Présentation du métier d’investisseur financier par Marlène Ngoyi (2)

Suite de l'interview de Marlène Ngoyi :

A quoi ressemble ta journée type ?

Je commencerai par dire qu’il n’y a pas de journée type en private equity. En fait tu as plusieurs métiers en un, différentes casquettes qu’il faut savoir porter alternativement au quotidien :
1. Deal sourcing : Rencontrer des entrepreneurs, obtenir des informations sur une industrie et sur les dynamiques du marché, découvrir si des besoins en financement existent.

2. Deal structuring : Quand une entreprise est intéressée, il s’agit de structurer le deal. Pour cela on passe par : a) une valorisation ; b) réfléchir à la manière la plus adéquate de financer l’entreprise, c) convaincre le CA de Catalyst qu’il s’agit d’un deal qui en vaut la peine.

3. Portfolio Management : Il s’agit de se mettre d’accord avec l’entreprise (management, shareholders) sur un plan clair pour les 100 premiers jours suivants l’investissement et les 5 prochaines années. Il faut être sûr que toutes les ressources humaines et financières sont en place pour exécuter ce plan. Il s’agit également de participer au CA, de se réunir très régulièrement (tous les trois mois) pour réévaluer le plan stratégique et s’adapter au marché au jour le jour tout en gardant le cap. Le plus important étant de travailler avec une équipe qui est d’accord sur un objectif commun.

Un petit point à rajouter ici, Catalyst associe au plan stratégique un plan ESG (Environnement ; Aspects Sociaux; Gouvernance). Il est fondamental pour Catalyst que le fond opère sur ces trois secteurs aux meilleurs standards internationaux. Alors que l’entrepreneur peut d’abord le voir comme un coût Catalyst le considère comme un vrai investissement. Un investissement sur deux niveaux :

a) Etre « socialement » responsable c’est, par exemple, traiter correctement ses employés ce qui a, in fine, pour effet de limiter le turnover, de garder des talents et d’en attirer de nouveau (ce qui réduit également les coûts à travers des gains de productivité) ; être « environnementalement » responsable permet également de faire des économies (à travers une meilleure consommation énergétique, le recyclage, etc.) ; être soucieux des aspects de gouvernance c’est donner à l’entreprise plus de chances de réussir (avec un CA doté des bonnes personnes, des procédures efficaces, une gestion optimale des risques, etc.) ;
b) Etre aux « normes internationales » sur tous ces plans permet de revendre plus cher une entreprise (a fortiori à des entreprises internationales soucieuses de ces aspects et prêtes à mettre le prix pour des business qui ont déjà fait l’effort de les mettre en place).
En plus des différents points que je viens d’aborder il faut aussi rajouter que Catalyst est elle-même une startup. C’est un premier fonds qui doit faire sa place (avec l’objectif de lever de nouveaux fonds par la suite). Ainsi, les tâches au quotidien peuvent également comprendre des opérations de promotion (comme une interview). Autre exemple : j’ai passé plusieurs jours cette semaine avec des chercheurs de la Columbia Business School qui écrivent un cas sur Catalyst.

Quels sont les principaux challenges pour un fonds de private equity voulant investir dans des entreprises est-africaines ? Quels sont les facteurs de succès d’un investissement  ?

Challenge numéro 1 : le Private Equity en Afrique de l’est est un outil peu connu
Le plus gros challenge c’est que le Private Equity est relativement nouveau en Afrique de l’Est. Beaucoup d’entreprises sont des entreprises familiales. Il s’agit vraiment de les familiariser à l’outil, de les éduquer sur cette nouvelle forme de financement, de gagner leur confiance (notre présence sur le terrain est un atout). Il faut arriver à les convaincre que le Private Equity offre une voie intéressante vers la croissance. Il faut vraiment avoir en tête qu’en Afrique de l’Est, être entrepreneur forge l’identité d’une personne. Il est rare de trouver comme aux Etats Unis des personnes qui veulent monter leur boite et qui ont déjà comme perspective de la vendre et de gagner beaucoup d’argent via ce biais. Ici on transmet son entreprise de génération en génération.
La mise en exécution de ses ambitions
Les bases fondamentales de succès pour un investissement en Afrique de l’Est sont là. Les taux de croissance des entreprises dans lesquelles investit Catalyst sont souvent impressionnants (15 à 30%). Le plus gros challenge c’est l’exécution des ambitions qu’on s’est données. Ca dépend beaucoup de la qualité des ressources humaines.
Risque macro, ex. des fluctuations du change 
Du côté des challenges macro économiques on peut citer le cas des entreprises qui importent leur matière première et qui souffrent des évolutions des taux de change qu’ils ne peuvent répercuter sur leurs clients généralement très sensibles aux prix. Il s’agit donc pour une entreprise est-africaine d’être en mesure d’absorber ce type de choc.

