Aylan, une énième « misère » du monde

syrian-refugee-boy-turkey-2L’image est terrible. Insoutenable, elle émeut le monde. Le petit Aylan Kurdi, face contre terre, git sur le sable. En fuyant avec sa famille l’horreur en Syrie, il a échoué tragiquement aux portes d’un Continent qui se barricade, en mettant en œuvre une scandaleuse politique migratoire.

La famille Kurdi décimée et la photo du petit Aylan, renvoient à la terrible réalité du monde dans lequel on vit. Des gens meurent tous les jours dans l’indifférence totale. Une photo vient figer un exemple de cette ruée vers l’Europe de personnes qui n’ont en face d’elles plus d’autres choix.

La lecture qu’on est en train d’en faire en Afrique est intéressante. Une horreur qui se répète continuellement. On est en face d’un sentiment de déjà vu. L’opinion internationale s'émeut de façon concrète sur une réalité qui est devenue somme toute banale pour nous Africains. Elle est caractéristique du drame actuel qui se déroule quotidiennement en Méditerranée. Sauf qu’il ne peut y avoir à tous les coups de photographe pour figer un instant et sensibiliser le monde sur l’horreur de notre époque.

Ici, la misère est banale. Ici, partir, est banal. Ici, perdre un voisin, un frère, un ami dans les méandres de l’océan ou les profondeurs du désert, est banal. On en est arrivé dans certaines familles à apprivoiser la mort issue de l’émigration économique. On vit avec, on en fait son livre de chevet. Regardez Yayi Bayam Diouf, présidente de l’association des femmes sénégalaises contre l’immigration clandestine. Elle a perdu son fils unique de 26 ans, Alioune Mar, disparu en Méditerranée en 2007. Pas de sépulture. Même pas une photo. Il a rejoint ce grand livre du néant, laissant à ses proches un souvenir. Pas plus.

Personne n’a donc immortalisé le corps d’Alioune recraché peut être par la mer. Les expéditions vers l’Eldorado génèrent très souvent de fatales fins. Si seulement un jour la Méditerranée pouvait témoigner et restituer à la face du monde l’horreur dont elle est le théâtre quotidien. Ces Erythréens, Sénégalais, Maliens, Libyens, etc. qui partent pour chercher à jouir d’un droit vital et simple : celui de vivre.

Le sentiment d’effervescence générale soulevé par LA photo montre heureusement qu’un instinct de solidarité humaine demeure dans un monde dont chaque parcelle est une cible des assauts du capitalisme sauvage et triomphant.

C’est un moment hélas idéal pour dire aux hommes politiques friands de phrases grandiloquentes sur l’humanisme et la solidarité internationale « Regardez » ! « Ne détournez pas les yeux » ! Cette image, comme le suggère fort justement Alain Mingam, « ne peut qu’interpeller notre lâcheté».

Après l’avoir observée et mis un nom sur cet enfant victime collatérale de Bachar Al Assad, de Daech, de l’Armée syrienne libre, de l’Europe et de passeurs véreux, revenons pérorer à nouveau que tel pays « ne peut accueillir la misère du monde. » Car effectivement c’est dans ces moments que l’on mesure à son juste poids le caractère outrancier et bête de la formule de Michel Rocard, reprise encore récemment par Alain Juppé.

Aylan, comme des milliers d’enfants d’Afrique fuyait la guerre et la misère. Considérez-le comme une misère. Voire mieux, dites qu’il venait piquer le pain des Européens. Vu son estomac de gamin de trois ans, sûr qu’il devait avoir un appétit démentiel…

N'oublions jamais, face à la tragédie d'Aylan, que ce garçon fait partie de ces milliers d'ébranlés du monde que Nicolas Sarkozy traita lâchement et cruellement de "fuite d'eau".

La mobilisation internationale suscitée par l’émotion est importante même si elle ne durera que jusqu’au prochain tweet. Néanmoins, elle est utile car elle nous renvoie à notre responsabilité de refuser la banalisation de l’horreur. Le drame silencieux devenu quotidien aux côtes de l’Europe est à dénoncer. Ce qui s’y passe doit retenir notre attention et être la cible de nos actions.

Hélas, ici en Afrique, sa faible prise en compte par les leaders politiques montre une nouvelle fois que nous ne pouvons encore compter que sur nous-mêmes.

Le sentiment de détachement des populations est lui représentatif d’une cohabitation permanente avec l’horreur. Car ce soir, des pirogues partiront à nouveau. Des âmes disparaitront. Des mères resteront seule blotties dans la solitude, cette place laissée vacante par un fils perdu. Et demain, la vie continuera. Tragique quotidien…

Hamidou Anne

Le Sénégal dans la guerre des autres

Sénégal_YemenLa décision d'envoyer 2 100 hommes pour participer à l'opération Tempête décisive est dangereuse, irresponsable, inopportune et condamnable. Ce n'est pas la guerre du Sénégal. Nos troupes n'ont rien à faire au Yémen. Malgré toutes les palinodies du gouvernement, aucun enjeu ne saurait justifier l'envoi de fils de ce pays dans le bourbier yéménite.

Dans la lecture du message du président de la République devant l'assemblée nationale, le Ministre Mankeur Ndiaye donne deux arguments pour justifier l'envoi de Jambaars au Yémen : la défense des lieux saints de l'islam et la lutte contre le terrorisme.

Le premier argument n'est pas convaincant Les lieux saints de l'islam, la Mecque et Médine, ne sont nullement menacés par le conflit au Yémen. Aucune menace de qui que ce soit ne pèse sur ces deux villes que du reste l'armée saoudienne peut défendre avec son armée et ses immenses moyens logistiques. D'ailleurs, le Sénégal est un pays laïc. L'article premier de notre Constitution consacre le principe de la laïcité de l’État. Dès lors, en quoi serions-nous mobilisable à tout moment pour défendre des lieux saints de l'islam et non de la chrétienté ou du judaïsme ? 

Le gouvernement a aussi brandi l'argument de la lutte contre le terrorisme. Ce niveau d'incompétence et de faiblesse dans l'analyse de la géopolitique de l'Orient est dangereux à ce niveau de responsabilité. Ce n'est pas une guerre entre les bons et les méchants qui est en train de se dérouler au Yémen. Il s'agit d'une guerre civile sur fond de divergences entre deux puissances régionales. Le terrorisme est au Nigéria et dans toute la bande du Sahel, sans que notre pays ne fasse preuve d'une si grande excitation à y envoyer des soldats. Pour rappel, lors de la constitution de la Minusma, le Sénégal avait envoyé 500 soldats, quatre fois moins que le contingent qu'on est en train de louer à Sa Majesté le roi Salman.

Or, des symboles très forts, historiques et géographiques, nous lient au Mali. Les deux pays sont partis à l'indépendance ensemble dans le cadre de la Fédération du Mali. Le Sénégal et le Mali sont les deux seuls pays au monde à partager la même devise : « Un peuple – Un But – Une Foi ». Dakar devait prendre le leadership du contingent qui devait rétablir la souveraineté malienne, au lieu de sa maigre contribution consentie.

Enfin, selon l'analyse d'un spécialiste au Washington Post, partagé par de nombreux observateurs dans le pays et au-delà, l'argument économique motive aussi cette décision de Dakar. Le financement du Plan Sénégal Émergent (PSE) par l'Arabie Saoudite serait une contrepartie à la participation sénégalaise à la guerre. Cet argument (justifié?) est pernicieux, voire honteux pour un pays souverain. Décider d'envoyer 2 100 soldats dans une guerre qui n'est pas la nôtre pour en retour recevoir des pétrodollars saoudiens constitue une honte nationale. Le gouvernement est en train d'expliquer aux citoyens sénégalais qu'au lieu d'une armée nationale, l'on dispose d'un groupe de mercenaires à la solde du plus offrant. L'armée sénégalaise serait donc un bataillon de supplétifs mobilisable et corvéable, payé pour des missions ponctuelles.  Si la logique du gouvernement est suivie, après l'Arabie Saoudite, la Russie peut s'arroger les services des Jambaars dans sa guerre en Ukraine ? La Colombie aussi pourrait-elle louer un bataillon de Sénégalais dans son combat contre les FARC ? 

