« Notre culture » hurlent-ils, pitoyables!

La culture ! Voilà un concept fort relatif dans lequel certains esprits ne se privent pas de mettre à peu prés tout. Pour s’engager dans une périlleuse tentative de définition, disons que c’est un référent, un modèle codifié, la somme des traditions, des coutumes, des valeurs… d’une communauté. Afin de faire plus simple et plus cérébrale à la fois donc plus élégant, certains disent de la culture que c’est ce qui restera lorsqu’on aura tout oublié. Mais le propos n’est pas ici d’épiloguer sur le sens philosophique d’une notion somme toute familière. Nous voulons parler de la culture, dans un contexte surtout africain, en tant que pensée, moteur d’une action politique, alors doctrine à certains égards ; et de la culture comme posture, caution d’une option politique.

Dans la première acception du terme nous avons eu, depuis des décennies, de Cheikh Anta Diop à Sogué Diarrisso en passant par Kwamé Nkrumah, Thomas Sankara ou Dambisa Moyo, une littérature fournie et des idées directrices à méditer pour dire le moins. Citons, pour étayer ces dires, l’ouvrage ‘’Mémoire pour l’espoir’’ de l’un des principaux concepteurs des plans de développements du Sénégal des quinze dernières années, Sogué Diarrisso, dans lequel il explique, à partir de son expérience personnelle, comment l’Afrique se trompe en suivant aveuglément les chemins du développement tracés par les bailleurs occidentaux et pourquoi il est impératif de bâtir les plans pour l’émergence du continent sur un socle, et à partir d’un substrat culturel propre à chaque pays. Position que défendait déjà Cheikh Anta Diop des décennies plutôt, à la différence prés que pour l’auteur de ‘’Nations nègres et culture’’ ce substrat culturel est commun à tous les pays d’Afrique noire, il est à chercher dans notre ascendance égyptienne.
Il y a ensuite la deuxième acception, à laquelle nous portons un plus grand intérêt dans cette réflexion : la caution, l’alibi culturel agité par certains hommes politiques, en écho à des pans entiers de la population africaine, pour vendre et justifier leur action ou plutôt leur inaction. Sur des sujets aussi variés que l’excision, les enfants de la rue, les mariages forcés, la corruption, la gérontocratie, pour ne citer que ceux là, il existe toute une doctrine savamment entretenue pour expliquer le sur place, le laisser aller et le laisser faire des décideurs par un ‘’culturisme’’ ridicule.

Excision, mendicité, mariages forcés

L’excision ou mutilation génitale féminine est une pratique encore considérée, dans plusieurs parties de l’Afrique comme une marque de reconnaissance d’une jeune fille dans sa société. Elle représente un gage de préservation de la virginité féminine. Elle permettrait aussi à la femme de pouvoir procurer du plaisir sexuel à son futur partenaire. Cette pratique est défendue dans plusieurs pays par de puissants chefs religieux et coutumiers. Les dirigeants de ces pays qui ont pourtant pris des engagements auprès des organismes internationaux et d’une partie de leur opinion publique semblent souvent la tolérer. En effet pour ne pas se mettre à dos des porteurs de voix à la tête d’un important électorat, ils trainent les pieds dans la répression et convoquent volontiers les aspects traditionnels de la chose et ‘’notre culture’’ pour expliquer leur inefficacité à venir à bout de ce qu’ils assimilent eux-mêmes à un fléau à bannir définitivement.

Au Sénégal, les enfants de la rue sont devenus, par la force des choses, une plaie faisant partie intégrante du décor. On les reconnait dans les rues de Dakar à leurs pieds nus, leurs haillons, le pot de tomate ou de beurre vide qu’ils trainent pour y mettre les restes de repas ou toute autre pitance qu’on consent à leur offrir. Ces petits, se comptent par milliers à travers le pays. Au départ, ils sont confiés à des maitres coraniques pour un apprentissage du Coran. Parmi ceux-ci, certains, peu scrupuleux, les envoient mendier en leur fixant une somme à verser le soir sous peine souvent de s’exposer à de sévères punitions. C’est ce que certains ont appelé « la mendicité économique » par opposition à une « mendicité alimentaire » qui bien qu’autant décriée semble moins pernicieuse. Ceci, sans compter toutes les exactions et tous les abus auxquels ils s’exposent quotidiennement. Malgré l’arsenal juridique dont le Sénégal s’est doté, notamment la loi du 29 avril 2005, les autorités trainent encore les pieds dans la mise en œuvre de leurs propres résolutions. Il n’est point rare d’ailleurs d’entendre un homme politique, ventant les mérites de la mendicité, affirmer qu’envoyer les enfants tendre la main est une bonne école de la vie au regard de ‘’notre culture’’.