Quels ont été tes principaux challenges ?

Dans mon travail le challenge est de pouvoir changer de casquette souvent, très bien connaître des marchés et des pays différents, apprendre constamment.

Est-ce qu’il y a un secteur dans l’économie est-africaine qui t’intéresse particulièrement et pourquoi ?

Le FMCG : Fast Moving Consumer Good. Le marché des produits de grande consommation. C’est un secteur très concret qui nous renvoie à nos propres habitudes de consommation. Et c’est toujours excitant de voir dans un rayon de supermarché les produits de la boite dans laquelle tu as investie ! Tu y vois le résultat concret de tes efforts.

Comment gère-ton dans un fonds tel que Catalyst le facteur « risque politique » ? C’est ce qui retient beaucoup d’investisseurs de « s’aventurer » en Afrique / Comment l’appréhende-t-on ?

Catalyst reconnait bien évidemment l’existence de ce risque. Mais l’équipe considère, comme évoqué précédemment, qu’il y a eu de nombreux signaux positifs qui encourent les investissements. Bien sûr nous sommes nerveux pour 2012 et nous travaillons avec les entreprises pour prévoir des scénarios en adéquation avec ce calendrier (on ne prévoit par exemple pas de capex en 2012). Il y a aussi la conviction que le Kenya est une économie réactive. Après les troubles de 2008, l’économie a repris relativement vite. On pense que la tendance est à une assez grande résilience. En tout état de cause, nous en parlons beaucoup et d’après nos discussions il en ressort que la majorité des kenyans aspire à la stabilité. Nous espérons que cette volonté du plus grand nombre permettra de limiter les troubles.

Propos recueillis par Léa Guillaumot

 

Je souhaite finir cet article en remerciant Marlène Ngoyi, une personnalité passionnante qui donne envie d’investir en Afrique ! Et ça fait beaucoup de bien 

Présentation du métier d’investisseur financier par Marlène Ngoyi (1)

Il y a quelques semaines Terangaweb a publié un article sur les « cinq femmes les plus influentes» du Private equity[1] . Cela m’a donné envie d’aller plus loin et d’interviewer une jeune femme, Marlène Ngoyi, Chargée d’investissement sénior chez Catalyst Fund, que j’ai eu la chance de rencontrer à mon arrivée au Kenya.

Ton parcours en quelques mots ?

Je suis originaire de République Démocratique du Congo et même si j’ai passé mon adolescence en Belgique je revenais 3 à 4 mois par an au Gabon ou dans mon pays natal où travaillaient mes parents. Après la Belgique je suis partie aux Etats-Unis. Je voulais apprendre l’anglais et le système éducatif américain très « concret », « pragmatique » m’attirait beaucoup. J’ai décidé de poursuivre des études en finances et en économie à Bentley College dans le Massachusetts.  Pendant mes études, je me suis rendue au Guatemala où j’ai travaillé dans le secteur de la microfinance et en partenariat avec des coopératives de fermiers. Cette première expérience professionnelle dans un pays en développement m’a permis d’aborder des problématiques qui étaient proches de celles que j’ai retrouvées ensuite en Afrique : même types de challenges et d’opportunités, des économies en pleine croissance, des problèmes de sécurité, d’instabilité politique…

Apres 4 ans d’études, j’ai décidé d’aller explorer le monde du travail. J’ai commencé à la banque de New York en Belgique en tant que représentante clients puis chez BNP Paribas au Luxembourg en tant que support à l’équipe de management. Mon travail consistait en l’analyse financière (profitabilité) de chaque client et en diverses missions comptables. Ensuite j’ai rejoins la banque d’affaires de Merrill Lynch a New York et plus particulièrement la division Energy & Power où mon rôle était de lever des capitaux pour de grosses entreprises pétrolières et d’électricité (fortune 500). En banque d’affaire j’ai pu apprendre deux choses importantes : 1) comment les entreprises se capitalisaient, 2) comment mener des stratégies de croissance externe[2]  à travers les fusions et acquisitions. Après Merrill Lynch, je suis allée à Chicago faire du Private Equity. Notre cible était les PME (avec un grand M) et notre outil principal le LBO[3]. Nous couvrions différents secteurs: industrie, services, distribution. 