Au Yémen, on est en face d'une guerre civile, entre deux conceptions de l'islam, sunnite et chiite. L'on est aussi en face de convulsions d'un État qui n’a pas encore su trouver un modèle de construction nationale après sa réunification en 1990. L'Arabie Saoudite a pris la décision d'aller au Yémen pour freiner la marche des rebelles Houthis vers Sanaa et pour rétablir le président déchu Mansour Hadi.  La diplomatie saoudienne veut à tout prix éviter qu'un régime de chiites inféodé à l'Iran ne prenne le pouvoir à sa frontière. Avec ses partenaires du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), ils ont commencé une guerre ;  qu'ils la finissent.

Que feront les Sénégalais au Yémen ?  La vocation d'une armée est d'abord la protection des populations et la garantie de l'intégrité territoriale d'un pays. Ensuite la défense de ses intérêts vitaux.  Or vu la place de notre pays dans la géopolitique mondiale, notre priorité est la Casamance, où sévissent des individus qui menacent l'intégrité territoriale du Sénégal. Nous n'avons pas la capacité de projection nécessaire pour nous impliquer dans une guerre en Orient en dehors de notre champ de compétence et de déclinaison de notre outil diplomatique.

La vocation du Sénégal est d'être d'abord un géant sous-régional. Les constantes provocations de Yahya Jammeh, l'envoi de seulement 500 soldats au Mali et l'importance prise ces dernières années par Ouagadougou dans la CEDEAO montrent à suffisance que nous avons perdu notre leadership régional. En outre, la Côte d'Ivoire revient en force au plan économique et recouvrera son poids diplomatique, le Nigéria après la brillante élection de Buhari assumera bientôt le rôle qui est le sien dans l'espace ouest-africain. Face à toutes ces réalités géopolitiques, où se trouve la place du Sénégal ? Sûrement pas au Yémen pour soutenir une monarchie réactionnaire, rétrograde, misogyne où se met en œuvre la version la plus fondamentaliste de l'islam.

Les retombées de cette guerre pour notre pays peuvent être dangereuses.  Si des Jambaars meurent au combat, la responsabilité morale et personnelle du Chef suprême des armées est directement engagée. En outre, il est déjà illusoire pour le Sénégal de penser que notre pays peut échapper à des attaques terroristes sur notre sol quand on est entouré du Mali et de la Mauritanie et qu'on n’est pas loin du Nigéria, dans un espace de libre circulation des personnes avec ses frontières plus que poreuses.  Mais avec cet envoi de soldats au Yémen, le risque s'élève d'avoir des représailles sur notre sol. Il convient de rappeler au gouvernement qu'une guerre contre le terrorisme est longue, surtout dans des États structurellement faibles comme les nôtres.

Les conseillers diplomatiques du palais de l'avenue Senghor semblent ignorer que les attentats à Charlie Hebdo de janvier ont été revendiqués par al-Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA) dont le siège est justement au Yémen.  AQPA peut être considéré comme la résultante de la fusion d'al-Qaïda « canal historique » et de sa succursale yéménite d'alors. Circonstance aggravante : le groupe voue aux gémonies l'Arabie Saoudite dont nous venons de soutenir l'entreprise au Yémen. La cartographie des dangers se précise pour notre pays surtout que les attentats de paris montrent la capacité fulgurante de projection d'AQPA dans des zones très éloignées de son foyer yéménite.

Il faut que le Sénégal renonce à l'envoi de troupes au Yémen. Même si les déclarations à la télévision de Mankeur Ndiaye semblent indiquer que le sinistre mouvement est irréversible.

D'ailleurs, en plus d'être l'auteur de faux arguments devant les médias, l'irresponsabilité du chef de la diplomatie sénégalaise n'a d'égal qu'à son incompétence. Le ministre a annoncé qu'aucun président sénégalais « ne peut dire non à une demande du souverain d'Arabie Saoudite ». Le Sénégal serait-il une province saoudienne ?  

Pis, le ministre, répondant à une question sur la base légale de l'opération « Tempête décisive », affirme : « quand deux chefs d’États échangent dans un bureau sur une opération de cette nature, c'est de fait une base légale ». Au-delà du caractère faux de l'argument, qu'un ministre des Affaires étrangères, diplomate de carrière de surcroît, puisse ignorer à ce point le droit international renseigne très justement sur l'état de notre pays et surtout du niveau de certains hommes qui le dirigent.

Hamidou Anne

 

Goodluck President Buhari !

-Nigerian people have decided! Muhammadu Buhari won the presidential elections, defeating Goodluck Jonathan. Buhari’s victory shows that the people of Nigeria want to experience change. They chose to believe in the promises of the charismatic 72 year-old.  

After several attempts, Buhari has been eventually elected president. It is a great victory for the former general who claims to have converted to democracy after governing the country for 20 months following a military coup.  

Recognizing defeat, Goodluck Jonathan made the –not so traditional- phone call to the victor.

Jonathan is one of the many leaders who bought the country to ruins. This man was the caricature of the careless, incompetent political leader, who had no concern for the fate of his country or the suffering of his people.  

Institutionnal alternance is essential for democracy

In spite of  fears and negative predictions, Nigeria achieved to organize democratic and transparent elections. The State and especially Attahiru Jega, the impressive President of the electoral commission (INEC), have to be congratulated for this achievement.

After 6 military coups and tragic post electoral violence, this was the first democratic alternation in the country. After 3 failed attempts, Muhammadu Buhari has finally become the President of Nigeria, putting an end to 16 years of the reign of the PDP (People's Democratic Party).

The difficulties are starting for President Buhari. He won the elections but he still has to transform a country plagued by corruption, poverty and precarity. The fall in oil prices puts a lot of pressure on the economy. The growth of the GDP, mostly consisting of the oil revenues, is not as inclusive. Millions of people are left out of the system. Two thirds of the population live under the poverty line, with less than a dollar a day.

Buhari's challenges for the future

Goodluck lost the presidential elections and the trust of many Nigerian people because he could not offer an efficient solution to the challenge posed by the Boko Haram sect. The case of the kidnapping of hundreds of young girls in Chibok is the perfect illustration to the chaotic governance.

The military defeats of the Nigerian army and its inability to protect the population from the massacres show that the State cannot guarantee the minimal security  to the population facing the abominations of Shekau and his men. In this article, I have already dealt with the scandalous behaviour of  the presidency at the massacre of 2000 people in Baga.

The Nigerians have lost trust in a State that is supposed to protect them. They feel that they have lost their dignity and cannot deal with the challenges ahead. The recent victories against the northern sect became possible thanks to the intervention of the military troops from Cameroon, Chad and Niger (country poorer than Nigeria) along with the Nigerian army.

The first challenge for Muhammadu Buhari is to find a solution to the Boko Haram situation. He has promised to give more weapons to the Nigerian army, to improve their training and to reinforce the intelligence service. In his latest speeches, the President has committed to take serious actions against Boko Haram, who has recently pledged allegeance to Daech. The new security policies of Nigeria will influence the stability of the whole region and the continent. Nigeria, which is the epicentre of Boko Haram threat, has to be strong and committed to fight against Shekau and his men in order to destroy the sect in the sub-region.

