La ruée vers les pétro-cfa

L’année 2012 vient de s’achever, laissant derrière elle de profondes mutations dans les secteurs énergétique et électrique en Afrique et dans le monde. D’après l’Analyse des Contraintes à l’Investissement Privé et à la Croissance Économique du Millenium Challenge Corporation, en accord avec l’Enterprises Survey de la Banque Mondiale,  15% des entreprises identifient le déficit énergétique comme le principal obstacle à l’investissement, en particulier au Bénin.

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Cette pénurie d’énergie, souvent électrique s’accompagne bien souvent d’une ruée vers les produits pétroliers qui entraîne l’apparition de circuits parallèles d’approvisionnement et de distribution, au détriment des sociétés nationales et privées officielles qui génèrent des recettes fiscales et une activité économique légale. Quand bien même les filières réglementées  sont opérationnelles,  les énergies importées sont bien souvent  subventionnées par les gouvernements en place afin d’alléger le portefeuille de la ménagère pour éviter des émeutes sociales comme nous l’avons observé en début d’année au Nigéria. C’est le prix social de l’énergie : Inaccessible pour tous, elle doit toutefois être socialement disponible. Cette politique alourdit les budgets des pays africains car en plus du coût élevé de l’approvisionnement, ils doivent lourdement subventionner les différents types d’énergie (fossiles ou électriques) afin d’arbitrer un optimum socio-économique.

C’est pour cette raison que le FMI a lancé un programme de sensibilisation auprès des gouvernements pour une meilleure ventilation des fonds pétroliers. A titre d’exemple, le Ghana substitue ses subventions pétrolifères en échange du financement de la gratuité de l’enseignement primaire, ou encore en Jordanie où le gouvernement privilégie la hausse des salaires et le versement de primes aux retraités et handicapés. Ces mesures concrètes et transparentes permettent aux populations de jouir autrement des retombées pétrolières et de percevoir d’un autre oeil le secteur pétrolier qui est bien souvent  perçu comme une « Blackbox ».

Concernant le secteur de l’énergie électrique,  les différents rapports indiquent que la production d’électricité par les sources thermiques, en particulier le Jet et le Fuel ne sont plus du tout compétitives, au vue du prix du baril, et en raison de l’absence de Marker africain, qui oblige les gouvernements à s’approvisionner sur les marchés internationaux, en devises. L’hydroélectricité représente l’alternative la plus préconisée, avec le coût de revient du KWh le plus compétitif, à condition que les projets soient d’ordre régionales, à l'instar du grand Inga en Afrique Centrale. Quant aux énergies renouvelables, elles commencent par émerger principalement dans les zones rurales avec des projets comme le « BipBop » de Schneider Electric. Enfin, la dernière et pas des moindres, l’Agence Internationale de l’Énergie estime que le charbon sera la première source d’énergie à l’horizon 2017 avec 4,3GTep. L’abondance des réserves prouvées jumelée à la pression sur la demande des pays émergents fait du charbon une ressource sure et à prix bon marché. Les nouveaux procédés chimiques permettent une production d’électricité propre, à l’instar de l’Allemagne qui a de nouveau activé ses centrales au charbon, au détriment du nucléaire.

Alors, vous vous demanderez quel lien entre cet article et les pétro-CFA ? Avec les cours élevés du baril, les pays producteurs du continent pourront dégager un fort excédent commercial, au profit des banques centrales et régionales qui augmenteront leur réserve en devises. Cet excès de devises financera des projets locaux et la promotion des produits de première nécessité qui sont pour le moment fortement importés. C’est le cas de l’Iran qui a économisé $12 milliards en favorisant l’agrobusiness local.

Cette réorganisation du secteur énergétique mondial a permis de transformer au fil du temps, l’ancestral pétrodollar en petro-yuan, yens et pétro-or. Pour que cette révolution s’opère du côté de l’Afrique subsaharienne, une réorganisation institutionnelle et structurelle est plus que nécessaire afin que les pétro-CFA puissent aller de paire avec le développement du continent.

