Ken Bugul : Riwan ou le chemin de sable

Ken BugulIl s’agit de ma première lecture de cette romancière originale. J’ai pris mon temps. Il faut dire que Ken Bugul est un nom que je connais depuis les années fac, quand je m’essayais à l’art du théâtre avec des amis étudiants à Brazzaville. Pour une raison que j’ai oublié Ken Bugul était associée à la pièce de théâtre L’intrus de Bilal Fall que nous interprétions, à l'époque. Les portraits ou commentaires que j’avais pu glaner çà et là sur cette écrivaine sénégalaise me laissaient penser qu’on ne sortait pas indemne d’une lecture d’un de ses ouvrages. Comment pourrait-il en être autrement d’un auteur qui revendique sa marginalité jusque dans le choix de son nom d’artiste (Ken Bugul signifie " personne n’en veut " en ouolof)?

Dans Riwan ou le chemin de sable, elle délivre sa propre expérience de femme lorsqu’elle devint la 28 épouse d’un grand Serigne, un guide spirituel influent dans les communautés musulmanes sénégalaises. Cette intellectuelle qui a parcouru le monde, et qui s’est abreuvée à des sources de savoirs multiples rentre éreintée sur ses terres, dans l'arrière pays et se prend d’amitié avec ce marabout. Elle découvre avec une fascination certaine la cour de cet homme faite de nombreuses femmes, belles, âgées, adolescentes, vieilles, bruyantes, timides, altières. Elle s’interroge :

Ce qui me frappait ici, dans cette cour, c’était l’apparente sérénité qui y régnait. Comment huit, douze femmes, pouvaient-elles partager la même chambre et le même homme ? Moi qui appartenais à la classe de celles qu’on disait allées à l’école des Autres, je ne pouvais pas comprendre cela et encore moins l’admettre. Avec tous les hommes que j’avais fréquentés, la jalousie, avouée ou étouffée, m’avait rongée jusqu’à l’os et elle m’était plus familière que tout autre sentiment. Comment ces femmes, la plupart belles, jeunes, pouvaient elles vivre dans la même cour ? Pourtant c’était dans une cour partagée par deux femmes que j’étais moi-même née. Mais de cela non plus je ne voulais plus me souvenir. On m’avais appris là-bas à rêver d’une cour différente, une cour où je serais seule.

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Avant de brosser son propre portrait et son entrée dans la cour, Ken Bugul prend le temps de décrire les différents ressorts d’une union matrimoniale dans son pays, le mariage arrangé, la virginité et le code de l’honneur associé. Elle partage ensuite deux expériences, celle d’une amie d’enfance, Nabou Samb qui a eu un mariage de rêve et celle Rama, fille de Mbos qui fût " livré " par sa famille au Serigne. A peine pubère. Rama va être initiée, s’épanouir et devenir femme auprès de cet homme avant de passer aux oubliettes. Elle n’est plus appelé. La plume de Ken Bugul décrit avec beaucoup de finesse l’amertume et la soumission de Rama. En intégrant la cour du Serigne, la narratrice découvre la volupté. Avec l’homme. Et au contact de ses femmes. Elle se réconcilie avec elle-même. Nouvelle favorite du Marabout, son regard évolue. Elle est cependant consciente que la dimension spirituelle de la relation de ces femmes avec le Serigne est un facteur important dans la sérénité qui règne dans cette cour.

Je ne cherchais pas quelqu’un seulement intelligent, je cherchais quelqu’un qui avait vécu, qui avait souffert, non pas seulement de sa propre misère mais de celle des autres, quelqu’un qui avait joui, non seulement de son propre plaisir mais aussi de celui des autres, un homme sensible au sourire et à la larme d’un enfant (…) Ces théories de liberté, d’émancipation, désintégraient les relations car elles détruisaient la tendresse. En plus de la destruction de la tendresse, l’impossibilité d’apprécier une démarche, des gestes beaux, la finesse d’une main, une brise de parfum virevoltant, toute cette gestuelle dans un verre d’eau qu’une femme tendait à un homme…

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Riwan

Dans un style sobre où les certitudes côtoient les interrogations de la narratrice, où la sensualité de cet univers de femmes est brossée avec la magie de Ken Bugul, le lecteur a un champ de découvertes et de réflexions intéressant. Il observe également les apparentes contradictions de l’auteur qui ne font que souligner la relativité du point de vue que l’on peut porter sur le paysage humain qu’elle nous décrit. Je me suis personnellement régalé en lisant ce roman (ou récit) tout en échangeant avec mes amis soninkés de certains points qui m’échappaient. La fin de l’ouvrage est à l’image de l’ensemble de l’œuvre : déroutante. Ken Bugul que l’on aurait pensé plus progressiste y offre un conservatisme cloisonnant. Faites-vous votre propre idée. Elle a obtenu le Grand Prix de Littérature d’Afrique noire 1999 suite à la publication de cet ouvrage. Bonne lecture

 

Ken Bugul, Riwan ou le chemin de sable Présence Africaine, 223 pages

1ère parution 1999

Photo de Ken Bugul par Sir Realist