The other urgent challenge facing the Nigerian leader is to build a real unity in the country. This sense of unity is lacking in Nigeria, as well as in other countries. In 2011, the results of the elections showed a clear divide between the muslim majority in the North of the country and the Christian majority in the South. In 2015, the pathetic presidency of Jonathan has involuntarily mitigated the divide between the Christian south and the Muslim north where the shariah law is applied in some states.

Even if Jonathan has achieved to lose states that were traditionally hostile to a candidate from the North, the results of the 28th March elections show that there is a breach in the sense of nation and the solution for this problem will be long and difficult to find. Seeing the results of Buhari in the northern states (especially the states of Kano and Zamfara) and the scores of Jonathan in the states of Abia, Rivers, Delta and Bayealsa, it will be difficult for Buhari to unite all the people. He will have to create a sense of national unity, with the symbolism and the courage of his acts.

It is a good thing that the views of the former general on Shariah have changed. He is no longer against the application of the law on the national territory since 2011. During his electoral campaign, he guaranteed freedom of religion to every Nigerian citizen. It would be a big step for the country to implement clear acts in favor of secularism.

West Africa needs a strong Nigeria, with a dynamic economy and clearly defined policies. The sub-region needs a strong leader, and once that is established, it could serve as a model for the continent and its new hegemonic ambition. Can we count on President Buhari ? Let's wait and see.

Translated by Bushra Kadir

 


    

Stéphane Tiki, le nègre couché

ST

On se sent forcément concerné quand on suit les déboires du camerounais Stéphane Tiki en France. Arrivé dans l'Hexagone en 2006, Tiki ne se suffisait pas apparemment de son statut d'étudiant camerounais de la Sorbonne. Il décide de s'engager en politique, à l'UMP jusqu'à en devenir récemment le président du mouvement des jeunes. Une « belle » histoire comme on sait nous en vendre en Afrique, d'un fils du continent qui aurait réussi à se faire une place au soleil de l'Occident. Sauf que la machine se grippe. Un journal français informe que Stéphane n'a pas la nationalité française et pire qu'il est même sans-papiers. Le comble pour quelqu'un qui dirige une instance du plus grand parti de la droite française. Dans un communiqué laconique, Tiki annonce sa démission le temps de l'aboutissement de sa procédure de naturalisation ; procédure qui finalement n'existait que dans son esprit mais nulle part sur la table de l'administration française.

Je ne suis ni pour, ni contre la double nationalité. J'ai une attitude de stricte neutralité, voire un désintérêt, sur le sujet. J'ai constaté en Europe, chez plusieurs africains issus de l'immigration, un questionnement identitaire permanent. Au rêve de l'idéalisation de l’Éden du « bled » succède le désenchantement du rejet. A la tentative d'expression d'une normale occidentalité se fige le mur du rappel permanent des origines. Mais le cas Tiki est symptomatique d'un autre état dans lequel une frange de la jeunesse africaine se laisse enfermer. Elle cherche à s'approprier une société qui n'est pas la sienne. Dans quel dessein ?

Est-ce l'amour puissant et sincère pour le pays d'accueil comme le clame Stéphane Tiki ? Ou le besoin de vivre de façon plus sereine face à la rigueur des démarches administratives ? Qui a été étudiant africain en France connaît la rudesse de certains soirs d'hiver où la chaleur du pays natal semble si lointain. Aucun français ne peut mesurer la solitude de l'étudiant sur qui tous les regards se tournent en soirée quand la playlist sort des sonorités africaines, antillaises (peu importe). « Tu es africain, vous avez le rythme dans le sang, vous…»

Je peux comprendre le besoin d'affirmation, de gommer ses différences (même son accent pour Tiki). Mais l'intégration ne peut absolument signifier la négation de soi -même. J'ai vu certains hurler au complexe, voire au manque de respect du jeune homme vis-à-vis de l'Afrique et des Africains. Non, Stéphane n'a manqué de respect qu'à Tiki. A personne d'autre.

Le voir sur des vidéos parler de « compatriotes », de « service civique à rétablir » et de son envie de servir via un « mandat électif », m'a fait sourire d'abord. Puis, j'ai été triste. Enfin, cela m'a vraiment glacé. Pourquoi s'infliger cet exercice permanent de mensonge et de dissimulation de son identité ?

En tous les cas, des injures aux railleries, Stéphane Tiki a vu sa jeune carrière de dirigeant politique tourner (définitivement ?) court. Le garçon, au-delà de la schizophrénie et de l’opportunisme, était aussi un modèle du mensonge. Après s'être insurgé sur les réseaux sociaux contre le droit de vote pour les étrangers hors UE et approuvé la reconduite à la frontière d'une kosovare sans papiers avec toute sa famille, Tiki vit un douloureux retour normal de l'ascenseur.

Toute cette semaine, j'ai été assez actif sur internet pour fouiner dans la vie de Tiki et sa carrière politique. Les articles, vidéos et publications sur les réseaux sociaux que j'ai consultés montrent que le jeune homme s'est englué depuis des années dans une spirale du mensonge et de la manipulation. Mais mes recherches m'ont aussi convaincu qu'il a du talent, du dynamisme, de la capacité d'animation et de mobilisation et beaucoup d'énergie.

Quel serait l'apport de ce jeune homme à son pays ? L'opposition camerounaise, face aux 32 ans de pouvoir de Paul Biya a certainement besoin du talent politique de Stéphane Tiki. Au lieu de faire le Noir de service auprès des racistes de la Droite forte, Tiki rendrait un énorme service à son pays, à la vitalité démocratique de ce pays qu'il ne cesse de renier depuis une décennie déjà.

Stéphane demandait que les étrangers en situation irrégulière soient reconduits à la frontière « conformément à la loi ». Il ne faut pas que les autorités françaises lui appliquent le même traitement. Il ne se remettrait pas d'une vie loin de la rue de Vaugirard, de ses camarades de parti et de ses « compatriotes ».

Hamidou Anne

« Des Étoiles » de Dyana Gaye, une constellation de vies !

La critique attendait Dyana Gaye pour son premier long métrage. Elle a honoré de belle manière le rendez-vous! Avec Des Étoiles, la franco-sénégalaise signe une œuvre sur l’immigration et les drames qu’elle génère. Des drames humains majestueusement mis en scène par la jeune cinéaste.xetoiles-film-dyana-gaye-L-fuiDJR.jpeg.pagespeed.ic.gv0EO4cHe9

Pourtant, quand le cinéphile décide d’aller voir Des Étoiles, il est quelque peu saisi par la petite crainte d’être confronté à ce qu’il a déjà vu, notamment sur ce thème de l’immigration et son corollaire d’échecs devenu un peu le sujet de prédilection des artistes africains depuis le fabuleux Le ventre de l’Atlantique de Fatou Diome.

Au cinéma, il y a deux ans, Moussa Touré, avec La Pirogue, commettait un remarquable film sur la tragédie de ces hommes qui ont décidé de braver la Nature pour un ailleurs prometteur et hostile. Heureusement, chez Dyana Gaye, point de cadavres ni de rafiots fous dans un océan en furie. Dyana Gaye choisit un angle différent : point de cadavres ni de rafiots fous dans un océan en furie. Elle filme l’immigration de « l’intérieur ». Elle montre « l’après ». Ce que deviennent nos cousins, frères, amis et camarades, partis chercher pitance ailleurs, dans le grand ventre quotidien de l’Occident.

Des Étoiles est une fiction subtile et discrète qui n’est pas un coup de lumière géant sur une tragédie africaine, mais une distillation de véritables infiltrations lumineuses sur des vies, des individus, des noms et des destins.

Oui, l’autre réussite de Dyana Gaye est d’avoir su montrer des vies dans la solitude de leur douleur respective, qu’elle étale dans des espaces différents. Ici, la migration n’est pas prise comme un bloc monolithique induisant juste la réalité du migrant, cet individu-concept-problème. Dans Des Étoiles, il y a des vies, des cœurs, des âmes, des hommes et des femmes, une constellation d’étoiles peu lumineuses, dans la diversité de leurs parcours, dans la pluralité de leurs souffrances et dans la violence de leur solitude.

