Rencontre avec Quentin Rukingama, partie 2 : l’Afrique, terre d’opportunités

QR - ProfileC’est autour d’un déjeuner italien que nous nous retrouvons avec Quentin, Burundais, dans la ville de Nairobi à parler de l’Afrique et de l’Europe et à deviser sur le monde. Voici le fruit de nos échanges lors d’une paisible après-midi Kenyane. Cette interview est divisée en deux parties : 1) le parcours de Quentin Rukingama et 2) son point de vue sur l’Afrique.

II. TA VISION DE L’AFRIQUE

A. Les opportunités

(i) Le développement des infrastructures : une réalité au quotidien

L’Afrique bouge énormément et Nairobi est un endroit particulièrement représentatif de ce dynamisme. Par exemple, on se plaint des embouteillages, mais une des raisons pour lesquelles on en souffre est le boom des infrastructures. La ville se construit ! Le projet de la BAD consistant à financer un axe de transport Egypte-Afrique du Sud se matérialise actuellement au Kenya avec le nouveau tronçon de la Thika Highway (nouvelle autoroute reliant la ville de Nairobi à Thika, une ville moyenne au nord de la capitale). La route anciennement cabossée que je prends pour aller au travail est en train de se transformer en véritable autoroute avec passages piétons. Les choses avancent concrètement sur le terrain ! Un autre exemple, au Zimbabwe, j’ai été particulièrement impressionné par l’état impeccable des routes : aucun trou sur la chaussée entre Harare et les chutes Victoria, soit près de 900 km d’autoroute ! Que ce soit pour cela ou pour d’autres raisons, les investisseurs s’intéressent de plus en plus au Zimbabwe malgré l’inflation que le pays a connu (la solution actuelle étant l’utilisation du dollar américain) et malgré des conditions d’investissement exigeantes (51% d’un business doit appartenir à un local, comme en Chine !). Le Zimbabwe se révèle être une vraie terre d’opportunités.

(ii) Les fondamentaux pour qu’un pays se développe

Selon moi, pour qu’un pays puisse se développer, il faudrait : 1) qu’il y ait un plan stratégique national clair et atteignable, 2) de bonnes infrastructures (comme décrits précédemment) pour permettre au pays de développer ses échanges commerciaux notamment (le marché inter-africain est d’ailleurs un sujet clef), 3) des facteurs de production clefs tels qu’une formation en adéquation avec les besoins du pays et le développement d’outils de production et de transformation au niveau local, 4) avoir/développer un marché de consommateurs (d’où l’intérêt du développement de la « classe moyenne » et de l’intégration régionale surtout pour les petits pays en quête de marché).


Aperçu de la Ville de Harare, Zimbabwe(iii) Des progrès déjà en route

Il est indiscutable que les taux de croissance en Afrique sont sans commune mesure avec ceux des pays européens et quasiment tout le reste du monde (pour plus de détails sur la croissance en Afrique, cf. le rapport de Perspectives Economiques en Afrique). Les progrès sont déjà visibles. Parmi les pays les plus prometteurs je citerai : le Nigéria, l’Ethiopie, le Mozambique ou encore le Ghana, le Botswana, Cape Verde… Pour des raisons diverses : taille de marché (cf. le nombre d’habitants au Nigéria et en Ethiopie et le développement de la classe moyenne), qualité des infrastructures (réseau routier de qualité et en expansion, barrage hydraulique en développement en Ethiopie qui devrait approvisionner en électricité une grande partie de l’Afrique de l’Est), ressources naturelles (charbons et gaz au Mozambique, terres arables qui ne demandent qu’à être exploitées, pétrole au Ghana dans un pays à l’économie déjà bien structurée, diamants au Botswana), innovation technologique (au Cape Verde on peut commander son passeport via téléphone portable, le « mobile banking » Kenyan s’exporte déjà en Europe, en Asie et au Moyen-Orient).

Ces développements sont soutenus par des Investissements Directs à l’Etranger qui représentent des volumes conséquents et qui sont en pleine croissance (pour plus de détails, cf. cet article de l’African Economic Outlook). L’appétit est grandissant pour un continent qui offre des relais de croissance que l’on ne trouve plus aux Etats-Unis ou en Europe.

B. Les challenges

Lorsqu’on regarde du côté des challenges, un des plus importants est pour moi l’intégration de la jeunesse dans le marché du travail. Il est toujours mieux d’avoir une jeunesse occupée qu’inoccupée… D’autant qu’elle constitue une force de travail extraordinaire, et par conséquent un relais de croissance potentiel au service de l’Afrique. Il me semble important de promouvoir des secteurs à fort capital humain comme l’agriculture par exemple. Atteindre l’autosuffisance et même réussir à exporter sont des objectifs clefs et réalisables (étant donné que c’est le continent avec le plus de potentiels en matière de terres arables).

Ce premier point s’articule évidemment à la problématique du chômage. Problématique qui doit elle-même être abordée sous l’angle de la formation. Il faut que l’Afrique arrive à coordonner intelligemment formation et besoins comme mentionné précédemment. Il existe de belles initiatives et des écoles réputées déjà en place localement (Business School de Lagos par exemple, le projet de centre de formation économique à Maurice, ou encore la Pan African University – Initiative de l’Union Africaine). Un challenge moins récurrent mais qui demeure une réalité : l’instabilité politique. Les choses avancent également de ce côté et les initiatives d’intégration régionale, notamment, sont  une réponse intelligente au problème (comme l’a été en Europe la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier qui a réuni à l’époque Allemagne et France, deux « ennemis » historiques au lendemain de la deuxième guerre mondiale).

C. C’est votre dernier mot ?

Pour mes amis africains expatriés qui se posent la question de savoir s’ils doivent revenir, je les invite à nous rejoindre ! Cette décision de revenir m’est venue progressivement : via la découverte de plusieurs pays africains pendant mes vacances (évoqués précédemment) et une introspection qui a aboutit au constat que je voyais davantage mon avenir en Afrique qu’ailleurs.
Le train africain est en marche, il bougera avec ou sans vous. A vous de prendre la décision !  Moi je mise sur l’Afrique, et vous ?

 

Entretien réalisé par Léa Guillaumot

Portrait de Quentin Rukingama, président du club Diallo Telli, think-tank sur l’Afrique (1)

QR - ProfileC’est autour d’un déjeuner italien que nous nous retrouvons avec Quentin Rukingama, Burundais, dans la ville de Nairobi, à parler de l’Afrique et de l’Europe et à deviser sur le monde. Voici le fruit de nos échanges lors d’une paisible après-midi Kenyane.

Cette interview est divisée en deux parties : 1) le parcours de Quentin Rukingama et 2) son point de vue sur l’Afrique .

I. QUI ES-TU ?

A. Du Burundi à Lille, Du Saint-Esprit à l’Université

Je suis né dans ce beau pays qu’est le Burundi à Bujumbura sa capitale. J’y ai vécu jusqu’à 18 ans avec quelques aller-retour en France (dont 2 années entières : une en Bretagne et une à Versailles en internat). De cette enfance au Burundi, je garde en tête et dans le cœur ma scolarité au lycée jésuite du Saint-Esprit. Les jésuites sont une congrégation tournée vers la formation. Ils forment l’Homme à tous points de vue : la scolarité y est riche et très compétitive mais on y développe également des valeurs humaines telles la fraternité. Cette approche était particulièrement intéressante dans un pays qui a connu la guerre, synonyme de déchirure sociale. Je me rappelle que nous célébrions la Journée de la Fraternisation, une fois par an, où élèves de tous niveaux et corps professoral partageaient et échangeaient via le sport, la culture (spectacles de danses traditionnelles entre autres) et un bon repas (cuisiné collectivement).

