La diplomatie sénégalaise à l’heure de la réforme

Un peu plus de 100 jours après sa prise de fonction, le ministre des Affaires Etrangères Sénégalais, Alioune Badara Cissé, a confirmé la réorientation de la diplomatie sénégalaise, qui aurait souffert d'incohérence dans sa gestion et ses orientations durant le dernier mandat d'Abdoulaye Wade. Il s'agit toutefois de réformes qui s'inscrivent dans une certaine continuité, le Sénégal ayant réussit à préserver certains de ses fondamentaux même sous Abdoulaye Wade : une voix qui continue de porter en Afrique, une présence dans les grands fora internationaux et l’organisation de grands rendez-vous internationaux comme le Sommet de l’Organisation de Coopération Islamique (OCI) en 2008. Mais l’on a aussi assisté à une diplomatie du spectacle marquée par une ouverture tous azimuts d’ambassades et de consulats, de sorties parfois malencontreuses et une certaine flexion sur les questions liées à la défense et la préservation des Droits de l’homme.

L’ouverture de certaines ambassades en Asie a permis de diversifier les partenaires du Sénégal. Le rétablissement des relations diplomatiques avec la République Populaire et Démocratique de Chine a aussi été une nécessité diplomatique. Néanmoins, l’érection de certaines chancelleries n’obéissait pas aux critères de bonne gestion de finances publiques quasi exsangues. Le Sénégal a connu une décennie difficile où plusieurs de ses indicateurs macroéconomiques étaient dans le rouge. Nonobstant ce fait, la conduite de la diplomatie n’a toujours pas répondu à une gestion rigoureuse basée sur des études sérieuses d’opportunité.

Il s’y ajoutait le caractère inopportun de la création d’un Ministère des Sénégalais de l’Extérieur, comme si l’on pouvait valablement séparer les aspects consulaires de la pratique diplomatique. Il s’est posé une sorte d’amputation des prérogatives du Ministère des affaires étrangères au profit d’une autre entité dont l’existence répondait à des règles en déphasage avec une gestion publique orthodoxe. Les nouvelles autorités, en revenant au principe d’un Département intégrant les Affaires étrangères et les Sénégalais de l’Extérieur, ont très vite corrigé le tir. Et le ministre occupant le premier rang protocolaire dans le gouvernement montre l'importance stratégique que revêt la diplomatie au sein du gouvernement pour les prochaines années.

L’arrivée au pouvoir du Président Macky Sall a coïncidé aussi avec l’imbrication des enjeux dans la sous région. Le terrorisme islamiste n’a jamais été aussi proche des frontières sénégalaises. Le réchauffement climatique menace les équilibres climatiques et la Casamance demeure encore une plaie béante qui tarde à être guérie. D’où certainement la décision pertinente de concentrer les efforts du Sénégal à la mise en œuvre d’une diplomatie sous régionale efficace axée sur le rapport de bon voisinage. C’est ainsi que doit être compris la première sortie du Chef de l’Etat consacrée à la Gambie. Mais l’ambition de faire de l'Afrique de l'Ouest et des pays frontaliers une priorité diplomatique ne doit point signifier un manque d’ambition et de vision à long terme. Les enjeux du monde actuel marqué par l’interconnexion des intelligences et des réseaux d’influence commandent aussi d’avoir un regard plus qu’attentif sur ce qui se passe en Europe de l’Ouest et aux USA où vivent de nombreux Sénégalais. Le Sénégal ne peut non plus détourner les yeux de ce qui se passe en Asie avec des puissances comme la Chine et l’Inde dont les partenariats sont assez soutenus avec le Sénégal. Les pays du Maghreb et du Mashreq aussi nécessitent une attention particulière notamment à l’ère de la convalescence post « printemps arabe » et du drame actuel syrien.

Concilier l'absence de moyens à la stratégie d'influence

La diplomatie c’est d’abord de l’influence, qui doit être étendue malgré la petitesse des moyens du pays. Et pour influencer, il faut impérativement être présent là où sont discutés et tranchés les grands problèmes du monde. Cet écueil est difficile à surmonter pour les pays en développement. Il s’agit en effet de concilier absence de moyens significatifs (maigres ressources financières, insuffisance de personnel compétent et faible présence dans certaines zones géographiques) et volonté de peser dans les instances internationales en sachant que la diplomatie est une question de rapport de forces et de jeu d’intérêt.

Ainsi, la rupture décrétée par les nouvelles autorités sénégalaises est intéressante à analyser à l’aune de leur ambition de recouvrer la place qui fût celle du Sénégal au sein du concert des nations. La situation économique difficile impose une réduction drastique des dépenses dans plusieurs segments de l’Etat. Au tout début, le dégraissage a concerné le nombre de ministres (limité à 25) ainsi que la suppression de plusieurs structures étatiques qui faisaient doublon avec l’administration classique. Dans cette « purge », la diplomatie n’a pas été épargnée car plusieurs missions diplomatiques et consulaires ont été fermées dans un souci d’économie. En outre, il a été décidé de finir avec le recrutement ou l’envoi d’un personnel pléthorique dans les ambassades et consulats qui étaient en déphasage avec l’ambition d’une diplomatie efficiente.

A la maitrise décrétée et salutaire des moyens financiers, humains et matériels s’allie un nouveau management public axé sur le résultat. Pour ce faire, des outils ont été déclinés pour atteindre les ambitions diplomatiques. Toutefois, la question se pose qui reste légitime : peut-on faire mieux avec moins ? Elle a été déjà posée en France notamment quand la droite au pouvoir a mis en œuvre la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) dont la mesure la plus célèbre fut le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux pour tailler dans les effectifs de la fonction publique. A cette question, la réponse pourrait être toute simple. Le Sénégal a plus rayonné dans le monde quand il possédait moins d’ambassades. Il convient de rappeler que nous présidons le Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien depuis 1975, sans oublier nos présences au Conseil de Sécurité de l’ONU, l’organisation du sommet de l’OCI de 1992, la présence massive de nos soldats dans les organisations de maintien de la paix… En somme, si le Sénégal est considéré comme une « petite grande puissance », c’est grâce à sa longue tradition de pays de négociation, d’ouverture, de paix, de tolérance et grâce à sa capacité à fournir des diplomates chevronnés dont certains ont dirigé ou dirigent encore des organisations multilatérales (Abdoul Karim Gaye, Jacques Diouf, Abdou Diouf…)

Le Sénégal est de retour donc. Que fera t-il ? L’avenir nous édifiera.

 

Hamidou Anne