Cette solitude que connait tout homme qui quitte sa terre natale pour affronter la rudesse de l’ailleurs, certains la domptent sinon l’apprivoisent. D’autres, en revanche, sont engloutis par elle.

Solitude de Sophie, partie avec candeur rejoindre un mari volage et menteur. L’archétype de toutes ces femmes constamment dans l’attente jusqu’à ce qu’on leur indique « qu’ici une femme peut vivre sans mari ». Pour moi, voici la plus belle phrase du film. Solitude d’Abdoulaye, Outre-Atlantique où il subit les affres d’une société individualiste américaine, le froid, la trahison d’un proche et l’appel constamment refoulé du pays natal. Solitude de Mame Amy, femme dynamique et surtout femme libre, de retour pour le deuil de son mari, mais qui verra qu’un rideau de fer est dorénavant installé entre elle et sa famille rendant ainsi impossible toute forme de communication.

Le Sénégal est un pays dur pour ses fils qui ont préféré prendre congés de lui quelques années. On dirait qu’en retour, Il se venge de leur abandon.

Des Étoiles est aussi une invite au voyage. Un film chirurgical avec une caméra qui n’effleure pas les comédiens mais les pénètre au point de nous transmettre de façon foudroyante les émotions.
Dyana Gaye a presque réalisé un documentaire avec une mise en scène qui ignore l’unité de lieu pour épouser les contours d’un monde globalisé. Pas de césure, pas de transition. Elle nous surprend en nous faisant voyager de ville en ville, entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique – une œuvre triangulaire -, à chaque fois furtivement. New York, Dakar, Turin, des métropoles où, dans la fièvre urbaine, se produisent des drames poignants. Le film nous oblige radicalement à une prise en compte de tous ces solitaires qui meublent nos rues, et que nous narguons dans la niaiserie de nos certitudes quotidiennes.

Enfin, il faut noter la remarquable prestation de Marième Demba Ly dans l’innocence d’une femme partie, des rêves plein la tête, rejoindre son « homme » et celle de Souleymane Seye Ndiaye qui a une nouvelle fois habité son rôle avec une rare précision. Une valeur sûre d’un cinéma sénégalais en quête de résurgence et porté par sa nouvelle vague.

 

Hamidou Anne

Dak’Art 2014 : un discours pour inventer de nouvelles utopies

La 11ème édition de la Biennale de l’art africain contemporain s’est déroulée du 9 mai au 8 juin 2014 à Dakar.

Cette année, des changements ont été apportés à l’événement, avec le choix d’un nouveau lieu pour accueillir le Village de la Biennale et la désignation de trois jeunes commissaires qui ont apporté une véritable fraicheur dans le projet curatorial.

Enfin, autre particularité : la composition de l’exposition internationale met à l’honneur des artistes qui participent tous à leur première Dak’Art.

Faten RouissiDakar a vécu au rythme de la création contemporaine avec cinq expositions « IN » : l’exposition internationale, celle sur la diversité culturelle, celle sur l’art vert, les expositions hommage à Mbaye Diop, à Mamadou Diakhaté et au sculpteur Moustapha Dimé et environ 270 expositions « OFF ».

Cette année, le thème de la Biennale « Produire le commun » met en exergue le caractère foisonnant de la production contemporaine africaine dans l’optique d’une communauté de destins et d’une volonté d’aller au-delà de la diversité des sensibilités pour charrier une universalité de l’art africain dans un monde sujet à tous les bouleversements.

Produire le commun, non pas dans une recherche – vaine – et inutile d’uniformité, mais dans un élan de substitution d’une dynamique collective censée poursuivre la trajectoire de Dak’Art vers son idéal de re-création d’un univers propice à l’affirmation d’un art africain dépouillé de tous ses complexes.

Produire le commun, dans un moment fédérateur d’énergies créatrices pour recréer dans la capitale sénégalaise, 30 jours durant, ce « Tout-Monde » cher à Glissant.

Cette diffusion dans l’espace public d’œuvres toutes porteuses de messages, fruit d’une créativité, est une volonté de graver dans le marbre le regard porté sur notre monde par une communauté d’artistes : celle qui a un lien avec le continent et ailleurs.

Dans un texte de haute facture, Abdelkader Damani explique : Faire exposition est donc la réunion de divers « points de situation » en un seul lieu. La Biennale de Dakar en 2014 est une multiplicité reliée : c’est le sens premier que je donne à « Produire le commun ».

L’art africain a forcé les portes de la créativité mondiale pour s’imposer comme « art » tout court, en vue de ramener un continent économiquement et politiquement décentré au centre du débat mondial.

Cette entrée de l’art africain par effraction dans un univers auquel il fut longtemps exclu a été magnifiquement mise en scène par les trois commissaires dans la section « Anonymous » de l’exposition, où chaque artiste a accepté de déposer un objet, de façon anonyme, sans cartels, ni aucun signe apparent de reconnaissance du travail de l’un ou l’autre.

Ce choix, selon Elise Atangana, est la « création d’une œuvre commune [qui] symbolise la notion de « produire le commun ». Il s’agit d’une « évocation de l’accaparement de l’art africain, son exclusion de l’histoire de l’art puis son inclusion en tant qu’art dit « primitif » ou « premier » ».

Ainsi, « Anonymous » dessine la trajectoire de l’art africain : son passé « colonial », son présent d’affirmation et son futur rempli de perspectives heureuses.

Selon Damani :

« l’Afrique reste à ce jour l’unique endroit en capacité d’écouter le monde. C’est la terre où tout peut arriver y compris, et surtout, la rencontre des ailleurs, le devenir commun… L’Afrique est l’espace de l’écoute. Gigantesque parloir, on y vient, on y revient, pour se confesser de ses rêves, de ses peurs, de ses fantasmes parfois. Dans ce vacarme de ceux qui parlent, l’Afrique attend qu’on l’écoute ».

A Dakar, dans un contexte international marqué par des crises multiples et protéiformes, l’art africain a tenté d’apporter une réponse au monde en le questionnant sur des sujets cruciaux actuels.

Aucun visiteur ne fera l’économie d’une introspection sur sa responsabilité dans un monde en crise où la chute d’un système bancaire, la faillite des économies, la remise en cause d’un ordre politique et social construit après la Seconde Guerre, la banalisation de la parole raciste et xénophobe, les violences ethniques, le péril djihadiste, la place scandaleuse accordée aux femmes et aux minorités. Tous ces éléments déstructurent notre tissu humain et menacent la cohésion sociale.

Les artistes de cette Biennale ont interrogé notre monde, l’ont poussé parfois dans ses derniers retranchements, l’ont mis devant ses propres contradictions, proposant ainsi des ruptures, à la recherche d’un sens à notre vie commune.

Si les Biennales sont des open spaces, des « laboratoires » de réflexion  sur le monde dans le but d’en « extraire un instant de rêve et de lucidité », Dak’Art n’est guère en reste et s’inscrit dans cette tradition artistique de bouleversement d’un ordre établi et de déclinaison des nouvelles utopies censées irriguer notre devenir « en » commun.

Nous sommes de plus en plus plongés dans une ère de repli sur soi, de reflux dans le processus d’ouverture du monde, de la peur de l’autre. Les réflexes populistes se multiplient, la xénophobie, l’intolérance gagnent du terrain. Tout ceci étant antinomique avec une mondialisation qui s’annonçait inéluctable et rédemptrice.

