Le monde à dos d’Afrique

Les villes africaines, trace de modernité...La Modernité pourrait se définir par la distinction épistémologique fondatrice sujet / objet et découlant de celle-ci la production de l’opposition structurante nature / culture.  Ce rapport au Monde, détachant l’Homme de la Nature et le plaçant en surplomb, permit l’élaboration et le développement de technologies d’exploitation des ressources de la nature, pensées alors comme illimitées, au profit de l’espèce humaine (anthropocène), ou plutôt de l’échantillon d’elle qui s’était érigé en étalon de l’humanité (capitalocène ou occidentalocène).

Cette ontologie moderne aura en fait été le principal moteur de l’imperium européen dans son projet de domestication et d’exploitation de la Nature mais aussi de toute autre forme d’altérité culturelle.

Aujourd’hui, cette modalité culturellement située de représentation des interactions entre les activités humaines et le reste des entités du vivant, humain et non humain pour le dire dans des termes latouriens, se heurte aux signes alarmants révélant l’infinie complexité des actions et des rétroactions des différents êtres composant le système Terre.

L’Homme, occupant désormais l’espace d’une force géologique, influe globalement sur l’histoire récente du système Terre. Mais, comme Marx le faisait déjà remarquer pour l’histoire des sociétés humaines : « l’Homme fait l’histoire mais il ne sait pas l’histoire qu’il fait ». Ainsi la puissance acquise par l’espèce humaine, désormais capable de modifier la trajectoire du climat, l’acidité des océans, la biodiversité, etc. révèle, paradoxalement, une impuissance tout aussi vertigineuse.

Et il est tout à fait troublant de constater que la perturbation des équilibres qui ont permis jusqu’à présent le maintien, dans des conditions de relative stabilité, de l’espèce humaine trouve son origine la plus immédiate dans les excès du capitalisme et sa sécrétion d’inégalités et d’injustices.

Le projet désormais impératif de déconstruction de la modernité, afin notamment d’essayer de proposer des alternatives politiques crédibles et des institutions démocratiques ad hoc destinées à réduire l’empreinte écologique de l’espèce humaine sur Gaia, doit se nourrir de la multiplicité des discours critiques portés par la cohorte de corps5  que l’effectuation de la modernité, sur ces quelques trois siècles écoulés, aura marginalisé ou marchandisé (critique féministe, critique post-coloniale, critique queer, etc.).

Cette réflexion se propose de poser les pistes de la spécificité d’une contribution africaine, pensée à partir de son historicité propre, pour appréhender les nouveaux enjeux globaux, en formulant la question suivante :

L’Afrique est-t-elle parmi les lieux que l’on puisse privilégier pour penser l’effectuation moderne du Monde afin de mieux comprendre et déjouer le réseau d’asymétries tendues qu’elle a tracé, au cours des derniers siècles, dans la valeur de la vie et du vivant?

L’Afrique au cœur des marges de la Modernité

De part et d’autre de la science, les spécialistes ne cessent plus de tirer la sonnette d’alarme et de s’interroger: l’Homme serait rentré dans une course poursuite contre lui-même. Comment donc sortir de cette effectuation moderne prédatrice qui nous mène vers notre extinction ?

Peut-être, conviendrait-il de prendre pour point de départ des espaces en résistance contre le projet moderne. En résistance, justement parce que le projet moderne a, d’une certaine manière, contribué à les exclure d’un sanctuaire des privilèges qu’il travaillait à faire advenir et auquel il assujettissait tout le reste, ou presque. C’est donc qu’à partir de ces lieux sujets, de ces marges, que nous souhaiterions penser ce qui pourrait être un enversde la Modernité. Non pas qu’il s’agisse, dans la fièvre d’une pureté toute révolutionnaire de détruire la Modernité et l’ensemble de ses édifices, mais davantage qu’il faille la penser avec ses contraires et ses en-dehors. Et là, force est de constater que certains lieux à la margerecèlent un pouvoir de dévoilement plus important que d’autres (et c’est l’objet de cette réflexion).

