Ces chefs d’Etat à qui il faut dire « Dégage! »

Blaise Compaoré, sous ses airs de médiateur et de faiseur de paix dans les crises africaines, est un assassin de grand chemin. Au palmarès de son régime, le Président burkinabé compte Thomas Sankara, Henri Zongo et Jean Baptiste Boukary Lingani, mais aussi le journaliste Norbert Zongo et tout dernièrement le jeune Justin Zongo. Cet ancien parrain politique de Charles Taylor a aussi soutenu l’Unita en Angola et la rébellion ivoirienne. Son pays est une base arrière pour tous les conflits d’Afrique de l’Ouest et ce fourbe fait office de sage en Afrique. Quel triste sort que celui de ce continent ! Arrivé au pouvoir par coup d’état en octobre 1987, ce militaire a réussi à se faire élire à 4 reprises avec des scores de 80%, à coups d’intimidations, de fraudes massives et de tripatouillages constitutionnels. Il fait aujourd’hui face à des mutineries, y compris au sein de sa propre garde personnelle, et à de vives protestations de la part des étudiants et d’autres couches de la société. Il ne faudrait pas que son régime y survive. Blaise dégage !

Paul Biya dirige de main de fer son pays depuis 1982 et l’essentiel des 19 millions de Camerounais n’ont connu que lui. Il a réussi la prouesse de faire passer le Cameroun du statut de pays à revenu intermédiaire à celui de pays très pauvre et son régime a institutionnalisé la corruption en mode de gouvernance. Mais c’est surtout au plan politique que Paul Biya donne toute la mesure de son autoritarisme. Au début des années 1990, l’homme n’a concédé un semblant d’ouverture démocratique qu’au prix d’un massacre de plusieurs centaines de personnes. A la suite de sa volonté de supprimer la limitation des mandats présidentiels telle qu’initialement prévue par l’article 6.2, le roi fainéant a encore autorisé l’armée à tirer à balles réelles sur ses propres concitoyens fin février 2008. Depuis cette constitutionnalisation unilatérale d’une présidence à vie, ce catholique formé à Louis-le-Grand, à la Sorbonne et à Sciences Po Paris est devenu Biya l’Eternel. 2011 est une année d’élection présidentielle au Cameroun et il faut que Biya aussi dégage !

Denis Sassou Nguesso occupe les devants de la scène politique congolaise depuis…1979. Il n’a donné de répit à son peuple que pendant un intermède de 5 ans, juste le temps de perdre les élections de 1992 et de revenir en 1997, par les armes et avec le soutien de l’Angola, à la suite d’une guerre civile post-électorale extrêmement violente. C’est dire à quel point cet homme est obnubilé par le pouvoir. Que 70% de sa population vivent avec moins d’un dollar par jour alors que la manne pétrolière est captée par une petite minorité, cet homme n’en a cure. Il préfère organiser des simulacres d’élections et dilapider à New York ou à Paris l’argent de son peuple. Il est l’un des principaux chefs d’Etat impliqués dans l’affaire des biens mal acquis. Après la mort de son beau fils Omar Bongo, Sassou Ngesso est devenu le symbole vivant et dégoutant de plusieurs décennies de Françafrique. Sassou Ngesso dégage !

Eduardo Dos Santos est sans doute le plus grand voleur d’Afrique, en concurrence avec son homologue Obiang Nguema. Il a érigé un détournement systématique de la manne pétrolière de l’Angola à son profit. Un rapport de l’ONU a ainsi prouvé que plus de 4,5 milliards de dollars de recettes liées aux ventes de pétrole n’étaient pas déclarées dans le budget de l’Etat. La clique du MPLA au pouvoir et de leurs affidés est une véritable mafia, un tique qui suce le sang du peuple angolais. Malgré les richesses minières et pétrolières du pays, 60% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Malgré les immeubles haut-standing qui se construisent à Luanda, la majeure partie de la population de la capitale angolaise vit dans des bidonvilles indignes. L’Angola mérite mieux que cette classe politique qui a gardé ses réflexes prédateurs du temps de la guerre civile. Pour toutes ces raisons, Dos Santos dégage !