Au Saint-Esprit, j’ai également suivi des cours de religion. J’ai même découvert la religion musulmane via l’enseignement d’un père jésuite. Mon école était catholique mais nous invitait à la découverte d’autres religions et accueillait également des élèves issus d’autres confessions. Cette ouverture et cette harmonie étaient merveilleuses et constituaient un enseignement de taille sur la tolérance dont notre monde à vraiment besoin.

En 2004, je quitte le Burundi et je m’installe à Lille. Même si la température qui m’y attendait n’était pas des plus chaudes, les gens que j’y ai rencontrés étaient particulièrement chaleureux et ouverts. La ville est jeune et très étudiante. Rajouter à cela, je profite alors de la proximité d’autres grandes villes européennes que j’ai le plaisir de visiter : Paris, Bruxelles, Cologne, Amsterdam et Londres. Lors de mes années universitaires, en parallèle de cette découverte de l’Europe, j’ai effectué plusieurs voyages en Afrique pendant mes vacances : Sénégal, Ethiopie, Kenya, Zimbabwe et Rwanda. Ces visites m’ont permis de comprendre l’étendue de la diversité africaine, de sa richesse et ont stimulé en moi l’envie d’y retourner. Ces découvertes de deux parties du monde bien différentes au même moment de ma vie m’ont notamment appris à cultiver l’humilité devant l’immensité du monde et à ne pas juger autrui a priori. Le fait de voyager ouvre véritablement les horizons, la réflexion et la tolérance.

B. Les études supérieures : l’éco-gestion, puis la comptabilité pour finir par la finance

Cette période universitaire en France, m’a d’abord mené en Eco-Gestion à l’université de Lille I puis à l’Ecole Supérieure des Affaires (Lille II) où j’ai obtenu ma licence en comptabilité. J’ai continué avec une première année de master en Finance dans la même université pour finir par un master de recherche dans la même matière. J’effectuais alors un double cursus avec l’école de commerce SKEMA en Analyse Financière Internationale. Ce master de recherche a pris un sens tout particulier puisque j’ai commencé à m’y plonger au moment même de l’effondrement de la banque d’investissement Lehman Brothers. Le retour vers les fondamentaux économiques et financiers, la remise en contexte de ces derniers en pleine crise, la réflexion sur les changements nécessaires pour en sortir ont été autant d’étapes qui se sont révélées, pour moi, particulièrement riches en apprentissage. Je n’aurais certainement pas eu le même regard vis-à-vis de ce master dans un autre contexte.

C. Le monde du travail !

J’ai eu assez rapidement envie de mettre les mains dans le cambouis et d’entrer dans la vie active. Ma découverte du monde professionnel s’est faite via un premier stage chez Grant Thornton à Lille en comptabilité puis en audit. J’ai ensuite enchaîné par ma première expérience parisienne chez Peugeot Citroën, au sein de Banque PSA Finance. Le rôle de cette banque est de proposer des financements aux grosses sociétés clientes de la marque et également de financer les voitures des showrooms appartenant au réseau (Peugeot Citroën se faisant donc banque de ses concessionnaires). A cette occasion, j’ai également pu travailler avec des pays émergents tels que l’Argentine et le Brésil via le soutien aux réseaux locaux de vente. Ce fut donc ma première expérience bancaire, plutôt singulière et originale.

J’ai ensuite découvert le monde de la « corporate finance » via mon expérience chez Investisseur et Partenaire (fonds de private equity focalisé sur l’investissement dans les PMEs Sub-sahariennes). Me revoilà donc à travailler pour un continent qui m’est cher et exerçant un des métiers qui m’intéressent. Je découvre alors les énormes opportunités du continent africain. Le plus grand enseignement que je retire de cette expérience, quand on parle d’investissement, c’est que ce qui compte c’est l’Homme. On a tendance à l’oublier, à se perdre dans les chiffres mais c’est le point fondamental à garder en ligne de mire. L’investissement est alors une vraie aventure humaine basée sur la confiance et la détermination. Et pour en revenir à ce mot de « confiance » il a une importance particulièrement grande en Afrique. Perdre la confiance de quelqu’un c’est très lourd de sens et ressenti comme une vraie blessure. En fait, en Europe la confiance a été remplacée par un système et des lois se traduisant par des partenariats et des contrats alors qu’en Afrique on se repose encore essentiellement sur l’humain. 

Après cette découverte très enrichissante de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique Centrale chez I&P, j’ai voulu acquérir une expérience financière encore plus technique (faire de la modélisation, des valorisations d’entreprises…). Je suis alors rentré chez Axior Corporate Finance, une boutique de fusions et acquisitions. J’y découvre l’amour du travail parfaitement effectué et le rythme effréné du métier. Arrivé au terme de cette expérience je me mets en recherche d’un emploi. J’y est consacré un an qui s'est révèlé être une des périodes les plus enrichissantes de ma vie. J’en ai profité pour réfléchir à mes vraies envies, me poser des questions existentielles (sur mon désir de revenir en Afrique notamment) et je me suis retrouver extrêmement occupé par mes différents engagements, dont le Club Diallo Telli ! 

D. Le club Diallo Telli, force de proposition !

Au cours de cette année sabbatique, j'ai repris avec des amis la direction d’une association : le club Diallo Telli, club de réflexion (Think Tank) sur l’Afrique. Il est créé en 1991 par des cadres africains soucieux de fédérer leur capacité d’action pour leurs pays d’origine et le continent africain. L’objectif du club peut se résumer par le raffermissement des liens de solidarité entre africains, le développement économique des pays présents sur le continent et leur rayonnement culturel. L’activité de « Think tank » du Club consiste à : 1) Développer une capacité d’analyse et de réflexion prospective sur les enjeux auxquels font face les pays africains ; 2) Disposer d’une vision et de solutions relatives aux problématiques étudiées ; 3) Mettre à disposition des outils d’analyse de l’évolution du continent africain et peser dans le débat public (auprès d’acteurs clefs). 

diallo telli

Le Think Tank s’organise autour de deux axes :
a) L’organisation d’évènements favorisant le débat. En effet, le Club Diallo Telli se veut moteur de rencontres, agitateur d’idées et fédérateur d’échanges à travers : 1) des rencontres entre membres et sympathisants (créer une solidarité et intéresser le public à nos réflexions) ; 2) l’organisation de dîners-débats en invitant des spécialistes sur des questions bien déterminées (exemple de sujet déjà traité: « en quoi la crise de la zone euro peut représenter une opportunité pour l’Afrique ») ; 3) des conférences regroupant des acteurs variés pour favoriser de riches échanges ; 4) L’organisation d’un grand colloque qui s’attaque à un thème majeur (choisi avec attention tout au long de l’année) et aboutit à des propositions concrètes regroupées dans un livre-blanc.

b) La production éditoriale sous la forme : 1) du livre-blanc bien sûr; 2) mais aussi de notes d’analyse sur des problématiques d’actualité, 3) et d’études sur des thèmes spécifiques (qui peuvent être menées par un expert entouré de membres du club). Le but étant donc d’être force de propositions. 

Pour atteindre ses objectifs, le Club tient énormément à la diversité, car de la diversité née la richesse. Nous essayons de brasser un maximum de nationalités (africaines ou non) et de gens aux expériences diverses qui permettent d’aborder différents sujets et de nourrir la réflexion plus largement. 

african-guarantee-fundE. L’African Guarantee Fund et le retour aux sources

Après avoir passé cette année à chercher ma voie, à m’engager dans une association et à écrire une thèse (« Les pôles de compétitivité en Afrique de l’Est »), je trouve une opportunité qui provoque mon enthousiasme : travailler dans le Fonds Africain de Garantie (African Guarantee Fund : AGF), qui me permet de découvrir le tissu des petites et moyennes entreprises (PME) africaines via les produits de garanties que l’institution propose. 

