Lambert Mendé : la voix de son Maître !

Bien avant la théorie aujourd’hui en vogue de la post-vérité ; avant l’invention des faits alternatifs avatars du trumpisme triomphant, il y avait Lambert Mendé.

Lorsqu’en septembre 2016 de violentes manifestations hostiles au président de la RDC, Joseph Kabila, ont fait des dizaines de morts à Kinshasa, Lambert Mendé « ministre porte-parole du gouvernement » est apparu pour dire : « L'ordre sera respecté et les honnêtes citoyens seront protégés ». Ceux qui sont morts parce qu’ayant marché pour réclamer plus de démocratie se voyaient ainsi exclus du champ des « honnêtes citoyens ».  Quand, il y a quelques semaines, une vidéo montrait des soldats de l’armée congolaise tuant des miliciens désarmés, parfois couchés à même « la terre gorgée de sang » et devant  « les képis qui ricanent » comme aurait dit le poète David Diop, Lambert Mendé a, du bout des lèvres, qualifié le massacre d’ « excès ». Les activistes des mouvements citoyens sénégalais Y’en a marre et burkinabè Balai citoyen arrêtés lors d’une visite dans le pays, en mars 2015, en même temps que des membres de la société civile congolaise, seront accusés de s’être livrés à des « manœuvres de déstabilisation et d’atteinte à la sûreté de l’Etat ».

Aux oreilles de Lambert Mendé, les termes « droits de l’homme » et « libertés » résonnent comme autant de menaces contre lesquelles il faut livrer bataille à grand renfort de bruit et de fureur feinte. Ce personnage est l’incarnation de toutes les voix de leurs maîtres, quel que soit l’endroit d’où elles parlent, dont la parole balaye à la fois les faits et les souffrances des victimes. C’est le verbe qui dégage le cadavre en touche, les mots qui anéantissent la mémoire des malheureux tombés sous les balles de l’oppression.

Le syndrome Mendé, c’est la défense de l’indéfendable. L’absolution de l’odieux crime par de savantes circonlocutions. Le masque de l’affabilité cachant mal le cynisme devenu banal. La violence d’un humour macabre qui a besoin du sang des innocents pour se hisser sur la scène du théâtre montée au dessus de celle du crime et nous dire que le bourreau n’est pas celui dont il porte la parole mais celui qui est six pieds sous terre.

A travers le monde, le spectacle de manifestations réprimées dans le sang et de militaires qui exécutent face caméra des hommes et des femmes désarmés est affligeant mais hélas récurrent. Il est déjà difficile de mesurer son impuissance face à tant d’inhumanité vouée à demeurer impunie. Mais le plus insupportable, c’est de voir Lambert Mendé – ou ses frères jumeaux le burundais Willy Niamitwe et le gabonais Alain Claude Bilie Bi Nzé, par exemple – débouler et nous dire, en somme, avec sa faconde et son emphase, que l’assassiné l’a bien cherché, que le manifestant emprisonné n’avait qu’à rester chez lui, que le citoyen n’en est pas un, qu’il est en fait un sujet ; l’entendre répéter que le monde se porterait mieux si on laissait l’homme qui le paye pour ses aptitudes de mauvais conteur réprimer et s’éterniser au pouvoir à son aise.

Sur le continent africain et ailleurs, les Lambert Mendé pullulent, tapis dans les palais ou pas loin, recrutés par des chefs d’Etat incompétents pour ajouter le mensonge à l’échec, le mépris à l’irresponsabilité. Est atteint du syndrome Mendé, le politicien, le journaliste, l’avocat, l’artiste ou tout autre laudateur et flagorneur payé à insulter l’intelligence de celui qui l’écoute en lui assurant que tout va bien quand le braquage se déroule et que le sang coule sous ses yeux.

Leur métier ? Nettoyer  de la conscience collective les forfaits dont nous sommes tous les jours témoins. Leur arme ? La parole publique : de la prestation audiovisuelle à l’article de presse en passant par le tweet. Les contre-vérités qu’ils colportent sont démenties par les faits ? Ils inventeront des faits nouveaux ou se réfugieront dans le déni, le tout sous un vernis de respectabilité dont eux seuls ne se rendent compte du craquement.

Ou alors si, ils s’en aperçoivent mais n’en ont cure. Nous sommes aussi à l’ère de la post-respectabilité, celle de l’honorabilité alternative. 

Racine Assane Demba

Macky Sall ce président qui gouverne du coté obscur de la force !

Afin de valider son deal devant aboutir à la libération d’un condamné pour enrichissement illicite, Macky Sall est d’abord allé le faire valider dans les foyers religieux. Puis pour poser un jalon devant le faire demeurer dans le sens commun, après cette volte-face aux relents de forfaiture, il a marché, à l’heure de la prière du vendredi, de son palais à la mosquée à grand renfort de publicité. Enfin, pour faire croire que ce régime est garant de certains principes alors qu’il « deale », se dédit, et hypothèque ce qui lui restait de légitimité, l’on a demandé à un commissaire de police de convoquer une starlette en mal de popularité, au motif fourre tout d’atteinte aux bonnes mœurs, un vendredi, pour pouvoir la garder à vue pendant trois jours (sachant qu’au parquet on se repose le samedi et le dimanche), et ne la présenter au procureur que le lundi. Pour rien au final, aucune charge, dossier classé.

Mais on se sera assuré d’un weekend pendant lequel les citoyens qui s’étaient ligués contre le deal, le dénonçant, commençant à atteindre une masse critique dangereuse pour tout pouvoir happé par le côté obscur de la force, ont plus mis en avant leurs divergences sur les notions de liberté individuelle et de valeurs sénégalaises que leur unanimité contre la forfaiture en préparation. Beaucoup parmi ceux qui étaient vendredi matin contre la justice à deux vitesses qui libère les « grands » noms accusés ou condamnés de graves crimes et emprisonne des corps anonymes convaincus de petits larcins ou de gros méfaits, se sont mis à nuancer leur jugement à propos de ce système inique dès que la rappeuse jusque là inconnue au bataillon a fait irruption dans le débat. Non finalement ce n’est plus une justice à deux vitesses… et ils trouvaient des arguments pour légitimer ce qu’ils pourfendaient la veille. La justice est là pour réprimer les anti-valeurs ont-ils dit et elle le fait bien.

Soudain ils étaient satisfaits peu ou prou de ce système qui promeut l’impunité, peut-être l’anti-valeur suprême. Ce système capable de laisser en prison, par la magie de la détention préventive, pendant cinq ans, un anonyme, de le juger et de le déclarer… non coupable. Ce système capable aussi de juger un « grand » nom, de le condamner puis de le laisser, au bout d’un moment, vaquer tranquillement à ses occupations. On fait croupir des innocents dans les cachots et on laisse à l’air libre des coupables. Puis on parle de valeurs à sauvegarder (l’entretien dans un journal d’un ministre porte-voix du palais, ce matin). Et on utilise la religion pour légitimer le forfait, se faire passer pour un homme du peuple et déchainer les passions pour monter les uns contre les autres ceux qui s’indignent d’un système fait d’iniquité et d’accaparement du bien commun.

Ailleurs pour faire passer ce type de forfait, des régimes autoritaires désignent l’autre : les étrangers, l’occident (non sans raison pour le dernier cité) pour masquer leurs propres turpitudes..

Ici on désigne des anti-valeurs à travers la proie facile d’une fille qui fait une vidéo dans son salon, ni plus ni moins vulgaire que ce qui se passe dans nos boites de nuit et même nos rues parfois avec par exemple ces sabar torrides qui rythment le quotidien. Déesse major est un prétexte, un moyen dans l’allumage d’un contre-feu. Le comité qui a porté plainte contre elle n’est que l’idiot utile dans l’orchestration de cette mascarade. Quand on dit que le Sénégal est un pays tiré vers le bas par le système LMD (Lutte, Musique, Danse) dont les ambassadeurs, qui ne sauraient servir de modèle à la jeunesse, vont du lutteur Balla Gaye 2 à la chanteuse Déesse Major, on se doit aussi et surtout d’ajouter que ce pays est tiré vers le bas par une caste de privilégiés : politiciens, religieux, businessmen et autres personnages connus ou non, qui se soutiennent mutuellement. Les uns légitimant les forfaits des autres. Les autres donnant des avantages indus aux uns.


On ne peut ériger un socle de valeurs pour faire avancer un pays lorsqu’on veut le fonder sur l’injustice, la banalisation du deux poids deux mesures, l’indignation facile contre les plus faibles et le consensus mou autour des dérives des forts.

La foi est lumineuse. Elle forge un rapport fécond au monde, permet de vivre en paix avec soi-même et parfois de soulever des montagnes.
Mais lorsqu’elle est instrumentalisée, comme je pense que cela a été le cas dans cette affaire, aux dépens d’une proie facile, pour distraire les uns, flatter, rassurer les autres sur une prétendue préservation de valeurs alors qu’on pille le pays sous leurs yeux, cela s’appelle de l’obscurantisme.

Gouverner par le côté obscur c’est mettre tout ce monde qui devait nouer une alliance objective pour arrêter les pillards, les uns contre les autres en suscitant « une affaire » où il faut se déterminer non plus entre nous qui voulons une gouvernance vertueuse et eux qui pillent et « dealent », mais entre ceux d’entre nous qui seraient plus croyants parce qu’ils ont cloué la rappeuse sortie de nulle part au pilori et ceux qui le seraient moins ou pas du tout parce qu’ayant considéré que la jeune femme n’était que le dindon de la farce de l’inégalité devant la justice, celle de l’iniquité, de l’impunité et des privilèges indus.

Et l’ennemi, la caste des privilégiés, rit sous cape. Il a de beaux jours devant lui pour piller à son aise, creuser les inégalités sociales et continuer l’exploitation des plus faibles.

Racine Demba 

Cet article est paru initialement sur le blog de Racine Demba consultable ici : http://livracine.overblog.com/

 

Leurres, lueurs et jour nouveau

jeunes Afrique« Comment aller plus loin que Mandela sans devenir Mugabe ? » La réponse à cette interrogation de Slavoj Zizek est, pour moi, fondamentale dans la construction d’une Afrique nouvelle.

Comment sortir de cette quête d’icônes qui fait que, pour certains d’entre nous, un président, parce qu’il aura rendu des terres aux paysans de son pays, ait le droit de rester au pouvoir à 90 ans révolus, avec un bilan économique peu enviable ? Comment renforcer les institutions étatiques, la cohésion nationale, le vivre ensemble comme l’a fait Mandela, tout en reprenant les leviers de nos économies extraverties aux groupes compradors ignorants du patriotisme économique ou à ceux dont le patriotisme va à d’autres Etats que ceux dans lesquels ils prospèrent ?

Comment remettre la souveraineté politique, économique, culturelle de nos Etats au centre des débats nationaux et par delà du débat continental sans tomber dans de dangereux nationalismes avec leurs lots d’exclusion et de stigmatisation ? Comment libérer les leviers de production, les donner en priorité au peuple réel, celui qui cultive la terre, creuse la mine, défie la mer, trait la vache, sans tomber dans le culte de la personnalité ? Comment en finir avec l’attente des messies et la tradition des hyper présidents tout en stimulant le sens commun vers un but de libération de toutes les entraves à l’épanouissement de l’homme ? Comment ne plus se contenter de démocraties électorales ; faire en sorte que le curseur de la nation qui avance ne soit plus seulement placé au dessus de la case « organisation d’élections transparentes » mais déplacé vers « acquisition d’une réelle indépendance économique et culturelle » ? Comment faire recouvrer toutes leurs souverainetés aux anciens pays colonisés tout en réussissant à vaincre les démons de la division interne  dont souvent les ficelles sont tirées depuis cet ailleurs où se retrouve la souveraineté usurpée et à reconquérir ?

Comment faire pour que, face aux conformistes de tous ordres qui ont fini de faire un maillage efficace du système, les véritables patriotes désintéressés, ceux qui veulent sincèrement changer les mentalités et transformer le quotidien de leurs compatriotes en partant des dynamiques internes, aient leur mot à dire et la possibilité de montrer leur savoir faire ; pour qu’ils ne soient pas disqualifiés par une démocratie des oligarques où l’argent et les accointances avec des groupes de pressions fixent les règles ? Comment discipliner des peuples, les mettre au travail sans succomber à l’appel de la tyrannie? Comment avoir l’éclairé sans le despote, le visionnaire au leadership transformateur sans le monarque à l’ego surdimensionné ? Comment avoir le chef intransigeant sur les questions de souveraineté sans le démagogue qui, de manière intempestive, évoque l’autre pour masquer ses propres limites devant ceux qui l’ont porté au pouvoir ?

Comment donner le pouvoir au peuple, celui des champs et des usines sans qu’il se retrouve dans la rue où le premier démagogue venu aura tout le loisir de le ramasser ?

Une génération d’africains, intellectuels, activistes, entrepreneurs, est entrain de répondre à ces questions. Elle sait que 80% des terres arables de la planète se trouvent sur le continent, qu’à l’horizon 2050 la plus grande population en âge de travailler et d’être productive se trouvera en Afrique. La prochaine usine du monde dit-on. Oui mais à condition, pour que cet optimisme fasse sens, que les leviers et capacités de production soient tenus par des entrepreneurs locaux dans un système où mérite ferait loi.

Ma conviction est qu’il faudra un jour pas très lointain en finir avec les « taxistes »  et les « sous-employistes ». Les premiers se glorifient d’une croissance économique sans impact social dans leurs pays car tirée par des entreprises étrangères. Ils se contenteront des taxes versées par ces firmes, portion congrue comparée aux sommes rapatriées dans les pays d’origine surtout en zone CFA où la possibilité de rapatrier des bénéfices est illimitée contrairement à d’autres aires monétaires où cette pratique est plafonnée.

