Interview avec Ndèye Dagué DIEYE sur la situation des personnes handicapées au Sénégal

Actuellement responsable de la division Promotion Sociale des Personnes Handicapées au sein du ministère de la santé et de l’action sociale du Sénégal, Mme DIEYE milite depuis 30 ans en faveur de l’amélioration des conditions de vie des personnes en situation de handicap. En 2002, cette militante de cœur, Présidente du Comité des Femmes de la Fédération Sénégalaise des Associations de Personnes Handicapées, a été nommée innovatrice ASHOKA pour l’intérêt public. Mme DIEYE répond aux questions de Terangaweb sur son parcours, la situation des personnes handicapées, le regard que porte sur elles la société sénégalaise ainsi que les politiques publiques les concernant.

Terangaweb : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et nous parler de votre parcours ?

Mme DIEYE : Je suis membre de l’Association Nationale des Handicapés Moteurs du Sénégal depuis 1984 et présidente de la première section féminine de cette association. Enseignante de formation, je suis sortie de l’école normale des jeunes Filles Germaine Le Goff de Thiès. Durant ma première année de service, je fus affectée à Mbour ma ville natale, où j’ai adhéré à l’association nationale des handicapés moteurs du Sénégal. J’ai ainsi beaucoup milité à travers des actions de terrain telles que la sensibilisation au niveau des villes et villages du département de Mbour. Avec l’appui des partenaires, nous avons eu beaucoup de réalisations au profit des personnes handicapées (siège fonctionnel avec internat, maternelle, habitations pour certains leaders). Nous avons notamment beaucoup travaillé au rapprochement des enfants handicapés de leur habitation, à la dérogation de l’âge scolaire, à l’octroi de fournitures scolaires, de bourses d’études, etc. C’est après dix années de militantisme à Mbour que j’ai rejoint mon mari à Dakar où j’ai continué mes activités au sein de l’association.

Avec le comité national, nous avons aussi réalisé d’importants projets, aussi bien sur le plan national (élaboration de plans d’action, séances de sensibilisation, de lobbying, de plaidoyer, renforcement des capacités, participation active à l’élaboration des textes en faveur de personnes handicapées) qu’international (participation à des forums, séminaires sur les personnes atteintes de handicap en général et les femmes handicapées en particulier).

Après avoir servi au niveau du centre Talibou Dabo (un centre pour enfants handicapés physiques-NDLR), j’ai été affectée, en 2009, à la direction de l’action sociale, au sein de la division promotion sociale des personnes handicapées pour être non seulement plus proche de la cible mais aussi pour avoir plus de possibilités d’action par rapport à leurs dossiers de prise en charge et participer à l’élaboration de politiques et programmes les concernant. Au sein du ministère de la santé et de l’action sociale, je suis aujourd’hui responsable de la division Promotion Sociale des Personnes Handicapées, tout en étant par ailleurs Présidente du Comité des Femmes de la Fédération Sénégalaise des Associations de Personnes Handicapées.

Terangaweb : Quelles sont les raisons qui ont motivé votre engagement et quelles sont aujourd’hui les principales actions que vous menez au sein de votre association ?

Mme DIEYE : Lorsque j’ai été admise à l’Ecole normale des Jeunes Filles à Thiès, on a voulu m’exclure de l’école, soit disant parce que j’étais inapte à enseigner du fait de mon handicap. Et c’est après une lutte acharnée – avec notamment l’aide de mon père adoptif – que j’ai pu exercer. Cette expérience a véritablement constitué un moment fort de ma vie. Mon adhésion à l’association nationale des handicapés moteurs du Sénégal m’a confortée dans cette position : les personnes handicapées ne sont pas des citoyens à part mais des citoyens à part entière, avec donc des droits et des devoirs.

Au niveau de l’association, j’ai pu constaté à quel point de nombreuses personnes handicapées sont laissées à elles mêmes, souvent victimes de marginalisation avec une forte exposition à la pauvreté sous toutes ses dimensions. Au fur et mesure qu’on les amenait à se structurer à travers la sensibilisation, la formation à certains métiers et l’insertion professionnelle, on a pu noter des résultats positifs.

D’autre part, nous octroyons des fournitures et cadeaux aux enfants handicapés et autres enfants vulnérables tout en sensibilisant fortement les parents sur la nécessité de les envoyer à l’école. En outre, des causeries sont organisées sur la santé de la reproduction des femmes handicapées (planning familial, visites prénatales, etc.), sur la lutte contre le SIDA. Des activités génératrices de revenus ont aussi été mises en place pour les femmes handicapées (salon de coiffure, de couture, restaurants, petits commerces).