AGF a été créé en 2011 à l’initiative de la Banque Africaine de Développement (BAD), et jouit également de financements du gouvernement hollandais via Danida et du gouvernement espagnol via l’Aecid. L’idée de ce fonds est de promouvoir le financement des PME (le « missing middle » – pour un article sur cette notion cliquez ici,). La mission d’AGF est de soutenir les infrastructures de financement qui existent déjà (ex : banques traditionnelles, banques de développement, fonds d’investissement, institutions de microfinance) afin d’augmenter leur volume d’investissement (en dette ou équity) vers les PME. Il s’agit pour AGF de partager avec ces institutions leurs risques via des produits de garantie. AGF est basé à Nairobi et a pour ambition de couvrir toute l’Afrique. Le fonds de garantie représente actuellement 50M€ et devrait aboutir, à terme, à une enveloppe de 500 M€. Il s’agit donc de ma première expérience professionnelle en Afrique et, à cette occasion, je reviens à mes origines en déménageant en Afrique de l’Est !

(A suivre, mardi prochain : la vision de l'Afrique de Quentin). 

Entretien réalisé par Léa Guillaumot

Comment résoudre le problème des embouteillages à Nairobi ?

Les embouteillages à Nairobi constituent un problème majeur de la capitale kényane. Ils sont un des sujets favoris de début de soirée (parfait pour briser la glace et tomber tous d’accord) mais surtout un casse-tête quotidien. On se tient donc au courant des routes fermées puis réouvertes, des policiers nouvellement installés sur tel carrefour, tel croisement. On apprend, sans le vouloir, par cœur, l’anatomie des routes pour épargner son véhicule des bosses et des trous les plus meurtriers. Mais des solutions à moyen-long terme sont-elles envisagées ? La réponse est oui : et par le secteur public, et par le secteur privé. Cet article n’a pas pour vocation à être exhaustif mais abordera quelques initiatives importantes.

La question des infrastructures routières dans le programme national « Vision 2030 »

Le programme « Vision 2030 », lancé en 2008 par le Président kényan Mwai Kibaki, a été élaboré dans le but de déterminer les grandes lignes à suivre pour permettre au Kenya de passer du statut de pays à bas revenu (low income country) à pays à revenu moyen (middle income country). Le programme comprend différents projets clés indispensables au développement économique, social et politique du pays et inclus, en toute logique, un volet infrastructure. Concernant les infrastructures routières, nous pouvons retenir deux projets phares : 1) Road Network Expansion (expansion du réseau routier), 2) Commuter Rail Network (Réseau ferré entre la capitale et sa banlieue). Le premier consiste à développer de grands axes routiers sur tout le territoire (route Kenya-Ethiopie, Isiolo-Merille, Marsabit-Turbi-Moyale, etc.). Les travaux sur certains n’ont pas encore commencé, d’autres sont en cours, et certains déjà complétés. On peut notamment mentionner la « Thika Highways », autoroute qui vient d’être inaugurée le 9 novembre 2012 par le Président Mwai Kibaki.

Le second projet se focalise sur le développement des transports publics, un point qui parait indispensable à la résolution du problème des embouteillages. Un certain nombre de gares (dont Syokimau, Imara Daima, Makadara, Jomo Kenyatta International Airport, Nairobi Central Railway) devront être créées ou réhabilitées afin d’inciter les futurs passagers à opter pour les chemins de fer plutôt que les routes. Ce qui nécessitera d’offrir un service fiable, abordable et sécurisé qui apportera une vraie valeur ajoutée par rapport aux autres options: voitures privées, matatu (petits bus locaux mettant un point d’honneur à ne pas respecter les règles de circulation) et bus. Mentionnons sur ce volet l’inauguration le 13 novembre 2012 de la première gare mentionnée (Syokimau) qui permettra chaque jour à plusieurs milliers de citoyens kényans de se rendre à Nairobi sans connaître le cauchemar des embouteillages sur les grands axes comme Mombasa Road (route reliant Nairobi à Mombasa connue pour ses kilomètres de trafic aux heures de pointe).

La solution d'un acteur privé inattendu : IBM

Du côté des initiatives privées, IBM s’invite dans le débat. Un acteur inattendu qui a peut être son rôle à jouer pour démêler les noeuds de la circulation urbaine. En effet, en août dernier, IBM a annoncé l’ouverture d’un centre de recherches à Nairobi qui traitera, entre autres, des problèmes liés au trafic routier et proposera des solutions innovantes à ces derniers. Il ne s’agit pas d’un nouveau sujet de recherches pour IBM puisque l’entreprise traite ces questions depuis plusieurs années à travers son programme Smarter Cities – des villes plus intelligentes (faisant partie d’un volet plus important appelé Smarter Planet – une planète plus intelligente). La partie infrastructure du programme traite, entre autres, du domaine des transports.

Pour rester sur le sujet des embouteillages, IBM produit depuis 2008 un sondage nommé Global Commuter Pain Survey qui mesure le niveau d’énervement, de frustration et de stress auquel font face les usagers de la route. Ce sondage est mené dans une vingtaine de villes dans le monde et auprès de plus de 8000 personnes. L’année dernière, le sondage a classé Nairobi 4ème ville la plus pénible dans laquelle circuler (après Mexico, Shenzen et Beijing). Face à ces problématiques, IBM cherche à proposer des solutions pratiques et technologiques. Parmi ces dernières nous pouvons en mentionner deux: 1) le traffic prediction intelligent tolling systems ou Intelligent Transportation et 2) l’Integrated fare management for transportation.

Le premier a pour objectif d’analyser l’état du flux routier et de prédire les embouteillages en ville en combinant des données historiques et des données en temps réel collectées sur le terrain. Ce qui permet une meilleure gestion du flux routier, une meilleure réactivité lors d’accidents, de prévenir le trafic et de prendre des décisions avisées concernant les investissements nécessaires en infrastructures (et en rendre certains moins pressants via un contrôle optimisé des routes existantes). Ce système permet également d’offrir aux usagers de la route des informations quant à l’état de ces dernières afin qu’ils prennent les meilleurs décisions pour choisir leur itinéraire quotidien (quand partir au travail, via quelle route, quel changement d’itinéraire à effectuer, etc).

Le deuxième permet d’aider les entreprises de transports en commun à déterminer quel est le système de tarif le plus adapté aux clients visés et les meilleurs moyens de paiement (notamment la mise en place de cartes multi-transports beaucoup plus faciles à utiliser et moins coûteuses pour les usagers). Cet outil permet en conséquence de rendre les transports publics plus attractifs et de décongestionner indirectement les axes routiers.

Avec cette panoplie de solutions publiques et privées, espérons que, dans les années à venir, le trafic routier de Nairobi s’améliore sous peine de restreindre grandement son développement économique et de rendre fous ses habitants…

Léa Guillaumot

Le mall : temple de la bourgeoisie à Nairobi

Avant de parler de l’expérience shopping (center) de Nairobi, il faut d’abord parler de Nairobi. Nairobi, “en chiffres”, c’est :
1) ~3.4 millions d’habitants (niveau du dernier recensement effectué en 2009, elle serait la douzième ville africaine la plus peuplée),
2) Une surface représentant 0.1% du territoire kényan et regroupant près de 8% de la population totale du Kenya.
3) Une part dans la population urbaine totale du Kenya qui a progressé de 5% en 1948 à 32% en 2009, pour un taux de croissance urbaine de 4,2% par an depuis 5 ans.