Les seconds cèdent facilement au chantage à l’emploi. Les entreprises bien installées, ceux qui sont là depuis la colonisation comme ceux qui viennent d’arriver, des françaises aux chinoises, créent des emplois disent-ils. Cela suffit à leur bonheur et à leur détermination à maintenir le statu quo. Que ces emplois dont on parle soient, dans la grande majorité des pays africains, une goutte d’eau dans l’océan du chômage n’y fait rien.

Ces deux spécimens qu’on pourrait qualifier d’ « intellectuels compradors » qui sont les garants d’intérêts autres que ceux de leurs pays et se satisfont du monde tel qu’il est, consentant à peine à quelques ajustements mais toujours dans le même cadre prédéfini, sont malheureusement nombreux à des postes de responsabilités dans les pays africains. Leurs convergences d’intérêts avec des milieux d’affaires mus seulement par la recherche du profit à moindre coût d’investissement ne pourraient conduire à des avancées sociales.

Il faudra trouver les voies et moyens de donner plus de place dans le débat public à ceux qui déconstruisent les options prises depuis prés de 60 ans par la plupart des pays africains, souvent avec le duo de Bretton Woods comme muse, et qui n’ont pas donné de résultats à la hauteur de la demande sociale et de la poussée démographique. Cette ouverture doit aller de l’économiste qui travaille à l’élaboration d’indicateurs autres que le PIB et l’IDH pour mesurer la productivité des agents économiques ou le caractère inclusif de la croissance au philosophe qui appelle à l’introduction des langues locales dans l’enseignement pour une meilleure appropriation des concepts et une démocratisation du savoir.

Le refus salutaire des modèles importés faisant son bonhomme de chemin, il faudra, au plan interne, en finir avec les lobbys obscurantistes qui trouvent explications à toutes les forfaitures.  Des pratiques du fonctionnaire subitement milliardaire qui passe pour généreux parce que partageant son butin avec des groupes de pression et leaders d’opinion à celle consistant à faire mendier des enfants par milliers dans les rues de nos villes sous prétexte d’apprentissage d’une religion, en passant par les oppositions à la mise à niveau du statut de la femme avec celui de l’homme ; oppositions nourries par des conservatismes révolus.

Il y a un passage entre la nuit noire et le soleil éclatant. Il y a ceux qui ont dormi à poings fermés, qui se sont complus de leur journée d’hier et n’attendent pas de bouleversements dans celle qui s’annonce. Mais il y a aussi ceux qui ont rêvé de jours heureux et qui se disent que ce rêve est atteignable ; qu’une Afrique qui compterait sur ses forces et dynamiques propres et avancerait à son rythme en assurant un bien-être certain à ses enfants n’est pas qu’utopie. 

La réalité de ce rêve commence par le fait de penser par soi même et de refuser les satisfécits décernés par d’autres au motif d’une croissance qui serait bonne alors que le chômage explose, des femmes meurent dans presque tous les pays d’Afrique en donnant la vie faute de structures de santé à proximité, que des enfants étudient dans des abris provisoires, que l’avancée de la mer engloutit des villages entiers, que des hommes et femmes doivent marcher des dizaines de kms pour trouver de l’eau, que sont érigés en règles les emplois précaires et la corruption, que les passe-droits dans tous les secteurs de la vie active ont la peau dure…Bref que la croissance « bonne » chantée à l’unisson par certaines institutions et tous les gouvernements s’avère inutile à l’épreuve des faits et du vécu des populations.  

Ce passage entre la nuit noire et le soleil éclatant est le temps actuel de l’Afrique. Un continent qui se réveille mais qui en est aux premières lueurs d’un jour nouveau devant la conduire à prendre son destin en main par le courage de ses élites et la libération de ses masses laborieuses.

Racine A. Demba

Croissance, émergence et inégalités en Afrique

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Nombre de citoyens africains de 2015, qui se veulent libres et entreprenants, dans un monde en pleines mutations, sont en train d’œuvrer à une nouvelle expression du continent à travers les idées novatrices et les actions transformatrices qui y ont cours.

L’Afrique est un continent jeune avec ses 1,1 milliards d’habitants en 2013. C’est à dire 15% de la population mondiale. Qui dit jeunesse dit dynamisme, espoir, fenêtres d’opportunités. Pourtant le continent ne représente que 3,5% du Produit intérieur brut (PIB)  mondial soit, selon une comparaison établie par l’économiste congolais, Gabriel Mougani, de la Banque Africaine de Développement, dans son livre : « Afrique: prochaine destination des investissements mondiaux? » moins que la part du PIB de l’Inde par rapport au PIB mondial qui est de 5,77% (le PIB moyen par habitant de l’Afrique est de 2060 dollars  contre 5418 dollars pour l’Inde). L’Afrique c’est aussi seulement 3,9% du volume mondial des Investissements directs étrangers (IDE) et 3,4% du commerce mondial.

La moitié du milliard d’africains a aujourd’hui moins de 25 ans. La tendance ne faiblira pas – bien au contraire- dans les prochaines années. Les prévisions disent que dans 30 ans l’atelier du monde se déplacera de la Chine vers l’Afrique dont la population sera alors estimée entre 1,5 et 2 milliards d’âmes. La raison est que l’aire géographique du monde ayant la plus grande population d’âge actif ne sera plus l’empire du Milieu mais le continent noir.

 Ainsi, sont mises en évidence, de partout, les opportunités qu’offre ce pôle de croissance devenu désormais incontournable. Souvent, il s’agit d’abord de non-africains, s’exprimant, selon leur intérêt ou celui de leurs pays, région, continent sur un marché nouveau à conquérir et exploiter car c’est la région du monde où la rentabilité des capitaux est la plus élevée. Comme le fait remarquer l’économiste franco-égyptien Samir Amin : « on parle d’une Afrique émergente alors que les problèmes sociaux fondamentaux s’y approfondissent d’année en année ».

Toutefois, des voix africaines, de plus en plus nombreuses, se font entendre pour mettre en avant la vision que les fils du continent eux-mêmes ont de cette embellie annoncée. Ce qu’ils pensent de l’utilisation des importants flux d’investissements dont ils sont appelés à être les destinataires. Le guinéen Amadou Bachir Diallo, autre économiste de la Banque Africaine de Développement, campe le sujet en ces termes : « si ces interlocuteurs-là viennent chercher leurs intérêts, la question qui se pose est : quels sont nos intérêts à nous ? D’abord est ce qu’on tire profit de ces investissements en termes de taxation, en termes de création d’emplois, d’infrastructures, en termes de renforcement de la structure économique ? Les ressources qu’on en tire qu’est-ce qu’on en fait ? Quel type de partenariat on vise ? Pour résumer, il faut penser en termes de diversification maitrisée de l’économie ». Faire en sorte d’investir dans la recherche développement et d’avoir un secteur privé fort dans chaque pays du continent  pour porter cette économie devient ainsi une nécessité. Le développement d’un marché intra-africain l’est tout autant car avec l’Afrique du Sud et le Nigéria notamment comme moteurs, le potentiel est impressionnant. D’autant plus que les 430 milliards environ de dollars de réserve de change qui dorment dans les banques centrales africaines pourraient booster cette nouvelle politique économique. Mais pour en arriver là, un changement radical de mentalités s’impose.

A cette approche économique, il faudra ajouter une lutte plus efficace contre la corruption, le renforcement des institutions juridiques et gouvernementales ainsi que la diminution des risques politiques.

 

Sociétés émergentes versus marchés émergents

Lorsqu’ils font référence à l’Afrique, beaucoup de spécialistes des pays développés ou grands émergents et même, parfois, certains fils du continent parlent donc d’un marché émergent offrant actuellement plus d’opportunités que partout ailleurs ; « le lieu où il faut être pour faire du profit » dit-on. Or cette approche de l’émergence (concept en lui-même discuté par certains) met au second plan le volet social. Elle ne garantit pas que les fruits de la croissance profitent aux africains et se répercutent sur leur pouvoir d’achat. La nouvelle conscience africaine dont il est question ici cherche, quant à elle, à promouvoir des sociétés émergentes.  La croissance y serait essentiellement portée par des africains et non par des multinationales promptes à rapatrier les dividendes tirées de leur activité vers d’autres destinations. Elle serait inclusive avec des richesses mieux redistribuées pour, d’une part, réduire l’écart de niveau de vie avec les citoyens des pays les plus avancés et, d’autre part, en interne, venir à bout des inégalités qui, sans cela, iraient en se creusant avec ce boom économique.

 Les intellectuels porteurs de cette conscience africaine émergente ont le souci de ne pas laisser d’autres penser leur devenir à leur place. Ils tentent de  questionner leurs choix, de se regarder et de regarder leur environnement sans complaisance,  d’interroger le passé pour transformer ce présent dont nul ne pourrait se complaire malgré des projections souvent optimistes, en ne répétant pas les erreurs du passé.

Au suivisme dans la recherche effrénée d’une infinie croissance aux fragiles fondations en papier mentionnant une accumulation de dettes, ils préfèreront la sérénité d’une approche à la fois plus responsable, plus solidaire et plus préoccupée par les priorités actuelles et le sort des générations futures, procurant in fine la satisfaction du devoir accompli. C’est ce que certains appellent l’afro-responsabilité.

L’enjeu consiste dés lors en une prise en compte des succès et des échecs des orientations passées et présentes, une prise en charge des aspirations et espoirs des plus modestes, dans la réflexion pour la réalisation d’un développement à hauteur d’homme synonyme de mieux être pour tous. Il s’agit aussi de ne pas réduire la lutte contre la pauvreté à des actions d’assistanat visant les pauvres mais de faire le lien entre pauvreté et inégalités afin de s’attaquer aux causes dont la principale renvoie à une croissance mal redistribuée, et de vaincre le mal à la racine.

 

Etablir sa propre temporalité

La responsabilité des Etats africains et autres organisations d’intégration est engagée. Selon toujours Amadou Bachir Diallo de la BAD, plus d’unité s’impose pour pouvoir peser sur certaines décisions dans les instances internationales. Il faut aussi, avance-t-il, « une volonté politique, une réorganisation du système financier pour accompagner ce secteur privé qui portera une croissance africaine réelle, éviter la compétition entre le secteur public et le secteur privé, penser à développer une classe de jeunes entrepreneurs. Cela passe par une formation de qualité, des financements adéquats mais aussi la mise en place d’un réseau qui puisse guider leurs premiers pas dans la vie d’entrepreneur ».

L’écrivain et économiste sénégalais Felwine Sarr va plus loin. Il faut, de son point de vue, pour l’Afrique, rompre avec la référence externe  et  établir sa propre temporalité  pour ne plus avoir comme horizon indépassable le projet de rattraper les champions d’un modèle qui a fini de montrer ses limites. Une étude menée par Oxfam révèle qu’en 2016, 1% de la population mondiale possèdera plus de la moitié du patrimoine. Les plus virulents détracteurs de cette étude réfutent les chiffres avancés mais conviennent unanimement du creusement des inégalités. Sarr rejette ainsi le modèle ayant conduit à cette dérive née d’un désir d’accumulation malsain érigé en norme et insiste sur « la nécessité de l’élaboration d’un projet social africain, partant d’une socio-culture parce qu’on ne peut avoir économiquement raison si on a socio-culturellement tort ».

Ce souci de changer de paradigme a une résonnance particulière au moment où la théorie du ruissellement voulant que l’accumulation de richesses entre les mains d’une minorité profite à la croissance car leurs revenus auraient pour finalité d’être réinjectés dans l’économie est en train d’être battue en brèche par le FMI lui-même. Le Fonds, longtemps favorable à cette thèse d’inspiration libérale, a reconnu dans un rapport publié récemment que plus les riches sont riches moins la croissance est forte. Les chiffres qui étayent cette position sont les suivants : lorsqu’à travers le monde la fortune des 20% les plus aisés augmente de 1%, le PIB global diminue quant à lui de 0,8%.  

Aussi est-il aujourd’hui aisé de constater que les modèles de développement destructeurs de systèmes sociaux et d’équilibres naturels qui sont reproduits à l’identique un peu partout finissent par ne plus répondre aux exigences d’un développement durable et par creuser les inégalités dans une même société ainsi qu’entre pays au sein du système international.

Racine Assane Demba

Sources : ONU, Banque mondiale, FMI, OMC, CNUCD, BAD, Economy Watch, « Afrique: prochaine destination des investissements mondiaux? » ouvrage de Gabriel Mougani, « Développement : archéologie du concept » présentation de Felwine Sarr

 

 

La loi anti-tabac au Sénégal : réelle avancée ou écran de fumée

JPG_Tabac Sénégal 230615Plus d’un an après l’adoption, par l’Assemblée nationale sénégalaise, d’une loi anti-tabac puis sa promulgation par le président Macky Sall, son effectivité se fait attendre. Les décrets et autres textes règlementaires d’application sont encore dans le pipeline administratif.

Retour sur les motivations de la loi

Selon le Docteur Abdou Aziz Kassé, président de la Ligue sénégalaise contre le tabac (Listab) : « le tabac représente la plus grande menace en matière de santé, dans le monde. C’est la seule substance qui, utilisée comme le dit le vendeur, tue la moitié de ses usagers ». Les estimations font, en effet, cas de 100 millions de personnes tuées par le tabac au cours du siècle dernier. Sept millions de personnes en meurent chaque année ;  soit plus que le SIDA (2,1 millions) et le paludisme (0,6 Million) réunis. Le Dr Kassé ajoute que les fumeurs font 600 000 victimes par an (soit autant que le paludisme) dans leur entourage immédiat c'est-à-dire les conjoints, les enfants, les contacts et les proches.