Le concept de marge pourrait être défini comme cet espace où le discours du pouvoir sur lui-même se heurte à son mensonge et donne à voir l’ampleur réelle d’une politique sur l’ensemble du vivant. C’est à ce titre un concept d’une grande fécondité heuristique et, pour ce qui nous concerne, un outil conceptuel précieux pour la déconstruction de la Modernité, à partir d’une certaine perspective. En cela, nous nous inscrivons dans la continuité des efforts de Michel Foucault pour lequel, selon Lautier Bruno :

« L’objectif […] n’était pas de « parler des exclus » ; il l’a d’ailleurs fort peu fait dans ses écrits théoriques, il réservait ça à son activité militante. Son objectif était un objectif de méthode : montrer qu’on comprend une société non pas en en faisant une analyse de l’intérieur, mais depuis les marges : les fous, les malades, les criminels, les pervers, ne nous apprennent pas grand-chose sur eux-mêmes, mais beaucoup sur nous. »

Nous proposons ainsi l’hypothèse que l’Afrique constitue cette marge à partir de laquelle la Modernité, comme projet biopolitique, se révèle pour ce qu’elle est véritablement : Lumièrestout autant que Ténèbres.

Afrique, pivot d’un universel de la circulation et du mouvement

Sur un plan méthodologique, à ce premier temps qui est un arrêt sur l’Afrique (conçue comme une margestratégique de la Modernité) doit être agrégé un second temps ancré dans le mouvement. Un mouvement circulaire constant, passant sans cesse d’une expérience historico-culturelle à une autre, d’un mode d’être à un autre. Le mouvement comme fondement et éthique, expression, pour le dire comme Bachir Diagne, d’un universalisme latéral révélé par le processus même de la traduction; mais une traduction élargie permettant tout aussi bien de passer d’une expérience culturelle à une autre (d’une langue à une autre) que d’un mode d’être à un autre (une ontologie à une autre).

A l’évidence,une telle d’approche a vocation à s’écarter de toute logique du ressentiment, portée par un afro-centrisme d’arrière-garde, tout autant que d’une logique de la pitié, même dans ses expressions les plus distinguées, réduisant toujours au final l’Afrique à un manque qu’elle ne saurait, par nature, combler d’elle-même.

L’effort vers ce mouvement circulatoire, questionnant la modernité à partir de tous ses en-dehors, est le prix de l’écriture d’un récit partagé du devenir. Et l’Afrique peut réellement, à partir de son expérience propre (c’est-à-dire celle d’une vulnérabilitédans l’ère moderne), ouvrir de nouveaux possibles sur les enjeux globaux qui traversent les débats intellectuels et politiques contemporains, couvrant d’une extrémité à une autre la question de la survie de l’Homme (pour les plus pessimistes) ou plus simplement celle de la vie bonne (pour moins alarmistes).

Le souci d’une politique globale du vivant apparait aujourd’hui comme une des dimensions fondamentales d’une pensée critique qui aurait vocation à proposer des mécanismes de partage équitable des ressources et de sauvegarde de la vie humaine sur Terre. Partant de la perspective des Amérindiens d’Amazonie, un auteur comme Philippe Descola en appelle à l’abandon de ce qu’il appelle une vision naturaliste du mondequi a conduit le monde occidental à réduire l’ensemble des entités naturelles (dans lequel les Africains ont souvent été rangés d’ailleurs) à une réserve inépuisable de biens et d’énergie.

Et lorsque l’on aborde de manière anthropocentrée la question de la vie, de la variabilité de ses formes, de ses conditions de possibilité biopolitique et de ses limites (jusqu’à quel point peut-on décemment rester vivant), l’Afrique se présente effectivement comme une masse colossale dont l’occultation risquerait de masquer la partie immergée de l’iceberg.

Dans une telle perspective, l’Afrique apparait comme un espace singulier qui donne à voir, sans fard, ce que le pouvoir peut faire de la vie et, plus particulièrement, ce que l’exposition prolongée à la brutalité des systèmes d’exploitation née de la Modernité a fait des différentes formes de vie sur ce vaste territoire.