Dans ce contexte, comme le suggère Smooth Ugochukwu,

« Il est attendu des artistes qu’ils apportent des réponses, car ils agissent comme des voyants de la société. Toutefois, même en s’engageant sur les réels problèmes de notre époque, comme les inégalités ou les conditions sociales difficiles des gens, ils ne doivent pas perdre de vue la sublime qualité qui fait que l’art reste tout court de l’art ».

C’est aussi donc sur ce terrain politique que l’on attendait Dak’Art. Et elle s’y est investie avec subtilité et engagement.

A la galerie Le Manège, le travail d’Abdoulaye Konaté nous interpelle sur la question précisément du rapport de l’usage de la religion dans un but d’ assouvissement de sinistres projets politiques, notamment avec le drame du Mali.

Mehdi Georges LahlouLe jeune Mehdi-Georges Lahlou, avec ses « 72 (virgins) on the sun » tourne en dérision les croyances, les fantasmes pour un appel à la résistance aux « sirènes du fanatisme ».

Oui, dans le contexte de résurgence des nationalismes et de l’instrumentalisation de la religion à des fins totalitaires, il était important qu’un discours fort surgisse d’Afrique ; cette Afrique dont on accusait justement le peuple de n’être pas rentré dans l’Histoire.

Au Village de la Biennale, la visite transporte dans de multiples concepts. Les artistes tournent en dérision des croyances fortes, critiquent notre modèle de société de consommation, purgent nos passions destructrices, bousculent nos certitudes et font vaciller nos convictions qui reposaient sur nos habitudes quotidiennes.

Rien n’a échappé au « désir d’art » de 61 artistes déclamant un autre « discours » de Dak’Art appelé à résonner dans tous les oreilles d’un monde qui a besoin que l’on fouette son sens de l’indignation et que l’on attise son essence d’humanité, au sens premier du terme.

Pour une biennale africaine, un questionnement a aussi eu lieu sur l’Afrique : son rapport à la contemporanéité et la nécessaire refondation de son modèle politique à l’aune des bouleversements intervenus notamment au Maghreb.

Kader AttiaKader Attia, avec « Independance Tchao », installation représentative d’une forme d’architecture ridiculement imposante d’un lieu toutefois désaffecté qui met  en avant l’échec des régimes post indépendance. L’artiste a interrogé les élites africaines : qu’avons-nous fait de nos souverainetés recouvrées dans les années 60 ?

 « Le fantôme de la liberté »  Faten Roussi, tourne en dérision la gestion de l’après révolution tunisienne avec une constituante qui a légué le pouvoir aux islamistes d’Ennahda. L’urgence pressante d’une thérapie collective s’impose, selon l’artiste, en vue de purger les passions, de vider les rancœurs et de prendre en compte les attentes nombreuses d’un peuple qui a souffert plus de deux décennies durant d’une dictature hermétique.

Avec une exposition internationale de très grande qualité composée notamment de John Akmomfrah, Wangechi Mutu, Ato Malinda, Olu Amoda, Andrew Esiebo, Justine Gaga, Nomusa Makhubu entre autres, l’articulation remarquable des regards des trois commissaires a permis de réussir le pari de l’événement et de relever le défi artistique.

Dak’Art garde son statut de première biennale africaine et demeure une formidable tribune pour un art africain arrivé à maturité et au centre des convulsions et des enchantements dont fait l’objet notre monde.

Hamidou ANNE

Cinquante nuances de concret !

soundjataUne amie, enfin une…, bref une connaissance, me reprochait, il y a quelques jours, un « intellectualisme aérien qui savait tout de même être concret parfois ». (Oui, je n’ai rien compris non plus).

Et le lendemain, j’apprenais qu’un jeune conseiller de Macky Sall considère Terangaweb, au mieux comme un enfantillage, un conglomérat d’enfants gâtés aptes à rédiger en français, et au pire une vile perte de temps sur fond d’intellectualisme abstrait.  

Enfin, j’ai répondu ce week end à une invitation du Cercle diplomatique de l’Université de Dakar pour communiquer sur un thème, dans le cadre de la célébration du cinquantenaire de l’OUA. De nombreux intervenants, après le rituel qui consistait à chanter les louanges des « Pères fondateurs » Kenyatta, Lumumba, Nkrumah, se lançaient dans de violentes diatribes contre « l’Africain ». Vous avez remarqué que le raccourci vers le fameux « l’homme africain » de Sarkozy n’est peut être pas loin.

Tour à tour, j’ai entendu que « l’Africain » était « hypocrite », « n’aimait pas son prochain », était « fainéant », « bordélique »… J’avoue que c’était saoulant à la fin.

Mais ce sont des inepties essentialistes qui ne valent vraiment pas que l’on s’y arrête trop longtemps. En revanche, un argument faisait aussi quelque peu l’unanimité, et il est important celui-là. En effet, j’ai, tout le week end, écouté les gens dire que nous (toujours les Africains) étions tout le temps dans le bavardage, le discours, sans aucune action concrète sur le terrain.

Au-delà de la fausseté de cet argument qui est devenu de fait un épouvantail à sortir pour tout et n’importe quoi, il est intéressant tout de même de s’y intéresser.

D’abord, ma conviction est que toute action politique doit être pensée et discutée, en un mot théorisée. Vous imaginez la victoire des alliés en 1945 sans les longues réunions nocturnes des stratèges des différents Etats-majors ?

Avez-vous une fois conçu l’adoption du Statut de Rome sans des centaines d’heures de discussions sur un alinéa ou une toute petite virgule ?

Il faut parfois sortir du fétichisme du concret qui prend les allures d’un activisme ridicule et sans impact aucun sur les populations africaines.

La question de l’unité du Continent est tellement sérieuse qu’elle ne peut faire l’objet d’activisme et de mouvements stériles sans grande réflexion à la base sur l’essence même de ce que nous voudrions réaliser.

Il est évidemment exclu de partir tout de go aujourd’hui vers une union symbolique qui serait l’exacte copie de ce syndicat de Chefs d’Etat que nous pourfendons.

Etre concret, c’est aussi parler et décliner une opinion sur sa vision de notre dessein commun en tant qu’Africains.

Etre concret, c’est transmettre des valeurs et des convictions qui iront au-delà des langues, des pays, des continents et des croyances et convictions.

Que serait Obama sans le fameux discours post-racial de Philadelphie ? La France aurait su être mobilisée en juin 1940 sans l’appel de "la France Libre" lancé de Londres par le général De Gaulle ? Le discours de Cheikh Anta Diop au Caire en 1974 a indéniablement et concrètement constitué un grand moment dans la lutte pour la valorisation de l’identité nègre.

La cause palestinienne a pris une tournure nouvelle avec les mots de Yasser Arafat devant l’Assemblée générale des Nations Unies en 1974.

Et c’est d’abord uniquement par la parole que Mandela a réussi à poser la première pierre dans l’édification d’une Afrique du Sud post Apartheid, dans un magistral discours le 10 mai 1994.

Enfin, surtout qu’il convient de ne point nier trop hâtivement notre passé. Djibril Tamsir Niane a montré la place qu’occupe la parole dans nos sociétés. La figure du griot, gardien des traditions certes, mais pas simplement, car gardien aussi des valeurs et de la mémoire collective, occupe dans Soundjata ou l’épopée mandingue une place prépondérante. A la limite, la mort de Balla Fassaké serait quasiment plus problématique que la disparition du souverain, car il est dépositaire d’un savoir et d’une histoire pluriséculaires.

Sur un plan beaucoup plus perso, pense t-on parfois à ces travailleurs chétifs qui pullulent dans les couloirs des administrations et des entreprises avec comme seule force la plume ?

Ils sont en effet nombreux, en Afrique, ceux qui ne sont ni athlète ni agriculteur, mais qui survivent en écrivant. Oui, il y a des gens qui sont payés pour écrire, analyser, discourir et qui pourtant demeurent tellement concrets…

Qu’ils soient à Terangaweb ou ailleurs, ils existent, ces intellos aériens et tellement utiles…C’est aussi pour cela que j’écris pour ce site.

