Mettre fin aux « proverbes africains »

raleigh-bicycle-lion-vintage-bicycle-posterJe crois que ça a commencé à m’agacer quand j’ai lu Venance Konan – qui d’autre? – faire une référence à « pour qui sonne le glas ». C’est grave en soi de présenter la formule comme étant « ask not for whom the bell tolls. It tolls for thee[1] » alors que l’original est « never send to know for whom…». On me dira que c’est un “détail”… Peut-être, mais vu que personne ne lit VK pour la profondeur de son style, ces « références » et leur perspicacité ont jusqu'ici sauvé sa carrière.
 
Et c’est criminel d’introduire cette citation incorrecte par une formule aussi pédante que “ces quelques lignes tirées d’un texte d’Hemingway (…) C’est du vieil anglais qui se traduit par « ne demande pas pour qui sonne le glas. Il sonne pour toi. »  Le premier idiot venu sait – c’est écrit juste en dessous de la dédicace ! – que la phrase n’est pas d’Hemingway mais de John Donne[2]. Et le second idiot présent sait que réutiliser cette phrase – construite initialement et reprise par Hemingway pour rappeler que rester indifférent à la souffrance des autres est un crime – pour narguer Laurent Gbagbo et vanter Alassane Ouattara frôle l’imbécillité[3].
 
Mais on peut pardonner à Venance Konan, il se contente lui de prétendre être familier avec un texte et des références littéraires dont il n’a qu'entendu parler. Ses compatriotes artistes sont eux spécialistes du "proverbe ivoirien" sans queue ni tête : « si tu empruntes le chemin de ‘je m’en fous’, tu vas te retrouver au village de ‘si je savais’ » ; « quand quelqu’un nage, c’est son ventre seulement qui est dans l’eau, on voit son dos » ; « Celui qui n'a pas peur n'a pas le courage » ; « yeux connaît bagage qui est lourd, c’est Bêla qui fait semblant ». Et mon préféré : « Moustique n'aime pas amusement où on applaudit ! »
 
Le journaliste franco-ivoirien Joseph Andjou, pour sa part, concluait sa revue d’actualité africaine sur I-Télé par un immanquable « proverbe » africain, le plus souvent sans aucun lien avec l’actualité du continent. Ça allait de « on ne marche pas deux fois sur les testicules d'un aveugle » à « quand tu sauras le prix d'une esclave, tu ne penseras jamais à vendre ta mère » (je sais…) Andjou poussa même l’affaire jusqu’à publier une collection de resucées chez Michel Lafon « Comme on dit en Afrique… Dictons et proverbes africains » (2003)
 
Mais passe encore. Ni Andjou ni les artistes Ivoiriens spécialisés dans la (re)production de proverbes n’ont jamais prétendu aller plus loin qu’amuser la galerie. Plus le proverbe était sordide, mieux c’était. Ils n’ont pas l'arrogance de ces responsables politiques – Occidentaux en général, mais Africains aussi – qui se croient obligés de sortir un proverbe dit africain à la moindre occasion. La citation littéraire incomplète et malvenue est une erreur de débutant, le "proverbe africain" inventé sur le moment est une insulte.
 
Hillary Clinton a relancé la mode en 1996 avec la publication de « It takes a village », ouvrage écrit probablement par un nègre, rempli de platitudes attendues sur le futur de l’éducation ou l’éducation du futur – je ne me souviens plus – aux Etats-Unis. Pour la substance du texte, je ne peux que renvoyer à la critique dévastatrice qu’en fit l’écrivain britannique Martin Amis[4]. Quant au titre… Clinton et son équipe en trouvent l’origine dans un « proverbe africain » qui dit, en substance, qu’il faut un village entier pour élever un enfant. Lorsque l’authenticité du proverbe a été mise en doute, une campagne de communication a été organisée pour déterminer l’origine exacte de la banalité utilisée par Clinton. De vénérés professeurs d’études africaines se relaient sur internet pour proposer des formules autochtones signifiant plus ou moins ce que Clinton et son staff attendaient. Jamais dans l’histoire de la littérature autant de personnes n’ont consacré autant d’énergie à un objectif aussi futile[5]
 
Aujourd’hui lorsque vous lisez dans la presse « comme dit ce proverbe africain », prononcé par un responsable politique, attendez-vous à un autre cliché. C’est presque un réflexe en politique, mais en l’occurrence, vous pouvez savoir que ce proverbe fera référence soit : (i) au règne animal – lion, serpent, éléphant, singe, ("l'homme africain" est proche de la nature comme chacun sait) ; (ii) à la « sagesse des anciens » ou au respect dû aux aînés; ou encore (iii) à la vie du village rythmée par les saisons et à la force des éléments naturels etc.
 
Ce n’est pas innocent. Un « proverbe africain » renvoyant à la modernité ne peut pas les intéresser. Le dicton de Magic System « l’avion ne fait pas marche-arrière, c’est parce qu’il n’a pas de rétroviseur » est trop ancré dans le XXe siècle pour être authentiquement africain.
 
Quand Kofi Annan, en référence au conflit syrien, sort un "proverbe africain", il est condamné à choisir le banal « à défaut de faire tourner le vent, changez de cap[6] » (et encore ma traduction voile la crasse platitude de la version originale “You cannot turn the wind, so turn the sail.”). En quoi cette sagesse est vraiment africaine, Annan ne le précise pas. L’adage de Teddy Roosevelt « parlez doucement et portez un gros bâton » est, lui aussi « d’origine ouest-africaine ». Forcément… Je m’étonne que personne n’ait jusqu’ici noté le double-sens de « gros bâton », mais passons.
 
Lorsque le subtil Jean Marc-Philippe Daubresse, connu dans la vie politique française pour avoir réalisé… Enfin connu dans la vie politique française en tout cas, veut se moquer des excuses présentées par Ségolène Royal à « l’Afrique » (rien que ça), il a déjà son « proverbe africain » en poche « quand le singe veut monter au cocotier, il faut qu'il ait les fesses propres."
 
Parmi les articles qui ont causé la ruine de Slate Afrique, ce très pénible effort[7] d’Alex Ndiaye visant à « coupler » des proverbes « africains » et les hommes politiques africains auxquels ils s’appliquent le mieux, occupe certainement une place de premier choix.
 
J'ai adopté une politique assez simple sur ce point, chaque fois que j'entends quelqu'un citer "un proverbe africain", je me sens obligé de lui renvoyer ce "proverbe français" que j'adore : "Oh, ta gueule!"
 
Essayez. Ca marche, tchoko na tchaka, comme on dit à…