Ngozi Okonjo-Iweala, la réformatrice du Nigeria

Dans un précédent article consacré à Linah Moholo, Gouverneur de la Banque centrale du Botswana, nous remarquions que le développement des banques centrales et d’investissement en Afrique avait permis l’émergence d’une nouvelle élite de femmes technocrates accédant à de fortes responsabilités. Ce constat vaut aussi pour les grandes institutions financières internationales qui se sont ouvertes ces dernières décennies à des profils en provenance des différents continents. De leurs rangs ont émergé des économistes africaines aussi brillantes et engagées dans l’avenir du continent que la zambienne Dambisa Moyo, la présidente libérienne et prix Nobel Ellen Johnson-Sirleaf, ou l’actuelle ministre de l’économie et des finances de la République fédérale du Nigeria, Ngozi Okonjo-Iweala. En charge du développement économique du pays le plus peuplé d’Afrique, 158 millions d’habitant, qui concentre les espoirs continentaux (une croissance économique robuste, un dynamisme social et culturel) de même que ses pires craintes (violences confessionnelles, processus démocratique contesté, violence sociale, pauvreté endémique et chômage de masse…), Ngozi Okonjo-Iweala fait partie des personnes qui sont concrètement en charge du présent et de l’avenir de l'Afrique.

Son parcours

Ngozi Okonjo-Iweala est née en 1954 au sein d’une famille aisée du Sud du Nigéria. Ses deux parents sont professeurs d’université, son père est également le chef traditionnel des Igbo à l’intérieur de l’Etat du Delta. Elle aurait pu passer une enfance privilégiée si le déclenchement de la guerre du Biafra (1967-1970) n’était pas venu bouleverser l’existence de tous les habitants du Sud du Nigéria. Son père est enrôlé dans l’armée rebelle du Biafra au rang de général de brigade, sa mère s’engage dans la logistique de soutien aux combattants du Sud. Les enfants vivent au milieu d’une violence extraordinaire qui causera la mort de millions de personnes (entre 2 à 3 millions de victimes suivant les estimations). Peu après la guerre, la jeune Ngozi s’envole pour les Etats-Unis où elle entame un parcours universitaire particulièrement brillant. Elle s’inscrit à Harvard et y choisit l’économie un peu par hasard – elle voulait à la base faire de la géographie mais il n’y avait pas de licence dédiée à la matière – et en sortira avec les honneurs puisqu’elle obtient sa maîtrise avec mention très bien en 1976. Elle poursuit des études doctorales en économie et planification urbaine et régionale au Massachussetts Institute of Technology (MIT) où elle obtient son Ph.D.

En 1982, elle intègre à l’âge de 28 ans la Banque Mondiale où elle va quasiment faire toute sa carrière professionnelle. Durant 21 années, elle occupe différents postes au sein de l’institution mondiale de financement du développement, où elle ne se cantonne pas à l’Afrique. Elle a ainsi été directrice des opérations pour l’unité sous-régionale Asie du Sud-Est et Mongolie ainsi que directrice des opérations pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord. Auréolée de cette expérience internationale, elle est nommée en 2003 ministre des finances par le président Olusegun Obasanjo. Durant ce premier mandat, elle s’illustre par la renégociation de la dette extérieure du Nigéria et parvient, après des négociations avec le Club de Paris qui rassemble les prêteurs institutionnels bilatéraux, a effacé 18 milliards de dollars de dettes. Elle s’appliquera également à faire évaluer la crédibilité d’emprunteur du Nigéria par les agences de notation Fitch et Standard & Poor’s, afin de permettre à l’Etat fédéral nigérian de lever des fonds sur les marchés financiers internationaux.

En juin 2006, elle est nommée ministre des affaires étrangères, et devient la première femme à occuper ce poste (de même pour le poste de ministre des finances). Elle ne le conservera toutefois pas longtemps, car elle démissionne et sort du gouvernement Obasanjo trois mois plus tard. Cette démission serait due à sa perte d’influence relative au sein du gouvernement et aux contrecoups médiatiques d’une polémique sur son salaire de ministre. Un média d’opposition révèle que Ngozi Okonjo-Iweala a conservé en tant que ministre son ancien salaire de haut fonctionnaire international, qui s’élevait à 240 000$, bien supérieur aux salaires des autres ministres.

Durant sa petite « traversée du désert », Mme Okonjo-Iweala fonde NOI-Gallup, un institut de sondage d’opinion nigérian, et Makeda Fund, un fonds d’investissement dans des entreprises dirigées par des Africaines. Elle revient très vite sur le devant de la scène. En octobre 2007, le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, la rappelle au sein de son institution d’origine, au rang de directrice générale en charge des régions Afrique, Asie du Sud, Europe et Asie centrale. A ce haut poste de direction, elle est également en charge des ressources humaines au sein de la Banque mondiale. Cette position stratégique vaudra à la technocrate nigériane, mariée et mère de quatre enfants tous passés par Harvard, d’être régulièrement classée parmi les personnalités les plus influentes du monde par le magazine Forbes. 2011 se révèle être l’année de son grand come-back au pays natal : après sa victoire électorale à la présidentielle et le succès de son parti aux législatives, le président Goodluck Jonathan nomme Ngozi Okonjo-Iweala au poste de ministre des finances et de l’économie, chapeautant l’ensemble des politiques économiques et de développement du pays, un poste que d’aucuns considèrent être celui d’un véritable Premier ministre.

