de peser décisivement sur les plus grands dossiers. Le dernier en date étant l'épisode de la Banque des états de l'Afrique Centrale (BEAC), où suite à une sombre affaire interne de détournement de fonds, Malabo est parvenu à imposer sans coup férir son homme (Lucas Abaga Nchama). Qui paie commande, et la diplomatie équato-guinéenne l'a fort bien compris.

…mais aux fruits confisqués par une oligarchie

Alors, la Guinée Équatoriale, eldorado où il ferait bon vivre, contrée protégée où tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Le pays remplit a priori trois conditions jouant en faveur de son développement : Une importante manne pétrolière concentrée sur un petit territoire et au service des intérêts d'une faible population. On l'aura bien compris : Il est toujours plus facile de partager un imposant gâteau avec peu de convives autour d'une table que de distribuer d'infimes portions d'une chétive pâtisserie entre une horde de nécessiteux. Dont acte. La réalité est malheureusement fort différente.

Plateforme pétrolière en Guinée Équatoriale

En dépit du boom économique, près de 80 % de la population vit encore sous le seuil de pauvreté. Cruelle démonstration d'une ruée vers l'or noir qui, loin de profiter à tous, est d'abord l'affaire de quelques-uns. Voici un pays, dont le PIB par habitant fait aujourd'hui jeu égal avec celui de son ancien maître ibère, mais dont les conditions de vie font plus penser à l'Afghanistan ou à la Sierra Leone. Les indicateurs sociaux, dans leur quasi-totalité, se situent à des niveaux inférieurs aux moyennes continentales. L'espérance de vie à la naissance, en 2008, était de 50,3 ans, contre 54,2 pour l'Afrique dans son ensemble. Les dépenses en éducation et formation représentent 0,6% du PIB, ce qui se traduit par des infrastructures scolaires indignes de ce que l'on pourrait attendre d'une nation apparemment si favorisée. Autre conséquence de cette indigence en matière de formation, un lourd déficit en matière de compétences locales, ce qui se traduit par la nécessité de faire appel dans certains secteurs clés ( industrie pétrolière, santé, commerce…) à une main-d'oeuvre étrangère hautement spécialisée, et souvent payée à prix d'or. Quant à la santé, elle n'est pas mieux lotie. Révélateur de la difficulté qu'à encore le pays à protéger ses plus faibles citoyens, le taux de mortalité des moins de cinq ans a ainsi augmenté de 170 pour 1000 en 1999 à 206 pour 1000 en 2009. Le pétrole coule, mais pas l'eau, puisque seulement 43% de la population a accès à l'eau potable.

Pour les dignitaires du régime en revanche, les colossales richesses engendrées par le boom économique permettent toutes les extravagances. La vie est assurément fort différente pour ces privilégiés à qui tout est permis. A commencer par le premier d'entre eux, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, autocrate militaire au pouvoir depuis 1979, à la suite d'un coup d'état contre son propre oncle, Francisco Macias Nguema. Et aujourd'hui, c'est Teodorin Nguema Obiang, fils du président et héritier putatif de celui-ci qui est progressivement mis sur orbite. La Guinée Équatoriale, une vraie affaire de famille. Mais une affaire inique, où le partage léonin au profit d'une petite caste est la règle.

Teodoro Obiang Nguema, président de la Guinée Équatoriale

Magazine économique de référence, la revue américaine Forbes a évalué en 2006 à 600 millions de $ la fortune du chef d'etat Equato-Guinéen, le classant parmi les dirigeants politiques les plus riches de la planète, derrière le roi Abdallah d'Arabie Saoudite ou le sultan Hassanal Bolkiah de Brunei. Rien de moins.

Dans un rapport retentissant rendu public en juillet 2009, et comme pour faire écho aux précédentes supputations de la presse financière, les observateurs de Human Right Watch ne peuvent que constater, incrédules : « Le gouvernement de la Guinée équatoriale a pillé des milliards de dollars des recettes du pétrole au lieu d'améliorer les vies de ses citoyens». Intitulé "Well Oiled (Bien Huilé), le document est un implacable réquisitoire contre le régime actuel. Il doit donc être pris avec les nécessaires précautions que sa lecture impose, mais cela n'en demeure pas moins révélateur de graves dysfonctionnements.

