Ces manuscrits qui ne racontent pas leur histoire

L’Afrique est le temple de l’oralité a-t-on martelé. L’histoire africaine repose en grande partie sur des récits oraux, peu de témoignages écrits. Les griots sont notamment les seuls dépositaires de notre mémoire. J’ai même cru entendre que je ne suis pas rentré dans l’histoire…

Depuis que le nord du Mali est contrôlé par les extrémistes islamistes, on parle d’une certaine menace qui plane sur les manuscrits de Tombouctou. Ces manuscrits sont des textes rédigés en arabe et en langues locales (des langues notamment peules transcrites en alphabet arabe) sur des omoplates de chameaux, des peaux de moutons, de l'écorce et parfois du papier dont les plus anciens datent des XIIe et XIIIe siècles et les plus récents du XVIIIe ou XIXe siècle. Ils sont à l’exemple de la mémoire collective africaine dispersés un peu partout. A Tombouctou et ses environs, d’où leurs noms mais aussi dans tout le grand Sahara. Leur nombre fait débat. Ce sont des dizaines, voire des centaines de milliers de documents dont on estime que seulement 1% sont traduits et 10% catalogués. Ceux qui sont répertoriés sont en partie conservés dans des bibliothèques privés notamment à Tombouctou .

Il y a une rupture entre une élite de l’Afrique subsaharienne essentiellement francophone ou anglophone et une partie de sa mémoire écrite dans une langue dans laquelle elle n’a pas été formée. S’il y a une connexion avec le savoir issue de ces « siècles des lumières africains », elle s’est faite principalement par le biais des écoles religieuses. Dans la lignée de leurs références, on trouve les érudits de l’époque. Or ces fameux manuscrits ne sont pas que des écrits religieux. Ils vont de traités de médecine, de gouvernance, aux récits de société, des correspondances, des factures de commerce…témoignage d’une certaine civilisation. Les populations qui ont en leur possession ces documents sont en grande partie illettrées. Elles ont des attaches quasi-mystiques avec ces documents légués par leurs ancêtres même lorsqu’elles ne comprennent pas ce qui y est rédigé. Pour peu qu’on tienne compte de leur susceptibilité, on comprend pourquoi ces populations hésitent à étaler leurs « trésors » et les difficultés rencontrées dans la récupération de ces manuscrits. D’ailleurs un dilemme se pose dans la situation actuelle : faut il parler de ces manuscrits et leurs valeurs au risque d’attiser les convoitises et susciter des trafics de tout genre? Faut-il se taire au risque de les voir détruits ou brûlés par ces fondamentalistes maîtres des lieux capables de les décréter hérétiques? Au delà, il y a une certitude. Ces écrits recouvrent un pan de l’Histoire. Ils doivent être exploités et nous raconter une partie de notre histoire complètement oubliée ou occultée. 

Des efforts sont faits pour valoriser et exploiter ces documents. Avec beaucoup de volonté, des grandes familles ont mis à la disposition des chercheurs des manuscrits qu’elles possédaient ou qu’elles ont récupérés et conservés dans leurs bibliothèques privées. L’Université de Bamako dispose d’un département en langue arabe qui peut fournir des étudiants capables de travailler sur ces manuscrits. Quelques fondations américaines notamment et très peu d’Universités s’intéressent à la question. Ces efforts sont à encourager.

C’est une formidable opportunité de travail intellectuel qui s’offre à nous. Il ne s’agit pas d’un trésor malien mais d’une richesse africaine et mondiale. A l’exemple de ce qui existe déjà, au niveau régional, les pays du Maghreb et les pays subsahariens peuvent renforcer davantage leur coopération dans le domaine universitaire en formant les compétences nécessaires pour faire la traduction et le traitement de ces documents. A cette prise en main de la question par les africains s’ajouteront les efforts à l’échelle globale. Le plus important est de dire à tout écolier et écolière, collégien et collégienne, lycéen et lycéenne de chaque pays d’Afrique, toi aussi tu as une belle histoire écrite et orale dont même l'impétueux vent du Sahara n’a pu effacer la trace. C’est ainsi que naîtront le désir de la découverte, la prise de conscience et l’enthousiasme de s’approprier sa propre histoire.

Habib Koité a chanté « Tombouctou, le puits de l’espoir ». Tu es aussi un puits de savoir et tes enfants veulent boire de ton eau.

Djamal HALAWA