C’est autour d’un déjeuner italien que nous nous retrouvons avec Quentin, Burundais, dans la ville de Nairobi à parler de l’Afrique et de l’Europe et à deviser sur le monde. Voici le fruit de nos échanges lors d’une paisible après-midi Kenyane. Cette interview est divisée en deux parties : 1) le parcours de Quentin Rukingama et 2) son point de vue sur l’Afrique.
II. TA VISION DE L’AFRIQUE
A. Les opportunités
(i) Le développement des infrastructures : une réalité au quotidien
L’Afrique bouge énormément et Nairobi est un endroit particulièrement représentatif de ce dynamisme. Par exemple, on se plaint des embouteillages, mais une des raisons pour lesquelles on en souffre est le boom des infrastructures. La ville se construit ! Le projet de la BAD consistant à financer un axe de transport Egypte-Afrique du Sud se matérialise actuellement au Kenya avec le nouveau tronçon de la Thika Highway (nouvelle autoroute reliant la ville de Nairobi à Thika, une ville moyenne au nord de la capitale). La route anciennement cabossée que je prends pour aller au travail est en train de se transformer en véritable autoroute avec passages piétons. Les choses avancent concrètement sur le terrain ! Un autre exemple, au Zimbabwe, j’ai été particulièrement impressionné par l’état impeccable des routes : aucun trou sur la chaussée entre Harare et les chutes Victoria, soit près de 900 km d’autoroute ! Que ce soit pour cela ou pour d’autres raisons, les investisseurs s’intéressent de plus en plus au Zimbabwe malgré l’inflation que le pays a connu (la solution actuelle étant l’utilisation du dollar américain) et malgré des conditions d’investissement exigeantes (51% d’un business doit appartenir à un local, comme en Chine !). Le Zimbabwe se révèle être une vraie terre d’opportunités.
(ii) Les fondamentaux pour qu’un pays se développe
Selon moi, pour qu’un pays puisse se développer, il faudrait : 1) qu’il y ait un plan stratégique national clair et atteignable, 2) de bonnes infrastructures (comme décrits précédemment) pour permettre au pays de développer ses échanges commerciaux notamment (le marché inter-africain est d’ailleurs un sujet clef), 3) des facteurs de production clefs tels qu’une formation en adéquation avec les besoins du pays et le développement d’outils de production et de transformation au niveau local, 4) avoir/développer un marché de consommateurs (d’où l’intérêt du développement de la « classe moyenne » et de l’intégration régionale surtout pour les petits pays en quête de marché).
(iii) Des progrès déjà en route
Il est indiscutable que les taux de croissance en Afrique sont sans commune mesure avec ceux des pays européens et quasiment tout le reste du monde (pour plus de détails sur la croissance en Afrique, cf. le rapport de Perspectives Economiques en Afrique). Les progrès sont déjà visibles. Parmi les pays les plus prometteurs je citerai : le Nigéria, l’Ethiopie, le Mozambique ou encore le Ghana, le Botswana, Cape Verde… Pour des raisons diverses : taille de marché (cf. le nombre d’habitants au Nigéria et en Ethiopie et le développement de la classe moyenne), qualité des infrastructures (réseau routier de qualité et en expansion, barrage hydraulique en développement en Ethiopie qui devrait approvisionner en électricité une grande partie de l’Afrique de l’Est), ressources naturelles (charbons et gaz au Mozambique, terres arables qui ne demandent qu’à être exploitées, pétrole au Ghana dans un pays à l’économie déjà bien structurée, diamants au Botswana), innovation technologique (au Cape Verde on peut commander son passeport via téléphone portable, le « mobile banking » Kenyan s’exporte déjà en Europe, en Asie et au Moyen-Orient).
Ces développements sont soutenus par des Investissements Directs à l’Etranger qui représentent des volumes conséquents et qui sont en pleine croissance (pour plus de détails, cf. cet article de l’African Economic Outlook). L’appétit est grandissant pour un continent qui offre des relais de croissance que l’on ne trouve plus aux Etats-Unis ou en Europe.
B. Les challenges
Lorsqu’on regarde du côté des challenges, un des plus importants est pour moi l’intégration de la jeunesse dans le marché du travail. Il est toujours mieux d’avoir une jeunesse occupée qu’inoccupée… D’autant qu’elle constitue une force de travail extraordinaire, et par conséquent un relais de croissance potentiel au service de l’Afrique. Il me semble important de promouvoir des secteurs à fort capital humain comme l’agriculture par exemple. Atteindre l’autosuffisance et même réussir à exporter sont des objectifs clefs et réalisables (étant donné que c’est le continent avec le plus de potentiels en matière de terres arables).
Ce premier point s’articule évidemment à la problématique du chômage. Problématique qui doit elle-même être abordée sous l’angle de la formation. Il faut que l’Afrique arrive à coordonner intelligemment formation et besoins comme mentionné précédemment. Il existe de belles initiatives et des écoles réputées déjà en place localement (Business School de Lagos par exemple, le projet de centre de formation économique à Maurice, ou encore la Pan African University – Initiative de l’Union Africaine). Un challenge moins récurrent mais qui demeure une réalité : l’instabilité politique. Les choses avancent également de ce côté et les initiatives d’intégration régionale, notamment, sont une réponse intelligente au problème (comme l’a été en Europe la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier qui a réuni à l’époque Allemagne et France, deux « ennemis » historiques au lendemain de la deuxième guerre mondiale).
C. C’est votre dernier mot ?
Pour mes amis africains expatriés qui se posent la question de savoir s’ils doivent revenir, je les invite à nous rejoindre ! Cette décision de revenir m’est venue progressivement : via la découverte de plusieurs pays africains pendant mes vacances (évoqués précédemment) et une introspection qui a aboutit au constat que je voyais davantage mon avenir en Afrique qu’ailleurs.
Le train africain est en marche, il bougera avec ou sans vous. A vous de prendre la décision ! Moi je mise sur l’Afrique, et vous ?
Entretien réalisé par Léa Guillaumot