J’ai ensuite poursuivit un MBA à Harvard Business School dans l’objectif de revenir en Afrique avec de bonnes bases : notamment un bon réseau et plus de crédibilité. J’y ai passé deux ans. A la suite de cela, j’ai fait un stage d’été dans un grand fond de Private Equity : ECP[4]. A cette occasion je suis partie au Nigéria pour travailler sur un deal. Il s’agissait d’une entreprise de logistique qui m’a beaucoup appris sur l’économie africaine et les opportunités qui émergeaient (même si le deal n’a pas aboutit). Je suis finalement repartie en Afrique pour travailler pour Grassroot Business Fund[5] en tant que Porfolio Manager pour l’Afrique. J’ai pu suivre des deals dans différents pays: au Ghana dans le secteur de l’agribusiness, mais aussi dans plusieurs pays d’Afrique de l’est dans les secteurs des télécoms, de l’agroalimentaire, de la microfinance. J’ai également ouvert un bureau à Nairobi. La cible de ce fonds était les PME (avec un grand P cette fois). J’ai pu découvrir les challenges des petites entreprises africaines : les ressources humaines (comment trouver les bonnes personnes, qualifiées et pouvoir les rémunérer suffisamment pour les retenir), le contrôle financier (comment assurer une bonne gestion des cashflows) et l’accès au capital.

C’était intéressant de voir également comment les entreprises africaines se développaient en comparaison avec les entreprises américaines que j’avais connues. Aux Etats-Unis la tendance est plutôt à la spécialisation. On se concentre dans un business qu’on connait bien. En Afrique, la chaîne de production est moins bien structurée et les infrastructures moins développées. Il y a beaucoup d’intermédiaires qui ne sont pas toujours qualifiés. Les entreprises ont besoin d’être davantage autosuffisantes et d’offrir une solution complète en évitant trop de sous-traitance. En revanche les succès en Afrique peuvent être parfois plus rapides et plus « faciles » étant donné que la compétition est moins farouche. Il faut ajouter à cela que Grassroot Business Fund avait également pour but d’avoir un impact social positif. La question était donc de trouver le bon équilibre entre rentabilité et impact social (même si les deux notions peuvent parfois apparaître contradictoires). J’ai ensuite rejoins Catalyst en tant que Chargée d’investissement sénior. Catalyst est le plus gros fonds focalisé sur la région Afrique de l’Est. La zone couverte comprend : Kenya, Tanzanie, Ouganda, Rwanda, Zambie, Ethiopie, RDC. Toutes les personnes de l’équipe sont originaires de ces pays.

Qu’est-ce qui t’a donné envie d’aller travailler au Kenya / en Afrique de l’Est ? Dans le Private Equity ?

L’Afrique de l’Est est en pleine croissance. L’une des plus importantes au niveau mondial depuis près de 5 ans. La RDC est un des trois pays qui croit le plus rapidement.  C’est aussi une zone où il y a déjà une très bonne base entrepreneuriale. On peut notamment noter la présence d’une communauté afro-asiatique très dynamique. Un autre point qui caractérise l’Afrique de l’Est : c’est une zone dont la croissance ne repose pas uniquement sur l’exploitation des ressources naturelles (comme le pétrole). Il y a une certaine indépendance de la région vis-à-vis du marché international. En revanche les échanges interrégionaux sont très importants. En termes de « soutenabilité » de la croissance, c’est un modèle qui me semble plus solide qu’ailleurs. On a reçu beaucoup de signaux positifs de la part des gouvernements des différents pays d’Afrique de l’Est qui vont dans ce sens. On peut notamment noter la volonté de créer un marché commun (peut être une monnaie commune ?). Enfin, d’un point de vue personnel, le Kenya est un pays très agréable et ça me permet également de retourner à la maison (en RDC) de temps en temps.

Est-ce que tu peux nous résumer rapidement en quoi consiste ton travail ?