Teodoro Obiang Nguéma : Cet homme est une caricature ambulante. L’incarnation de l’Afrique bananière des bande-dessinées. Le fantôme contemporain des Bokassa et autres Mobutu Sesse Seko, en plus intelligent peut-être. Arrivé au pouvoir en 1979 par un coup d’Etat contre son oncle dont il était le chef d’Etat-major, Teodoro n’a eu de cesse depuis de faire de son pays sa propre ferme, des puits de pétrole équato-guinéens ses propres vaches à lait. Ses fils jouent les stars américaines à Hollywood tandis que les à peine 650 000 d’habitants de la Guinée-Equatoriale vivent privés de tout confort et manquant pour beaucoup du minimum vital. La Guinée Equatoriale est un eldorado pour quelques privilégiés et investisseurs étrangers, un enfer pour tous les autres. C’est peut-être le plus gros gâchis d’Afrique en rapport à son potentiel. Pour le bien du peuple équato-guinéen, Teodoro dégage !

Robert Mugabe est un Nelson Mandela qui a très, très mal tourné. Secrétaire Général de la Zimbabwe African National Union au début des années 60, alors que le pays est sous le joug d’une minorité blanche dirigée par Ian Smith, Robert Mugabe sera emprisonné pendant dix ans, de 1964 à 1974. Libéré en 1975, il rejoint le Mozambique d’où il participe à la lutte de libération du pays. La guerre terminée, Mugabe l’ancien prisonnier, le héros est élu Premier Ministre en 1980. Il opte pour la réconciliation nationale et forme un gouvernement d’union auquel participent toutes les fractions/partis rivaux y compris l’ancienne minorité blanche. Et puis, il y aura l’exacerbation des rivalités entre la ZANU et la Zimbabwe African Peoples Union, autre mouvement de résistance. Puis la Gukurahundi, la répression sanglante dès 1982 par les troupes de Mugabe des partisans de la ZAPU, quelques milliers de morts, beaucoup lors d’exécutions publiques. Et puis la fusion des deux mouvements en 1987. Puis la réforme agraire ratée, l’échec de la socialisation de l’économie, l’invasion du Congo, la catastrophe économique, sociale, alimentaire. Après viendront parachever le désastre, le tripatouillage des élections législatives et présidentielles en 2008. La répression des partisans de Tsvangirai. Et enfin le Robert Mugabe, autocrate sanguinaire, despote spoliateur, que l’on connaît aujourd’hui. Vraiment, Robert Mugabe doit dégager !

Mswati III. Sa majesté Mswati III. Ingwenyama. Le Lion. Chef de la tribu des Dlamini. 43 ans. 14 épouses. 24 Enfants. 200 frères et sœurs. Mswati, troisième du nom. Roi du Swaziland. Monarque absolu, dirige par décret et nomme le Premier Ministre et les Juges. 10% de la population swazi – essentiellement, la très large famille royale, ses alliés et obligés – concentre 60% de la richesse du pays. 69% des sujets du bon Roi Mswati III vivent avec moins d’un dollar par jour. 300.000 d’entre eux ne survivent que grâce à l’aide alimentaire mondiale. Les heureux habitants du royaume de Swaziland meurent en moyenne à 38 ans, à cause du fort taux de prévalence du VIH. Mswati III, né Prince Makhosetive (« Roi des Nations ») Dlamini, 67e fils du Roi Sobhuza II, a une fortune personnelle estimée à 100 millions de dollars et s’est alloué 13 millions d’euros, en 2004, sur les fonds publics, pour la construction d’une résidence pour ses épouses. Mswati III réprime aujourd’hui dans le sang les opposants et simples citoyens protestant contre la cérémonie prévue pour célébrer, toujours dans le faste le plus abject, les vingt-cinq ans de son arrivée au pouvoir. Faut-il encore préciser que Mswati III doit dégager ?

Le Makhzen. Nous ne serons pas plus royaliste que le roi. Dans leur grande majorité, les manifestants marocains ne demandent pas tant le départ du roi Mohamed VI que la fin du système monarchique archaïque qui a fait de l’arbitraire et des passe-droits la règle, des Marocains des sujets passifs et non des citoyens responsables. Le mouvement du 20 février, mouvement des citoyens qui appellent au changement, veut la fin de ce système, le makhzen. Ils veulent faire du Maroc non pas un pays qu’il fait bon visiter, mais un pays où il fait bon vivre. Ils devront faire face aux pesanteurs du système, dont le personnel politique, à commencer par le roi lui-même, compte bien rester en place. Ils devront donner tort à la célèbre formule du Guépard : « tout changer pour que rien ne change ». Il faut que le makhzen dégage !