Ce que penser l’Afrique veut dire

Achille Mbembe invite toute réflexion sur l’Afrique à se projeter vers quatre directions, de manière disjointe ou articulée. Penser l’Afrique, c’est :

1 Rétablir un nom. Combattre des préjugés séculiers nés de la pensée coloniale et impériale.

2 Ramener à la vie ce qui avait été abandonné aux puissances de la négation et du travestissement

3 Rouvrir l’accès au gisement du futur pour tous.

4 Contribuer à l’avènement d’un monde habitable.

Cette invitation appelle donc à tracer les contours d’un champ, certes déjà arpenté, mais pas encore totalement balisé. La présente proposition s’inscrit indubitablement dans les perspectives ainsi ouvertes, tout en gardant la dynamique propre qui la fonde :

  • Symétrisation des formes du vivant
  • Saisissement du devenir monde du monde dans un mouvement circulatoire

Ce qui importe donc, c’est que l’Afrique partage le Monde avec les autres, y compris cet agrégat abstrait que l’on appelle l’Occident. L’objectif de telles approches, tel qu’initiées par des intellectuels africains comme Valentin Yves Mudimbe, Souleymane Bachir Diagne ou Achille Mbembe, pourrait donc être la mise en exergue, l’amélioration et surtout la création de mécanismes de partage équitable du monde. C’est à ce prix seulement que le monde deviendra monde.

Ce n’est donc pas l’irréductibilité d’une expérience intérieure proprement africaine (quoique nous ne cherchons pas non plus à nier cela, ou du moins, les effets des récits différentialistes) qui structure cette discussion mais plutôt l’expérience fragmentée de la Modernité et la manière dont certaines de ces expériences peuvent nous informer davantage sur le visage de celle-ci, particulièrement lorsqu’elle se confronte au dissemblable. Cette méthodologie permet d’en faire le diagnostic le plus fidèle, à la fois pour la vie humaine que l’ensemble des entités du vivant.

L’Afrique, le Nègre et les Autres

D’emblée il faut également préciser que l’Afrique dont il est question ici ne se limite pas aux frontières de la géographie statique. En effet, l’Afrique et le Nègre constituent les deux mêmes faces d’une imagerie complexe construite par la Modernité comme différence de la différence, reflet inversé de la raison, située dans une sorte d’espace intermédiaire entre culture et nature.

Peut-être faut-il rappeler également que, sous le règne de la Modernité, certains phénomènes d’oppression d’ampleur subis par les Africains et/ou les personnes d’ascendance africaine ont également frappé d’autres communautés dont les traits physiologiques ne pouvaient pourtant être totalement capturés par la figure du Nègre, du fait de sa teneur en mélanine. Mais sans doute était-il encore possible à celles-ci de sortir de cet épiderme social et d’abandonner, dans le jeu des échelles sociales, cette peau sociale infâme.

Le Nègre est donc aussi cette assignation dont, certains, ont pu besogneusement se défaire. Les Africains et leurs descendants, moule dans lequel avait été produit cette figure monstrueuse, n’ont, en dehors de l’Afrique elle-même, aucune possibilité définitive de réellement s’extraire de cette clôture. Ainsi, plus de trois siècles après la fin de l’esclavage transatlantique, la possibilité pour eux d’échapper à cette figure reste dépendant de procédures socio-économiques complexes à l’issue incertaine et in fine fragilisées par une opposabilité toujours ouvertes. Qui que soit l’Africain ou l’Afro-descendant, l’interpellation de « sale nègre » au coin d’une rue reste toujours de l’ordre du possible et du plausible.

Le Devenir Nègre du Monde

L’une des spécificités de l’action de la Modernité sur l’Afrique, c’est cette opération à la fois pratique et intellectuelle qui a consisté à transformer des êtres humains en chose et à les réduire drastiquement en combustible pour la machine économique. Ce processus miraculeux par lequel un homme devient un bien meuble, pour le dire comme le Code Noir, marque durablement le rapport du corps noir à soi et sa circulation dans l’espace globalisé.

En cela, le Nègre aurait, selon Achille Mbembe, devançait le monde. En effet pour lui, les dernières formes du capitalisme financier ne tendraient qu’à élargir le plus possible ce geste de réduction miraculeux à l’ensemble du globe, y compris au monde occidental lui-même.

La modernité a produit une véritable métaphysique de la race, celle-ci naissant et venant alimenter d’abord la structure morale et discursive de légitimation de la traite de l’esclave atlantique puis ensuite le désir colonial tout autant que sa justification.