Ainsi, de nombreux  spécialistes et organismes de recherche s’accordent sur une prévision : si des mesures drastiques ne sont pas prises, le fléau entrainera 1 milliard de morts au cours de ce 21ème siècle et c’est « pour éviter ce véritable génocide, ajoute le président de la Listab, que l’OMS a proposé à l’ONU une convention cadre définissant toutes les stratégies efficaces de lutte contre l’épidémie de tabagisme. L’ONU a adopté, en 2003, ce traité majeur qui demeure, à ce jour, le seul traité de santé adopté. »

Le Sénégal avait déjà voté une loi, en 1981, sur l’interdiction de la publicité relative au tabac et de son usage dans les lieux publics. Cette loi n’a pas eu les effets escomptés. Elle subira même des modifications, en 1985, qui feront sauter l’interdiction de fumer dans les lieux publics pour ne garder que l’aspect lié à la publicité. En 2004, le pays a ratifié la Convention Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. « Par cette ratification, le Sénégal était juridiquement lié par l’ensemble des dispositions du Traité, et s’est mis dans l’obligation de transposer ladite Convention-cadre en droit interne (Article 5.2 b CCLAT), avec des dispositions tendant à la protection des populations contre les méfaits du tabagisme et contre l’exposition à la fumée du tabac.

« Les différents gouvernements qui se sont succédé au cours des deux mandats du président Abdoulaye Wade (entre 2000 et 2012) n’avaient fait aucun effort pour respecter ces engagements» explique le Dr Kassé. Toutefois, à partir de 2008, la société civile va  accompagner les autorités dans la rédaction d’un texte de loi réglementant la production, la distribution et l’usage du tabac. La loi de mars 2014 constitue l’aboutissement du processus.

Le contenu de la loi

Le contenu de la loi peut-être décliné en cinq points : l’interdiction de toute forme d’ingérence de l’industrie du tabac dans la définition des politiques de santé, l’interdiction de toute forme de publicité, promotion ou parrainage qu’ils soient  directs ou indirects, l’affichage des avertissements sanitaires indélébiles, écrits avec des photos en couleur, sur 75% des principales faces de tout emballage de tabac et de produits du tabac, l’interdiction totale de fumer dans tous les espaces publics et ouverts au public, sans espace dédié aux fumeurs, l’adoption d’une taxation forte conforme aux dispositions communautaires de la CEDEAO et qui devrait être révisée, tous les ans, et indexée sur le coût de la vie.

Le ministre de la Santé, Awa Marie Coll Seck, s’est battu pour, dit-elle, « permettre à certains établissements d’avoir un endroit où les personnes qui veulent fumer pourraient se retirer ». De l’avis du Dr Kassé, sans cet « unique point noir », le Sénégal aurait eu la meilleure loi du monde.

Pour le Pr Abdoulaye Diagne, Directeur Exécutif du Consortium pour la Recherche Economique et Sociale (CRES) : « l’acquis majeur de cette nouvelle loi est l'interdiction de fumer dans les espaces publics ainsi que la possibilité donnée à l’autorité administrative locale d’entériner l’interdiction de l’usage du tabac dans sa localité en cas de menace de trouble à l’ordre public ». De son point de vue « cette dernière disposition permettra aux autorités locales, notamment des villes religieuses, d'interdire sur une base légale l'usage du tabac si cette mesure est sollicitée par les populations ».

Où se situent les blocages ?

Haoua Dia Thiam, présidente de la Commission Santé de l’Assemblée nationale, estime que les parlementaires qui ont porté cette loi ont « rempli leur part du contrat en faisant adopter un bon texte après un important plaidoyer auprès de leurs collègues ». Elle pense que la balle est désormais dans le camp de l’Exécutif. Au ministère de la Santé, l’on assure que le processus suit son cours même si l’on reconnait quelques lenteurs liées, par exemple, à la lutte anti-Ebola qui, à un moment donné, avait mobilisé toutes les ressources. Le Dr Oumar Ba, point focal de la lutte anti-tabac dans ce ministère explique : « certaines dispositions de la loi sont déjà entrées en vigueur, seulement les populations ne se les sont pas appropriées. Pour d’autres, il faut des décrets et des textes réglementaires interministériels d’application. Nous travaillons sur neuf textes parmi lesquels trois sont déjà achevés et mis dans le circuit administratif ». Les considérations prises en compte par ces textes vont de la définition de ce qu’est un lieu public à celle des montants des amendes en cas de violation de la loi en passant par les prérogatives des forces de l’ordre en la matière.

Le Pr Abdoulaye Diagne du CRES comprend les lenteurs notées dans le processus. « Ces textes, explique-t-il, s’avèrent parfois assez complexes et leur rédaction requiert l’appui technique d’experts pour prendre en compte tous les aspects y afférents. Le ministère de la Santé est à pied d’œuvre mais il a besoin de soutien technique »

Les responsables dudit ministère ainsi que des parlementaires reconnaissent l’ingérence de l’industrie du tabac qui avait déjà réussi à s’inviter aux débats lors de la rédaction de la loi et qui, aujourd’hui, ferait un intense lobbying pour entraver le processus.

Sylviane Ratte, conseillère technique à L’Union internationale contre le tabac et les maladies infectieuses met en garde les autorités sénégalaises : « ce qu’elles doivent savoir c’est que la stratégie de l’industrie du tabac est  principalement d’intimider, de menacer, de faire du chantage économique, tout cela sur la base de données fausses ou tendancieuses ». Et de poursuivre : « les autorités sénégalaises ne devraient pas tomber dans les pièges de l’industrie du tabac. Celle –ci, non contente de tuer 6 millions de personnes chaque année et de créer des souffrances partout dans le monde,  exagère grossièrement son apport aux Etats, sa contribution à l’emploi et  ne parle jamais du coût social du tabac ».  Ce coût social consiste en des pertes en vies humaines, des dépenses élevées sur les soins de santé, une perte de productivité. 

Racine Assane Demba

Le printemps des pères fouettards

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Aux âmes nées, sous les tropiques, avec la passion du fouet en bandoulière, la valeur politique, ou du moins électorale, attendrait-elle un nombre très élevé d’années ?

Après le choc, les vieux. Et des vieux « durs » s’il vous plait serait-on tenté de dire.

En 2013, le septuagénaire Ibrahim Boubacar Keita se faisait élire au Mali,  avec pour plus haut fait d’arme d’avoir mâté une révolte d’étudiants alors qu’il était Premier ministre dans les années 90. De cet épisode, beaucoup de maliens ont retenu l’image d’un leader fort, capable de se montrer intraitable, intransigeant face à certains empêcheurs de gouverner en rond.

Lorsqu’il se présente devant ses compatriotes, il y a deux ans, afin de recueillir leurs suffrages, le Mali est en situation de guerre. Le pays n’a dû son salut, face à une invasion jihadiste venue du Nord, qu’à l’intervention de la France d’abord puis au déploiement d’une force multinationale. IBK fait de la reconquête de la dignité qu’aurait perdue le pays son cheval de bataille. Dans le choix de son slogan de campagne, il opte pour la simplicité et l’efficacité : « Pour l’honneur du Mali » dit-il. Ses compatriotes adhèrent. Après la gestion jugée calamiteuse de la question du Nord par Amadou Toumani Touré finalement emporté par un putsch, les incantations du nouveau chantre de la dignité assaisonnées d’un curieux mélange d’expressions en latin, pour faire savant, et en bambara, pour le côté « bon sens paysan », font le reste. Il est ainsi élu principalement grâce à une réputation surfaite de dur à cuire qui, pour ses électeurs, devait permettre d’en finir avec cette coalition hétéroclite constituée essentiellement de jihadistes et de séparatistes.

En Tunisie, Béji Caid Essebsi (90 ans) bras armé du régime policier de Bourguiba (directeur de la Sureté nationale, ministre de l’Intérieur, ministre de la Défense) dans les années 60 et 70 a aussi bénéficié de cette image d’homme à poigne pour se faire élire, à la fin de l’année écoulée, malgré son âge canonique. Après la révolution qui a chassé Ben Ali du pouvoir, les tunisiens se sont retrouvés avec les islamistes d’Ennahdha à leur tête avant de vite déchanter. Entre une économie qui peinait à redécoller, des droits constamment remis en cause, des assassinats politiques et une menace terroriste accrue, il n’a pas fallu longtemps pour convenir d’un changement de cap.  Dans la campagne qui devait les conduire au sommet, Essebsi et ses partisans ne ratèrent pas une occasion de rappeler que lors des émeutes anti-israéliennes ayant eu lieu à Tunis, en juin 1967, après l’éclatement de la Guerre de six jours, il a refusé, alors ministre de l’Intérieur, de donner l’ordre de tirer sur la foule. Que des associations de défense de droits de l’homme aient porté plainte contre lui, pour actes de torture datant de son passage à la Direction de la Sureté nationale n’y fera rien. Il réussit à se défaire de l’image d’ancien fonctionnaire zélé d’un régime autoritaire qu’ont voulu lui coller ses détracteurs arrivant à se présenter en homme sage, expérimenté mais ayant fait preuve d’assez de rigueur, par le passé, pour donner confiance dans sa capacité à gouverner en ces périodes  troubles.

Muhammadou Buhari (72 ans)  se présente comme un « converti à la démocratie ». En adoptant cette posture, ce général qui a dirigé le Nigéria, entre 1983 et 1985, à la suite d’un putsch, fait un enfant dans le dos aux théoriciens du Buharisme. Ceux qui pensent que le salut de nos pays ne peut venir que de « despotes éclairés », nationalistes, ne s’embarrassant pas de formes lorsqu’il s’agit de lutter contre la corruption, avec procès expéditifs et longues détentions arbitraires au besoin. Les atteintes aux droits de l’homme ne seraient, dans ce cas précis, que des dégâts collatéraux ou un mal nécessaire à l’instauration d’une gouvernance vertueuse. Le Buhari de 2015, qui vient d’être élu à la tête d’un Nigéria en prise avec les assauts répétés de Boko Haram,  n’est plus celui du début des années 80. Il a rangé son fouet, arboré un grand sourire, et s’est coalisé avec quelques politiciens de la race de ceux qu’il avait honni, combattu et jeté en prison, il y a trente ans. Devant l’inertie de Goodluck Jonathan face à la menace sécuritaire et à une corruption galopante, cependant, son passé d’autocrate fut un atout majeur.

Après des chocs traversés par leurs pays respectifs, les électeurs maliens, tunisiens et nigérians, ne sachant plus à quel saint se vouer, se sont tournés vers les « durs » de leur classe politique ou ce qui s’en approche le plus. On met sous pertes et profits leurs méfaits. On a besoin de leur poigne.

C’est l’application en politique, sous nos cieux, de la stratégie du choc théorisée par Noemie Klein selon qui les guerres, les catastrophes naturelles, les crises économiques, les attaques terroristes sont utilisées de manière délibérée pour permettre la mise en œuvre de réformes économiques néolibérales difficiles voire impossibles à adopter en temps normal. Pendant ou après chaque menace terroriste extrémiste conduisant à des catastrophes économiques ou humanitaires, des peuples, en toute liberté, recyclent des autocrates ou de vieux personnages au passé politique sinueux et à la rigueur dévoyée par un excès de zèle rédhibitoire, pour en faire les champions du redressement citoyen, sécuritaire, économique.

Mais à chacun ses priorités, les peuples meurtris ou menacés veulent des hommes forts à leur tête. L’avenir appartiendrait alors à ceux qui, munis d’une matraque ou d’une corde, se lèvent tôt, se couchent, se relèvent, savent être patients, attendent leur tour, et ramassent le pouvoir après qu’un bain de sang, une pluie de larmes et une vague d’indignation l’aient entrainé dans la rue. Souvent, ils ne font pas grand-chose de ce pouvoir acquis par défaut.

IBK a rendu les armes face à ceux qu’il considérait comme des quidams à museler par tous les moyens ; ses incantations n’y ont rien fait, il leur a  abandonné Kidal. Après les slogans aux relents de fermeté, le renvoi à un passé glorieux de toute sa brutalité, les déclarations d’intention de rigueur … la réalité de l’impuissance.

Essebsi a choisi un Premier ministre qui a attendu l’attentat du musée du Bardo pour organiser une purge dans la police tunisienne. Il a peut-être l’excuse du nouveau venu. A peine s’est-il installé que les terroristes frappaient. Mais n’avait-il pas promis des solutions clé en main du fait de son expérience dans  la répression des fauteurs de troubles et autres citoyens indélicats ?

Le nouvel homme fort d’Abuja arrive auréolé de son passé de tyran. « Les crimes de Buhari »  c’est le titre d’une pièce de Wolé Soyinka. Ce charmant monsieur doit être bien malheureux dans un monde où ces crimes qu’il dénonçait à ses risques et périls sont devenus un atout pour le criminel en question. Il se consolera en se disant que face aux abjections de Boko Haram, un enfant de chœur ne saurait faire l’affaire. Il fera confiance à son peuple qui, confronté au choix entre des gens pas très recommandables, selon les critères les plus répandus de nos jours, a choisi le moins pire.

A tous les dictateurs, apprentis dictateurs ou hommes liges de dictateurs, déchus ou en disgrâce, le message est le suivant : rien n’est perdu ; si vous êtes relativement jeunes et si dans 20 ou 30 ans les menaces sécuritaires, la corruption, l’incivisme sont toujours d’actualité dans votre pays, quoi que vous ayez fait de votre passage au pouvoir, vous avez de réelles chances d’être vu comme le messie. Entourez vous de spin doctors et de relais efficaces à tous les étages de la société, ne vous encombrez pas de considérations trop techniques, n’ayez d’autre programme que de rendre au peuple sa dignité, au pays son honneur, de mâter les fauteurs de troubles, de discipliner les esprits égarés et faites de la lutte contre la corruption votre cheval de bataille. Si au moment où vous dites cela, vous êtes riche comme crésus et cela du fait, en grande partie, de votre passage au pouvoir, ça ne changera rien. Le peuple est indulgent, il sait tout pardonner et/ou oublier lorsqu’il est à la recherche d’une icône. 