Abdellaziz Bouteflika : Ce n’est pas insulter le rôle historique qu’a pu jouer Bouteflika dans l’histoire contemporaine de l’Algérie que de dire que son troisième mandat est le mandat de trop. Un vieillard retranché dans son palais ne peut pas diriger un pays jeune, dynamique, sous tension économico-sociale, en pleine mutation. Il faut quelqu’un auquel les jeunes générations puissent s’identifier, quelqu’un qui soit au centre de l’action et au milieu de son peuple, quelqu’un qui insuffle de l’énergie. Bouteflika est un dinosaure d’un autre temps. Il aurait dû quitter la scène au bon moment. Réformer le système avant qu’il n’y soit contraint par le peuple. Un système sclérosé, gérontocratique, élitiste, militariste, corrompu, auquel il faudra s’attaquer et réformer de fond en comble pour améliorer la redistribution des richesses au-delà des seuls investissements en infrastructures. Pour que la nouvelle Algérie puisse prendre son envol, Bouteflika dégage !

Omar el-Béchir : Le président soudanais est accusé de crimes contre l’humanité par le Tribunal Pénal International. Sous sa présidence, son pays a connu des massacres terribles au Darfour et une guerre civile meurtrière au Sud-Soudan. Qu’il les ait personnellement guidés ou non, Omar el-Béchir est responsable. Responsable de la division interne au Soudan ; de la haine attisée entre les différentes composantes de sa population. Héritier d’une autre époque, celle de l’islamisme d’Etat triomphant, Béchir s’est reconverti depuis dans le développement à coups de pétrodollars chinois. Paria de la communauté internationale, acteur central des intrigues et exactions des années sombres du Soudan, il est aujourd’hui un boulet pour son pays qui cherche à aller de l’avant et à tourner la page. Suffisant pour dire, Omar dégage !

Isayas Afewerki. Le parcours d’Isayas Afewerki est typique du « Père » de l’indépendance Africain, lorsque celle-ci a été acquise par la voie des armes. Après une guerre de trente ans contre l’Éthiopie, en 1991, l’Érythrée obtient son indépendance (de facto, l’accession officielle se fera deux ans plus tard). Afewerki à la tête de l’Eritrean People's Liberation Front, accède au pouvoir. Son armée devient le People's Front for Democracy and Justice, parti unique. La constitution rédigée en 1998 n’a jamais été implémentée. Afewerki dirige seul, emprisonne les dissidents (chaque fois plus nombreux et plus proches de lui), interdit la presse indépendante, a chassé les ONG internationales du pays et se livre depuis une dizaine d’années à un aventurisme militaire dans la région. Isayas Afewerki déclarait en mai 2008 : « les élections polarisent la société ». C’est pour cette raison qu’il a décidé de les « repousser » de trois ou quatre décennies. Isayas Afewerki… Dégage !

Yoweri Museveni dirige l’Ouganda depuis 1986. Il fit partie, dans les années 1990, avec Paul Kagamé, Meles Zenawi et Isayas Afewerki de la… « Nouvelle génération de Leaders Africains ». Tous quatre sont arrivés au pouvoir par les armes. Museveni avait pourtant bien commencé. Hormis une première période marxiste-léniniste, sa première décennie au pouvoir le voit organiser un système politique avec restriction de la représentation politique – les partis politique sont autorisés, mais les candidats se présentent en tant qu’individus, hors parti – certes, mais un gouvernement élargi et à composante multiethnique et une relative restructuration de l’économie. Puis, dans cette région troublée des Grands Lacs, il y eut la seconde Guerre du Congo – 5 millions de morts – la répression des mouvements rebelles – dont la sinistre Armée de Libération du Seigneur – la réforme constitutionnelle suspendant la limite de deux mandats, l’intimidation et l’emprisonnement des opposants. Yoweri Museveni est au pouvoir depuis vingt-cinq ans. Les fleurs de la « nouvelle génération » ont fané. Museveni doit dégager !

