Régénérer le génie de l’Islam

mosquee_Dakar_SenegalPour faire dans la rapide confession, je ne suis pas un religieux, je ne crois pas en Dieu. Sans même me réfugier ni dans l’athéisme ni dans l’agnostisme, je vis le monde avec d’autres mystiques et d’autres retraites spirituelles assez sympathiques. L’idée de Dieu, pour reprendre un mot de Desproges, « ça me dépasse, je ne comprends pas ». Ça me convient assez bien au final. L’existence sans Dieu n’a pas l’air d’accabler ma vie, d’en amoindrir le sens, ni de faire de moi un vulgaire mécréant.

Mais j’ai une tendresse pour l’Islam. Un amour d’ordre historique, culturel, si indéfectible que les agissements de ceux qui se font les hérauts de l’Islam actuellement dans le monde, m’engagent dans leurs forfaits. Je le vis assez mal. Elevé dans une tradition musulmane, bercé aux mélodies coraniques, conférencier déclamateur de la beauté des sourates à l’âge tendre, j’ai vécu dans la douceur de St-Louis au Sénégal un Islam de fêtes.  En ouvrant un œil sur le monde, à la faveur du temps qui passe, le miel de cette religion s’est vu couvert par le dogme, l’asservissement, et, mouture plus récente et plus actuelle, le crime.

J’écrivais il y a quelques années que le Coran était l’inextricable dénominateur commun entre les familles de musulmans, modérés et extrémistes confondus. On trouve en effet dans le Livre nourriture pour tout : et le crime, et la bienveillance. Large spectre, où viennent se dissimuler les extrémistes. Habiles manœuvres qui sèment le trouble. Et cette relative opacité, tant qu’elle demeurera en l’état, présidera à des horreurs industrielles, et plus grave, condamnera ceux qui vivent leur foi même dans la paix et la communion ; au silence voire à la coresponsabilité.

Il faut désencastrer l’Islam de ce siège qui est en train d’en colorer de sang la grandeur, d’en dévoyer le message, et in fine, de ne faire de cette religion que celle des bourreaux et des égorgeurs. Je ne pense pas être comptable de la macabre exécution de James Folley, mais j’ai conscience que les musulmans, dans leur grande majorité silencieuse, pieds et poings liés par les ignominies de leurs frères, ne pourront éternellement se dérober à la responsabilité de faire le ménage au sein de la grande famille. On ne pourra comme c’est souvent le cas, avec dédain et distance, dire que les tueurs ne sont pas de bons musulmans, qu’ils sont une excroissance bénigne, non, l’Islam actuellement, au regard du monde, est aussi et surtout, incarné par ces gens qui en ont trusté les premières places et en portent l’étendard sanglant.

Il faut les combattre, inlassablement, sur trois terrains. Celui de la clarté et du refus de l’ambiguïté, qui signifie l’appropriation des valeurs de progrès, de droit des femmes, de refus de l’endoctrinement, la claire dénonciation de ces terroristes, sans réserves. Celui, plus dur, philosophique, sur l’interprétation et l’exégèse des textes, pour les arrimer aux réquisits de notre siècle. Enfin, celui de l’universalisme au nom de l’Homme, qui gomme non pas les différences, mais les barrières, pour amortir les chocs communautaires.

Ces trois terrains sont les dernières aires de combat où les musulmans peuvent encore regagner leur religion. Sans cela, la grande fondation de la famille-islam restera toujours poreuse,  sujette aux risques de radicalisation. Il faut bien en arriver là, quelque abrupte que cela puisse être : les musulmans modérés, ce sont très souvent des fanatiques mous, des fanatiques passifs, qui peuvent en un tournemain, passer à l’épée. Par crispation et étroitesse d’esprit, on veut voir dans cette sentence une stigmatisation. Ce simplisme hostile est confondant de bêtise. Partout où les entités terroriste ont régné, il y avait déjà un terreau favorable. Les luttes d’émancipations religieuses chez les musulmans font défaut pour une raison : la critique de l’islam en terre musulmane, de Salman Rusdie à Oumar Sangharé, reste le dernier bastion du tabou et de la mise au ban. Cette omerta, la frustration qu’elle engendre, les libertés qu’elle bâillonne est très encline, à la moindre secousse, de virer dans le fanatisme vengeresse et tueur.

J’ai toujours milité pour que l’Islam soit la famille marocaine ou la famille sénégalaise ou une autre, qui amène son amour au banquet du monde, et non l’Etat Islamique. Je le dois à mon enfance. Je refuse que les mélodies qui m’ont bercé soient les mêmes que celles qui enivrent les tueurs. Que l’incantation des tueurs soit la même que les protocoles bienveillants des vendredi après-midi. Il appartient aux musulmans et à eux seuls de les dissocier. Vaste chantier dont on ne fera l’économie mais dont on tarde à enclencher le processus. Il est à ce prix la régénération du génie de l’Islam.