 Hamidou Anne

Un [autre] discours de Dakar

image tw6Le 26 juillet 2007, à l’université de Dakar, j’écoutais, incrédule, Nicolas Sarkozy débitant des propos insultants sur l’Afrique. Le 27 avril 2013, il s’agissait, au même endroit, dans le même bâtiment, de déclamer un autre discours de Dakar, adressé à la jeunesse africaine. Cette fois, il porte le crédo de l’afro-responsabilité. Qui mieux que des fils du Continent pouvaient disserter sur l’avenir de l’Afrique, identifier ses défis dans un monde en perpétuel mouvement et prôner des solutions concrètes, durables et inclusives ? C’est le pari réussi par le Bureau dakarois de Terangaweb – L’Afrique des Idées, lors de la journée de lancement de ses activités sur le Continent.

Au-delà du faux-dilemme éternelle lamentation/volonté farouche de prendre le large, il convient de préciser une autre alternative pour la jeunesse africaine. Celle du choix de rester/retourner en Afrique et de porter haut le flambeau de la lutte pour l’émergence politique et sociale. C’est cela aussi la vocation de Terangaweb – L’Afrique des Idées. Loin du prototype du regroupement de « salonards »*, il était d’une impérieuse nécessité de s’installer aussi sur le Continent lorsqu’on se définit comme un cadre promouvant le débat d’idées sur l’Afrique.

Dès le départ, nous avons refusé la posture de l’intellectuel de la diaspora aux « mains propres » qui, de Paris, lance de temps en temps des salves de banalités sur la corruption, la mal gouvernance, les crises institutionnelles, en prenant bien soin de garder cette attitude moralisatrice et supérieure, savante et pédante .

Le mandat que nous avions ainsi reçu était de permettre la création d’un cadre d’échanges sur l’Afrique à Dakar, en vue de porter un message nouveau plein d’espoir sur l'Afrique mais pleinement lucide sur l’immensité des défis qui nous interpellent.

Ce cadre existe dorénavant! Ce samedi, à Dakar, nous avons vu la jeunesse africaine débattre, échanger, identifier des problèmes et décliner des solutions. Elle a assouvi le temps d’une journée, dans un pays où le débat politique ne cesse de décevoir, son profond désir d’être écouté et entendu.

Le paradoxe de l’Afrique, c’est d’être un continent jeune dans un monde qui vieillit, tout en refusant à sa jeunesse l’accès aux strates de décisions et d'influence. Il faut qu’en Afrique la jeunesse cesse d’être un péché, une maladie honteuse qui sera bien vite guérie, une promesse, mais pleinement un potentiel sur lequel doit impérativement reposer toute stratégie de développement.

Un autre Discours de Dakar a résonné ce week end dans les allées de l’UCAD portant deux messages fondamentaux sur l’identité de Terangaweb.

 Il s’agissait d’abord d’un appel à la réforme de nos Etats pour qu’enfin la puissance publique puisse jouer son rôle en répondant aux préoccupations des populations. Ensuite, la responsabilisation d’un nouveau leadership en Afrique qui devra prendre le relais de la génération de nos pères dont le bilan est tout sauf reluisant.

Hier, une jeunesse africaine du Sénégal est venue assister à la formalisation en Afrique d’un cadre neuf de réflexion et d’échanges dans le respect de nos différences et dans une ambition de responsabilité.

Tant pis si les politiciens ont préféré les bavardages des éternels thuriféraires de l’action présidentielle, plutôt que de venir échanger avec une jeunesse qui confrontée à un chômage endémique, se trouve parfois à épouser l’université comme moyen de repousser l’échéance de la sortie dans la vie active.

Quoi qu’il en soit, à Dakar, un discours sur la responsabilité et la prise de conscience sur les défis du Continent a été lancé à la jeunesse africaine. Il convient de le relayer suffisamment pour qu’ensemble nous contribuions à l’émergence politique et à la transformation sociale du Continent, à la circulation des idées sur l’Afrique, pour l’Afrique et dorénavant en Afrique.

Pour faire suivre les actes à ce discours de Dakar, jeunesses d’Afrique, n’hésitez plus, rejoignez-nous.

Hamidou Anne

Responsable du Bureau de Dakar

de Terangaweb – L’Afrique des Idées

* Salonards est une allusion aux Africains qui – par uniquement les mots –  font et refont l’Afrique dans les salons feutrés des beaux quartiers parisiens, sans aucun engagement politique ni associatif. 

Des Opposants au pouvoir*

référendum ZimbabweSur Terangaweb, nos partenaires de Think Africa Press évoquaient le référendum « politicien » au Zimbabwe qui proposa aux électeurs un texte porté par trois leaders politiques du pays. Que Tswangiraï et son MDC acceptent de pactiser avec les barons de la ZANU-PF, pour pondre cette constitution rend sceptique sur le degré de conviction qui habite vraiment cet homme que d’aucuns ont fini de ranger parmi les grands leaders politiques d’Afrique, teigneux dans leur combat contre la dictature et l’injustice.

Au-delà du fait que le projet de loi portant une nouvelle constitution permet à Mugabe d’être réélu jusqu’à l’âge de…99 ans, il met à nu la capacité des politiciens à s’unir en face des citoyens lorsque leurs intérêts vitaux le réclament. Mugabe-Tswangiraï même combat ! Qui l’eut cru.
Si la faucheuse ne nous en épargne pas, nous sommes bien partis pour observer, tristes, gênés ou simplement amusés, un président débitant des salves de sottises devant une jeunesse zimbabwéenne désarçonnée. Que veux-tu, « la vieillesse est un naufrage ».
Lorsqu’on en arrivera là, on sera hypocrite de ne pas accuser Tswangirai d’avoir légitimé de fait Mugabe, en devenant son exécutant eu égard à sa position de Premier ministre chargé de mettre en œuvre les directives présidentielles.

Mon camarade Pape Modou Diouf s’est déjà interrogé sur les oppositions africaines ; leur manque de clarté, de cohérence et de courage. Il y a aussi un autre syndrome qui les caractérise : l’inconstance dans une position hors du circuit étatique. En somme, s’opposer quand on est dans l’opposition. Rien de plus. Souvent, sous les vocables fourre-tout de « gouvernement d’union » ou de « majorité présidentielle élargie », on réussit une bouillabaisse politique qui permet à chacun d’être au rendez-vous des privilèges qui découlent de la gestion de l’Etat. On en revient au concept d’ « Etat prédateur » tel que le théorise l’historien Ibrahima Thioub. Manger à tous les râteliers…jusqu’à l’intoxication

En Afrique, dans la plupart des cas, les oppositions ne se sentent bien qu’au pouvoir, sous les lambris dorés de la république qui leur ont été refusés à tort ou à raison par le suffrage universel. A défaut d’être calife à la place du calife, ils se contentent bien du titre de vizir, voire de gouverneur de province. L’essentiel est de (se) servir.
Mame Madior Boye a battu deux records. D’abord, c’est la seule femme chef du gouvernement au Sénégal. Ensuite, c’est le seul dont plus personne ne se souvient. Elle est en effet retournée dans l’anonymat qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Dans un moment de lucidité, elle eut toutefois une phrase intelligente. Après lecture de la composition de son gouvernement, un journaliste lui fait la remarque : « il n’y a pas de membres de l’opposition dans l’attelage ». Réponse imparable de la dame : « l’opposition s’oppose ».