Abdoulaye Wade, au pouvoir depuis 2000 (seulement !), est un octogénaire sénile que sa mégalomanie a perdu. Après avoir fait rêver le Sénégal, il s’est attelé avec zèle à la dégradation de toutes les institutions publiques. Il a préféré humilier tous ceux que le pays comptait de compétents pour s’entourer d’ignares et de roublards de tous bords devenus les thuriféraires du régime. Il a ensuite confié la conduite du pays à son fils Karim pressenti pour lui succéder dans le cadre d’une dévolution monarchique du pouvoir. Au nom du père, du fils et du saint esprit ambiant, l’alternance politique est devenue une alternoce, cette course avide à qui s’enrichit le plus en un temps record. Malgré ses grandes idées pour l’Afrique, au Sénégal, sa stratégie de croissance accélérée est un échec patent. Ne pas arrêter ce vieillard et le clan qui l’entoure est un crime de non assistance à un pays en voie de sous-développement et de recul démocratique. Wade dégage !
 

Joel Té Léssia, Emmanuel Leroueil, Nicolas Simel Ndiaye

Zoom sur un pays : Guinée Équatoriale

Situation géographique de la Guinée Equatoriale

Situation géographique de la Guinée Équatoriale 

Lorsqu'il s'agit d'évoquer le palmarès des régions enregistrant les taux de croissance économiques les plus élevés de la planète, la plupart des observateurs s'accordent spontanément pour mentionner certains pays asiatiques, plus connus sous les vocables de dragons et tigres économiques (Chine, Corée du sud, Taiwan, Thailande, Vietnam, Inde, Philippines, Malaisie, Indonésie). Et il est vrai que la performance d'ensemble de ces nations conquérantes laisse souvent rêveur. Et pourtant, le recordman mondial de l'expansion économique au cours des vingt dernières années n'est pas asiatique, mais africain. Un lion plutôt qu'un dragon.

Un lion africain à la croissance rugissante…

Petit pays d'Afrique Centrale de 28.000 km², pour une population d'environ 500.000 habitants, la Guinée Équatoriale demeure peu connue du plus grand nombre. Un confetti de territoire noyé dans l'immensité du continent noir. Après avoir gagné son indépendance du colonisateur espagnol en 1968, le pays à longtemps vécu chichement des exportations de cacao, et des revenus de ses expatriés en Espagne, au Cameroun et au Gabon où ils occupaient le plus souvent les petits métiers délaissés par les nationaux. Les voisins gabonais et camerounais, condescendants à l'égard des ressortissants de cette chétive nation, les appelaient dans un mélange de morgue et de dérision, les équatos.

La logique aurait donc voulu que cette petite république poursuive son chemin sans bruit, loin des agitations et bouleversements de la scène mondiale. Le Destin en a décidé autrement : Les fées semblent s'être penchées sur le berceau de cette nation au début des années 90, avec la découverte d'importantes réserves de pétrole et de gaz naturel. Depuis, avec l'exploitation de ces nouvelles ressources providentielles, la croissance carbure à marche forcée aux hydrocarbures. Jusqu'en 1991, à la veille du grand bond en avant, le PIB de ce petit pays agricole et arriéré était dérisoire, s'élevant péniblement à 147 millions de dollars. Et puis, vient le miracle de l'or noir. Les découvertes importantes ont alors attiré les majors américains, qui y règnent aujourd'hui en maîtres. ExxonMobil, Hess, Marathon, Chevron sont désormais les premiers investisseurs dans le pays, et de très loin. Naguère ignoré, dorénavant propulsé quatrième producteur subsaharien derrière le Nigeria, l'Angola et le Soudan, le pays est devenu un véritable émirat tropical, envié et courtisé, propulsé en à peine deux décennies au coeur de la mondialisation.

Contribuant à 82% à la formation du PIB, le secteur pétrolier aura joué le rôle de thaumaturge, apportant dans son sillage le miracle de la croissance tant espérée. Les chiffres sont éloquents : entre 1991 et 2010, le PIB est passé de 147 millions $ à 14,547 milliards $ (estimations du FMI, voisines de celles de la banque mondiale et de la CIA), soit une progression de près de… 10.000 %. Sur le papier, le demi-millions d"équatos" peut aujourd'hui se targuer de dégager une richesse nationale annuelle supérieure à celle produite par le Sénégal et ses 13 millions d'habitants. C'est la plus forte croissance économique du monde et elle a de quoi donner le vertige. Il est vrai aussi que l'évolution est d'autant plus spectaculaire que le pays vient de très loin.

