Cette contribution est une version traduite et mise à jour d’un article originalement publié en anglais par African Arguments.
Le 29 novembre, le peuple du Burkina Faso s’est rendu aux urnes pour élire leur prochain président et leurs députés. Roch Marc Christian Kaboré du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) a été officiellement déclaré vainqueur de l’élection présidentielle le 1er décembre, ayant obtenu 53,49% des voix. Son poursuivant, Zéphirin Diabré de l’Union pour le Progrès et le Changement (UPC), a reconnu sa défaite sur Twitter avant de féliciter Kaboré en personne. Les résultats des élections législatives ont été dévoilés le lendemain, donnant une majorité simple au président élu.
Comme plusieurs fois durant l’année précédente, le Burkina Faso s’est dressé en exemple éclatant dans une région où les irrégularités, les allégations de fraude et la violence électorale émaillent régulièrement les scrutins. Un an après qu’une insurrection populaire ait empêché l’ancien président Blaise Compaoré de supprimer la clause constitutionnelle limitant le nombre de mandats – une mobilisation qui a inspiré d’autres mouvements sur le continent – et seulement quelques semaines après que la société civile, des soldats de rang, et des manifestants de tous les coins du pays aient empêché une tentative de coup d’État de la garde présidentielle, la conduite exemplaire des élections renforce l’idée que le Burkina Faso mérite son nom de « pays des hommes intègres ».
Ces élections ont été historiques car elles concluent la transition politique mise en place après la démission de Compaoré en 2014 et parce que, pour la première fois en presque 30 ans, le nom de Compaoré n’apparaissaient pas sur les bulletins de vote. Cela signifie des enjeux inégalés pour les élections les plus ouvertes depuis des décennies, et une responsabilité immense reposait donc sur les épaules de la commission électorale (CENI) pour assurer la conduite irréprochable du scrutin.
Juste avant les élections, de nombreuses personnes semblaient confiants que celles-ci seraient transparentes, mais d’autres avaient des doutes. « On dirait qu’ils soutiennent le MPP » a déclaré un électeur à un meeting de l’UPC à Ouagadougou, en parlant des autorités de la transition et de la CENI. Cependant, en partie grâce à la mobilisation massive d’activistes et à une série de mesures prises par la CENI pour garantir l’efficacité et la transparence, les élections se sont déroulées dans le calme et tous les observateurs ont loué la conduite du scrutin.
Une observation minutieuse du processus électoral
Les élections au Burkina Faso ont attiré des missions d’observations de multiples organisations internationales, telles que l’Union européenne et l’organisation régionale ouest-africaine de la CEDEAO. Mais les membres de la société civile burkinabè se sont également saisis de cette affaire de façon cruciale. A de nombreux bureaux de vote, des petits groupes d’électeurs restaient après avoir mis leurs bulletins dans les urnes pour observer par eux-mêmes que le processus était transparent. Le Balai Citoyen, un mouvement de la société civile ayant joué un rôle clé dans la mobilisation anti-Compaoré, avait en effet appelé ses militants à agir ainsi dans le cadre d’une campagne intitulée « Je vote et je reste ».