Sa vision du développement

«Que faut-il faire? Notre priorité absolue dans le budget actuel est la sécurité. En second lieu viennent l’infrastructure, l’infrastructure et l’infrastructure, parce que c’est un des goulets d’étranglement qui empêchent les autres secteurs de travailler. Il nous faut de l’électricité, des routes et des ports. Nous avons récemment lancé la réforme des ports; nous avons essayé d’abaisser le coût du passage par nos ports et d’épargner aux gens les tensions que cela implique, par exemple de trois à quatre semaines d’attente pour le dédouanement des marchandises. Nous avons essayé de ramener ce délai à une semaine et même moins, en réduisant de moitié le nombre d’agences dans les ports et en combattant la corruption, l’extorsion et les autres pratiques de ce secteur, afin de diminuer le coût pour les entreprises.» C’est ainsi que la ministre de l’économie et des finances explique ses priorités actuelles.

S’il est une marque de fabrique d’Okonjo-Iweala en tant que ministre de l’économie, c’est son action en faveur de l’assainissement et de la rationalisation de l’environnement des affaires au Nigéria. Concrètement, cela signifie lutter contre la corruption, mettre un terme à l’opacité des transactions et de l’information financière en rendant public par exemple le montant des subventions versées par l’Etat fédéral aux Etats fédérés, en s’assurant que les comptes financiers des banques et des grandes entreprises ne sont pas truqués et en condamnant pénalement les contrevenants… Ou encore simplifier les procédures pour faciliter l’entreprenariat et la gestion quotidienne des entreprises. Dans un pays où ce climat des affaires est particulièrement opaque et corrompu, la ministre est loin d’avoir fini son œuvre et a rencontré beaucoup de résistances chemin faisant.

Si Ngozi Okonjo-Iweala refuse de se situer par rapport à une école de pensée en matière de théorie du développement, « il n’existe pas de réponse toute faite aux problèmes de croissance et de développement (…), il n’y a pas de potion magique – cela incite à l’humilité et rend service » affirme t’elle, la technocrate de la Banque mondiale reste assez orthodoxe dans son approche de la politique économique : « sans environnement macroéconomique efficace et stable, il n’y a pas de progrès durable. Il faut mettre en œuvre une politique budgétaire prudente et une politique rationnelle de la monnaie et du taux de change, en suivant la compétitivité à la trace, et cela veut dire qu’il faut s’adapter en permanence. »

Concernant le Nigéria, et la plupart des pays d’Afrique subsaharienne par extension, le facteur clé selon Mme Okonjo-Iweala, au-delà d’un environnement macroéconomique stable et d’un climat des affaires favorable, est l’investissement dans les infrastructures. Elle considère que la manque d’infrastructure est le principal handicap des économies africaines, puisque cela engendre des surcoûts (ce qui rend leurs produits moins compétitifs sur le marché international), cela dissuade les investissements, cela ralentit les transactions économiques internes, ce qui freine la croissance. Construire des routes, des chemins de fer, améliorer les capacités logistiques des ports et étendre les réseaux de communications est une nécessité absolue pour sortir l’Afrique de son isolement dans un espace mondial interconnecté. Nécessité d’autant plus urgente après les « décennies perdues » des années 80 et 90 qui se sont caractérisées par un sous-investissement dans les infrastructures énergétiques et de transport. L’Afrique va donc devoir mobiliser des ressources considérables pour investir, rattraper ce retard et être au niveau de ses nouveaux besoins. Comment faire alors que les budgets sont serrés ?

Ngozi Okonjo-Iweala propose une solution. Elle souhaite que les grands pays donateurs, les pays riches de l’OCDE, au lieu de prêter des fonds qu’ils ne possèdent plus, émettent et garantissent des obligations sur le marché de New York qui serviraient à financer les investissements pour le développement de l’Afrique. « Le plus important, c’est que l’émission d’une telle obligation pourrait changer du jour au lendemain l’image de l’Afrique comme endroit favorable aux affaires. Bénéficiant d’un financement garanti de 100 milliards de dollars, les entreprises privées du monde entier feraient la queue pour fournir l’infrastructure à l’Afrique ». Au moment où la plupart des pays de l’OCDE sont confrontés à des problèmes de dette souveraine, où la zone euro ne souhaite pas émettre d’eurobond pour elle-même, la solution d’Okonjo-Iweala semble peu réalisable à court terme. Il serait sans doute plus judicieux que les pays africains s’entendent ensemble et offrent les garanties nécessaires pour l’émission de ces obligations pour le financement de leur propre développement.

 

Emmanuel Leroueil

Les citations de Mme Ngozi Okonjo-Iweala sont toutes issues de l'entretien qu'elle a accordé à Finances & développement : http://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/fre/2011/12/pdf/people.pdf