Césaire nous dévoile ainsi la véritable nature de la relation dans l’économie morale de la colonisation :

« Entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, la pression, la police, l’impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies. Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l’homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourme, en chicote et l’homme indigène en instrument de production »

Ce devenir Nègre du monde pourrait bien faire de l’Afrique un des rouages essentiels de tout nouveau chantier significatif d’une pensée matérialiste ayant pour projet une émancipation ouverte à tous les vivants. Ce repositionnement inattendue de l’Afrique n’est en aucun cas celle annoncée par les nouvelles forces carnassières du capitalisme financier. Celles-là ne jurent désormais que par ce qu’elles ont appelé « l’émergence » économique de l’Afrique, laquelle, si les responsables africains n’y prennent garde, pourrait bien ressembler à s’y méprendre à une recolonisation du continent, non plus par la forme classique des trois M (missionnaires, militaires, marchands) mais par du pur capital. Bis repetita.Ce qui nous intéresse ici est certainement plus fondamental, plus grand que l’Afrique elle-même d’ailleurs; c’est l’Afrique comme structure d’émancipation du seul monde souhaitable pour tous, c’est-à-dire un monde devenu monde.

Tabué NGUMA

Mettre fin aux « proverbes africains »

raleigh-bicycle-lion-vintage-bicycle-posterJe crois que ça a commencé à m’agacer quand j’ai lu Venance Konan – qui d’autre? – faire une référence à « pour qui sonne le glas ». C’est grave en soi de présenter la formule comme étant « ask not for whom the bell tolls. It tolls for thee[1] » alors que l’original est « never send to know for whom…». On me dira que c’est un “détail”… Peut-être, mais vu que personne ne lit VK pour la profondeur de son style, ces « références » et leur perspicacité ont jusqu'ici sauvé sa carrière.
 
Et c’est criminel d’introduire cette citation incorrecte par une formule aussi pédante que “ces quelques lignes tirées d’un texte d’Hemingway (…) C’est du vieil anglais qui se traduit par « ne demande pas pour qui sonne le glas. Il sonne pour toi. »  Le premier idiot venu sait – c’est écrit juste en dessous de la dédicace ! – que la phrase n’est pas d’Hemingway mais de John Donne[2]. Et le second idiot présent sait que réutiliser cette phrase – construite initialement et reprise par Hemingway pour rappeler que rester indifférent à la souffrance des autres est un crime – pour narguer Laurent Gbagbo et vanter Alassane Ouattara frôle l’imbécillité[3].
 
Mais on peut pardonner à Venance Konan, il se contente lui de prétendre être familier avec un texte et des références littéraires dont il n’a qu'entendu parler. Ses compatriotes artistes sont eux spécialistes du "proverbe ivoirien" sans queue ni tête : « si tu empruntes le chemin de ‘je m’en fous’, tu vas te retrouver au village de ‘si je savais’ » ; « quand quelqu’un nage, c’est son ventre seulement qui est dans l’eau, on voit son dos » ; « Celui qui n'a pas peur n'a pas le courage » ; « yeux connaît bagage qui est lourd, c’est Bêla qui fait semblant ». Et mon préféré : « Moustique n'aime pas amusement où on applaudit ! »
 
Le journaliste franco-ivoirien Joseph Andjou, pour sa part, concluait sa revue d’actualité africaine sur I-Télé par un immanquable « proverbe » africain, le plus souvent sans aucun lien avec l’actualité du continent. Ça allait de « on ne marche pas deux fois sur les testicules d'un aveugle » à « quand tu sauras le prix d'une esclave, tu ne penseras jamais à vendre ta mère » (je sais…) Andjou poussa même l’affaire jusqu’à publier une collection de resucées chez Michel Lafon « Comme on dit en Afrique… Dictons et proverbes africains » (2003)
 
Mais passe encore. Ni Andjou ni les artistes Ivoiriens spécialisés dans la (re)production de proverbes n’ont jamais prétendu aller plus loin qu’amuser la galerie. Plus le proverbe était sordide, mieux c’était. Ils n’ont pas l'arrogance de ces responsables politiques – Occidentaux en général, mais Africains aussi – qui se croient obligés de sortir un proverbe dit africain à la moindre occasion. La citation littéraire incomplète et malvenue est une erreur de débutant, le "proverbe africain" inventé sur le moment est une insulte.
 