De même, non contente de se servir plutôt que de servir ses concitoyens, l'oligarchie au pouvoir a également la fâcheuse tendance à décevoir nombre d'investisseurs étrangers, certains ayant déjà quitté le pays ou envisageant de le faire prochainement (cas des sociétés SGS, Veritas, Cotecna, Tractafric, Sogafric, SNC Lavallin). Initialement attirés par le séduisant mirage du miracle économique et depuis revenus de leurs désillusions, ces groupes internationaux, pourtant habitués à opérer sous toutes les latitudes, sont las de la corruption, de la fraude, de la lenteur des procédures administratives et de l'absence de personnel qualifié. Quand ce n'est pas de l'arbitraire pur et simple ( Exemples de la Commercial Bank du Cameroun et de sa compatriote Air Leasing Cameroon). Pour ceux qui restent, ne reste plus qu'à subir des conditions toujours plus désavantageuses ( délais de paiement incroyablement longs, dessous-de-table, bureaucratie tatillonne .. ). Révélateur de cet environnement difficile, le dernier rapport "Doing Business 2011" de la Banque Mondiale classe le pays 164e sur 183 pour la facilité à faire des affaires et même carrèment dernier lorsqu'il s'agit de fermer une entreprise (183e sur 183)…  

Et au-delà de cette prédation systématique et de la corruption omniprésente, quid de la démocratie et des droits de l'homme ? La démocratie est en droit pluraliste, avec une douzaine de partis politiques, mais le président a été réélu à 97% aux dernières élections de novembre 2009. Un score qui aurait fait la joie du Politburo soviétique. Les droits de l'homme quant à eux y sont le plus souvent à géométrie variable, et le chef de l'opposition (Severino Moto Nsa) s'est vu condamné à cent ans de prison par contumace pour une tentative de coup d'état en 1997, pour lequel son implication reste encore à démontrer. Le problème n'est pas tant au fond l'imperfection de la pratique démocratique (les exemples de nations au pouvoir autoritaire, mais au bilan social positif abondent tout au long de l'Histoire) que la formidable gabegie de l'élite au sommet de l'Etat, incapable de capitaliser sur les importantes ressources naturelles du pays pour assurer le bien-être de ses concitoyens. Si ce n'est le sien propre.

Pour être tout à fait juste et complet, le président Nguema semble avoir progressivement pris la mesure des risques liés à cette donne explosive, et un certain nombre de décisions gouvernementales récentes vont dans le sens d'une amélioration (programmes d'investissements massifs dans les infrastructures, transparence accrue, lutte contre la corruption…). Il était temps, et reste encore à voir si au-delà du simple effet de manche, cette nouvelle inflexion sera suivie de résultats probants.

En définitive, l'exemple de la Guinée Équatoriale est révélateur du complexe lien de causalité existant entre les variables que sont la croissance économique et le développement. Complexe, car bien que condition nécessaire à un développement collectif durable, la croissance en elle-même ne suffit pas à initier un cycle vertueux d'amélioration des conditions de vie. Ce n'est pas tant le niveau de croissance que l'usage raisonnée qui en est fait qui importe. A cette aune-là, le bilan du président Nguema est franchement médiocre. A la tête d'une petite nation faiblement peuplée mais pourvue de richesses importantes, il est resté prisonnier d'un schéma d'économie de rente, certes extrêmement profitable pour certains, mais condamné à terme lorsque les ressources s'épuiseront. Un archétype africain du syndrome hollandais que l'on aurait aimé éluder et qui pourrait parfois pousser à s'interroger à voix haute sur l'or noir. Le pétrole, malédiction ou bénédiction ? Il est en tous les cas une formidable tentation. Une chose est cependant sûre : la Guinée Équatoriale mérite mieux que ce qu'elle a connu jusqu'ici.

 

Jacques Leroueil