Par ailleurs, nous avons effectué du lobbying et organisé de nombreux plaidoyers ainsi que des campagnes de sensibilisation et d’information. Nous participons également aux grandes journées nationales telles que celles dédiées à la lutte contre la poliomyélite et à la lèpre. Dans le cadre de ce travail de mise en exergue de la question du handicap, nous avons aussi mis sur pied des ateliers pour l’appropriation des lois concernant les personnes handicapées (loi d’orientation sociale, convention internationale sur les droits des personnes handicapées).

Terangaweb : Existe-t-il au Sénégal des politiques publiques en faveur des personnes en situation de handicap (prise en charge de soins, insertion professionnelles, etc.) ?

Mme DIEYE : En matière de santé, une lettre de garantie est délivrée aux personnes handicapées pour leur prise en charge médicale (soins, analyses, hospitalisations, interventions) au niveau des hôpitaux agréés par l’Etat dans ce domaine.
Pour ce qui est de l’emploi, il existe un quota spécial de 15% pour le recrutement des personnes handicapées dans la fonction publique.
De façon plus générale, il existe un programme national de réadaptation à base communautaire qui s’articule autour de quatre volets : l’appareillage, le financement d’activités génératrices de revenus, le renforcement de capacités, les études et recherches sur le handicap. L’Etat attribue aussi des subventions aux organisations de personnes handicapées et aux structures d’encadrement.
Enfin, en ce qui concerne la législation, le Sénégal a ratifié la Convention Internationale sur les droits des personnes handicapées. Sur le plan national, le Sénégal a élaboré la loi d’orientation sociale en faveur des personnes handicapées. Cette loi nationale a pris en compte toutes les préoccupations des personnes handicapées (santé, éducation, formation, emploi, transport, accessibilité…). Trois décrets d’applications sont déjà élaborés et attendent d’être signés.

Terangaweb : Au delà des mesures que peuvent prendre les pouvoirs publics, les populations n’ont-elles pas un rôle primordial à jouer dans la prise en charge des personnes handicapées, à commencer par le regard que la société peut porter sur elles ?

Mme DIEYE : Les populations ont un rôle important à jouer en faveur de l’intégration des personnes handicapées. Cela doit d’abord passer par la famille qui, très souvent, tombe dans deux travers qui portent préjudice à la personne atteinte de handicap: soit elle délaisse l’enfant handicapé pensant qu’il ne peut rien faire, soit il le surprotège.
Le regard de l’autre vient encore accentuer ces préjugés qui ne font que freiner le processus d’intégration des personnes en situation de handicap et créer davantage de marginalisation. Plutôt que de mettre l’accent sur les incapacités des personnes handicapées, la société devrait privilégier leurs capacités et les accompagner.
S’il est vrai que la mise en œuvre de la loi d’orientation sociale élaborée pour les personnes handicapées nécessite un apport considérable de l’Etat, il faut aussi, de la part de l’ensemble de la société, une forte implication accompagnée d’un changement de mentalité pour vaincre les préjugés.

Terangaweb : Le Président de la République Macky Sall a placé au cœur de son programme la santé avec notamment la mise en place d’une couverture médicale universelle. Avez-vous un espoir de voir les problématiques liées au handicap être mieux prises en charge par les pouvoirs publics ?

Mme DIEYE : La mise en place d’une couverture médicale universelle est une décision bien accueillie par les personnes handicapées car la santé demeure un besoin essentiel et certaines personnes handicapées éprouvent d’énormes difficultés dans ce domaine.

Il reste cependant judicieux de noter que la question du handicap constitue une problématique transversale : les personnes handicapées ont certes des problèmes de santé, mais elles ont aussi des difficultés d’emploi, de formation, de transport, d’habitat. En d’autres termes, elles ont tous les problèmes que rencontrent les êtres humains mais que vient accentuer leur situation de handicap. C’est pourquoi la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées et la loi d’orientation sociale en faveur des personnes handicapées constituent des instruments juridiques conçus en tenant compte de toute la transversalité de la question. Donc ce que nous demandons pour une égalisation des chances pour les personnes handicapées, c’est leur application. En avant pour la signature des décrets d’application et la mise en œuvre effective de la loi.

Interview réalisée par Khady Marième