Nairobi est donc une grande ville africaine en expansion et en construction constante. On ne compte plus le nombre de routes bouchées, déviées, détruites et reconstruites qui redessinent chaque jour les itinéraires routiers.

Au milieu de ce bourgeonnement de nouveaux buildings, celui des malls est concomitant à la croissance de la classe moyenne, qui fait tant parler d'elle et dont on réalise l’impact sur le paysage urbain de Nairobi. La capitale, étant également un énorme hub “expats” (la majorité des organisations internationales telles les Nations Unies y possède des bureaux locaux d’envergure), ces derniers sont aussi une cible toute trouvée. Ils y trouvent l’essentiel (et bien plus) des produits dont ils ont besoin (ou non : le superflu y a aussi sa place).

Concept et cartographie du mall

Arrêtons-nous un instant sur le concept de mall. Nous ne parlons pas ici de simples supermarchés mais de vrais écosystèmes où le consommateur peut vider son portefeuille dans une variété infinie de produits et d’activités: restaurants, casinos, cinémas, bijouteries, boutiques de lingerie, meubles de maison, etc. Nairobi en compte presque une vingtaine dont quelques uns qui se détachent du lot en termes de taille et/ou de réputation: Westgate Shopping Mall (un des plus récents et des plus clinquants, ouvert en 2007), Sarit Centre (à l’influence indienne), The Village Market (mall chic où la communauté UN se retrouve le week-end), le Yaya Center (repère des français de Nairobi, voisin de l’école française), the Junction, Prestige ou encore Galleria Mall. Presque tous abritent “le” supermarché de Nairobi: le Nakumatt, destination ultime de l’étranger en quête de son pot de Nutella où de son camembert made in France. Carrefour en somme.

Ces malls s’étalent assez équitablement sur toute la ville et principalement à proximité des quartiers résidentiels (Kilimani, Westland, Karen…), comme le font également les restaurants et les bars. Ils créent donc de véritables “pôles” d’activités, séparés les uns des autres et quasi indépendants où les gens se donnent rendez-vous le soir et le week-end. Le mall rythme clairement la vie de l’upper/middle class kényane et des expatriés de Nairobi.

De grands projets en perspectives: l’exemple de Garden City

Le succès de ces mini temples de la consommation ne passe pas inaperçu et attire assez logiquement les investisseurs. Actis, fonds ayant déjà investi près de 4 milliards de dollars dans les marchés émergents (Afrique, Amérique du Sud, Asie), n’en est pas à son premier coup d’essai dans le secteur. Après The Junction Mall au Kenya, The Palms au Nigeria et l’Accra Mall au Ghana, Actis se tourne vers un nouveau projet d’envergure: le Garden City (l’annonce de l’investissement, dont le montant exact a été gardé confidentiel, a été faite en Juillet dernier). Il s’agira d’un mix entre quartier résidentiel (500 nouvelles maisons prévues), espace commercial (50 000 m2 réservés à la construction d’un mall) et de détente avec 2 hectares destinés à la construction d’un parc de loisirs (incluant un espace pour les concerts). 

Garden City sera le premier mall “LEED” (Leadership in Energy and Environmental Design) d’Afrique de l’Est. L’idée étant donc d’en faire une construction respectueuse de l’environnement et peu consommatrice en eau et électricité (permettant également aux commerçants de faire des économies). Le mall attirera des marques locales et internationales (notamment sud africaine) avides de toucher le marché kényan. Ce projet est également boosté par l’inauguration, ce mois-ci, de l’autoroute de Thika, projet majeur de 360 millions de dollars, couvrant la distance de 42 km entre Nairobi et Thika (ville importante de ~200 000 habitants située au Nord Est de la capitale), qui desservira Garden City.

Pour conclure, le mall est un monde en soi mais un monde à part. Si leur multiplication est un signe de dynamisme économique indéniable, n’oublions pas que la majorité de la population ne s’y rend jamais ou très peu. 46% de la population kényane vit toujours en dessous du seuil de pauvreté.

Léa Guillaumot

Présentation du métier d’investisseur financier par Marlène Ngoyi (2)

Suite de l'interview de Marlène Ngoyi :

A quoi ressemble ta journée type ?

Je commencerai par dire qu’il n’y a pas de journée type en private equity. En fait tu as plusieurs métiers en un, différentes casquettes qu’il faut savoir porter alternativement au quotidien :
1. Deal sourcing : Rencontrer des entrepreneurs, obtenir des informations sur une industrie et sur les dynamiques du marché, découvrir si des besoins en financement existent.

2. Deal structuring : Quand une entreprise est intéressée, il s’agit de structurer le deal. Pour cela on passe par : a) une valorisation ; b) réfléchir à la manière la plus adéquate de financer l’entreprise, c) convaincre le CA de Catalyst qu’il s’agit d’un deal qui en vaut la peine.

3. Portfolio Management : Il s’agit de se mettre d’accord avec l’entreprise (management, shareholders) sur un plan clair pour les 100 premiers jours suivants l’investissement et les 5 prochaines années. Il faut être sûr que toutes les ressources humaines et financières sont en place pour exécuter ce plan. Il s’agit également de participer au CA, de se réunir très régulièrement (tous les trois mois) pour réévaluer le plan stratégique et s’adapter au marché au jour le jour tout en gardant le cap. Le plus important étant de travailler avec une équipe qui est d’accord sur un objectif commun.

Un petit point à rajouter ici, Catalyst associe au plan stratégique un plan ESG (Environnement ; Aspects Sociaux; Gouvernance). Il est fondamental pour Catalyst que le fond opère sur ces trois secteurs aux meilleurs standards internationaux. Alors que l’entrepreneur peut d’abord le voir comme un coût Catalyst le considère comme un vrai investissement. Un investissement sur deux niveaux :

a) Etre « socialement » responsable c’est, par exemple, traiter correctement ses employés ce qui a, in fine, pour effet de limiter le turnover, de garder des talents et d’en attirer de nouveau (ce qui réduit également les coûts à travers des gains de productivité) ; être « environnementalement » responsable permet également de faire des économies (à travers une meilleure consommation énergétique, le recyclage, etc.) ; être soucieux des aspects de gouvernance c’est donner à l’entreprise plus de chances de réussir (avec un CA doté des bonnes personnes, des procédures efficaces, une gestion optimale des risques, etc.) ;
b) Etre aux « normes internationales » sur tous ces plans permet de revendre plus cher une entreprise (a fortiori à des entreprises internationales soucieuses de ces aspects et prêtes à mettre le prix pour des business qui ont déjà fait l’effort de les mettre en place).
En plus des différents points que je viens d’aborder il faut aussi rajouter que Catalyst est elle-même une startup. C’est un premier fonds qui doit faire sa place (avec l’objectif de lever de nouveaux fonds par la suite). Ainsi, les tâches au quotidien peuvent également comprendre des opérations de promotion (comme une interview). Autre exemple : j’ai passé plusieurs jours cette semaine avec des chercheurs de la Columbia Business School qui écrivent un cas sur Catalyst.

Quels sont les principaux challenges pour un fonds de private equity voulant investir dans des entreprises est-africaines ? Quels sont les facteurs de succès d’un investissement  ?

