Innover dans la lutte contre le paludisme : un enjeu planétaire

Le paludisme est une maladie qui menace 3,2 milliards de personnes, soit près de la moitié de la population mondiale. Si la pandémie est en net recul ces dernières années (avec un déclin de 37%), l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estimait qu’il y avait en 2015 plus de 200 millions de cas, ayant engendré près de 500.000 morts. La plupart des décès enregistrés sont des enfants vivant en Afrique (70% des enfants de moins de 5 ans d’Afrique subsaharienne sont menacés).

Au XXIe siècle, à l’heure où la recherche dans le domaine de la santé peut être considérée comme à son apogée grâce à l’avènement des outils de biologie moléculaire, aucun vaccin candidat à l’endiguement du paludisme n’est disponible à ce jour. Plusieurs projets à travers le monde focalisent leurs recherches sur la combinaison d’une série de molécules, qui à travers des interactions en synergie, seraient capables d’agir en tant que vaccin efficace. Pourtant en imaginant une analogie avec la poliomyélite, une maladie contagieuse à l’origine de millions de victimes au cours du XXe siècle, l’éradication du paludisme ne semble pas encore sur la voie du succès.

Considérée comme l’un des plus beaux exploits imputables à la recherche,  la poliomyélite fut éradiquée à 99% suite à une campagne de vaccination de masse permettant de déclarer l’épidémie vaincue depuis 2008. Il demeure cependant des pays endémiques où la poliomyélite constitue encore une menace pour les enfants les plus vulnérables dans ces régions marginalisées. Des vagues événements aléatoires mais récurrents tels que l'épidémie de maladie à virus Ebola ou récemment le virus Zika, qui en plus d’occuper une place dominante dans les médias, viennent perturber des systèmes de santé pourtant déjà fragiles dans les pays concernés. Il devient alors difficile de lutter sur plusieurs fronts de façon simultanée.

Ainsi la plupart des systèmes focalisent leurs initiatives sur des actions prioritaires avec à la clé des résultats visibles à court terme aux dépends des enjeux qui s’étalent dans le temps et qui souffrent parfois d’un désintérêt préoccupant tels que l’épidémie du paludisme ou celle du VIH. Contrairement au cas de la poliomyélite où la recherche a rapidement convergé vers le développement d’un vaccin, le paludisme ne fut pendant longtemps considéré qu’à travers des mesures de prophylaxie passives. 

Tout au long du XXème siècle, les prouesses biologiques associées au paludisme sont souvent en rapport avec la malaria-thérapie. Avant l’essor des antibiotiques, et grâce à sa capacité à engendrer de fortes fièvres, le protozoaire paludéen était utilisé pour traiter certaines pathologies telles que la neurosyphilis, la chorée ou encore la schizophrénie.

L’échec du premier vaccin testé en 1986 retarda considérablement les objectifs et les attentes des différents programmes lancés par l’OMS pour défier l’épidémie. Il demeure néanmoins des équipes de chercheurs qui en font une priorité et on a vu se multiplier, au cours des vingt dernières années, des essais cliniques pour élaborer un éventuel vaccin. Même s’il apparaît aujourd’hui encore impossible d’imaginer un monde sans paludisme, les espoirs récents laissent à penser qu’on s’en approche.

Les progrès en matière de sciences, technologies et communications permettent de concevoir des approches innovantes.  À l’image du Dr. Youyou Tu, couronnée d’un Nobel de médecine en 2015, pour récompenser la mise au point d’un traitement efficace et novateur combinant médecine moderne et ancestrale à base d’artémisinine, substance active isolée à partir d’une plante poussant en Chine. Il s’agit de l’antipaludéen le plus efficace à ce jour et donc le plus répandu. Par ailleurs, la biologie de synthèse a rapidement contré les répercussions écologiques que pourrait susciter son épuisement. Ainsi certains obstacles rencontrés par le passé, pourraient être aujourd’hui surmontés, ce qui permettrait de raviver les espoirs de voir un jour le développement d’un vaccin efficace.