Hillary Clinton a relancé la mode en 1996 avec la publication de « It takes a village », ouvrage écrit probablement par un nègre, rempli de platitudes attendues sur le futur de l’éducation ou l’éducation du futur – je ne me souviens plus – aux Etats-Unis. Pour la substance du texte, je ne peux que renvoyer à la critique dévastatrice qu’en fit l’écrivain britannique Martin Amis[4]. Quant au titre… Clinton et son équipe en trouvent l’origine dans un « proverbe africain » qui dit, en substance, qu’il faut un village entier pour élever un enfant. Lorsque l’authenticité du proverbe a été mise en doute, une campagne de communication a été organisée pour déterminer l’origine exacte de la banalité utilisée par Clinton. De vénérés professeurs d’études africaines se relaient sur internet pour proposer des formules autochtones signifiant plus ou moins ce que Clinton et son staff attendaient. Jamais dans l’histoire de la littérature autant de personnes n’ont consacré autant d’énergie à un objectif aussi futile[5]
 
Aujourd’hui lorsque vous lisez dans la presse « comme dit ce proverbe africain », prononcé par un responsable politique, attendez-vous à un autre cliché. C’est presque un réflexe en politique, mais en l’occurrence, vous pouvez savoir que ce proverbe fera référence soit : (i) au règne animal – lion, serpent, éléphant, singe, ("l'homme africain" est proche de la nature comme chacun sait) ; (ii) à la « sagesse des anciens » ou au respect dû aux aînés; ou encore (iii) à la vie du village rythmée par les saisons et à la force des éléments naturels etc.
 
Ce n’est pas innocent. Un « proverbe africain » renvoyant à la modernité ne peut pas les intéresser. Le dicton de Magic System « l’avion ne fait pas marche-arrière, c’est parce qu’il n’a pas de rétroviseur » est trop ancré dans le XXe siècle pour être authentiquement africain.
 
Quand Kofi Annan, en référence au conflit syrien, sort un "proverbe africain", il est condamné à choisir le banal « à défaut de faire tourner le vent, changez de cap[6] » (et encore ma traduction voile la crasse platitude de la version originale “You cannot turn the wind, so turn the sail.”). En quoi cette sagesse est vraiment africaine, Annan ne le précise pas. L’adage de Teddy Roosevelt « parlez doucement et portez un gros bâton » est, lui aussi « d’origine ouest-africaine ». Forcément… Je m’étonne que personne n’ait jusqu’ici noté le double-sens de « gros bâton », mais passons.
 
Lorsque le subtil Jean Marc-Philippe Daubresse, connu dans la vie politique française pour avoir réalisé… Enfin connu dans la vie politique française en tout cas, veut se moquer des excuses présentées par Ségolène Royal à « l’Afrique » (rien que ça), il a déjà son « proverbe africain » en poche « quand le singe veut monter au cocotier, il faut qu'il ait les fesses propres."
 
Parmi les articles qui ont causé la ruine de Slate Afrique, ce très pénible effort[7] d’Alex Ndiaye visant à « coupler » des proverbes « africains » et les hommes politiques africains auxquels ils s’appliquent le mieux, occupe certainement une place de premier choix.
 
J'ai adopté une politique assez simple sur ce point, chaque fois que j'entends quelqu'un citer "un proverbe africain", je me sens obligé de lui renvoyer ce "proverbe français" que j'adore : "Oh, ta gueule!"
 
Essayez. Ca marche, tchoko na tchaka, comme on dit à…
 
 

Histoire de l’Afrique ancienne (VIIIè s. – XVIè S.)

  Incroyable ! Mon Dieu, quelle nouvelle ! « L'Afrique a une histoire » ! Oui, vous avez bien lu : « l'Afrique a une histoire ». Ce sont les mots qui commencent ce dossier de la revue française La documentation photographique. On ne peut s'empêcher, en les lisant, de penser au fameux discours de Dakar.