De manière plus formelle, 35 organisations de la société civile se sont rassemblées en juillet pour former la Convention des organisations de la société civile pour l’observation domestique des élections (CODEL), une alliance visant à mettre en œuvre une « observation harmonisée, proactive et civique » du processus électoral. Forte de son expérience en la matière au Sénégal, au Mali et en Sierra Léone, l’ONG londonienne OneWorld a travaillé avec la CODEL pour mettre en place un système impliquant 6 000 observateurs déployés à travers 1 490 bureaux de votes. Ces individus pouvaient alors transmettre des données par SMS à la ‘situation room’ de Ouagadougou, leurs analyses nourrissant alors une plateforme publique. « C’est un devoir patriotique en tant que citoyen » explique un observateur déployé dans un bureau de vote de la capitale. Mamadi, un des superviseurs travaillant depuis la ‘situation room’, lui fait écho, ajoutant : « c’est une cause nationale. Il faut que chacun y mette du sien pour avoir des élections apaisées et acceptées par tous. »
Le jour des élections, des rapports d’observation transmis à la ‘situation room’ ont permis au personnel de la CODEL d’identifier les incidents et d’en alerter la commission électorale. La CODEL a noté plus de 30 incidents majeurs qui ont alors pu être résolus en partenariat avec la CENI. Selon les données de la CODEL, 99% des bureaux de vote avaient ouvert à l’heure ou moins d’une heure après l’ouverture programmée, et 91% étaient correctement équipés avec tout le matériel requis. Malgré quelques soucis logistiques inévitables, tels que des bureaux de vote ayant ouvert tardivement à cause du manque de personnel ou de matériel, ou des électeurs ayant des difficultés à trouver leur bureau de vote, l’organisation du scrutin a été unanimement applaudie par les observateurs.
Une collecte efficace des résultats
Pour réduire les risques de contestation, la CENI avait promis de communiquer les résultats des élections présidentielles 24 heures après le vote au plus tard, une tâche particulièrement difficile dans un pays où un fort analphabétisme et un manque d’électricité rendent le dépouillement difficile.
Les résultats ont d’abord été compilés au niveau communal, puis consolidés nationalement à travers une plateforme électronique. Les premières estimations étaient disponibles seulement 12 heures après la fermeture des derniers bureaux de vote et étaient mis à jour régulièrement durant la journée jusqu’à la proclamation officielle des résultats provisoires peu après minuit. La CODEL avait également mis en place un système de comptage parallèle des voix basé sur un échantillon représentatif de 251 bureaux de vote, qui a permis de montrer une corrélation avec les résultats de la CENI. De plus, certains partis comme le MPP, qui disposaient également de délégués dans tous les bureaux de votes pour observer le processus, avaient leur propre système en place pour obtenir les résultats.
Le recours à ces méthodes diverses et indépendantes pour surveiller le dépouillement ont garanti des résultats crédibles tandis que les efforts fournis avant les élections pour informer les partis politiques, la société civile et les médias à propos du processus mis en place par la CODEL ont contribué à ce que les citoyens aient confiance en la conduite des élections. Une fois les résultats proclamés, les électeurs ont rapidement accepté l’issue du scrutin. « Je suis très fier car j’ai grandi durant le régime de Compaoré et c’est la première fois que je vois des élections qui sont réellement transparentes » a déclaré un jeune homme soutenant le MPP. Parallèlement, même ceux qui espéraient un autre résultat semblaient satisfaits du processus. « Je ne suis pas trop déçu ; le vote a été transparent et notre leader a accepté les résultats, donc ça va » a déclaré un électeur de l’UPC.
Le président-élu Kaboré, qui sera investi le 29 décembre, devra respecter ses promesses sans tarder pour montrer qu’il peut apporter un réel changement dans le pays malgré son association passée avec le régime de Compaoré. Si l’ancien premier ministre de Compaoré n’en est pas capable, la « Place de la Révolution » – le point de ralliement des manifestants dans le centre de Ouagadougou – sera de nouveau pleine, ont prévenu les activistes. Mais au moins, Kaboré n’aura pas besoin de s’inquiéter d’allégations de fraude ou de suspicions concernant la légitimité de son arrivée au pouvoir, et cela grâce à la conduite transparente des élections. Même si tous les Burkinabè n’ont pas obtenu le résultat qu’ils souhaitaient, les élections ont été acceptées et la transition politique se termine sur une note positive grâce aux efforts de la CENI, la CODEL et des observateurs internationaux comme domestiques.
« Nous arborons un large sourire, nous poussons des soupirs de soulagement » a déclaré le Président de la CODEL Halidou Ouédraogo. Après des mois de préparation et quelques jours mouvementés, il en a bien le droit.