« Aucun pays ni aucune région du monde n’a atteint la prospérité et une vie socio-économique décente pour ses citoyens sans le développement d’un secteur industriel robuste » soutiennent les chefs d’État et de gouvernement africains lorsqu’ils adoptent le Plan d’action pour le développement industriel accéléré de l’Afrique (AIDA) lors de la dixième Conférence de l’Union africaine en janvier 2008 consacrée à l’industrialisation de l’Afrique. Or l’industrialisation rime avec exploitation intensive des ressources naturelles sans réel souci de durabilité. Comment les pays africains réussiront-t-ils à harmoniser le développement industriel avec la préservation de l’environnement et une gestion durable des ressources ?
Affronter les défis
Les économies des Etats africains subsahariens reposent essentiellement sur les secteurs d’extraction pétrolière, miniers et agricoles. Les principaux défis consistent à concilier les obligations en matière d’adaptation et d’atténuation du changement climatique avec l’objectif d’atteindre « la prospérité et une vie socio-économique décente» à travers l’industrialisation au regard des moyens dont dispose ces pays. Contraints par les normes environnementales, ces Etats ne disposeront pas de beaucoup de marge de manœuvre pour construire un système industriel compétitif.
Un des principaux freins est le déficit d’infrastructures d’énergie et de communication qui entrave la compétitivité en augmentant les coûts de production et de transport. Ces déficits sont en partie entretenus par des difficultés liées à l’accès aux financements qui demeurent essentiels pour le développement industriel. En effet, beaucoup d’incertitudes et des risques perçus ou réels sont associés à la situation des pays subsahariens. Ils sont souvent associés à l’instabilité politique, la corruption endémique, l’absence de cadre légal, une relative fragilité institutionnelle et un manque de débouchés.
La faiblesse des systèmes financiers du continent empêchant l’éclosion d’un écosystème capable d’engendrer des champions industriels dans les pays subsahariens, le cercle est vicieux. En plus de ces éléments, l’absence d’intégration régionale effective limite la croissance d’un marché régional qui stimulerait un investissement massif dans le secteur industriel.
Par ailleurs, les grandes multinationales qui possèdent les concessions des principales mines des pays africains et contrôlent de fait des pans entiers de ces secteurs ne sont pas africaines. Ce sont des capitaux étrangers dont la vocation principale n’est pas d’offrir d’emplois aux africains ou de se soucier particulièrement de leur bien-être. Cette responsabilité qui incombe aux gouvernements doit les inciter à s’approprier le contrôle de leurs ressources en prenant une plus grande participation dans ces entreprises ou en favorisant la création des champions locaux. Les gouvernements africains sont déjà passés par toutes les phases de désillusion. Alors qu’ils n’ont pas consolidé leurs systèmes industriels naissants à l’époque post-indépendance, ils sont passés aux ajustements structurels des années 80-90 les amenant dans une dynamique de desintrustrialisation massive. Ils ont enfin le recul nécessaire pour prendre les décisions à même d’apporter plus de bien-être à leurs populations.
L’insuffisance des capacités techniques et le retard technologique ont limité la compétitivité industrielle du continent. L’une des contraintes actuelles est la nécessité de répondre aux normes internationales tant sur le plan environnemental que sur la qualité des produits. L’incapacité de certains pays africains à répondre aux normes qualitatives fixées par les pays développés le réflexe protectionniste de ces derniers qui imposent toujours plus de normes, parfois de manières déraisonnée pour protéger leurs produits sont des véritables freins au « made in Africa ».
Ces contraintes peuvent être allégées, notamment en concentrant l’effort – d’industrialisation sur des segments de valeur où le potentiel existe déjà et en consolidant un véritable marché intérieur.
Libérer le potentiel local par des approches novatrices
La voie vers un développement économique passe par un système industriel non polluant, peu générateur de carbone et basé sur des énergies renouvelables. Il est nécessaire de prendre en main les ressources naturelles et de ne plus les exporter sous forme brute mais après transformation locale. La chute actuelle des cours de matières premières qui a entrainé beaucoup de pays subsahariens dans des difficultés budgétaires accrues rappelle l’urgence de diversifier les économies africaines en captant une plus grande valeur de leurs ressources minières et agro-industrielle. Cette occasion, jusque-là manquée, peut être saisie en tirant parti du dérèglement climatique actuel grâce à l’économie verte. Elle appelle à des transformations structurelles importantes au niveau des Etats : une transformation économique en adaptant des technologies rationnelles, écologiques aux conditions locales et en associant les savoirs-faire autochtones. Chaque pays peut, en fonction de ses ressources naturelles et humaines et dans un cadre régional harmonisé, concevoir une stratégie centrée sur leur utilisation durable et efficace. Les pays qui s’y sont déjà engagés seront fortement encouragés. Les efforts de l’Union Africaine et des institutions sous-régionales doivent être pris à bras le corps par chaque Etat et les dispositions telles que les suppressions des barrières douanières dans le marché commun correctement appliquées.
C’est en concevant des stratégies de développement durable et en orientant les actions publiques dans ce sens, que le défi de créer un système industriel robuste à même d’apporter la prospérité aux populations africaines pourra être atteint. Pour cela, il faudra innover dans les approches de réflexion tout comme celle de fonctionnement. Une meilleure approche consiste à privilégier le financement du développement industriel par un apport de sources intérieures aux pays ou au continent car cela conduirait à une meilleure appropriation locale du processus avec une meilleure chance d’atteindre efficacement les résultats escomptés.
L’investissement dans les énergies renouvelables, l’éducation et la technologie est à la base de la transformation réclamée. Il ne s’agit pas forcement de développer une industrie à forte valeur ajoutée mais de se concentrer pour chaque pays et chaque sous-région sur des secteurs clés où les ressources existantes peuvent permettre le lancement d’un processus industriel capable de peser positivement sur le balance commercial. Le travail consiste à se réapproprier des secteurs prioritaires tels que les mines et les bois et encourager la transformation agricole locale. Il exige de se débarrasser des investissements non écologiques car les externalités négatives qu’ils engendrent annihilent tout l’effort consenti.
Pris un à un, les pays africains ne pourraient être compétitifs. C’est l’intégration régionale qui favorisera le développement d’un secteur industriel compétitif. L’industrialisation de l’Afrique dont les chefs d’Etat appellent de leur vœu passe par une approche économique verte portée par une politique de concertation régionale misant sur les ressources locales et le marché intérieur.
Djamal Halawa