Ainsi donc les pages de la vie de l'Afrique noire ne sont pas vides ou plutôt remplies du ron-ron de l'éternel recommencement qui a fait que, selon certains, l'homme noir n'est jamais entré dans l'histoire de l'humanité. Mais balayons notre colère, puisque tous les Africains sont convaincus en leur for intérieur que « moins le Blanc est intelligent, plus le Noir lui paraît bête. » (André Gide, in Voyage au Congo).

C'est pourquoi, la première des choses que reconnaissent les auteurs de ce document, ce sont les préjugés fortement ancrés dans l'inconscient collectif européen et au premier desquels ils retiennent le déni d'une histoire africaine. A quoi tient ce préjugé ? Au seul fait que l'Europe a parlé de l'Africain sans jamais l'écouter, sans jamais prendre en compte sa parole. « Pourtant (…), les sources, tant orales qu'écrites ne manquent pas pour écrire une histoire longue de l'Afrique », assurent Pierre Boilley et Jean-Pierre Chrétien. Aussi tentent-ils de nous faire découvrir cette Afrique ancienne qu'ils évitent d'appeler « le Moyen-âge africain » ; le terme renvoyant trop à une conception européenne de l'histoire d'une époque.

Reconnaissant que l'Afrique ne peut-être considérée comme « un vaste ensemble homogène » où les hommes ne connaissent qu'un destin commun, ils nous proposent de découvrir plutôt « des mondes africains » ou des histoires africaines. Pour ce faire, ils ont déterminé trois zones géographiques : une Afrique occidentale liée au nord de L'Afrique puis à l'Europe (Empire du Ghana, empire du Mali, Empire Songhaï), une Afrique Orientale ouverte sur l'océan Indien et le monde asiatique (outre les héritages antiques de Nubie et d'Ethiopie), et une Afrique centrale et méridionale de peuplement essentiellement bantou malgré sa diversité culturelle. Cependant, au fur et à mesure que l'on avance dans la lecture de cette Histoire de l'Afrique ancienne, on a le sentiment de plonger dans celle de l'humanité tout entière parce que les connexions avec les autres parties du monde se révèlent de manière tout à fait éclatante. Et on se dit que le goût des voyages ne date pas de notre époque !

On finit par se convaincre que cet excellent travail sur l'histoire de l'Afrique ancienne de notre ère – un travail de vrais historiens au service de l'humanité – s'adresse avant tout aux Européens qui enseignent dans leurs écoles et leurs universités une l'histoire de l'Afrique qui n'est rien d'autre qu'une « histoire de leur conquête et de leur oeuvre coloniale ». Chacun devra en effet retenir qu'ils n'enseignent « en réalité (que) l'histoire de l'Europe en Afrique et non l'histoire des Africains eux-mêmes ». La soixantaine de pages de ce dossier, illustré de magnifiques photos et cartes à caractère pédagogique, suffit pour abreuver l'esprit du lecteur d'une multitude de connaissances qui bouleversent des croyances communément admises. Ainsi les chapitres consacrés à l'image des Africains dans l'Europe médiévale, la renommée mondiale de l'Empereur du Mali, la relation diplomatique entre les rois du Kongo et du Portugal ne pourront que l'étonner.

Beaucoup de monde oublie ou ignore que les civilisations naissent et meurent, fleurissent puis s'étiolent, dominent puis sont soumises. L'Afrique noire a connu tout cela. Qui aurait cru que c'est en Afrique noire, dans l'actuel Mali (à Ounjougon) que les plus anciennes céramiques connues au monde (10 000 ans avt. J.C.) ont été retrouvées. Un détail matériel qui se révèle un grand pas dans l'histoire de l'humanité puisqu'il est une marque du génie humain. Mais l'Afrique, berceau de l'humanité n'a pas besoin de donner la preuve de son génie puisque c'est là qu'est né le génie humain. Ce qui fait dire à un historien anglais cette parole que chacun doit méditer pour éviter de dire des bêtises sur le génie africain : « Les Africains ont été, et sont toujours, ces pionniers qui ont colonisé une région particulièrement hostile du monde au nom de toute la race humaine. En cela réside leur principale contribution à l'histoire ». 

Raphaël ADJOBI, article initialement paru sur son blog

 

Titre : Histoire de l'Afrique ancienne (VIIIè – XVIè), 63 pages                                                                                  

Editeur : La documentation française ; mai – juin 2010 ; dossier n° 8075