Challenge numéro 1 : le Private Equity en Afrique de l’est est un outil peu connu
Le plus gros challenge c’est que le Private Equity est relativement nouveau en Afrique de l’Est. Beaucoup d’entreprises sont des entreprises familiales. Il s’agit vraiment de les familiariser à l’outil, de les éduquer sur cette nouvelle forme de financement, de gagner leur confiance (notre présence sur le terrain est un atout). Il faut arriver à les convaincre que le Private Equity offre une voie intéressante vers la croissance. Il faut vraiment avoir en tête qu’en Afrique de l’Est, être entrepreneur forge l’identité d’une personne. Il est rare de trouver comme aux Etats Unis des personnes qui veulent monter leur boite et qui ont déjà comme perspective de la vendre et de gagner beaucoup d’argent via ce biais. Ici on transmet son entreprise de génération en génération.
La mise en exécution de ses ambitions
Les bases fondamentales de succès pour un investissement en Afrique de l’Est sont là. Les taux de croissance des entreprises dans lesquelles investit Catalyst sont souvent impressionnants (15 à 30%). Le plus gros challenge c’est l’exécution des ambitions qu’on s’est données. Ca dépend beaucoup de la qualité des ressources humaines.
Risque macro, ex. des fluctuations du change 
Du côté des challenges macro économiques on peut citer le cas des entreprises qui importent leur matière première et qui souffrent des évolutions des taux de change qu’ils ne peuvent répercuter sur leurs clients généralement très sensibles aux prix. Il s’agit donc pour une entreprise est-africaine d’être en mesure d’absorber ce type de choc.

Quels ont été tes principaux challenges ?

Dans mon travail le challenge est de pouvoir changer de casquette souvent, très bien connaître des marchés et des pays différents, apprendre constamment.

Est-ce qu’il y a un secteur dans l’économie est-africaine qui t’intéresse particulièrement et pourquoi ?

Le FMCG : Fast Moving Consumer Good. Le marché des produits de grande consommation. C’est un secteur très concret qui nous renvoie à nos propres habitudes de consommation. Et c’est toujours excitant de voir dans un rayon de supermarché les produits de la boite dans laquelle tu as investie ! Tu y vois le résultat concret de tes efforts.

Comment gère-ton dans un fonds tel que Catalyst le facteur « risque politique » ? C’est ce qui retient beaucoup d’investisseurs de « s’aventurer » en Afrique / Comment l’appréhende-t-on ?

Catalyst reconnait bien évidemment l’existence de ce risque. Mais l’équipe considère, comme évoqué précédemment, qu’il y a eu de nombreux signaux positifs qui encourent les investissements. Bien sûr nous sommes nerveux pour 2012 et nous travaillons avec les entreprises pour prévoir des scénarios en adéquation avec ce calendrier (on ne prévoit par exemple pas de capex en 2012). Il y a aussi la conviction que le Kenya est une économie réactive. Après les troubles de 2008, l’économie a repris relativement vite. On pense que la tendance est à une assez grande résilience. En tout état de cause, nous en parlons beaucoup et d’après nos discussions il en ressort que la majorité des kenyans aspire à la stabilité. Nous espérons que cette volonté du plus grand nombre permettra de limiter les troubles.

Propos recueillis par Léa Guillaumot

 

Je souhaite finir cet article en remerciant Marlène Ngoyi, une personnalité passionnante qui donne envie d’investir en Afrique ! Et ça fait beaucoup de bien 

Présentation du métier d’investisseur financier par Marlène Ngoyi (1)

Il y a quelques semaines Terangaweb a publié un article sur les « cinq femmes les plus influentes» du Private equity[1] . Cela m’a donné envie d’aller plus loin et d’interviewer une jeune femme, Marlène Ngoyi, Chargée d’investissement sénior chez Catalyst Fund, que j’ai eu la chance de rencontrer à mon arrivée au Kenya.

Ton parcours en quelques mots ?

Je suis originaire de République Démocratique du Congo et même si j’ai passé mon adolescence en Belgique je revenais 3 à 4 mois par an au Gabon ou dans mon pays natal où travaillaient mes parents. Après la Belgique je suis partie aux Etats-Unis. Je voulais apprendre l’anglais et le système éducatif américain très « concret », « pragmatique » m’attirait beaucoup. J’ai décidé de poursuivre des études en finances et en économie à Bentley College dans le Massachusetts.  Pendant mes études, je me suis rendue au Guatemala où j’ai travaillé dans le secteur de la microfinance et en partenariat avec des coopératives de fermiers. Cette première expérience professionnelle dans un pays en développement m’a permis d’aborder des problématiques qui étaient proches de celles que j’ai retrouvées ensuite en Afrique : même types de challenges et d’opportunités, des économies en pleine croissance, des problèmes de sécurité, d’instabilité politique…

Apres 4 ans d’études, j’ai décidé d’aller explorer le monde du travail. J’ai commencé à la banque de New York en Belgique en tant que représentante clients puis chez BNP Paribas au Luxembourg en tant que support à l’équipe de management. Mon travail consistait en l’analyse financière (profitabilité) de chaque client et en diverses missions comptables. Ensuite j’ai rejoins la banque d’affaires de Merrill Lynch a New York et plus particulièrement la division Energy & Power où mon rôle était de lever des capitaux pour de grosses entreprises pétrolières et d’électricité (fortune 500). En banque d’affaire j’ai pu apprendre deux choses importantes : 1) comment les entreprises se capitalisaient, 2) comment mener des stratégies de croissance externe[2]  à travers les fusions et acquisitions. Après Merrill Lynch, je suis allée à Chicago faire du Private Equity. Notre cible était les PME (avec un grand M) et notre outil principal le LBO[3]. Nous couvrions différents secteurs: industrie, services, distribution. 

J’ai ensuite poursuivit un MBA à Harvard Business School dans l’objectif de revenir en Afrique avec de bonnes bases : notamment un bon réseau et plus de crédibilité. J’y ai passé deux ans. A la suite de cela, j’ai fait un stage d’été dans un grand fond de Private Equity : ECP[4]. A cette occasion je suis partie au Nigéria pour travailler sur un deal. Il s’agissait d’une entreprise de logistique qui m’a beaucoup appris sur l’économie africaine et les opportunités qui émergeaient (même si le deal n’a pas aboutit). Je suis finalement repartie en Afrique pour travailler pour Grassroot Business Fund[5] en tant que Porfolio Manager pour l’Afrique. J’ai pu suivre des deals dans différents pays: au Ghana dans le secteur de l’agribusiness, mais aussi dans plusieurs pays d’Afrique de l’est dans les secteurs des télécoms, de l’agroalimentaire, de la microfinance. J’ai également ouvert un bureau à Nairobi. La cible de ce fonds était les PME (avec un grand P cette fois). J’ai pu découvrir les challenges des petites entreprises africaines : les ressources humaines (comment trouver les bonnes personnes, qualifiées et pouvoir les rémunérer suffisamment pour les retenir), le contrôle financier (comment assurer une bonne gestion des cashflows) et l’accès au capital.

C’était intéressant de voir également comment les entreprises africaines se développaient en comparaison avec les entreprises américaines que j’avais connues. Aux Etats-Unis la tendance est plutôt à la spécialisation. On se concentre dans un business qu’on connait bien. En Afrique, la chaîne de production est moins bien structurée et les infrastructures moins développées. Il y a beaucoup d’intermédiaires qui ne sont pas toujours qualifiés. Les entreprises ont besoin d’être davantage autosuffisantes et d’offrir une solution complète en évitant trop de sous-traitance. En revanche les succès en Afrique peuvent être parfois plus rapides et plus « faciles » étant donné que la compétition est moins farouche. Il faut ajouter à cela que Grassroot Business Fund avait également pour but d’avoir un impact social positif. La question était donc de trouver le bon équilibre entre rentabilité et impact social (même si les deux notions peuvent parfois apparaître contradictoires). J’ai ensuite rejoins Catalyst en tant que Chargée d’investissement sénior. Catalyst est le plus gros fonds focalisé sur la région Afrique de l’Est. La zone couverte comprend : Kenya, Tanzanie, Ouganda, Rwanda, Zambie, Ethiopie, RDC. Toutes les personnes de l’équipe sont originaires de ces pays.