Léonide SINSIN

Un coup d’oeil sur l’or noir en Afrique

Quand on parle pétrole, nous avons souvent à l’image un liquide fluide, bien loin de son aspect visqueux et lourd. Le pétrole est depuis les années 1950 notre principale consommation énergétique pour le transport et la production d’électricité. Une étude de la filière s’avère donc utile afin de comprendre la place et les défis de l’Afrique au sein de cette industrie. D’après le BP statistique Review, l’Afrique détient 10 % des réserves prouvées avec une consommation de 4 % à l’échelle mondiale, soit moins de 2% pour la partie subsaharienne hors Afrique du Sud. Pourquoi ce décalage ? Sans revenir sur les sujets de fonds souvent évoqués (pauvreté, Dutch Disease), il faut noter des défaillances dans les politiques à long terme des pays producteurs de pétrole africains. Avec des compétences importées du Nord sans véritable transfert de connaissances, les premiers contrats signés étaient de type concession : les pays attribuent des licences de très longue durée sous réserve d’une part fixe des revenus des compagnies internationales (ou IOC). Ce n’est qu’avec l’avènement de l’OPEP, la création des compagnies nationales plus dynamiques dans certains pays (NOC), les chocs pétroliers entrainant une perte de puissance de l’OPEP au profit des marchés financiers et des producteurs indépendants que se sont développés les contrats d’exploration et de partage de production (CEPP) largement répandus de nos jours.

Le cycle de production du pétrole montre bien où se crée la valeur ajoutée et à quel niveau se stiuent les producteurs africains. Bien qu'extrait à un cout relativement faible (15-25 $/baril), il n’est pas rare d’entendre que le baril de pétrole a atteint un cours de plus de 100 $. De quoi parle t'on exactement ? Il existe une centaine de variétés de pétrole (classés selon leur densité, leur teneur en souffre et d’autres paramètres). Les types de pétrole considérés comme référence sont appelés Marker. Ce sont les standards négociés dans le monde. Les principaux sont le WTI pour le marché américain, le Brent pour le marché européen et l’Oman pour le marché asiatique. En l’absence d’un pouvoir de marché, et d’un marché local dérisoire, l’Afrique ne possède pas son marker et est souvent indexée sur le Brent. Notre brut est négocié bien loin des contraintes économiques locales. À ce stade du processus, il gagne 30-40 $ supplémentaires auxquels sont liés le risque de production, le transport et la volatilité des marchés.

Ensuite intervient le raffinage. Une raffinerie est une technologie de pointe très onéreuse (aussi chère qu’une centrale nucléaire : 2 à 9 milliards $ selon la taille) du fait de la complexité des procédés chimiques et de son fonctionnement à plein temps. Bon nombre de pays africains où le pétrole est extrait n’en sont pas dotés (et même lorsques les raffineries existent, elles sont aussi vieilles que le traité d’indépendance…) à cause du manque de technologie locale, du coût de l’investissement et de l’absence d’un marché de masse capable de soutenir le rythme effréné. La phase de raffinage produit une valeur ajoutée de 20-25 $/baril du prix final actuel. Au final, ce dernier flirte allègrement avec la barre des 100 $. D’après une récente étude de l’IFP, il s’agit de son prix techniquement et économiquement soutenable de nos jours.
Enfin, une foi raffinée, nous obtenons les produits pétroliers que nous consommons au quotidien. Ces produits sont acheminés vers les points de consommation à des prix standardisés. Dans la plupart des pays africains, ce standard du « litre » équivaut presque au salaire journalier. La seule solution viable pour nos gouvernements passe par la subvention (avec ces mêmes recettes tirées des CEPP) afin d’alléger la facture du consommateur. Et quand les subventions deviennent trop importantes, gare aux émeutes comme on a pu le constater en ce début d’année au Nigéria dans le cas d’une politique d’allègement par le décideur . En observant cette chaine, on comprend d’emblée le faible rang qu’occupe l’Afrique dans les négociations internationales sur le marché pétrolier. Sa réelle utilité est d’être un champ d'extraction alternatif pour l’Occident dans sa politique de sécurisation de son approvisionnement, par ces temps de remue-ménage au Moyen-Orient.

Toutefois, la situation actuelle n'a rien d'irrévocable. Un certain nombre de réformes sont à même de changer la situation   :
• Tout d’abord une meilleure affirmation des Pays Africains Producteurs de Pétrole pour la création d’un Marker sous régional avec une part de la production de ces pays dédiée au marché local
• D’autre part, la mise en place d’un fonds commun afin de pallier la volatilité des cours énergétiques dont les PIB des pays producteurs sont très sensibles.
• Ensuite, un programme sous-régional de développement d’unité de raffinerie sur la base d’un marché commun. Cette approche permettra de soulager le poids de l’investissement initial ainsi que les contrebandes liées au commerce illicite de l’or noir.
• Et enfin, la dernière et pas des moindres, une meilleure intégration sous-régionale facilitée par l’existence de zones économiques telles que l’UEMOA, LA CEDEAO, le CEMAC, la SADC et l’UMA, qui doit permettre d'agrandir les marchés intégrés et de faciliter des stratégies communes d'investissement.
 

 Léomick Sinsin