A l'extérieur, la nouvelle puissance financière de la Guinée Équatoriale a complètement rebattu les cartes du jeu géopolitique dans la sous-région. Autrefois parent pauvre au regard de ses voisins, qui n'avait que rarement voix au chapitre dans les pourparlers multilatéraux, le pays est aujourd'hui un acteur incontournable, capable de peser décisivement sur les plus grands dossiers. Le dernier en date étant l'épisode de la Banque des états de l'Afrique Centrale (BEAC), où suite à une sombre affaire interne de détournement de fonds, Malabo est parvenu à imposer sans coup férir son homme (Lucas Abaga Nchama). Qui paie commande, et la diplomatie équato-guinéenne l'a fort bien compris.

…mais aux fruits confisqués par une oligarchie

Alors, la Guinée Équatoriale, eldorado où il ferait bon vivre, contrée protégée où tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Le pays remplit a priori trois conditions jouant en faveur de son développement : Une importante manne pétrolière concentrée sur un petit territoire et au service des intérêts d'une faible population. On l'aura bien compris : Il est toujours plus facile de partager un imposant gâteau avec peu de convives autour d'une table que de distribuer d'infimes portions d'une chétive pâtisserie entre une horde de nécessiteux. Dont acte. La réalité est malheureusement fort différente.

Plateforme pétrolière en Guinée Équatoriale

En dépit du boom économique, près de 80 % de la population vit encore sous le seuil de pauvreté. Cruelle démonstration d'une ruée vers l'or noir qui, loin de profiter à tous, est d'abord l'affaire de quelques-uns. Voici un pays, dont le PIB par habitant fait aujourd'hui jeu égal avec celui de son ancien maître ibère, mais dont les conditions de vie font plus penser à l'Afghanistan ou à la Sierra Leone. Les indicateurs sociaux, dans leur quasi-totalité, se situent à des niveaux inférieurs aux moyennes continentales. L'espérance de vie à la naissance, en 2008, était de 50,3 ans, contre 54,2 pour l'Afrique dans son ensemble. Les dépenses en éducation et formation représentent 0,6% du PIB, ce qui se traduit par des infrastructures scolaires indignes de ce que l'on pourrait attendre d'une nation apparemment si favorisée. Autre conséquence de cette indigence en matière de formation, un lourd déficit en matière de compétences locales, ce qui se traduit par la nécessité de faire appel dans certains secteurs clés ( industrie pétrolière, santé, commerce…) à une main-d'oeuvre étrangère hautement spécialisée, et souvent payée à prix d'or. Quant à la santé, elle n'est pas mieux lotie. Révélateur de la difficulté qu'à encore le pays à protéger ses plus faibles citoyens, le taux de mortalité des moins de cinq ans a ainsi augmenté de 170 pour 1000 en 1999 à 206 pour 1000 en 2009. Le pétrole coule, mais pas l'eau, puisque seulement 43% de la population a accès à l'eau potable.

Pour les dignitaires du régime en revanche, les colossales richesses engendrées par le boom économique permettent toutes les extravagances. La vie est assurément fort différente pour ces privilégiés à qui tout est permis. A commencer par le premier d'entre eux, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, autocrate militaire au pouvoir depuis 1979, à la suite d'un coup d'état contre son propre oncle, Francisco Macias Nguema. Et aujourd'hui, c'est Teodorin Nguema Obiang, fils du président et héritier putatif de celui-ci qui est progressivement mis sur orbite. La Guinée Équatoriale, une vraie affaire de famille. Mais une affaire inique, où le partage léonin au profit d'une petite caste est la règle.

Teodoro Obiang Nguema, président de la Guinée Équatoriale

Magazine économique de référence, la revue américaine Forbes a évalué en 2006 à 600 millions de $ la fortune du chef d'etat Equato-Guinéen, le classant parmi les dirigeants politiques les plus riches de la planète, derrière le roi Abdallah d'Arabie Saoudite ou le sultan Hassanal Bolkiah de Brunei. Rien de moins.