Qu’est-ce qui t’a donné envie d’aller travailler au Kenya / en Afrique de l’Est ? Dans le Private Equity ?

L’Afrique de l’Est est en pleine croissance. L’une des plus importantes au niveau mondial depuis près de 5 ans. La RDC est un des trois pays qui croit le plus rapidement.  C’est aussi une zone où il y a déjà une très bonne base entrepreneuriale. On peut notamment noter la présence d’une communauté afro-asiatique très dynamique. Un autre point qui caractérise l’Afrique de l’Est : c’est une zone dont la croissance ne repose pas uniquement sur l’exploitation des ressources naturelles (comme le pétrole). Il y a une certaine indépendance de la région vis-à-vis du marché international. En revanche les échanges interrégionaux sont très importants. En termes de « soutenabilité » de la croissance, c’est un modèle qui me semble plus solide qu’ailleurs. On a reçu beaucoup de signaux positifs de la part des gouvernements des différents pays d’Afrique de l’Est qui vont dans ce sens. On peut notamment noter la volonté de créer un marché commun (peut être une monnaie commune ?). Enfin, d’un point de vue personnel, le Kenya est un pays très agréable et ça me permet également de retourner à la maison (en RDC) de temps en temps.

Est-ce que tu peux nous résumer rapidement en quoi consiste ton travail ?

Une solution financière mais surtout un partenariat

Notre travail se différencie vraiment de celui des banques. En plus d’apporter du capital, notre but est de devenir partenaire des entreprises dans lesquelles on investit. On veut apporter une vraie valeur ajoutée. Nous ne sommes pas de simples prêteurs d’argent. Les solutions bancaires sont souvent basées sur de gros besoins de collatéral. La logique d’un fond n’est pas du tout la même. Par rapport à une banque la solution de Catalyst est beaucoup plus flexible et basée sur du long terme. Catalyst investit comme l’entrepreneur dans l’entreprise et peut le faire sous de nombreux schémas en fonction des besoins de celle-ci. Il faut aussi ajouter à cela que Catalyst recherche des rendements (TRI[6]) importants ce qui pousse à garder un esprit dynamique et une rapidité dans la prise de décision qui permet d’entretenir l’esprit entrepreneurial.

Une valeur ajoutée

Il s’agit souvent en Afrique de l’Est de businesses familiaux et notre rôle est d’apporter à l’entreprise un renouveau avec un management professionnel dans tous les domaines à même d’aider la boite : finance, production, etc.  Notre expertise financière est aussi au service des entreprises dans lesquelles nous investissons. En particulier lorsqu’il s’agit de réfléchir à la « capital structure » (trouver un bon ratio entre dette et equity) pour pouvoir financer au mieux les capex[7] ou les potentielles acquisitions.

Stratégie et conseil d’administration

Nous sommes également très actifs au niveau du conseil d’administration. Notre but est d’amener une réflexion qui pourra aider les décisions stratégiques. Nous sommes souvent très ambitieux et voulons voir l’entreprise croître vite et significativement, c’est pourquoi il faut prendre ensemble ces décisions et regarder tous dans la même direction (ex : devenir une entreprise régionale, élargir la gamme de produits, etc).

Travailler sur la sortie
Nous investissons sur une période de 5 ans généralement. Il est très important de penser très tôt à la sortie : Offre publique d’achat, vente à un acheteur stratégique, à un autre fonds, ou revente aux entrepreneurs ?
Vente à un acheteur stratégique
Il est intéressant de voir que le paysage des acheteurs stratégiques a tendance à se diversifier : avant ils venaient beaucoup d’Afrique du Sud maintenant les Chinois et les Indiens s’intéressent de plus en plus à des rachats d’entreprises africaines. Ils sont attirés par le rachat d’entreprises qui ont déjà fait leur chemin et qui se sont intégrer à un marché africain qu’ils connaissent mal (système de distribution et clients bien spécifiques).
Vente à un autre fond
On remarque également que l’industrie du private equity se développe. La fourchette des tickets proposés s’est agrandie et s’étale de 50 000 USD à 50 Millions USD permettant de plus en plus de rachats entre fonds. Un deal peut alors monter une sorte d’échelle au sein de l’industrie du Private Equity à mesure que l’entreprise croit, sa valeur augmente et les tickets d’achat aussi.
Offre publique d’achat
Du côté du Nairobi Stock Exchange il y a aussi des évolutions positives à attendre. Il y a encore de la place pour de nouvelles entreprises.
 

Propos recueillis par Léa Guillaumot

A paraître demain : présentation par Marlène Ngoyi du quotidien de la journée d'un investisseur financier


[1] Private Equity : la traduction française est « Capital Investissement » mais on utilise fréquemment l’expression anglaise. Il s’agit d’ « une activité financière consistant pour un investisseur à entrer au capital de sociétés qui ont besoin de capitaux propres » (wikipédia).

 

[2] Croissance externe : contraire de croissance organique. La société cherche à faire croître son activité / chiffre d’affaire à travers la fusion et l’acquisition d’autres entreprises.

  

[3] LBO : Leverage Buy Out. Il s’agit d’un mode de financement d’acquisition par emprunt. Ce mécanisme consiste en effet à racheter une entreprise en recours à de la dette pour engendre un effet de levier facilitant l’acquisition.



[4] ECP : Emerging Capital Partner, fond de private equity ayant levé près de 2 milliards de dollars pour investir sur le continent Africain.

 

[5] Grassroot Business Fund : voir plus d’informations sur le site http://www.gbfund.org/

 

[6] TRI : taux de rendement interne. Mesure la rentabilité d’un projet.

 

[7] Capex : abbréviation pour « Capital Expenditure ». Il s’agit de flux de trésorerie liés aux dépenses d’investissement de capital dont les immobilisations. L’immobilisation est un actif d’utilisation durable qui constitue le patrimoine d’une société.

Rupu, la startup kenyane du web qui monte…

Peut être ne connaissez vous pas Rupu ? Vous avez plus de chance d’avoir entendu parler de Groupon, entreprise américaine au succès phénoménal ayant lancé avec brio le concept de site d’achats groupés. Pour vous faire une idée, rendez-vous directement sur leur site : www.groupon.com. Rupu est le Groupon à la sauce kenyane ! Même concept, même discount attractif, même modèle économique. Je suis tombée par hasard sur Rupu, en suivant un lien sur Facebook que plusieurs de mes amis kenyans avaient « liké ». Cela faisait un moment que je m’intéressais à ce type de business et j’ai sauté sur l’occasion pour envoyer un email à l’équipe de Rupu en leurs proposant une interview. Ils l’ont rapidement acceptée et nous nous sommes retrouvés après nos journées de travail respectives autour d’un verre. J’ai donc eu le plaisir de rencontrer Ben Maina, CEO de Rupu et Munyutu Waigi, co-fondateur de Rupu. Ben et Munyutu sont de jeunes entrepreneurs brillants, dynamiques et charismatiques :

Ben Maina s’occupe des affaires quotidiennes de Rupu tandis que Munyutu, travaillant en parallèle sur d’autres projets, est consultant et accompagne l’évolution stratégique de Rupu. Ben vient du secteur des télécoms. Il a d’abord travaillé dans le développement de projets auprès d’un fournisseur d’accès à internet pendant 5 ans puis chez Zuku (offre triple play kenyane) en tant que directeur du marketing pendant 2 ans. Il a ensuite décidé de laisser parler sa fibre entrepreneuriale en participant à la création de Rupu. C’est en réalité Munyutu qui l’a invité à rejoindre cette aventure, ce que Ben a tout de suite accepté. Il est alors devenu directeur du marketing chez Rupu en novembre 2010 et en avril 2011 il passe CEO alors que Munyutu développe de nouveaux projets.

