L’école du théâtre africain

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Une grande recréation ou bien plus! Voilà ce qu’offre Etienne Minoungou à partir de ce 25 octobre à Ouagadougou. Directeur de la troupe du Falinga, charmant personnage, à la dévotion au monde culturel extraordinaire, il offre tous les deux ans à toute l’Afrique, une communion avec le théâtre : les Récréatrales de Ouagadougou. La capitale burkinabée et ses rues poussiéreuses et ocres, deviennent le temps d’une évasion le lieu de convergences de toute une Afrique théâtrale qui peint mieux que quiconque la quotidien du continent, ses drames et ses angoisses, mais ressuscite mieux que tous les optimismes, l’espoir par la magie des mots, des scénographies. On s’y cultive. On y danse. On y révèle des génies. On y retrouve les splendeurs et la gaité créatrice des quartiers.

Berceau d’illustres créateurs, lieux d’échanges des grands de la scène africaine, on y découvre aussi les sans grades de la création, méconnus, terrés dans l’entre soi d’une communauté d’artistes honnis et modestes, que les gouvernements et les barons référents réduisent souvent au silence dans ces pays où la subversion de la création dérange. Pendant une semaine, quelques rues de Ouaga, seront le lieu de palpitation et d’effervescence de la passion, du talent, laissant libre cours au pouvoir de la distraction et de l’ART.

Cet événement est l’une des nombreuses étapes du si riche agenda culturel africain dont le cœur semble battre aux Congo, les deux. J’ai découvert suite à une curiosité récente, l’extrême richesse des scènes artistiques congolaises. Entre les festivals d’arts divers, de danses, les biennales, la dissolution de la culture de la création dans les habitudes du quotidien, le refus de la monotonie, la vitalité sans cesse renouvelée des concepts, des écoles, j’ai été follement charmé par cette productivité, qui garde toujours en elle, ce fond de résistance spirituelle et joie invincible, contre milles malheurs qui assassinent ces peuples sans jamais pourtant éteindre leur flamme. Brazzaville et Kinshasa m’ont ouvert un nouveau champ d’amour que je compte explorer ; un puits en or, un réservoir de trésors. Dans ces pays que l’on dit fragiles, peu ménagés par l’acharnement du destin, des initiatives loin des visées lucratives, émergent et impriment au ciel la légère emprise mais si précieuse artistique.

Et voici donc, le volcanique mais si mielleux Dieudonné Niangouna. Metteur en scène de renom qui écume les planches du monde jamais avare de son génie. Et voici son frère Julien Mabiala Bissila, récent lauréat du prix théâtre de RFI, grâce à son texte Chemin de fer. Météore et ovni littéraire, le cri de cœur fusionne avec les évocations solennelles des duretés de la vie. Visage hirsute, traits tirés des nuits sans sommeil, rire zébré par l’angoisse, il porte pourtant en lui l’allure franche de la joie ivre, ce détachement propre aux artistes. Faut-il parler de Hakim Bah, frêle auteur guinéen qui du haut de son jeune âge, du sommet d’un talent qui lui n’aura pas attendu, nous offre le Cadavre dans l’œil. Un bijou d’histoire qui revient sur les forfaits de Sékou Touré. Texte que la voix de Denis Lavant, dans la chaleur avignonnaise, revigore un jour d’août. J’ai découvert ainsi qu’il y avait une famille du théâtre africain, avec ses rendez-vous réguliers malgré ses rudiments, qui ébat la petite vie bohémienne, entrecoupée de moment de grande gravité, de la pointe occidentale à l’Afrique centrale. Je m’assigne comme mission, de plonger dans cet univers, pour m’imprégner d’un potentiel immense.

De toutes les minorités africaines, la famille artistique reste une des plus fragiles. L’essence subversive de la création, les libertés qu’elle s’autorise, la confinent à un rang étroit. Il faut faire exploser le génie artistique africain, c’est la parade contre le folklorisme ambiant dans lequel les tenants de l’exotisme emprisonnent l’Afrique. Cet art vivant, dont l’horizon n’est pas rétrospectif dans un passé statique, est le gage de renouvellement qui doit servir à tout le continent de nouveau souffle.

L’art africain ne dort pas au Quai Branly, non plus au Musée Dapper, il erre dans les rues du Congo.