S’inscrivant dans cette lignée, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a émis un avis favorable, fin 2015 pour le lancement d’un nouveau vaccin. Bien qu’elle n’ait pas émis d’avis définitif, l’OMS vient d’encourager depuis mars 2016, des essais supplémentaires dans certaines régions d’Afrique subsaharienne. Ceci en dépit du fait que les résultats parus suite aux précédents essais cliniques ayant concerné sept pays africains n’offraient qu’une protection modeste et limitée sur les enfants de moins de 5 ans ayant reçu ledit vaccin.  

Dans le monde de la recherche les chemins sont souvent longs, multiples, hasardeux et couteux. Cependant une fois la mise au point d’un vaccin compétent, utilisable à grande échelle et capable de contrer les différentes souches virales, l’espoir d’une éradication n’apparaît plus alors comme utopique. Les campagnes de vaccination de masse permettent d’obtenir des résultats concluants dans des délais plus qu’acceptables. Ainsi le succès de l’endiguement de la poliomyélite s’inscrit dans la continuité de celui d’une autre maladie infectieuse d’origine virale : la variole. De plus, les programmes de vaccination se chevauchent parfois ce qui permet encore aujourd’hui de combiner les phases d’endiguement et de surveillance de la variole avec celle de l’éradication de la poliomyélite. Sur ce modèle on peut imaginer dans le futur la combinaison de la surveillance de la poliomyélite avec l’éradication du paludisme.

Les succès consécutifs dans la lutte contre les épidémies de la variole suivie de la poliomyélite ont été possibles grâce au concours et aux engagements fournis par l’ensemble des parties concernées à commencer par les parents et passant par les États pour arriver à une action coordonnée de la communauté internationale. Ce succès reflète également le plus grand engagement en faveur de la santé publique avec une double alliance entre des secteurs souvent rivaux. Avec d’une part le secteur public, représenté par les gouvernements et les institutions Onusiennes. D’autre part le secteur privé incarné par des donateurs appuyés par quelque 20 millions de bénévoles. Parmi les plus actifs, la Fondation Bill et Melinda Gates qui, après avoir contribué massivement dans le passé, s’engage aujourd’hui dans la lutte contre le paludisme.

Enfin, il est certain que le contexte géopolitique actuel n’est pas comparable à celui ayant favorisé les éradications dans les années 1970 à 1990. En effet, pour prétendre à des résultats optimums il faut être en mesure de vacciner chaque enfant. L’UNICEF met en avant le fait qu’un seul enfant non vacciné expose au danger 200 autres. Or des facteurs externes comme la croissance démographique ou encore la multiplication de conflits dans les zones les plus à risques compliquent l’accès aux régions touchées.

Bien souvent, le paludisme demeure une cause négligée par les économies des pays endémiques. Pourtant d’après un rapport du Forum économique mondial (FEM), il existe bien des effets retardateurs de croissance (-1.3%) dans les pays à forte prévalence paludéenne. Ceci en dehors du fait que la prise en charge du paludisme, aussi insuffisante soit-elle, coûte environ 0,6% du PIB de l’Afrique subsaharienne.

Au-delà de son impact sur l’économie et la santé des populations, le paludisme demeure un frein dans l’amélioration des conditions de vie. Par conséquent un pas significatif vers l’éradication de l’épidémie permettra d’envisager une avancée majeure dans la lutte contre la grande pauvreté.

Pendant la lecture de cet article, 5 enfants sont morts victimes du paludisme. Pourtant il existe des mesures articulées autour des 3Ts (Test, Treat, Track) préventives mais surtout curatives. En attendant une campagne de vaccination efficace, et avec une moustiquaire qui coute aujourd'hui 5$, un test de diagnostic rapide à 50 centimes ou encore un traitement antipaludéen à 1$, comment est-il encore possible qu’un enfant meurt chaque minute dans le monde?

 

Ibtissem Kaid-Slimane