Une solution financière mais surtout un partenariat

Notre travail se différencie vraiment de celui des banques. En plus d’apporter du capital, notre but est de devenir partenaire des entreprises dans lesquelles on investit. On veut apporter une vraie valeur ajoutée. Nous ne sommes pas de simples prêteurs d’argent. Les solutions bancaires sont souvent basées sur de gros besoins de collatéral. La logique d’un fond n’est pas du tout la même. Par rapport à une banque la solution de Catalyst est beaucoup plus flexible et basée sur du long terme. Catalyst investit comme l’entrepreneur dans l’entreprise et peut le faire sous de nombreux schémas en fonction des besoins de celle-ci. Il faut aussi ajouter à cela que Catalyst recherche des rendements (TRI[6]) importants ce qui pousse à garder un esprit dynamique et une rapidité dans la prise de décision qui permet d’entretenir l’esprit entrepreneurial.

Une valeur ajoutée

Il s’agit souvent en Afrique de l’Est de businesses familiaux et notre rôle est d’apporter à l’entreprise un renouveau avec un management professionnel dans tous les domaines à même d’aider la boite : finance, production, etc.  Notre expertise financière est aussi au service des entreprises dans lesquelles nous investissons. En particulier lorsqu’il s’agit de réfléchir à la « capital structure » (trouver un bon ratio entre dette et equity) pour pouvoir financer au mieux les capex[7] ou les potentielles acquisitions.

Stratégie et conseil d’administration

Nous sommes également très actifs au niveau du conseil d’administration. Notre but est d’amener une réflexion qui pourra aider les décisions stratégiques. Nous sommes souvent très ambitieux et voulons voir l’entreprise croître vite et significativement, c’est pourquoi il faut prendre ensemble ces décisions et regarder tous dans la même direction (ex : devenir une entreprise régionale, élargir la gamme de produits, etc).

Travailler sur la sortie
Nous investissons sur une période de 5 ans généralement. Il est très important de penser très tôt à la sortie : Offre publique d’achat, vente à un acheteur stratégique, à un autre fonds, ou revente aux entrepreneurs ?
Vente à un acheteur stratégique
Il est intéressant de voir que le paysage des acheteurs stratégiques a tendance à se diversifier : avant ils venaient beaucoup d’Afrique du Sud maintenant les Chinois et les Indiens s’intéressent de plus en plus à des rachats d’entreprises africaines. Ils sont attirés par le rachat d’entreprises qui ont déjà fait leur chemin et qui se sont intégrer à un marché africain qu’ils connaissent mal (système de distribution et clients bien spécifiques).
Vente à un autre fond
On remarque également que l’industrie du private equity se développe. La fourchette des tickets proposés s’est agrandie et s’étale de 50 000 USD à 50 Millions USD permettant de plus en plus de rachats entre fonds. Un deal peut alors monter une sorte d’échelle au sein de l’industrie du Private Equity à mesure que l’entreprise croit, sa valeur augmente et les tickets d’achat aussi.
Offre publique d’achat
Du côté du Nairobi Stock Exchange il y a aussi des évolutions positives à attendre. Il y a encore de la place pour de nouvelles entreprises.
 

Propos recueillis par Léa Guillaumot

A paraître demain : présentation par Marlène Ngoyi du quotidien de la journée d'un investisseur financier


[1] Private Equity : la traduction française est « Capital Investissement » mais on utilise fréquemment l’expression anglaise. Il s’agit d’ « une activité financière consistant pour un investisseur à entrer au capital de sociétés qui ont besoin de capitaux propres » (wikipédia).

 

[2] Croissance externe : contraire de croissance organique. La société cherche à faire croître son activité / chiffre d’affaire à travers la fusion et l’acquisition d’autres entreprises.

  

[3] LBO : Leverage Buy Out. Il s’agit d’un mode de financement d’acquisition par emprunt. Ce mécanisme consiste en effet à racheter une entreprise en recours à de la dette pour engendre un effet de levier facilitant l’acquisition.



[4] ECP : Emerging Capital Partner, fond de private equity ayant levé près de 2 milliards de dollars pour investir sur le continent Africain.

 

[5] Grassroot Business Fund : voir plus d’informations sur le site http://www.gbfund.org/

 

[6] TRI : taux de rendement interne. Mesure la rentabilité d’un projet.

 

[7] Capex : abbréviation pour « Capital Expenditure ». Il s’agit de flux de trésorerie liés aux dépenses d’investissement de capital dont les immobilisations. L’immobilisation est un actif d’utilisation durable qui constitue le patrimoine d’une société.