Nous accorderons, tout de même, le bénéfice du doute aux thuriféraires du buharisme conquérant. Sanusi Lamido Sanusi, ancien gouverneur de la banque centrale du Nigéria devenu émir écrivait, en 2001, alors que le général briguait déjà le suffrage de ses concitoyens, ceci : « le Buharisme était un régime despotique mais son despotisme a été historiquement déterminé, rendu nécessaire par la tâche historique de démantèlement des structures de dépendance et l’émergence d’une nation tournée vers un modèle autre que l'accumulation primitive. Sous son meilleur jour, Buhari a peut-être été un Bonaparte ou un Bismarck. Dans ses pires moments, il peut avoir été un Hitler ou un Mussolini. Dans les deux cas, le Buharisme, s’il avait atteint sa conclusion logique, aurait posé les bases d'une nouvelle société. Son renversement a marqué une rechute, un pas en arrière ».

Toutefois, tout buhariste qu’il est, l’émir de Kano ne fait pas partie des hystériques et autres inconditionnels de la cause. Il a tôt fait de mettre un bémol. « Je crois, disait-il, que Buhari a joué un rôle honorable dans une époque historique particulière mais, comme Tolstoï et Marx, je ne crois pas qu'il puisse rejouer ce rôle. Les hommes ne font pas l'histoire exactement comme il leur plait mais, comme l'écrivait Marx dans Le 18 Brumaire, ils la font dans des conditions héritées du passé. Muhammadu Buhari, comme général de l'armée, avait plus de place pour manœuvrer qu'il ne pourra jamais espérer en avoir dans l’espace politique nigérian ». Et de poursuivre : « dans un pays de 120 millions d’habitants, nous pouvons faire mieux que de limiter notre choix à un petit groupe. Je pense que Buhari, Babangida et Obasanjo devraient simplement permettre à d'autres de montrer ce qu’ils valent au lieu de croire qu'ils ont le monopole de la sagesse »… Prés de quinze ans se sont écoulés depuis qu’il a écrit ces mots ; le sage Buhari, aidé du sage Obansanjo, a fini par reconquérir le pouvoir. La nouvelle génération de leaders nigérians valables devra attendre. En son sein, il n’y  a personne pour rassurer le peuple ; elle ne regorge pas de dictateurs convertis.

Racine Assane Demba

Élection présidentielle en Guinée-Bissau : Enfin le bout du tunnel ?

JPG_GuinéeBissau290514Le second tour de l’élection présidentielle en République de Guinée-Bissau, tenu le 18 mai dernier, a livré son verdict. Avec 62% des suffrages, José Mario Vaz a remporté face à Nuno Gomes Nabiam (38%) un scrutin qui vient couronner un énième processus de normalisation de la tumultueuse vie politique locale.

La République de Guinée Bissau a accédé à l’indépendance en 1973. Elle a connu une instabilité chronique, particulièrement depuis l’instauration du multipartisme au début des années 1990 : coups d’État et assassinats politiques ont rythmé sa marche vers la démocratie au cours des deux dernières décennies. Dans ce pays, en effet, aucun président élu n’a pu jusqu’ici terminer son mandat.

Le printemps démocratique que nombre de pays africains ont connu entre la fin des années 1980 et le début des années 1990 a pourtant aussi été ressenti dans cette ancienne colonie portugaise. En effet João Bernardo Vieira, arrivé à la tête du pays en 1980 à la faveur d’un putsch, décide en 1989 d’opérer des réformes pour consacrer de plus grandes libertés au plan politique. Elles aboutiront, dès 1991, à l’adoption d’une nouvelle Constitution. Les premières élections présidentielles et législatives sont organisées en 1994. Vieira bat au second tour l’universitaire et philosophe Kumba Yalà et devient le premier Président démocratiquement élu de Guinée Bissau. Il dirige le pays dans une relative stabilité pendant quatre ans avant d’être, en 1998, la cible d’une tentative de coup d’État qui plonge le pays dans une brève mais sanglante guerre civile.

L’armée sénégalaise interviendra pour barrer la route aux rebelles dirigés par le général Ansumane Mané par crainte de voir leur alliance avec les indépendantistes du Mouvement des Forces démocratiques de Casamance (MFDC) renforcer ces derniers qui tentent de faire sécession au sud du Sénégal. En mai 1999, les éléments de Mané finissent par prendre le pouvoir après que les militaires sénégalais se soient retirés. Vieira part en exil au Portugal. De nouvelles élections sont organisées par un pouvoir intérimaire et Kumba Yalà les remporte haut la main. Mais il est à son tour renversé en 2003. Après une transition de deux ans, le scrutin présidentiel de 2005 consacre le retour de Vieira au pouvoir. Il gouvernera encore le pays pendant quatre ans.

Le 1e mars 2009, le Chef d’état-major général de l’armée, Baptista Tagme Na Waie, est assassiné à la suite d’un attentat à la bombe. En représailles, des soldats se rendent, le lendemain, à la résidence officielle du Président Vieira et l’exécutent sans autre forme de procès. La présidentielle organisée la même année est remportée par Malam Bacai Sanhà qui décède au début de 2012, des suites d’une longue maladie provoquant du même coup une nouvelle période d’instabilité. Carlos Gomes Junior arrive en tête au premier tour des joutes électorales suivantes, tenues en mars 2012. Il est suivi de Kumba Yalà. Toutefois, les deux hommes n’auront pas l’occasion de s’affronter au second. Le coup d’Etat mené dans l’entre-deux tours, par le général Amadu Ture Kuruma, coupe court au dénouement de leur duel.

Pays classé au rang de narco-Etat

Autre phénomène qui ternit l’image de la Guinée Bissau, outre ces putschs à répétition, concerne le trafic international de stupéfiants. Depuis de nombreuses années, le pays est présenté comme une plaque tournante utilisée par les narcotrafiquants sud-américains pour faciliter l’acheminement de grandes cargaisons de drogues vers l’Europe et les Etats Unis.  Plusieurs sources attribuent d’ailleurs l’assassinat de Vieira à un règlement de compte organisé par des narcotrafiquants colombiens. Le contre-amiral Bubo Na Tchuto, ex-chef de la marine, considéré comme l’une des pièces maitresses de ce trafic, a été arrêté en avril 2013 avec six autres personnes dont deux Latino-Américains, puis envoyé dans une prison américaine. Il attend d’être jugé pour son rôle de premier plan dans ce réseau international.

Dans son rapport 2013 sur la criminalité transnationale organisée,  l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) révèle que la Guinée-Bissau fait partie d’un groupe de pays dont la valeur de la drogue qui transite sur le territoire est supérieure au budget militaire. Les experts de l’ONU affirment que cette situation favorise l’instabilité du pays, ternit son image et décourage les investisseurs. Son potentiel économique (un sous-sol riche en bauxite, phosphate et pétrole notamment) est ainsi largement sous-exploité.

Le scrutin de la rédemption

Après avoir vécu toutes ces péripéties, les Bissau-guinéens espèrent ouvrir un chapitre plus reluisant de leur histoire. Dans tout le pays on veut croire que le second tour du 18 mai marque une nouvelle ère plus apaisée pour qu’enfin la classe politique et les forces vives de la nation puissent se consacrer aux défis qui les attendent. Ces défis ont pour noms : une pauvreté endémique, un taux de chômage très élevé, un déficit énergétique qui plombe l’activité économique, la nécessité d’une réforme agraire, le manque d’infrastructures et de services sociaux de base, la corruption, la fragilité des institutions etc.

José Mario Vaz, 57 ans, était le candidat du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert (PAIGC). Ancien ministre des Finances, il a joué sur le registre de l’expérience. Sa connaissance des rouages de l’administration et ses compétences présumées en matière d’économie ont été mises en avant tout le long de la campagne pour convaincre l’électorat de sa capacité à pouvoir redresser le pays.

Il devra conduire ses concitoyens au redressement tant souhaité, et le taux de participation très élevé (80%) donne une idée de l’étendue des attentes. Seulement, il est porté au pouvoir par l’institution qui, avec l’armée, a le plus incarné la « malédiction » de ces vingt dernières années : le PAIGC, l’ancien parti unique. Sa capacité à se libérer des entraves de cet appareil gangrené par les luttes d’influence et souvent suspecté de corruption sera déterminante  pour la réussite de son action à la tête du l’État en termes de ruptures.

Ce scrutin de tous les espoirs, sécurisé par 4 200 soldats nationaux et ouest-africains, n’était en fait que le premier pas vers la normalisation. L’histoire a en effet montré qu’en Guinée-Bissau, le plus dur n’est pas d’organiser une élection dans des limites acceptables de transparence mais de donner la possibilité au vainqueur d’étaler les axes de son programme sur un mandat entier.

Nuno Gomes Nabiam, le candidat malheureux, était soutenu par l’armée. Leur champion défait, les militaires adopteront-ils cette fois une posture républicaine ? Laisseront-ils au Président élu les coudées franches ? Une interrogation largement partagée mais à laquelle il est difficile de répondre par l’affirmative même si l’actuel homme fort de cette grande muette turbulente, le général Antonio Indjai, a tenu à donner des gages à la communauté internationale. Les plus sceptiques rappellent toutefois qu’au lendemain du scrutin de 2009, il avait pris des engagements similaires avant de tenter et de réussir un coup de force moins d’un an plus tard.

Racine Assane Demba

 

Présidentielles 2013 au Mali : une question d’honneur

L’élection présidentielle malienne a vécu. Ces joutes électorales à haut risque, particulièrement surveillées par la communauté internationale, n’ont finalement pas donné lieu aux troubles annoncés. Ibrahim Boubakar Keita a été bien élu. Son adversaire au second tour, Soumaila Cissé, en reconnaissant rapidement sa défaite, a contribué à ouvrir, sans heurts, une nouvelle page de l’histoire de son pays. Actuellement au Mali, notre analyste Racine Demba nous livre les premiers chantiers qui attendent le nouveau président.


Honneur au vaincu

Dans la soirée du 12 aout 2013, Soumaila Cissé est venu gonfler les rangs de ces « grands vaincus » ouest africains, ces leaders qui ont su être grands dans la défaite : Abdou Diouf, John Atta-soumi-rend-visite-à-IBKMills en 2004, Abdoulaye Wade. La liste n’est pas longue.

Soumaila Cissé a parachevé le retour du Mali à la table des jeunes démocraties. Le choix de rompre avec « la tradition du coup de fil » pour se rendre au domicile de son adversaire avec femme et enfants afin de le féliciter est un des moments marquants de cette élection. Il relègue au second plan le score « à la soviétique » du président Keita (77,63% à l’issue du second tour).Il reste désormais à Cissé de se poser en chef de file de cette opposition forte qui a tant fait défaut au Mali ces dernières années. En cela, l’éclatement de l’ADEMA, parti le mieux implanté sur le territoire national pourrait jouer en sa faveur.

Les premières déclarations du leader de l’URD,  une fois sa défaite reconnue, montrent qu’il a déjà commencé à assumer ce nouveau rôle. Les élections législatives et locales prévues pour octobre 2013 seront déterminantes dans la confirmation ou non de sa stature d’opposant pouvant être une alternative crédible au nouveau régime.

IBK, le choix de l’honneur

« Pour l’honneur du Mali », voilà les mots qu’on peut lire sur les affiches du candidat Ibrahim Boubakar Keita encore bien visibles dans les rues de Bamako. En choisissant de faire campagne sur ce thème, le candidat du RPM et ses spin-doctors ont visé juste. La relance économique ou la réduction de la pauvreté ne s’étant  pas révélées être les soucis premiers des électeurs. Ces enjeux économiques devront, bien entendu, malgré leur importance moindre dans l’ordre de priorités de ces derniers, figurer en bonne place dans la liste des principales préoccupations du président élu. Au-delà du slogan, cette question de l’honneur – un honneur considéré comme n’étant certes pas perdu mais malmené par la crise de ces derniers mois-  revêt une importance capitale aux yeux des Maliens. La réputation d’homme à poigne de l’ancien chef du gouvernement et président de l’Assemblée nationale y a probablement contribué.

Personne n’a oublié sa gestion des affaires notamment la crise de l’éducation, dans les années 90. Alors qu’il était tout puissant Premier ministre d’Alpha Oumar Konaré, il refuse de faire la moindre concession aux syndicats d’enseignants et autres associations d’étudiants allant même jusqu’à durement les réprimer. Son intransigeance vaudra à l’école malienne une année blanche et lui coutera plus tard son poste. Venant s’ajouter à une forte opposition à ses méthodes au plan interne, sa tête aurait en effet été réclamée par les bailleurs de fonds. Ainsi le président Konaré aurait-il décidé de s’en séparer.

Cette intransigeance assimilée par certains à de l’arrogance que ses adversaires pointaient comme un défaut devant lui valoir la méfiance des électeurs est devenue, au gré des circonstances, son principal atout. Avec lui peut-être que l’armée disposera enfin d’un vrai commandant en chef et que le « problème » Sanogo pourra être géré ; la rébellion touarègue de même que les partenaires extérieurs auront devant eux un interlocuteur crédible.

IBK a déjà dit ne pas être engagé par l’accord d’Ouagadougou signé par le président de la transition Dioncounda Traoré. Il devra, pour ne pas perdre la confiance de l’essentiel de son électorat, rester constant dans cette fermeté affichée envers la rébellion même en cas d’ouverture de nouvelles négociations. Sa capacité à manœuvrer face à la France, parrain de cet accord, dont l’armée contrôle la ville de Kidal, ce qui selon l’opinion la plus répandue à Bamako fait le jeu du MNLA, sera déterminante. Le nouveau président juge la présence des troupes françaises sur le sol malien encore nécessaire au regard de la menace terroriste toujours d’actualité. Toutefois il est resté plus ambigu à propos du statut de cette ville du nord qui échappe encore, de fait, au contrôle de l’administration malienne.

 Après avoir fêté l’ancienne puissance coloniale pour lui avoir « rendu sa dignité en le sauvant du péril islamiste », le peuple malien semble faire de la « reconquête » de Kidal par ses soldats une question… d’honneur.

Racine Demba

L’aventure ambigue des langues africaines

Souleymane Bachir DiagneLe philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne a été récemment chargé par Macky Sall de conduire une réflexion sur la réforme de l’enseignement supérieur avec la mise sur pied d’un Comité de pilotage de la Concertation nationale sur l’avenir de l’enseignement supérieur (CNAES). Une de ses conclusions est que la difficulté de maitrise de la langue française  constitue une sérieuse anomalie pour l’école sénégalaise. Cela repose la question de l’introduction des langues locales dans l’enseignement au pays de Senghor. 