Quant aux mariages précoces, ils unissent le plus souvent et contre leur volonté, des adolescentes à des hommes beaucoup plus âgés qu’elles. Ils sont encore légion en Afrique et dans certains cas, donnent lieu purement et simplement à des actes de pédophilie. La pédophilie justement, un concept importé de l’occident par des africains acculturés selon les défenseurs des mariages précoces, parmi lesquels quelques uns de ceux qui sont censés lutter contre. Pour eux, entre autres raisons de son maintien, cette pratique existait du temps des ancêtres, il n’y a aucune raison alors de renoncer à la perpétuer. Ce serait en fait un élément d’identification de ‘’notre culture’’.

Corruption et détournement de deniers publics

A la fin de l’année 2009, le microcosme politique sénégalais était secoué par l’affaire Ségura. Alex Ségura bouclait un séjour de trois années, dans ce pays en tant que représentant-résident du FMI, pendant lesquelles il a été très critique à l’égard du régime d’Abdoulaye Wade. Dans la foulée de son départ, l’affaire éclate : il a reçu, juste avant de prendre l’avion, une mallette remplie de grosses coupures d’euros et de dollars. Le fonctionnaire retournera finalement l’argent au gouvernement sénégalais. Cependant le mal était déjà fait. Le FMI se salissait d’une nouvelle tâche sur son costume austère de gendarme de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption. Le premier ministre sénégalais d’alors, pour expliquer pourquoi son mentor avait remis une telle somme à un fonctionnaire international dans un pays où les infrastructures sociaux les plus élémentaires font, à certains endroits, cruellement défauts, appela à son secours ‘’notre culture’’ qui nous impose quand un hôte nous quitte de lui donner un cadeau, la valeur du cadeau étant proportionnelle à l’envergure de l’hôte.
Il faut dire que cet épisode mémorable se passait dans le contexte d’un pays où un ministre pouvait déclarer, sans risque, sur un plateau de télé : « Je suis un service d’aide social ambulant, les gens viennent me voir à mon domicile pour m’exposer leurs problèmes. Ma culture m’impose de trouver le moyen de les aider ». Sous entendu, lorsque mon seul salaire ne suffit pas à satisfaire cette demande, un impératif culturel me pousse à puiser indument dans les caisses de l’Etat pour gérer toute cette demande.

Gérontocratie

« Un vieillard de 90 ans ne ment pas » voilà en substance ce que déclarait le rappeur Thiat du mouvement Y’en à marre lors d’une manifestation pré-électorale pour le retrait de la candidature de Wade. On était à la veille des joutes de février/mars 2012 qui allaient emporter le vieux président. Ce dernier avait reconnu l’impossibilité pour lui de se présenter à un troisième mandat avant de se raviser par un ma waxon waxeet (Je l’ai dit ? Eh bien je me dédis) désinvolte resté dans les mémoires. La déclaration de Thiat lui vaudra une arrestation par la police et des critiques venant de partout. Chez nous en effet lorsqu’un vieillard ne dit pas la vérité, il n’est pas de bon ton de le dénoncer. ‘’Notre culture’’ l’interdit.
Plus récemment Mamadou Diouf, professeur émérite d’histoire, à la Columbia University de New York a subi une volée de bois vert à son encontre pour avoir commis le crime de lèse majesté qui consiste à critiquer le monument Amadou Hampathé Ba au mépris de ‘’notre culture’’. Ce n’est pas tant qu’on soit d’accord ou non avec Diouf qui importe ici, mais qu’on lui reconnaisse au moins le droit d’aller à contre courant des idées d’un penseur quelque grand qu’il fût. Le droit de soutenir par exemple que : «La plus grosse bêtise qui est jamais sortie en Afrique, c’est de dire qu’en Afrique quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle» parce qu’on doit plus compter sur les jeunes que sur le pouvoir gérontocratique pour penser le futur et parce qu’une telle assertion suppose une non transmission du savoir entre générations.

Nous pensons que notre culture, celle à laquelle nous nous adossons, ou devons nous adosser, pour construire un idéal, pour penser le futur, cette culture là ne cautionne ni les mutilations, ni les abus sur des enfants, ni le fait de les abandonner à leur sort dans la rue. Elle n’admet ni la prévarication, ni la corruption, ni le mensonge éhonté et lorsqu’elle donne aux anciens une place privilégiée dans la société c’est pour qu’ils soient des sages, non des fauteurs de troubles, accepter le débat d’idées, donc la critique, étant une des qualités premières par lesquelles on reconnait la sagesse.
Notre culture n’est pas la somme de tous ces défauts inhérents à notre nature. Elle n’est pas non plus une compilation de nos incohérences ou la chronique de nos prises de positions opportunistes. Elle constitue plutôt, nous en sommes convaincus, un élément essentiel de ce qui en nous mêmes, contribue à nous rendre meilleurs.

Racine Demba