Dans un rapport retentissant rendu public en juillet 2009, et comme pour faire écho aux précédentes supputations de la presse financière, les observateurs de Human Right Watch ne peuvent que constater, incrédules : « Le gouvernement de la Guinée équatoriale a pillé des milliards de dollars des recettes du pétrole au lieu d'améliorer les vies de ses citoyens». Intitulé "Well Oiled (Bien Huilé), le document est un implacable réquisitoire contre le régime actuel. Il doit donc être pris avec les nécessaires précautions que sa lecture impose, mais cela n'en demeure pas moins révélateur de graves dysfonctionnements.

De même, non contente de se servir plutôt que de servir ses concitoyens, l'oligarchie au pouvoir a également la fâcheuse tendance à décevoir nombre d'investisseurs étrangers, certains ayant déjà quitté le pays ou envisageant de le faire prochainement (cas des sociétés SGS, Veritas, Cotecna, Tractafric, Sogafric, SNC Lavallin). Initialement attirés par le séduisant mirage du miracle économique et depuis revenus de leurs désillusions, ces groupes internationaux, pourtant habitués à opérer sous toutes les latitudes, sont las de la corruption, de la fraude, de la lenteur des procédures administratives et de l'absence de personnel qualifié. Quand ce n'est pas de l'arbitraire pur et simple ( Exemples de la Commercial Bank du Cameroun et de sa compatriote Air Leasing Cameroon). Pour ceux qui restent, ne reste plus qu'à subir des conditions toujours plus désavantageuses ( délais de paiement incroyablement longs, dessous-de-table, bureaucratie tatillonne .. ). Révélateur de cet environnement difficile, le dernier rapport "Doing Business 2011" de la Banque Mondiale classe le pays 164e sur 183 pour la facilité à faire des affaires et même carrèment dernier lorsqu'il s'agit de fermer une entreprise (183e sur 183)…  

Et au-delà de cette prédation systématique et de la corruption omniprésente, quid de la démocratie et des droits de l'homme ? La démocratie est en droit pluraliste, avec une douzaine de partis politiques, mais le président a été réélu à 97% aux dernières élections de novembre 2009. Un score qui aurait fait la joie du Politburo soviétique. Les droits de l'homme quant à eux y sont le plus souvent à géométrie variable, et le chef de l'opposition (Severino Moto Nsa) s'est vu condamné à cent ans de prison par contumace pour une tentative de coup d'état en 1997, pour lequel son implication reste encore à démontrer. Le problème n'est pas tant au fond l'imperfection de la pratique démocratique (les exemples de nations au pouvoir autoritaire, mais au bilan social positif abondent tout au long de l'Histoire) que la formidable gabegie de l'élite au sommet de l'Etat, incapable de capitaliser sur les importantes ressources naturelles du pays pour assurer le bien-être de ses concitoyens. Si ce n'est le sien propre.

Pour être tout à fait juste et complet, le président Nguema semble avoir progressivement pris la mesure des risques liés à cette donne explosive, et un certain nombre de décisions gouvernementales récentes vont dans le sens d'une amélioration (programmes d'investissements massifs dans les infrastructures, transparence accrue, lutte contre la corruption…). Il était temps, et reste encore à voir si au-delà du simple effet de manche, cette nouvelle inflexion sera suivie de résultats probants.

En définitive, l'exemple de la Guinée Équatoriale est révélateur du complexe lien de causalité existant entre les variables que sont la croissance économique et le développement. Complexe, car bien que condition nécessaire à un développement collectif durable, la croissance en elle-même ne suffit pas à initier un cycle vertueux d'amélioration des conditions de vie. Ce n'est pas tant le niveau de croissance que l'usage raisonnée qui en est fait qui importe. A cette aune-là, le bilan du président Nguema est franchement médiocre. A la tête d'une petite nation faiblement peuplée mais pourvue de richesses importantes, il est resté prisonnier d'un schéma d'économie de rente, certes extrêmement profitable pour certains, mais condamné à terme lorsque les ressources s'épuiseront. Un archétype africain du syndrome hollandais que l'on aurait aimé éluder et qui pourrait parfois pousser à s'interroger à voix haute sur l'or noir. Le pétrole, malédiction ou bénédiction ? Il est en tous les cas une formidable tentation. Une chose est cependant sûre : la Guinée Équatoriale mérite mieux que ce qu'elle a connu jusqu'ici.

 

Jacques Leroueil