En effet, en démocratie, une majorité gouverne et une oppose s’oppose, écume les plateaux des médias, élabore et propose un projet politique à soumettre à l’électorat lors de la prochaine échéance électorale. Il s’agit d’une question de cohérence et de dignité ; et les électeurs ne s’y trompent guère lorsqu’il s’agit de sanctionner la tortuosité.
Raila Ondinga a payé son rôle de premier plan dans l’attelage de Mwaï Kibaki comme premier ministre après les violences électorales de 2008. En 2013, à l’heure du choix entre le dauphin de l’ex président et le leader de la coalition orange, les électeurs ont choisi Uhuru Kenyatta, l’original au détriment de la copie.

Une telle analyse est aussi pertinente dans le cas de la Guinée Conakry. Malgré aujourd’hui toute la déception qu’Alpha Condé caractérise, malgré les graves atteintes au processus démocratique enclenché en Guinée après la triste épopée Dadis Camara, on peut lui reconnaître une cohérence historique. Condé n’a jamais cédé aux sirènes et aux menaces du régime policier de Lasana Conté. Il a su rester vierge de toute participation au scandale qu’a constitué, des années durant, la Guinée version Conté. Qui dans l’opposition guinéenne n’a pas flirté avec Conté ? Dalein Diallo? Lonseny Fall? Lansana Kouyaté? Sidya Touré ? Qui ? Rien que pour ce point précis, la victoire d’Alpha Condé contre Cellou Dalein Diallo est celle d’une constance et d’un courage politique. Opposants de tous les pays, opposez-vous! 

 

Hamidou Anne

*Le titre est un clin d’œil au premier livre dénonçant les dérives d’Abdoulaye Wade, déjà en 2003. « Wade, un opposant au pouvoir. L’alternance piégée », Abdoul Latif Coulibaly, Éditions sentinelles, Dakar, 2003, 300 p.
 

Macky Sall, un an après: une diplomatie qui retrouve des couleurs

thumbnailMacky Sall mouhamed 6La première année de Macky Sall tarde à promettre de réelles avancées au plan économique tellement l’horizon proposé semble plus que confus. Il y a trois jours, Moustapha Mbengue mettait à nu la cacophonie politicienne(1) qui barrait les Unes de la presse dakaroise, marquant ainsi les difficultés auxquelles faisait face Macky Sall dans l’exercice de ses fonctions.

Mais dans cet océan d’incertitudes où les bravades à l’encontre des anciens pontes du régime d’Aboulaye Wade côtoient les conjectures sur les prochaines échéances régionales, municipales, et rurales, la diplomatie semble être le seul domaine où les succès sont incontestables.
Si la diplomatie est un domaine réservé du Chef de l’Etat, le choix porté sur les hommes qui mettent en œuvre une politique étrangère est essentiel dans la déclinaison d’une vision et d’une ambition pour un pays. 

Et à ce propos, Macky Sall a fait de bons choix. D’abord avec Alioune Badara Cissé, personnage baroque, haut en couleurs et numéro deux du parti au pouvoir avec lequel le président s’est séparé au bout de 6 mois. Ensuite, avec celui qui trône actuellement à la Place de l’indépendance : le secret et expérimenté Mankeur Ndiaye, diplomate de carrière, ancien Directeur de Cabinet pendant 10 ans de Cheikh Tidiane Gadio qui a été nommé au poste prestigieux d’Ambassadeur à Paris, après la victoire du 25 mars 2012.
Ces deux hommes, chacun en ce qui le concerne, ont conduit de manière efficiente une diplomatie que Wade avait fini de rendre inaudible avec des déclarations et des rodomontades aussi inopportunes que puériles.

On peut mettre au bilan de cette première année de mandat de Macky Sall, l’obtention de l’organisation du prochain Sommet de la Francophonie en novembre 2014. Au-delà d’un juste retour aux sources pour un pays qui, avec Senghor, a été à l’avant-garde du combat francophone, ce sommet servira à célébrer la sortie de la scène internationale d’Abdou Diouf, Secrétaire général de l’OIF. 

Le Sénégal a aussi accueilli de nombreuses visites d’éminents leaders du monde. Cela refait de Dakar une étape importante dans la conduite des affaires internationales et notamment africaines. On se souvient du [contre] discours de Dakar prononcé par François Hollande au Parlement sénégalais qui voulait refonder la relation de la France avec le Continent.

Sur la scène africaine, la visite du Roi du Maroc, pays aux relations séculaires privilégiés avec le Sénégal, vient confirmer une relance jadis prédite de l’axe Dakar-Rabat, après le froid connu ces dernières années suite notamment à la mésentente issue du dossier de la défunte compagnie Air Sénégal International.

Sur Terangaweb, l’on a déjà analysé les réformes(2) entreprises par les nouvelles autorités sénégalaises dans le domaine de la diplomatie. Et la lecture faite plusieurs mois après, confirme que l’intérêt souligné alors pour le raffermissement des liens avec les pays de la sous-région reste constant.
La première sortie de Macky Sall effectuée en Gambie, sa visite récemment en Guinée Conakry et la tenue en février de la 11ème session de la Commission mixte sénégalo-mauritanienne confirment valablement la prééminence d’un discours de proximité et d’une ambition sous-régionale. D’ailleurs, les fonctionnaires du Ministère des Affaires étrangères sénégalais n’appellent pas par hasard la bande frontalière qui entoure le pays « ceinture de sécurité », comme pour montrer l’importance capitale que le pays accorde à l’établissement de relations sûres et solides avec ses voisins frontaliers. Le péril djihadiste qui infecte le Sahel confirme encore plus la pertinence d’un tel choix.

Il s’y ajoute la visite d’amitié et de travail que le président par intérim du Mali vient d’effectuer à Dakar deux jours durant, confirmant ainsi la place centrale que le Sénégal doit occuper dans le conflit malien. Il convient de rappeler que l’envoi uniquement de 500 soldats par Dakar a été jugé insuffisant voire peu ambitieux eu égard au vécu des deux pays qui sont partis à l’indépendance ensemble dans le cadre de la Fédération du Mali.

Néanmoins, si Wade a symbolisé jusqu’à la caricature les relations privilégiées avec l’Asie, notamment la Chine, les monarchies pétrolières du Golfe et même la…Corée du Nord, les tenants actuels du pouvoir semblent plus prudents concernant les interactions fréquentes et proches avec cette région. Il y eut juste la visite, il y a une semaine, du président Michel Sleiman du Liban et le rétablissement (pour le moment prudent) des relations diplomatiques avec l’Iran après leur rupture fracassante sur fond de livraison d’armes aux maquisards du MFDC.

Outre-Atlantique, au plan du symbole, le numéro un sénégalais sera reçu par Barack Obama, le 28 mars prochain. Il convient de rappeler qu’Abdoulaye Wade avait couru des années durant derrière un tête-à-tête avec le Président américain. Dans cette course toujours insatiable vers les honneurs et la gloire, Wade s’était attaché en vain les services d’intermédiaires et de lobbyistes apparemment inefficaces voire véreux.
Cependant, à coté du satisfecit béat que décline le camp du pouvoir sur ce prochain « événement », une lecture attentive permet rapidement de montrer que cette audience entre Sall et Obama ne saurait être surprenante après le discours très élogieux tenu par l’ancienne Secrétaire d’Etat Clinton à l’université de Dakar où le modèle démocratique sénégalais a été célébré et encouragé.

Mais au-delà de la résurgence diplomatique indéniable, est-il certain que des résultats au plan économique seront tirés ? La question est pertinente compte tenu de la faible compétence des diplomates sénégalais sur les questions économiques, celles liées à la promotion des investissements étrangers, la promotion touristique et la stimulation dans leurs pays d’accueil des exportations du pays.
Le plus grand risque que coure la diplomatie sénégalaise est de rester dans le symbole et de ne point faire en sorte que le pays tire profit de sa notoriété internationale portée par une stabilité politique et une démocratie exemplaire en Afrique. Le débat aujourd’hui est à l’émergence économique, et les Affaires étrangères doivent servir à aiguiller l’ambition pour le développement. 