Invité, sur un plateau de télévision, à s’exprimer sur les conclusions de cette réflexion Souleymane Bachir Diagne a expliqué que la baisse du niveau d’enseignement au Sénégal était liée à la non maitrise par les élèves et étudiants de la langue de travail qu’est le français.

Dans l’établissement des causes de cet état de fait, il a avancé que le français n’étant parlé qu’à l’école – les jeunes sénégalais préférant parler les langues locales (le wolof notamment) en dehors- il se posait même, du fait de cette utilisation partielle, un problème d’identification et de maîtrise des connecteurs logiques et donc d’argumentation tant à l’écrit qu’à l’oral.

Deux parmi ses disciples de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Khadim Ndiaye et Thierno Gueye ont tenu à lui « répondre », dans un texte très démonstratif que « logique pour logique » si « l’élève ne performe pas en français. » et que « Le fait que l’élève ne parle que wolof (hors de la classe) » implique que« l’élève ne  performe  pas dans sa langue de travail (au point que les connecteurs logiques dans cette langue ne peuvent se mettre en place). » donc « Il faudrait que l’élève parle wolof au sein de la classe. »Autrement dit, il faudrait arrêter de n’insister que sur le français au sein de la classe ou l’élève ne réussira jamais assez bien ni dans sa langue maternelle, ni dans sa langue de travail.

Ils en arrivèrent à la conclusion que : « c’est peut-être en procédant au renversement que nous rechignons à opérer que nous réglerons la question du problème des connecteurs logiques de l’argumentation ainsi que celle de la baisse de niveau, tant en français que dans les autres langues étrangères éventuellement (à moins, bien entendu, de considérer que ces connecteurs n’existent pas dans les langues locales sénégalaises)

Ndiaye et Gueye pouvaient d’autant plus apporter de l’eau à leur moulin qu’au mois de mars dernier, à liberté 6, un quartier de Dakar, une expérience pilote mêlant apprentissage en wolof et français, dans une classe de Cours d’Initiation a vu les enfants de cette classe avoir les meilleurs notes en français dans toute la circonscription, dépassant les autres élèves qui ne prenaient leurs cours qu'en français.

Au début des années 80 déjà, au Sénégal, une expérience similaire, à plus grande échelle, avait donné les mêmes résultats. Cependant les autorités de l’époque avaient préféré ne pas donner suite.

Contribuant à ce débat, la linguiste Arame Fall Diop est d’avis qu’on ne pourra parler de renaissance africaine que lorsque les langues indigènes seront promues. « A son accession à l’indépendance le Sénégal était au même niveau  de développement que la Corée du Sud. L’un des facteurs explicatifs, bien entendu pas le seul, de l’écart que nous constatons entre les deux pays aujourd’hui, affirme-t-elle, est que la Corée, contrairement au Sénégal, a réalisé un travail de promotion de la langue coréenne pour en faire le moteur de son développement ».

L’économiste et philosophe El Hadj Ibrahima Sall préfère quant à  lui mettre en garde contre ce qu’il appelle un « populisme à rebours ». Oui à l’introduction des langues nationales à l’école, dit-il, ne serait-ce que pour mieux communiquer entre Africains d’un même pays ou à l’échelle continentale mais non à l’idée d’aller, à l’état actuel des choses, jusqu’à enseigner des disciplines telles que les mathématiques dans les langues africaines. Pour lui, il y a tout un travail à faire dans la codification,   la recherche, avant de nourrir de telles prétentions. Il évoque l'exemple de la Mauritanie, pays qui, du jour au lendemain, a abandonné l’enseignement du français à l’école pour lui substituer l’arabe contribuant ainsi à faire s’affaisser des pans entiers de son système éducatif.

Cette position de Sall caractérise ainsi une voix de la prudence donc contrairement à Arame Fall Diop qui souhaite voir les décideurs politiques tenter l’aventure car pensant que l’on a que trop attendu. Elle rappelle qu’en son temps, Cheikh Anta Diop avait déjà fait un travail de codification et sorti plusieurs publications (dans les revues de l’IFAN notamment) dans le sens de l’utilisation des langues africaines dans le domaine de la science ; travail qui, selon elle, n’a pas été exploité.

Elle assure que d’autres études réalisées par des structures comme l’Académie Africaine des Langues (ACALAN), sont aussi disponibles et prône leur application quitte à rectifier et améliorer certains aspects au fur et à mesure qu’avancerait l’expérience.

L’ACALAN, créé en 2001 et placé sous l’autorité de l’Union Africaine, a des objectifs qui vont du « renforcement de la coopération entre les États africains en matière de langues africaines » à « la promotion d’une culture scientifique et démocratique fondée sur l’usage des langues africaines » en passant par « le développement économique, social et culturel harmonieux des États membres basé sur les langues africaines et en relation avec les langues partenaires».

DOOMI-GOLODes intellectuels africains ont déjà commencé, à leur niveau, à prendre des initiatives recoupant certaines de ces préoccupations. Le projet de l’écrivain Boubacar Boris Diop consistant en la publication d’ouvrages (tels son Doomi golo*) en langues nationales en est une illustration.

Terangaweb a été déjà montré l’engagement de certaines élites africaines à porter ce combat présenté de plus en plus comme un impératif de développement du continent. Il existe tout de même un vrai courant de scepticisme de la part de ceux qui craignent que l’écriture en langue locale devienne une méthode de repli identitaire notamment ethnique au détriment de l’usage des langues communes africaines comme le Swahili pour construire des ponts entre différents individus.

C’est peut-être pour tenter de pallier ce risque de communautarisme et d’enfermement relevé que l’homme politique et ancien diplomate sénégalais Ibrahima Fall propose de faire de l’enseignement des langues africaines, un outil d’intégration avec des sortes des cercles concentriques linguistiques. Avec cette méthode, le pulaar serait, par exemple, la langue enseignée dans toute l’Afrique de l’Ouest et le Swahili en Afrique de l’Est car étant les langues les plus parlées dans ces aires géographiques.

A défaut d’entamer une « révolution linguistique » par le bas, certains établissements d’enseignement supérieur proposent des programmes en langues nationales à leurs étudiants. C’est le cas de l’université Gaston Berger de Saint Louis où vient de s’ouvrir un département de « Langues et Cultures africaines ».

*Les petits de la guenon

Racine Demba

Sur le même sujet : 

http://terangaweb.com/lecole-en-afrique-francophone-integration-ou-exclusion/

http://terangaweb.com/le-francais-est-un-frein-a-lalphabetisation-en-afrique-francophone/

Afrique : d’un paternalisme à l’autre ?

ELEONORE378462En 2013 l’OUA aurait eu cinquante ans ; cinquante années marquées par des discours forts, des déclarations d’intention, des reniements et peu d’actes permettant d’aller au-delà du slogan. Il y a eu les blocs de Casablanca et Monrovia, l’UA longtemps après, puis encore plus récemment des initiatives telles que la « théorie des jeux » appliquée, par des chercheurs de l’Université de Dakar, à la problématique de l’Union des Etats africains pour aboutir à un objet artificiel dénommé : « Etat virtuel d’Afrique ». Entretemps, on a vu la mise en place d’organisations régionales, au plus grand bonheur des théoriciens des « cercles concentriques ».  Il y a surtout eu, pendant tout le temps qu’a duré ce processus encore en cours, ce face à face entre les chefs d’Etats d’après indépendance qui, à quelques exceptions près, ont agi sous l’influence de l’ancienne puissance coloniale et des figures, essentiellement des intellectuels ou opposants dans leurs pays, qui ont écrit et agi contre ce paternalisme qui se substituait au colonialisme.

Ce débat est encore très actuel sur le Continent, et il a amené certains à proposer d’autres modèles pour contrer l’influence toujours prégnantes des anciennes « puissances coloniales », France et Angleterre surtout,  mais aussi celles de leurs voisins européens et de leur allié américain.

Dans des pays d’Afrique subsaharienne à fortes populations musulmanes tels le Sénégal, on distingue souvent l’école  du blanc de l’autre, celle où l’on apprend d’abord les préceptes de l’Islam, appelée communément l’école arabe. Parmi ceux qui en sont issus certains sont allés faire des études supérieures dans les pays arabes et il en est qui tendent à substituer au modèle occidental, celui dit oriental. Des voix s’élèvent cependant pour refuser ce qui est appelé : « un autre paternalisme ».

Certaines réactions après une tribune de Tariq Ramadan sur la récente intervention française au Mali  en sont une parfaite illustration. Après avoir pris connaissance des écrits de ce dernier, en effet, Bakary Samb, chercheur au Centre d’Etude des Religions de l’Université de St Louis, a publié un article intitulé « L’autre vrai paternalisme occulté par Tariq Ramadan ». Il y suggérait que Ramadan ne faisait que perpétuer, sous une autre forme, « l’image d’une Afrique sans civilisation, terre de l’irréligion (Ad-dîn ‘indahum mafqûd) rejointe par les théories de la tabula rasa, véhiculée par Ibn Khaldoun (Muqaddima) et noircie par l’intellectuel syrien Mahmoud Shâkir, dans son Mawâtin shu’ûb al-islâmiyya ». Image  restée selon lui « intacte dans certains imaginaires. Mahmoud Shâkir présentant, à titre d’exemple, le Sénégal qu’il n’a peut-être jamais visité comme un pays avec ses ‘’ sauvages et cannibales ‘’ dépourvu de toute pratique ou pensée islamique ‘’respectables ‘’ ».

A peu près les mêmes critiques faites à un Nicolas Sarkozy perpétuant, sans paraître y toucher, les thèses, notamment Hégélienne, présentant le nègre comme un sous homme, dans son « discours de Dakar ».

Il s’agirait ici d’un comportement répandue chez les élites arabes qui ne concevraient, selon Bakary Samb, leurs relations avec les africains que sous un angle paternaliste et de domination. Ce ne serait rien d’autre, à l’en croire, qu’un «paternalisme arabe savamment drapé du prétexte d’islamisation ». 

L’on se gardera bien, faute d’éléments probants, de prendre position sur les desseins inavoués ou supposés de Ramadan. Autant avec Sarkozy la manœuvre était évidente par sa grossièreté et sa maladresse autant un Tariq Ramadan perpétuant Ibn Khaldoun nous parait plus invraisemblable. L’intérêt de cette réaction, qui reflète une position assez partagée dans l’intelligentsia africaine – on peut citer parmi ses autres tenants Tidiane Ndiaye, l’auteur du « Génocide voilé » – réside à notre avis, dans le débat de fond qu’il pose à savoir si en termes d’idéologie et d’utilisation de valeurs culturelles comme forces motrices pour amorcer le développement l’Afrique doit continuer à importer des modèles.  S’il n’est pas temps de sortir de ce rapport « dominant-dominé » avec les « partenaires au développement » qu’ils soient occidentaux, arabes, chinois ou autres.

La réponse n’est pas tranchée. Une grande partie des mouvements panafricanistes qui ont émergé depuis cinquante ans ont été inspirés par des leaders comme Kwamé Nkrumah, Sékou Touré, Thomas Sankara ou Cheikh Anta Diop.

En regardant leurs propositions sur la question du développement et de l’unité africaine on note des divergences dans l’approche. Une chose au moins, cependant, les réunit : le refus de toute vision importée du développement et de toute domination culturelle extérieure. Autant de préoccupations que nombre d’intellectuels africains trouvent aujourd’hui révolues.

Pour eux, de manière générale, il n’est pas question de remettre en cause tout ce système hérité de la colonisation ni de chercher dans notre histoire et dans l’expérience tirée de cinquante ans d’échecs comment changer de cap. Il faut juste quelques autres « ajustements structurels » ou d’autres solutions qui ont en commun le fait de ne jamais sortir de ce modèle ultra libéral pérennisé par les deux « figures paternelles » que sont le FMI et la Banque mondiale.  Cela et puis se tourner vers la Chine au risque – on a rarement cela à l’esprit lorsqu’il s’agit du géant asiatique – de s’exposer à un « autre paternalisme » économique.  

Lamido Samusi, gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, fils d’ancien diplomate en poste à Pékin, le relevait récemment : « La Chine, disait-t-il, prend nos ressources naturelles et nous vend des produits manufacturés. C’était également l’essence du colonialisme. Les Britanniques sont allés en Afrique et en Inde pour s’assurer des matières premières et des marchés. L’Afrique s’ouvre maintenant de son plein gré à une forme d’impérialisme. »

Ces élites africaines d’aujourd’hui, évoquées plus haut, seraient-ils l’incarnation, jusqu’à la caricature, de « l’intellectuel colonisé » tel que décrit par Umar Timol ? « Créature de l’Empire ayant fait de brillantes études dans une de ses grandes universités, il a été un étudiant modèle et il maîtrise parfaitement les savoirs qu’on lui a inculqués. Il a lu tous les grands philosophes, écrivains et historiens de l’Empire. La littérature de l’Empire est sa littérature, l’histoire de l’Empire est son histoire, la philosophie de l’Empire sa philosophie. » Il a aussi lu les grands intellectuels des anciens pays colonisés mais souvent « sur un mode ‘’exotisant’’ » c’est-à-dire pour valider le « savoir dominant ».  Il a « parfaitement assimilé le discours des intellectuels de l’Empire.

On pourrait le comparer à un perroquet qui ressasse le discours dominant. » Lorsqu’il critique, se rebelle contre l’ancien colonisateur, c’est généralement  avec les outils que ce dernier « lui fournit » et d’autre part « dans l’exercice de sa critique, il doit demeurer dans certaines limites car il ne veut surtout pas que les intellectuels de l’Empire le relèguent aux confins. Il est celui qui croit tout savoir, qui croit être le plus cultivé, le plus apte à penser le devenir des autres mais il ignore paradoxalement l’essentiel. »

Dans ce débat idéologique certains, dans les pages même de ce site, sont allés jusqu’à comparer l’idée d’une parenté entre les peuples d’Afrique subsaharienne et l’Egypte pharaonique, donc l’idée d’une unité culturelle de l’Afrique noire – thèse à laquelle s’adossent bon nombre de panafricanistes pour prôner une réappropriation de l’Afrique par les africains allant des programmes enseignés dans nos écoles aux richesses de notre sous sol – à la construction de l’idéologie nazie.