Munyutu Waigi, co-fondateur de Rupu

Munyutu a un background de consultant (il a notamment travaillé pour Accenture). Après diverses expériences (dont certaines dans les NTIC), Munyutu décide d’entrer chez Ringier (http://www.ringier.ch/), entreprise suisse qui opère dans divers secteurs dont le développement de sites et services sur Internet. Munyutu décide de les aider à lancer Rupu au Kenya. Il n’a fallu que 2 mois après la première rencontre pour que Munyutu ouvre la plateforme d’achats groupés kenyane. Munyutu me raconte qu’à l’origine ce n’est pas la version kenyane de Groupon qui était en préparation mais un autre type de plateforme internet. Mais le Groupon américain attire l’attention du jeune entrepreneur. Les retours sur investissement sont énormes et le marché Kenyan lui semble prêt. Pourquoi ne pas pousser le projet dans une nouvelle direction ? C’est en 2010 que l’idée émerge et elle est immédiatement mise en œuvre. En effet, le modèle de Groupon demande des investissements minimum : il faut monter le site certes mais il n’y a pas de stocks à acheter ou à gérer par exemple. De plus, les prestations de service sont délivrées par les commerçants partenaires. Le tout est d’adapter l’offre au marché kenyan. En 5 semaines Rupu est lancé.

Je reviens sur ce point clef « adapter l’offre au marché kenyan », qu’est-ce que cela signifie exactement ?
1. Pour Ben et Munyutu, le point le plus important est le suivant: arriver à gagner la confiance des futurs clients. En effet, le e-commerce est un marché complètement neuf au Kenya. Les gens sont très réticents à laisser leurs coordonnées bancaires sur un site internet. Il faut véritablement « éduquer » le potentiel client à faire confiance au modèle que Rupu propose. Mais le marché évolue vite et en très peu de temps l’équipe de Rupu commence à voir la différence. Le client commence à apprivoiser l’outil. 2011 voit le nombre de deals augmenter et confirmer la pertinence du modèle.
2. Arriver à évoluer sur un marché beaucoup plus restreint qu’aux Etats Unis et en Europe où le taux de pénétration d’internet n’a aucune commune mesure avec celui, bien moindre, du Kenya (environ 10%).
3. En plus « d’éduquer » le consommateur, il s’agit également de faire bouger les lignes du côté des opérateurs de paiement en ligne. Le marché est tellement nouveau que les entreprises développant ce type de produit sont tout aussi nouvelles. Il s’agit pourtant pour Rupu d’assurer une qualité de service irréprochable. Ils ont donc du avancer main dans la main avec d’autres acteurs du secteur pour parvenir à une offre solide. Pour information suivez ce lien pour découvrir la liste de leurs partenaires et comprendre comment les clients paient sur le site de Rupu: https://www.rupu.co.ke/page/how_to_buy.

Une première question se pose : quel est le profile type du client de Rupu? Ben et Munyutu avaient pour cible, au départ, les personnes âgées de 18 à 40 ans, hommes et femmes. Depuis plus d’un an que Rupu est en ligne, il a plutôt attiré la tranche 24-40ans (80% de leur clientèle), et il s’agit à 56% de femmes. Ils viennent plutôt de la « upper class », ils ont majoritairement accompli des études supérieures et vivent principalement à Nairobi et à Mombasa. A noter qu’effectivement, les deals sont plutôt focalisés sur ces deux villes. Il est encore trop tôt pour proposer des affaires ailleurs (accès internet moindre, clientèle cible moins importante, etc).

Deuxième acteurs clés : les commerçants qui participent à la formule. Qui sont-ils ? Au début, Ben et Munyutu ont tout simplement frappé à la porte des entreprises qui semblaient correspondre à l’offre qu’ils voulaient proposer. Ils ont consulté leurs amis, leurs familles, leurs réseaux pour savoir ce que de potentiels clients pouvaient rechercher. Puis ils ont répété ce qui a marché et corrigé les erreurs commises. Il n’est toutefois pas facile de convaincre un commerçant de travailler avec Rupu, selon Ben et Munyutu. C’est un marché complètement nouveau, il est très difficile de convaincre les gens qu’un tel modèle puisse marcher et, même, leur être bénéfique. En effet, il s’agit de proposer des deals deux fois moins chers au client et de laisser 50% de la marge restante à Rupu… Ce modèle est exactement le même que celui du Groupon américain. Mais en prenant le temps de prouver par des chiffres que le modèle fonctionne et de convaincre de sa pertinence en tant qu’outil marketing pour les commerçants, ils ont progressivement réussi à entrer en partenariat avec de plus en plus d’entreprises. Et maintenant que la sauce a pris, ce sont les commerçants qui viennent frapper à leur porte …

Mais est-ce que ces commerçants partenaires sont capables de gérer le flux de nouveaux clients ? En effet, tous les deals fonctionnent sur l’effet volume : « je vous fais profiter d’un massage à 1000 Kenyan Shillings (9€) à condition que cette offre attire 15, 20, 30 clients ». Du coup, la question est de savoir si ce salon de massage sera capable d’assumer un nombre de clients soudainement supérieur à la demande habituelle. La question n’est pas anodine car si tel n’était pas le cas la publicité qu’offre Rupu au commerçant pourrait vite jouer en sa défaveur si ce dernier n’était pas capable d’assurer une bonne qualité de services. Il est donc important, et pour Rupu et pour son partenaire, de trouver le moyen d’éviter ce genre de problème. Ben et Munyutu m’expliquent alors que, lors de la mise en place d’un partenariat avec un commerçant, Rupu joue un vrai rôle de conseiller. Ils aident le commerçant à structurer au mieux son deal en fonction de ses capacités. Pourquoi ne pas imposer un nombre maximum de massages que vous voulez mettre à disposition du public (par exemple 10 plutôt qu’une offre indéfinie et illimitée qui pourrait voir ce chiffre largement augmenter) ? Pourquoi ne pas étaler dans le temps la période de validité du « coupon massage » vendu par Rupu ? 10 deals étalés sur 3 mois sont plus faciles à gérer que 10 deals à assurer sur 1 semaine. De plus, le client doit systématiquement appeler pour réserver ou prévenir les commerçants suffisamment à l’avance pour que ces derniers puissent s’organiser. Ces quelques règles permettent donc d’assurer aux commerçants les services que Rupu vend sur son site.