C'est une comparaison pour le moins douteuse mais qui a un intérêt au moins : elle montre qu’en Afrique même (ici on ne parle plus d’idéologues d’Occident ou d’ailleurs : ni Dawson et son « homme de Piltdown », ni Hegel, ni Ibn Khaldoun, ni un autre) la réflexion sur ces questions est une confrontation des extrêmes. Il faut certainement en passer par là pour bâtir un modèle consensuel au sens de faire adhérer le plus d’énergies à un projet panafricain dans lequel on compterait d’abord sur nous-même pour avancer.

Racine Demba 

Interview de Laurent Liautaud, social-entrepreneur au Sénégal

laurent-liautaud-et-marc-rennardLaurent Liautaud, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

J’ai 36 ans, je suis au Sénégal depuis 2 ans. J’ai travaillé auparavant dans des marchés émergents et des marchés matures principalement dans l’industrie de la grande consommation et du conseil. Et donc je voulais entreprendre depuis longtemps en Afrique subsaharienne parce que je pense que c’est là que vont se dérouler les plus grandes innovations notamment dans le domaine de l’entreprenariat social qui m’intéresse beaucoup.

Qu’est ce que la plateforme Niokobok ?

Niokobok est un site internet sur lequel des gens, partout dans le monde, peuvent commander des produits qui sont disponibles au Sénégal pour leurs familles qui elles ont la possibilité de les retirer dans notre magasin partenaire aux Parcelles Assainies (banlieue de Dakar) ou bien de se faire livrer ; mais on fait majoritairement de la livraison. On fournit aussi des équipements solaires avec deux partenaires : Total et Station Energie Sénégal, une startup qui s’est lancée ici il n’y a pas longtemps.

Niokobok est vraiment une organisation à but lucratif mais qui a une ambition sociale de transformer la manière dont on peut prendre soin de ses proches à distance. Cet engagement social c’est ce qui fait, par exemple, qu’on a choisi comme premier élargissement de gamme le solaire. Parce que les énergies renouvelables, c’est intéressant au Sénégal et c’est important. On essaie aussi de faire des choses pour l’agroalimentaire local, tout ce qu’on vend vient du Sénégal car malheureusement dans ce pays, il y a beaucoup de choses importées. On aimerait être un canal qui aide à pousser des produits fabriqués ici.

Quels sont les modes de paiement que tu as développé?

On a la carte bleue Paypal et le virement bancaire qu’on a proposé mais qui est rarement utilisé. C’est intéressant de parler du mode de paiement car on a abordé la manière de faire adhérer les gens et justement ce fait est une barrière.

Pourquoi avoir choisi le Sénégal ?

Je crois que le Sénégal est à la fois un pays stable, un pays où il y a beaucoup de problèmes et de défis sociaux à relever mais un pays où il y a des infrastructures. C’est cela qui est intéressant. Le fait qu’il y existe beaucoup de difficultés structurelles et en même temps un cadre incitatif pour lancer des choses nouvelles.

On note que le Doing Business 2013 classe le Sénégal 166e sur 183 pays. Par rapport à ton expérience personnelle comment qualifierais-tu l’environnement des affaires dans ce pays ? Je pense honnêtement que la bonne surprise c’est qu’on n’ait pas beaucoup de difficultés dans le « doing business » pour l’instant. Créer une entreprise par exemple est une chose qui va très vite quand on a tous les papiers nécessaires.

N’as-tu pas noté une certaine lourdeur administrative ?

Non je crois qu’on ne peut vraiment pas se plaindre du processus de création d’entreprise. Après la complexité vient plus pour les plus gros. Nous, en tant que startup liée à internet, sommes tout de suite dans le secteur formel. Tout ce qui concerne le montage juridique et fiscal ainsi que la réglementation est compliqué certes, mais c’aurait été compliqué partout. En plus, ce n’est pas un handicap insurmontable. En fait pour l’instant moi je ne ressens pas du tout la 166e place dont on faisait référence.

Revenons sur l’agroalimentaire local, Niokobok a-t-il une stratégie visant à mettre en avant les produits faits ici ?

On va le faire. On a commencé par le solaire d’abord. Pour les produits locaux, on a commencé à lister du riz local d’abord, on l’a ajouté à notre gamme alors qu’il n’y était pas au début parce que des clients nous l’ont demandé. Mais le lancement de nouveaux produits nécessite de communiquer avant, avoir une stratégie plus ambitieuse et surtout un temps de réalisation.

Y a-t-il d’autres entreprises ici, dans la sous-région ou en Afrique qui font la même chose que Niokobok ?

Oui, il y a effectivement des initiatives similaires dans d’autres pays d’Afrique. Je pense que le e-commerce est un domaine en pleine ébullition sur le Continent.

As-tu l’ambition d’implanter Niokobok ailleurs qu’au Sénégal ?

Ultimement oui mais pour l’instant on est très occupé avec le Sénégal. Rien que pour la partie agroalimentaire, on ne fait que la région de Dakar. Donc l’objectif est de s’étendre partout au Sénégal. C’est un modèle qui peut être dupliqué dans d’autres pays mais pour l’instant on n’en est pas là.

N’as-tu pas l’impression qu’il faut une communication plus large pour mieux faire connaitre ce que tu fais au public ?

Si, le marketing est un enjeu important pas seulement pour faire connaitre mais pour que les gens aient confiance et essaient. C’est-à-dire que même des gens qui nous connaissent ne commandent pas, n’essaient pas tant que certains de leurs amis ne l’ont pas déjà fait. Donc oui le marketing est un aspect important pour ce genre de business mais je pense qu’on est dans le changement des comportements. C’est une alternative au transfert d’argent. Peut-être que ce n’est pas fait pour le remplacer totalement. Il faut que les gens prennent l’habitude de faire autrement, et c’est un grand défi marketing qui consiste non seulement à se faire connaitre mais en plus à ce que les gens utilisent nos services. Donc un double défi.

Niokobok a déjà obtenu deux récompenses internationales. Lesquelles ?

Il s’agit du troisième prix Orange de l’entreprenariat social en Afrique. Orange nous a ainsi apporté un appui financier et un accompagnement technique. On a aussi reçu une distinction dans un programme du Département d’Etat américain qui est le GISTECH HI. Ce sont là des choses qui nous ont fait gagner de la crédibilité auprès de nos premiers clients.

Y a-t-il eu un avant et un après prix Orange?

Oui parce que ça nous a permis de gagner en notoriété et de régler quelques problèmes d’ordre juridique notamment. Et puis on reçoit des conseils de pas mal de gens du groupe sur plein de sujets. Donc oui  il y a eu un avant et un après. D’ailleurs, la campagne du prix Orange 2012-2013 va démarrer et j’encourage tous le monde à y participer.

Enfin, peux-tu nous parler de Jokkolabs ?

C’est un endroit intéressant. C’est un espace de co-working où des entreprises et des freelances viennent pour partager un espace de travail et puis aussi pour adhérer à une communauté. A l’origine Niokobok était un projet de magasin comme les boutiques de référence, une chaine de magasins périurbaine et rurale.

En fait, je me suis installé à Jokkolabs et j’étais en contact avec d’autres entrepreneurs des TIC et j’ai vu qu’aujourd’hui dans le commerce, comme dans tous les secteurs, ne pas tenir compte des TIC est une folie. Et le projet a donc évolué ici grâce aux contacts avec d’autres gens. Mon premier voisin de bureau – parce que ça change tout le temps- , c’était Ludovic Lima qui a créé l’agence 3W, la première agence au Sénégal à avoir obtenu l’accréditation Facebook. Quand je travaillais sur mon projet de boutique, initialement dans la région de Kaolack (Centre), je faisais des allers retours, je le voyais lui s’occuper de ses campagnes Facebook et je me disais : « il faut en tenir compte ». Je pense que c’est des endroits très intéressants pour permettre des rencontres entre des gens qui travaillent sur des choses différentes et entre des entrepreneurs. Il y a des choses très modernes comme le co-working que moi personnellement j’ai découvert au Sénégal même si c’est une tendance mondiale.

Entretien réalisé pour Terangaweb – L'Afrique des Idées par Nima Daff et Racine Demba

Interview de Ousseynou Ndiaye, spécialiste de l’Egypte ancienne (suite et fin)

Capture-Ousseynou-300x151Voici la dernière partie de l'interview de Ousseynou Ndiaye, chercheur sénégalais qui s’intéresse à l’Egypte ancienne. « Le dieu Râ n’est pas le soleil mais un volcan », voilà l’information, fruit de ses recherches, qui lui vaut la curiosité du public et des inimitiés chez certains spécialistes de l’égyptologie. Nous sommes allés à sa rencontre afin de nous entretenir avec lui de l’Egypte pharaonique, sa passion, et de l’Afrique, « le poumon scientifique de l’humanité » dit-il.

Des égyptologues occidentaux ont pu, peut être, passer à côté de ce que vous avancez à cause des a priori dont vous avez évoqué à l’entame de votre propos. Mais il y a aussi eu des Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga, Aboubakry Moussa Lam entre autres africains qui ont écrit sur l’Egypte, qu’eux soient passés à côté de ça, c’est aussi une question…

Je vous répondrai la même chose. Que tout le monde passe à côté ne devrait pas vous étonner.  Vous avez vu à la fin de mon manuscrit, la réflexion d’Arun Tazieff : « En science ce n’est pas l’opinion du plus grand nombre qui importe. Ce n’est même pas l’unanimité complète sur un sujet ». Tout le monde peut se tromper sur un sujet et un jour la vérité finit par éclater.

Qu’est ce qu’un Râ volcan change dans le rapport des africains, surtout les jeunes, avec leur histoire ? Y a-t-il un changement de paradigme ?

Je pense que si un Africain, de surcroit qui n’est pas un professeur d’égyptologie, découvre une telle vérité scientifique, cela peut changer notre façon de nous regarder. On a perdu 53 ans, depuis que nous sommes indépendants, à mépriser nos langues. Trouver que ces langues expriment des vérités scientifiques, c’est nous considérer autrement, savoir que l’Egypte ancienne nous permet d’intégrer culturellement l’Afrique du Caire au Cap. De la même manière que Cheikh Anta Diop insistait sur «  la nécessité de bâtir les humanités africaines à partir du socle de l’Egyptien ancien » à l’instar de la culture Gréco latine à la base des humanités européennes.  Et l’européen, vous savez, même quand il ne croit pas en la véracité de cette histoire, se réfère toujours à son histoire, c’est admirable. Toutes les planètes du système solaire portent le nom de dieux romains : Mars, Vénus, Neptune, Pluton, Jupiter … Or ils savent que ces dieux n’ont jamais existé mais c’est pour conserver leur histoire propre. Et dès qu’on découvrira une comète, une planète quelque part, ils vont toujours se référer à l’Antiquité Gréco- romaine. Alors que nous, non seulement on se méprise mais on a une profonde haine de soi, c’est terrible. Nous sommes le seul peuple de la terre qui se hait. L’africain semble ne pas vouloir se libérer. Que des pays indépendants depuis plusieurs décennies ne veuillent pas se libérer, c’est terrible. Nos langues nationales ne sont pas enseignées et nos enfants vont de plus en plus les parler mal. On leur a fait comprendre que la langue qu’ils parlent à la maison ne mérite pas d’entrer à l’école et cela est un mépris profond de soi. On ne demande pas de jeter le français à la mer, ça n’arrivera pas mais de donner un peu de dignité à ces enfants qui partent à l’école, qu’ils sachent que leur langue est une langue comme les autres. L’anglais est aujourd’hui la langue la plus répandue pourtant il y a quelques siècles, à la Cour d’Angleterre, on parlait français. La devise du Royaume Uni est en français : « Honi soit qui mal y pense » « Dieu et mon droit ». Ils ont abandonné par la suite le français pour revenir à la langue naturelle que tout le monde parlait, une langue très simple : l’anglais. Les Africains ne l’ont pas fait.

Il faut une volonté politique pour enseigner à nos enfants leurs langues et leur histoire. Au Sénégal on essayé dans les années 80. On a mis des enfants pendant trois ans à la maternelle avec un apprentissage en langues locales et d’autres avec le système classique. On s’est rendu compte qu’au CM2, il y avait un pourcentage d’admis beaucoup plus élevé chez ceux qui avaient commencés avec la langue maternelle. Ces derniers avaient ensuite plus de facilité à acquérir une autre langue. Tout cela ceux qui gèrent le pays le savent.

Sur ce point vous montrez dans l’ouvrage à quel point le wolof par exemple est une langue scientifique…

Oui je donne l’exemple de l’expression wolof « aduna wer ngeul kepp », la terre tournant sur elle-même sous forme circulaire. C'est-à-dire qu’au moment où en Europe on se demandait si la terre était ronde et que ceux qui le pensaient le disaient au péril de leur vie, ce concept était déjà familier dans nos langues. Les Joola fabriquent la poudre à canon. On dit que les chinois  en sont les inventeurs. S’est-on demandé où les Joola ont appris cela. C’est sûr que ce ne sont pas les Français qui sont venus le leur apprendre. Ils l’utilisaient dans leurs cérémonies de Boukout pour faire leurs pétards et ils le faisaient avec des essences locales et du citron. La poudre à canon existe donc depuis des temps immémoriaux en pays Joola.

Vous vous intéressez aussi à un thème très actuel en Afrique de l’Ouest notamment : le système des castes. Pourquoi est ce si important à vos yeux ?