Ben Maina, PDG de Rupu

Mais à part Ben et Munyuty, qui se cachent derrière Rupu ? L’équipe est encore petite : 10 personnes travaillent à temps plein (la majorité avec un background dans le secteur des nouvelles technologies ainsi que du staff administratif (RH et financier). 7 autres personnes travaillent et sur Rupu et sur d’autres projets financés par Ringier. Ben et Munyutu insistent pourtant sur une chose : le marché est tellement nouveau qu’il n’existe pas de personne ayant un profil professionnel ou académique qui corresponde exactement au business développé par Rupu. Il s’agit davantage de trouver des personnes motivées par le projet qui ont une personnalité en adéquation avec la startup et ceux qui y travaillent déjà. Ben et Munyutu investissent essentiellement dans des personnalités et leur potentiel. L’ambiance de travail est détendue, le dialogue ouvert, les blagues fusent mais, attention, on prend son travail au sérieux et les résultats doivent être là. Ben et Munyutu tiennent à ce que chacun puisse prendre des initiatives et ne reste pas cantonner à des travaux répétitifs sans prise de responsabilités comme dans la plupart des grosses entreprises kenyanes. L’âge moyen au bureau est de 25-26 ans. Les équipes sont donc très jeunes ! C’est le dynamisme et la réactivité qui comptent : Munyutu a une idée pour faire évoluer la plateforme, il en parle à Ben qui la relaie aux équipes et un débat ouvert s’en suit. Si l’impression générale est bonne, si les outils sont là, l’idée est mise en place aussitôt. Munyutu insiste sur le fait qu’il a envie de venir tous les jours au travail et d’apprendre de nouvelles choses, chose possible dans l’environnement particulièrement stimulant qu’ils ont réussi à créer.

Au fait, vers quoi se dirige la belle énergie des équipes de Rupu ? Ben et Munyutu font un premier constat : nous étions 4ème sur le marché quand Rupu a été créé, nous sommes devenus 1er en 6 mois. Et après de nombreuses nuits passées au bureau, de poids perdu puis gagné, quelle satisfaction de rencontrer des gens qui vous apprennent par hasard qu’ils ont acheté un deal sur Rupu ! La prochaine étape c’est d’accompagner ce business vers un marché grand public avec une base clientèle beaucoup plus importante. Le but est de faire connaître à un maximum de personnes Rupu et de les amener à acheter au moins une fois sur le site. En réalité Ben et Munyutu aimeraient dans un premier temps qu’un maximum de personnes achète en ligne, pas nécessairement sur Rupu. Le tout est d’attirer la population kenyane vers un marché nouveau. Ben et Munyutu comptent travailler 1 ou 2 ans de manière intensive sur le marché kenyan avant de réfléchir à une expansion régionale. Il faut néanmoins tenir compte du fait que le taux de pénétration d’internet dans les pays d’Afrique de l’est n’est pas toujours très élevé et qu’on ne peut pas s’aventurer sur un marché trop jeune sous peine de ne pas décoller. Il faudra faire les bons choix stratégiques…

Et c’est tout ce qu’on leurs souhaite !  Pour les habitants de Nairobi et pour les curieux voici leur site : www.rupu.co.ke

Léa Guillaumot
 

L’Afrique perd sa célèbre dame aux arbres

La Dame aux Arbres était une grande dame au sourire franc derrière lequel trônaient de belles idées et une rare force de caractère. La Dame aux Arbres c’est Wangari Maathai, grande figure kenyane qui s’est éteinte dimanche 25 septembre à l’âge de 71 ans.

Wangari Maathai est d’abord connue et reconnue pour son combat pour la protection de l’environnement et contre la déforestation, mené à travers l’organisation « Green Belt Mouvement » qu’elle créa à la fin des années 70. La « Ceinture Verte » a eu pour vocation première de promouvoir la plantation d’arbres (plus de 30 millions depuis ses débuts), ressource naturelle indispensable aux populations locales (combustible mais aussi instrument efficace contre l’érosion des sols). Ces programmes de plantations d’arbres étaient assurés par les femmes des communautés locales, programmes qui se voulaient aussi un outil efficace d’émancipation. Le mouvement s’est vite élargi au-delà des frontières Kenyanes notamment via la mise en œuvre du Pan African Green Belt Network, qui a permis de dupliquer ces activités à d’autres pays africains (Tanzanie, Malawi, Ouganda, Ethiopie, Lesotho, Zimbabwe, etc).

Au-delà de la seule approche environnementaliste s’ajoute une réflexion d’ordre plus globale sur la gestion des ressources naturelles, qui pourrait être brièvement résumée par Wangari Maathai elle-même : « The environment is very important in the aspects of peace because when we destroy our resources and our resources become scarce, we fight over that » (L’environnement joue un rôle important dans le domaine de la paix car lorsque nous détruisons nos ressources naturelles et que celles-ci se raréfient nous entrons en conflit). C’est en effet pour saluer son approche « holistique » du développement durable que lui a été décerné le Prix Nobel de paix en 2004. Son engagement pour la démocratie, les droits de l’homme et notamment ceux des femmes ont été ainsi récompensés.

Wangari Maathai s’illustre donc comme la « première » à bien des égards et notamment comme la première femme africaine à recevoir le fameux Prix. Avant cela, elle s’était déjà illustrée dans le domaine académique, s’imposant comme la première femme d’Afrique de l’Est et de l’Ouest à obtenir une licence en biologie (d’une université américaine du Kansas) puis un doctorat. C’est aussi la première femme de la région à obtenir une chaire (au département d’anatomie vétérinaire) et à accéder au statut de professeur agrégée (en 1976 et 1977 respectivement).

Au niveau politique, Wangari Maathai a également eu un rôle de garde fou et d’ « élément perturbateur » face au régime du Président Arap Moi – ce qui lui vaudra plusieurs arrestations malgré le caractère non violent des actions qu’elle a entreprises (comme la manifestation pacifique au côté de femmes de prisonniers politiques pour obtenir leur libération). Le lien entre ses actions pour la préservation de l’environnement et son engagement politique pourrait être résumé par Wangari Maathai ainsi : « It is the people who must save the environment. It is the people who must change their leaders. We must stand up for what we believe in ». Wangari Maathai voulait démontrer que chaque citoyen pouvait prendre son destin et celui de son pays en main. En réalité, le simple fait d’organiser un mouvement tel que la Ceinture Verte composé de femmes menant des actions concrètes, seules instigatrices et décideuses d’un projet commun constituait déjà un acte politique en soi. Le pouvoir de démonstration du Green Belt Movement (« la société civile est capable de s’organiser, de se mobiliser et d’aboutir à des résultats concrets ») a beaucoup insécurisé le régime Moï qui, malgré de nombreuses tentatives, n’a finalement pas réussi à faire taire la Dame aux Arbres.

Politiquement engagée depuis de nombreuses années, c’est en 2002, après l’avènement du multipartisme, qu’elle obtient un siège au Parlement à la quasi unanimité des voix (98%). Elle fut ensuite nommée ministre adjointe de l’Environnement sous la présidence de l’actuel Président kenyan, Mr. Mwai Kibaki dont elle n’hésitera pas non plus à faire la critique après l’épisode houleux des élections de 2007.

Aussi, les réactions nationales et internationales ont été vives et unanimes. Tout le monde regrette la perte de celle que beaucoup (en particulier au Kenya) considèrent comme « un modèle », une « héroïne », un « mentor », « une source d’inspiration », « une digne représentante de son pays à l’étranger ». Beaucoup lui sont reconnaissants des combats qu’elle a menés dont les résultats sont encore visibles aujourd’hui. La capitale kenyane lui est notamment redevable de son opposition victorieuse contre la construction d’un building de 60 étages, décidé sous le régime du Président Arap Moi, sur le parc Uhuru (un des poumons verts de Nairobi) ainsi que son engagement pour la préservation de la forêt de Karura (au Nord de la ville). Le Green Belt Mouvement prévoit d’ailleurs l’installation d’un monument commémoratif à Karura même. De nombreux livres de condoléances ont été ouverts à divers endroits clefs de Nairobi et le seront dans chacune des 47 circonscriptions que compte le Kenya pour relayer les messages de soutien de la communauté kenyane à la famille de Wangari Maathai.

Enfin, son dernier « combat » devra être mené par ses proches : respecter sa dernière volonté de ne pas être enterrée dans un cercueil en bois… 

Léa Guillaumot