C’est pour montrer à quel point ces considérations sont dénuées de sens et nous retardent dans notre processus de développement. On dit : moi je suis noble, tel est cordonnier, tel autre forgeron parce que leurs ancêtres ont pratiqué ces professions donc ils me sont inférieurs.

Pourtant, par le passé, quand on maitrisait le fer, par exemple, avant les autres on les dominait par les armes parce qu’on savait les fabriquer et le secret n’était donné que plus tard. C’est ainsi que dans des légendes du monde, les forgerons étaient des rois. On a eu dans l’Empire mandingue, il n’y a pas longtemps, le règne de Soumahoro Kanté qui était un roi forgeron. Et symboliquement Soundijata Keita a du plier une barre de fer en s’y appuyant pour aller tuer Soumahoro qui était invulnérable au fer. Le roi David était forgeron, il maitrisait le fer, Dieu le dit dans le Coran. Si on ne sort pas de ces considérations sans fondement, on avancera pas. Dans le Coran Dieu dit ne vous appelez pas par des noms fictifs. Pourquoi appeler un maçon : forgeron, un tailleur : griot ou un médecin : esclave ? Il n’est l’esclave de personne.

Quel regard portez-vous sur la recherche scientifique en Afrique ?

On a l’impression que les choses scientifiques n’intéressent pas les Africains, que tout doit arriver de l’extérieur. Quand vous voyez à la télé des documentaires sur la faune, la flore africaine, tout vient de l’extérieur. L’Africain se dit paresseusement que ça ce n’est pas pour nous, c’est pour le « toubab » qui s’intéresse à tout, jusqu’aux insectes. On se laisse vivre, on croit que les choses scientifiques ne sont pas faites pour nous. Or c’est une grosse erreur. Nous avons énormément de choses à apporter, nous avons une très belle partition à jouer dans le concert des nations mais on l’étouffe, on ne veut pas l’entendre. Il devait y avoir des mécènes en Afrique à défaut d’avoir des Etats qui financent la recherche. Il y a de brillants chercheurs en Afrique mais on ne les aide pas, on ne les connait pas ou parfois quand on les connait on les étouffe. Si Modibo Diarra était resté au Mali, il serait devenu cotonculteur. Ici il y a des gens qui brillent, qui s’en sortent mais ils sont étouffés par ceux qui nous dirigent, ceux là ne font qu’obéir à des maitres qui voudraient que l’Africain reste toujours au bas de l’échelle de l’humanité.

Le mot de la fin…

Je souhaite que l’Afrique des médias se développe au point de pouvoir montrer toutes ces vérités cachées. Parce que le berceau de l’humanité c’est ici, ce n’est pas ailleurs. Le Pape Benoit XVI disait : « l’Afrique est le poumon spirituel de l’humanité ». Il a parfaitement raison. Et ce n’est pas seulement le poumon spirituel de l’humanité, c’est aussi le poumon scientifique. Il faudra tôt au tard que l’humanité retourne au lieu de sa naissance pour trouver des solutions à ses problèmes.

Entretien réalisé pour Terangaweb – L'Afrique des Idées par Nima Daff et Racine Demba

 

Aller plus loin: vidéo Ousseynou Ndiaye

 

 

Interview de Ousseynou Ndiaye, spécialiste de l’Egypte ancienne (1)

Capture-Ousseynou-300x151Ousseynou Ndiaye est un chercheur sénégalais qui s’intéresse à l’Egypte ancienne. « Le dieu Râ n’est pas le soleil mais un volcan », voilà l’information, fruit de ses recherches, qui lui vaut la curiosité du public et des inimitiés chez certains spécialistes de l’égyptologie. Nous sommes allés à sa rencontre afin de nous entretenir avec lui de l’Egypte pharaonique, sa passion, et de l’Afrique, « le poumon scientifique de l’humanité » dit-il.

Ousseynou Ndiaye, pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je n’ai pas de parcours particulier, je suis enseignant de métier et je n’ai fais que ça jusqu’à la retraite puis je me suis intéressé à la recherche, en particulier à l’égyptologie. Je suis littéraire de formation mais curieux de tout, passionné de toutes les sciences. C’est à la suite de la lecture de Nations nègres et Culture de Cheikh Anta Diop que je me suis dit que les choses ne devaient sûrement pas s’arrêter à cela et qu’il y avait certainement beaucoup d’autres choses à découvrir. J’ai trouvé des choses, et je me suis dit qu’elles seraient intéressantes à partager. Ainsi, j’ai écrit un manuscrit. L’information principale contenue dedans étant que le dieu Râ de l’Egypte ancienne n’était pas un soleil mais un volcan.

 Vos récentes sorties dans la presse ont fait l’objet d’un accueil élogieux venant d’une grande partie du public. Cependant certains se sont demandé à quel titre vous parlez de l’Egypte ancienne et si votre voix fait autorité en la matière…

Vous savez, c’est comme si vous vous demandiez si celui qui a inventé cette machine avait le droit d’inventer cette machine. Celui qui a fait une trouvaille scientifique est ce qu’il a le droit de parler de cette trouvaille scientifique ? C’est une question qui est aberrante. Il y a un petit paysan rwandais qui a, avec des objets de récupération, érigé un barrage hydroélectrique, électrifié sa maison, et les gens sont venus, par exemple, recharger leurs téléphones portables dans la petite installation qu’il a faite chez lui, dans son petit village. Personne ne lui a posé la question de savoir pourquoi il avait entrepris de faire ça. C’est une question qui est ridicule à mon avis.

 Vous ouvrez votre ouvrage (à paraitre ndlr) « L’Egypte ancienne, l’Afrique et le volcan » par une affirmation : « les égyptiens anciens n’ont jamais adoré le soleil, et le dieu Râ est un volcan ». Sur quoi repose cette affirmation ?

J’ai toujours voulu savoir est ce qu’il était vraiment possible que l’histoire de l’Afrique soit toujours écrite par des étrangers. Et à mon avis l’histoire d’un peuple doit être écrite par ce peuple lui-même. Il y a un proverbe wolof qui dit : « waané wessu woul nettali sa gentou morom », bien malin celui qui voudrait raconter le rêve d’autrui. Donc quand je me suis mis à rechercher quelque chose dans l’histoire égyptienne, je ne devais pas être le seul à le faire. Je dis que je ne suis pas un égyptologue mais je suis un égyptoloque comme on dit un ventriloque. Et tous les africains sont des égyptoloques parce que tous « parlent » l’Egypte donc je ne devrais pas être seul et je suis sûr que les trouvailles que j’ai faites auraient pu l’être par n’importe lequel d’entre nous. Personne ne poserait alors la question de savoir pourquoi vous vous intéressez à l’Egypte, est ce que vous êtes allé à l’université, ça ne sert à rien. Le professeur Lamine Ndiaye, ancien recteur de l’Université de Saint Louis disait que pratiquement toutes les découvertes se sont toujours faites en dehors de l’université. N’importe qui peut le faire. On dit encore chez nous : « Puso bou reer, xaale meun nako for mak meun nako for », l’aiguille perdue peut être retrouvée aussi bien par l’enfant que par l’adulte. J’ai cherché, j’ai trouvé, et maintenant les égyptologues qui ont quelque chose à redire peuvent le faire. Moi je les plains s’ils se mettent à essayer de démonter ce que j’ai dit. Je les plains déjà.

 D’où est partie l’inspiration ? La lumière est venue d’où ? A partir de quel moment ou de quelle découverte vous avez commencé à vous dire que Râ qu’on considère jusqu’ici comme le dieu soleil est en fait un volcan ?

Une découverte se fait toujours par intuition d’abord. Il y a quelque chose de très fort, on ne sait pas comment ça arrive. On se met à penser à une idée et je ne sais pas comme Archimède qui se baigne et qui sort du bain en criant « eurêka, j’ai trouvé »…C’est comme ça, c’est fortuit toujours, c’est soudain, on se dit qu’on a trouvé quelque chose, que ça devrait être ça, on cherche à creuser et on trouve que c’est un filon extrêmement riche. Les patronymes africains démontrent que l’Afrique entière a été au diapason de l’Egypte ancienne donc adoratrice du volcan. Les noms surtout ceux qui sont en Re et en Ra sont d’origine volcanique. La pyramide est un volcan artificiel et l’obélisque représente une aiguille volcanique. Le générique de Ra se retrouve sur d’innombrables volcans sur la surface du globe : Ararat en Turquie, Nyamuragira , Nyiragongo en RDC , Muhabura entre l’Ouganda et le Rwanda , Tarawera en Nouvelle Zélande , Takora au Japon, Gongora au Nicaragua etc.
Le wolof rend bien compte de cette vérité car elle possède un vocabulaire volcanologique extrêmement dense : Rafet, Ragal, Rabax … sont des types d’éruptions volcaniques. Le feu lui même se dit sawara, urine de Ra, le volcan.

Comment pouvez-vous expliquer que personne avant vous n’ait pensé à ce que vous exposez avec une telle évidence ?

C’est toujours comme ça. Il y a eu des expéditions qui ont été faites, au 19e siècle, en Egypte par des groupes de scientifiques, et parmi ces savants il y avait un volcanologue mais il n’a pas pensé un seul instant que Râ était un volcan.  On peut passer à côté d’une vérité sans la voir, les découvertes se sont toujours faites comme ça. Moi je m’en suis rendu compte en lisant des cartouches, ces formes ovales dans lesquelles on inscrivait les noms des souverains égyptiens, en les vocalisant, c'est-à-dire les prononcer comme les égyptiens le faisaient puisque les occidentaux ont opéré des déformations au fil du temps. Par exemple, on vous dit Mykérinos, Sésostris, Ramsès dans les ouvrages d’égyptologie et ça ne sonne pas africain. Je me suis ainsi appliqué à lire ces cartouches et lorsque j’y suis arrivé, j’ai été très heureux de voir que ces noms étaient déformés. D’ailleurs dans certains ouvrages d’égyptologie on vous donne la prononciation approximative à côté de celle que tout le monde connait. Je me suis donc rendu compte que ces noms sonnent très africains. Par exemple quand je dis Ciré c’est pulaar et c’est Osiris, Fara c’est sérère et c’est le pharaon, Biram c’est à la fois wolof, sérère et pulaar, Fara Biram c’est Ramsés. Le wolof pour dire je rentre chez moi dit : « mangi dem nibbi », je rentre en Nubie. Or la Nubie était considérée par les égyptiens comme la terre des ancêtres. Quand il y avait des problèmes en Egypte, le pharaon déchu se réfugiait en Nubie. C’est comme le Français qui dit s’orienter, ce qui veut dire simplement regarder l’Orient parce qu’il vient de l’Est. Il est indo-européen donc s’orienter c’est regarder d’où il vient et c’est vers l’Est.

Entretien réalisé pour Terangaweb – L'Afriques des Idées par Nima Daff et Racine Demba

Les agences de presse en Afrique: entretien avec le journaliste Ibrahima Bakhoum

sud_Ibrahima-Bakhoum Le défi de la production et du contrôle de l’information sur l’Afrique a très tôt été un enjeu pour les jeunes Etats du Continent. Une vingtaine d’années après la vague des indépendances, ces pays décidaient de mettre sur pied une agence panafricaine de presse pour ne plus seulement consommer l’information venue d’ailleurs. Cependant l’expérience a tourné court.
C’est de cet échec et d’autres aspects historiques dont nous parle le journaliste sénégalais Ibrahima Bakhoum dans cet entretien. Un éclairage bienvenu au vue de l’actualité, la crise au Mali notamment, qui a vu les Africains se contenter, une fois encore, de reprendre la production des médias occidentaux.

L’actuel directeur de publication de Sud Quotidien est un journaliste à l’ancienne. Il parle de son métier avec passion, surtout lorsqu’il aborde ses années d’agence, quinze ans pour être précis, et sa vision des formes que devraient revêtir la pratique journalistique.

Pouvez vous revenir sur les spécificités de l’agence de presse dans le monde de l’information ?

Vous savez, l’agence de presse est en fait la source principale d’information des journalistes quand ils ne sont pas sur le terrain eux-mêmes. C’est pourquoi on avait l’habitude de dire des agenciers que c’étaient les journalistes des journalistes. Non pas qu’ils écrivent mieux que d’autres, non pas qu’ils soient plus professionnels mais c’est la nature de leur organe, leur spécificité. Tout à fait au début, la première agence de presse, Reuters, envoyait ce qu’on appelait de l’information télégraphique. C’était un style très court, très alerte, Pour aller très vite et donner l’essentiel de l’information. On s’abonnait en fil par le téléscripteur. Donc on pouvait venir chercher l’information ; et le journaliste de quotidien, de périodique et de radio se chargeait de développer l’information à partir de ce que l’agence lui apportait. Voilà un peu ce que c’était, c’était vraiment la matière première du journalisme : collecter, traiter rapidement, être précis, honnête dans le traitement, envoyer. C’était ça la fonction de l’agence et c’est toujours la même chose.

Quel a été le contexte et le processus de création des agences de presse en Afrique ?

Il faut dire qu’en Afrique nous sommes tous, dans nos pays, héritiers ou de la Couronne britannique ou de la République française. Quelqu’un avait l’habitude de parler de l’APS (Agence de Presse Sénégalaise) comme de la doyenne des agences de presse en Afrique. Cette agence a été créée en avril 1959. Depuis il y en a eu beaucoup ; au fur et à mesure que les pays arrivaient à l’indépendance, ils en créaient. L’agence était considérée comme la voix du gouvernement et quand c’étaient des partis-Etat, la voix du parti au pouvoir. Tous les autres supports du pays étaient obligés de se brancher sur ce réseau là pour être informés. Si nous prenons le cas du Sénégal, parallèlement à l’agence nationale, il y avait des centres régionaux implantés à l’intérieur du pays, dans les capitales régionales, départementales où le public venait s’informer. Ce qui fait que ce sont les gens qui travaillaient dans ces centres régionaux qui ont été par la suite reconvertis en correspondants de l’agence nationale. Ailleurs en Afrique les gens ont essayé d’imiter la même chose : créer une agence, en faire la voix du gouvernement à côté de la radio. Certains n’avaient pas encore de journal mais au moins il y avait une radio qui était là. La radio a régulièrement été très présente. Par la suite les africains se sont rendus compte qu’avec l’influence des cinq majeurs, à l’époque : Reuters la britannique, AP et United Press International les américaines, TAS la soviétique, AFP la française, on avait voulu jusqu’ici leur donner l’information avec le regard, le commentaire, les préoccupations, les intérêts des autres. L’Afrique avait voulu être plus présente, l’agence panafricaine (PANA) a été lancée par l’OUA en 1979. Dakar a été retenue comme siège parce qu’on avait une technologie qui s’y prêtait et en plus il y avait l’expérience. Son premier directeur était un nigérien du nom de Cheikhou Ousmane Diallo.

Ne pensez vous pas qu’en passant d’une situation où ils recevaient tout des agences étrangères à une autre où ils distillaient l’information selon leurs intérêts, les Etats africains soient allés d’une extrémité à l’autre ?

Progressivement, en effet, la PANA recevait et traitait les informations émanant des agences nationales qui avaient des points de vue différents, devenant donc une sorte d’entonnoir qui déversait sur le grand public ce que les agences nationales disaient en terme de propagande.

Pourquoi un pays comme le Maroc a très vite senti l’avantage d’investir dans ce domaine et pas les autres?

En fait tout le monde a senti tout de suite cet avantage. Parfois il se pose seulement un problème de moyens. Le Maroc avait son Maghreb Arabe Presse mais à côté il y avait la Tunisie Afrique Presse, Algérie Presse Service, L’Agence de Presse Sénégalaise était là, la NAN au Nigéria, le MNA était au Caire. En fait tout le monde avait son agence.

Le Maroc avait estimé que si l’OUA voulait faire du Sahara Occidental un Etat indépendant ayant droit de regard sur tout ce qui concerne les dossiers africains, il n’y trouverait plus son compte. Il est sorti de l’OUA mais en sortant de l’organisation, dans le contexte de l’époque, on quittait aussi tout ce qui était contrôlé par elle y compris la PANA. Alors Rabat a continué avec sa MAP jusque dans les années 2000. A ce moment là, les autorités marocaines se sont rendues compte qu’il y avait peut-être intérêt à chercher à parler à l’Afrique avec sa propre voix, avec sa propre agence panafricaine. La MAP ne faisait pas l’affaire, peut- être en terme d’options. Les Marocains ont mis sur pied l’Agence de Presse Africaine. Il n’y avait que des sénégalais au départ, le siège étant à Dakar. Aujourd’hui, ses bureaux sont presque partout en Afrique et le groupe a des correspondants aux Etats Unis, en France, à Bruxelles…

Peut-on travailler librement dans une agence lorsqu’on sait que ceux qui la financent ont toujours des intérêts à préserver ?

Dans une agence comme dans toute autre chose, c’est la même chose partout. Celui qui met son argent quelque part a un intérêt à le mettre là pour une raison ou une autre. Les gens ont leurs intérêts, les gouvernements et les bailleurs ont également les leurs. Les journalistes doivent seulement rester professionnels. 

Pensez vous qu’aujourd’hui les agences et plus généralement la presse africaine prennent efficacement en charge les préoccupations du continent, compte tenu de la pression que les Etats exercent généralement sur elles ?

L’Etat ne peut fermer l’information. Elle circule partout, elle circulait avant, aujourd’hui encore plus notamment par les réseaux sociaux. Si un Etat pense qu’il faille fermer le vis à ces médias, les gens vont aller chercher l’information ailleurs. Dans tous les cas aujourd’hui il est devenu extrêmement difficile de fermer un pays. Il y en a qui le font mais en tout cas ça demande tellement de moyens que le mieux pour un gouvernement assez intelligent c’est, je crois, de libéraliser et de laisser les gens travailler. Maintenant il s’agira pour les journalistes d’être responsables et professionnels.

Qu’est ce qui vous a le plus marqué dans votre carrière de journaliste d’agence ?

Mais je ne saurai dire ce qui m’a marqué car il y a plein de choses qui vous marquent dans tout ça. J’ai l’expérience de l’Agence de presse sénégalaise puis celle de la période de collaboration avec la PANA. Il y a tellement de choses qui vous marquent dans une carrière comme ça. En tout cas professionnellement ça m’a appris à être concis, à aller très vite à l’information, à déceler une information dans une masse de choses. C’est un énorme avantage d’avoir été agencier.
 

Entretien réalisé pour Terangaweb – L’Afrique des Idées par Racine Demba. 

Congrès de l’ANC : And the winner is Cyril Ramaphosa !

Après le premier exercice en octobre 2012, qui avait mis l’accent sur le renouvellement des élites politiques en Afrique, la rubrique Analyse politique de Terangaweb revient avec un focus de trois articles consacré à un pays phare du continent. Il nous a paru essentiel de commencer par l’Afrique du Sud, première économie du continent, nation chargée d’histoire, qui a vécu, des décennies durant, un racisme d’Etat, laboratoire d’un socialisme africain engagé dans la lutte pour la libération de l’Afrique australe et pays de la plus grande icône politique d’Afrique, Nelson Mandela. Ce focus commence par un papier de Racine Demba sur le dernier congrès de l’ANC sanctionné par la réélection confortable de Jacob Zuma face à son challenger Kgalema Mothlante. Felix Duterte reviendra ensuite sur l’état (inquiétant) de la liberté de la presse en Afrique du Sud avant le papier final de Vincent Rouget consacré au devenir de l’Afrique du Sud post Nelson Mandela.

Hamidou ANNE
  Responsable de la rubrique Analyse politique

 

photo congres ANCLe congrès de l’ANC a vécu en cette fin d’année 2012. Trois enseignements majeurs en sont ressortis : la confirmation, prévue, du chef, les tiraillements, plus que jamais violents, au sein de la famille et le positionnement, moins évident à priori, d’un leader au style différent. En effet, si Jacob Zuma a été réélu sans surprise à la tête d’un parti pourtant miné par des dissensions internes, la promotion de Cyril Ramaphosa comme commandant en second de ce puissant appareil politique en a interpellé plus d’un. 

Le triomphe de Zuma

Avant ce congrès, comme dans toute grande élection, des médias, d’Afrique du Sud et d’ailleurs, ont essayé, tant bien que mal, d’entretenir un certain suspense. A défaut de pouvoir présenter un challenger réellement dangereux pour Zuma, ils ont épilogué sur l’ampleur qu’allait revêtir la victoire du président. Finalement, c’est renforcé par 75% des suffrages qu’il reste aux commandes de l’ANC. Son challenger, Kgalema Motlanthe, jusque là vice-président du parti et du pays, s’est présenté au dernier moment, sans beaucoup d’illusions, du propre aveu de voix autorisées de son camp. Une candidature de principe donc pour alerter sur les « dérives » d’un Zuma accusé de tous les pêchés d’Israël. Accusations allant de son populisme jugé outrancier à sa légèreté supposée en matière économique en passant par des frasques incessantes dans sa vie privée. Toutes choses, pourtant, qui ne l’ont pas empêché de triompher, haut la main, de ses détracteurs.

Pourquoi Zuma reste-t-il si populaire, malgré tout, auprès d’une frange majoritaire de sa famille politique ? La réponse est certainement à chercher, à la fois, dans son histoire, son style ainsi que ses démêlés avec les milieux d’affaires. Jacob Zuma est encore perçu, par beaucoup, à juste titre d’ailleurs, comme un héros de la lutte anti-apartheid qui a donné de sa personne (prison, clandestinité, exil) pour l’émergence de la démocratie dans son pays. En outre, il y a le style Zuma, son aisance de tribun rompu au dialogue avec les masses, la façon dont le petit peuple sud africain s’identifie à lui, le savoir-faire avec lequel il tient son bastion électoral, le Kwazulu Natal, ses talents de fin tacticien du jeu politique. Cet aspect rejoint le dernier qui est que, dans la perception de ce même petit peuple, le fait que le chef soit à couteaux tirés avec des milieux qui n’ont pas toujours bonne presse est en soi une qualité, un avantage, une posture qui tend à rassurer.

Le climat interne à l’ANC


L’ANC est un parti qui connait actuellement de profondes mutations ainsi que beaucoup de remous. Les différentes branches de l’opposition interne se sont réunies, à l’occasion de ce congrès, autour de Kgaléma Mothlante pour affronter Jacob Zuma. On pouvait distinguer dans le lot, les jeunesses du parti en délicatesse avec le chef depuis l’éviction de Julius Malema, les milieux d’affaires, anxieux de l’état jugé déplorable de l’économie du pays sous Zuma, enfin tous les indignés du traitement de la récente affaire de la mine de Marikana par le gouvernement. Motlanthe n’a cependant pas voulu affronter son adversaire de manière frontale. Il s’est ainsi déclaré sur le tard après une campagne discrète et terne ; face à une bête politique de la dimension de son adversaire, ces erreurs stratégiques ne pardonnent pas, d’où sa cuisante défaite. Il ne faut cependant pas penser qu’après ce succés éclatant, toutes les divergences soient aplanies, bien au contraire. Le problème de l’ANC est plus profond, il est structurel. D’ailleurs, certains continuent de croire que Zuma risque d’être fragilisé par ce climat interne combiné à son bilan économique discutable lors de la présidentielle de 2014, les plus téméraires allant jusqu’à parier sur sa non candidature. L’ANC aurait en tout cas, selon eux, tout intérêt à lui trouver un challenger crédible. La mise sur orbite de Cyril Ramaphosa devient, dès lors, vue sous cet angle, d’un enjeu de la plus haute importance.

ramaphosaLa donne Ramaphosa

Au pays de Nelson Mandela, on aime les chansons qui racontent une histoire – de préférence une histoire d’amour de la liberté – ; et les bons mots se référant à la période de l’apartheid. L’un d’entre eux, peut être moins populaire par rapport à d’autres, dit que, durant toute la période de lutte contre l’Apartheid, le père de la nation arc-en-ciel n’a réellement porté, parmi ses frères d’armes, que deux hommes : l’un sur son dos, l’autre dans son cœur. 
Le premier s’appelle Oliver Tambo. Au début des années soixante, pour venir à bout du régime de l’apartheid, Mandela avait entrepris un périple dans plusieurs capitales africaines dont Dakar afin d’obtenir l’aide nécessaire pour se procurer des armes. Lorsqu’il arriva à son rendez vous avec le président Senghor, il eut la mauvaise surprise de voir l’ami qui l’accompagnait, Oliver Tambo, président de l’ANC en exil, piquer une crise et presque perdre connaissance. Il ne voulut pas le laisser là pour aller chercher de l’aide. Il le porta sur son dos jusqu’au bureau du premier président sénégalais. L’autre se nomme Cyril Ramaphosa. Si Mandela, alors au pouvoir, avait eu l’opportunité de désigner son successeur, c’est lui qu’il aurait choisi.

Né il y a soixante ans à Soweto, Matamela Cyril Ramaphosa a un parcours que l’on peut qualifier d’atypique. D’abord leader Syndical, co-fondateur du puissant syndicat des mineurs (NUM), il est par la suite devenu une personnalité incontournable de la scène politique nationale, en témoigne le rôle crucial qu’il a joué, en tant secrétaire général de l’ANC, dans les négociations pour une issue pacifique de l’Apartheid et pour l’organisation des premières élections libres et transparentes dans son pays. Après le refus des caciques du parti d’accéder à la requête de Mandela consistant à l’accepter comme son dauphin, il démissionne de ses mandats et migre vers le monde des affaires avec beaucoup de succés. Aujourd’hui, chef d’entreprise prospère, il siège ou est à la tête des conseils d’administration de très grandes firmes, le magazine Forbes le présente même comme l’un des hommes les plus riches d’Afrique avec une fortune estimée à 675 millions de dollars.

C’est cette ubiquité à la limite de l’antinomie qui constitue, à la fois, sa plus grande force et son talon d’Achille. Passer de syndicaliste militant à richissime homme d’affaires n’est, en effet, pas anodin surtout dans un pays gangrené par les inégalités sociales. Ramaphosa devient ainsi, pour nombre d’observateurs, la somme des caractéristiques principales d’un Thabo Mbeki et d’un Jacob Zuma. Comme Mbeki, il est crédité d’une grande compétence en matière économique et dispose de ce fait de la confiance des milieux d’affaires sans toutefois donner l’impression d’être coupé de son peuple – principal reproche fait à Mbeki – son passé militant plaidant en sa faveur. Comme Zuma, il est encore considéré, malgré son statut de businessman de premier plan, comme un tribun par une grande partie de la population. Il garde une bonne côte de popularité chez les sud africains les plus démunis mais aussi – là se trouve la différence fondamentale avec Zuma – chez ses collègues des hautes sphères de la finance. Pour ses détracteurs, il est tout bonnement passé à l’ennemi, se souciant plus aujourd’hui des intérêts des grands groupes économiques que de ceux des travailleurs ou du sort de ses compatriotes les plus défavorisés. Sa position lors des récents évènements survenus dans la mine de Marikana, disant que, face aux mineurs grévistes, la police devait prendre ses responsabilités pour faire régner l’ordre, est venue les conforter dans cette conviction. 

Une chose est néanmoins sûre, en le choisissant comme numéro deux (avec 76,4% des voix), l’ANC s’est trouvé une alternative de choix à Jacob Zuma en cas de non candidature de ce dernier à la présidentielle de 2014. Si l’actuel président finissait par se présenter (en 2009 il avait promis de ne faire qu’un mandat mais aujourd’hui son discours sur le sujet n’est plus aussi tranché), Cyril Ramaphosa pourrait toujours, en cas de victoire, accrocher le poste de vice-président qui lui serait alors promis et attendre patiemment 2019 pour enfin briguer le suffrage des Sud-africains. En espérant que Madiba soit encore là pour le voir, lui son ancien protégé, dévorer les dernières marches devant le conduire au sommet.

Racine Demba