Hamidou Anne

1 http://terangaweb.com/macky-sall-un-an-apres-le-temps-des-cafouillages/

2 http://terangaweb.com/la-diplomatie-senegalaise-a-lheure-de-la-reforme/

Interview de El Yamine Soum, sociologue franco-algérien

el yamine soumEl Yamine Soum, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je suis né en Algérie, et arrivé très jeune en France, je me considère comme un humaniste. J’écris et j’interviens dans le débat public par les questions contemporaines et internationales. Je travaille notamment avec le Brésil, les Etats-Unis, le Venezuela…Je pars souvent d’analyses sociales que je mets en comparaison au niveau international.
Je viens de fonder avec Anas Jaballah le Centre d'études et de prospective internationale. Nous publions, dans ce cadre un livre au mois de mai sur les nouveaux défis de l'éducation aux éditions « Les points sur les I ». J'essaie d'offrir à mon niveau, de l'analyse et de formuler des propositions concrètes et réalistes.

Récemment un sondage Ifop affirme que 74% des Français considèrent l’Islam intolérant. La société française est-elle si hostile à la deuxième religion de France?

Oui clairement il y a des peurs autour de la présence musulmane en France. Il faut s’interroger sur les facteurs de cette perception d’intolérance. Il est bon de rappeler qu’au début du 20ème siècle la France avec la Grande Bretagne et les Pays Bas était l’un des trois grands empires coloniaux musulmans et qu’ils n’étaient pas citoyens français. Bien avant, il y avait des musulmans partir du 8ème siècle, en France, qui seront en grande partie expulsé après la bataille de Tourtour, d’autres seront réduits en esclaves.

Ce phénomène de rejet est lié aussi, à une visibilité croissante des musulmans dans l’espace public, à travers un phénomène d’embourgeoisement et l’apparition de classes moyennes et supérieurs.

Cela signifie clairement qu’il y a une compétition sur le marché de l’emploi avec les personnes héritières du colonialisme. Aussi, les groupuscules minoritaires mais extrêmement visibles le style vestimentaire importés des pays du golfe, non pas du Maghreb, ou d’Afrique de l’ouest, des d’où proviennent les descendants de migrants peuvent contribuer à susciter de la peur.

Enfin, il y un sentiment de rejet, qui est classique durant les périodes de crise. Il ne faut pas oublier qu’il y avait une tradition d’antisémitisme en France et que cela a conduit à une catastrophe. A la fin du 19ème siècle, il y avait des députés qui inscrivaient la question juive dans leur programme ; aujourd’hui le parallèle est flagrant avec les musulmans.

Il y a un risque chez certains musulmans, c’est qu’à force de survaloriser cette identité ils se retrouvent complètement exclus du collectif, de la nation et qu'ils oublient que nous sommes dans le même bateau qui s'appelle France. C’est un véritable piège car ils s’excluent des lieux de pouvoir et des grands enjeux.

Il y a une dimension réactive qui à mon sens peut conduire à des impasses, comme le dit le proverbe arabe : le trop de quelque chose est un manque de quelque chose. 

La campagne jugée très à droite de Nicolas Sarkozy suivie par droitisation de l’UMP de Copé peuvent-elles être pointées du doigt ? 

Oui bien sûr ! Comment parler d’un sujet qui certes peut faire l’objet d’un débat, sérieux et rigoureux, qui en fait n’est fait que pour hypnotiser les Français. Cela pose des vraies questions sur le manque de perspectives de certains responsables politiques en matière de dettes, d’industrie, d’emploi, sur l’éducation et surtout la refonte des institutions qui devrait être au cœur des transformations. Au lieu de prendre à bras le corps la question des licenciements qui est un drame actuellement en France, on s’amuse à monter les français les uns contre les autres. Mais ce que vous appelez droitisation, est aussi le fait d’ « intellectuels » médiatiques, voire des idéologues de gauche comme de droite, qui utilisent cela comme une ressource pour assurer leur survie dans l’espace médiatique. 

Apres 10 ans d’opposition, la gauche française est revenue au pouvoir en 2012. Y a-t-il un espoir pour un changement dans le discours sur l’Islam et la question de l’immigration ? 

Pour le moment je n’observe pas une exploitation politique de ces sujets, si l’on exclue les quelques phrases inutiles de Manuel Valls. La France respire un peu. Il y a encore certains médias, qui sont dans une situation dramatique, d’un point de vue économique l’utilisent, par exemple Charlie Hebdo. La « pseudo-affaire », montée médiatiquement et savamment calculée, est tout à fait typique du climat actuel : Charlie hebdo s'affiche en victime et en chantre de la liberté d'expression alors même qu'aucune censure ni intimidation n'a été constatée ! Ce qui est frappant c’est le fait que l'on puisse ainsi créer une arme de mensonge massive.

Entre François Fillon, qui – dans sa course effrénée aux parrainages – affirme «Je défends Charlie Hebdo, je défends la liberté d’expression et je pense qu’on ne doit pas céder un pouce de terrain dans ce domaine-là», Marine Le Pen qui parle « des «reculades» de la classe politique face à des musulmans qui lui imposent «des bras de fer », alors que la liberté « n’est pas négociable», en passant par Nathalie Kosciusko-Morizet – frustrée du machisme de son propre parti – qui ose parler « des réactions que l’on a pu voir ici et ailleurs dans le monde qui sont éminemment violentes et condamnables », réactions qui existent surtout dans son imagination…

Pas une voix ne s'est élevée dans la classe politique française pour rappeler tout simplement que personne n'a porté atteinte à la liberté d'expression de Charlie hebdo.

Le mensonge selon lequel les musulmans seraient hostiles à la liberté d'expression, à force d’être répété, finit par devenir une réalité dans l’esprit des Français.

Un autre mensonge consiste à faire croire à l’opinion que l’on ne pourrait pas parler de certains sujets, celui de l'islam et des musulmans étant présenté comme tabou. Or, la fréquence des débats, des unes de magazines et des éditoriaux autour des musulmans démontre tout l’inverse. Et ce alors même que ce sujet n'est pas la première préoccupation des Français.

En revanche, le magazine a incontestablement réussi son opération médiatique et commerciale, ce qui n'est pas négligeable pour relancer un hebdomadaire sur le déclin. Parallèlement, les mesures de sécurité exceptionnelles et sans doute excessives ont eu un coût significatif pour le contribuable.

Ainsi, Le Figaro a récemment affirmé que la précédente affaire Charlie hebdo « avait valu aux locaux de Charlie Hebdo dans le XXe arrondissement de Paris d'être la cible d'un incendie criminel. L'équipe du journal avait alors trouvé refuge dans les locaux du quotidien Libération ». Or, à moins que le Figaro ait eu accès au dossier d'enquête – ou qu'une dérogation au secret de l'instruction lui ait été accordée ! – aucune information rendue publique ne permet à ce jour de connaître le ou les responsable(s) de cet incendie ni de démontrer un lien de causalité formel entre cet acte criminel et des agissements de musulmans en réaction à la publication des caricatures du journal danois ". En affirmant une telle chose sans preuve, le Figaro a sciemment et insidieusement fait passer le message selon lequel un lien aurait été établi.

Voici un bel exemple d’un mensonge qui à force d’être répété pénètre l’esprit des Français. Alors que ce même journal n’a pas hésité à virer Siné, sans aucune justification, ce qui est un vrai cas de censure, une entrave au principe de liberté d’expression. Après les citoyens consommateurs que nous sommes peuvent aussi réfléchir, et clairement boycotter la télévision refusé de payer la redevance, et autres médias qui participent au pourrissement de la situation. Il ne faut jamais sous-estimer, le pouvoir de chacun dans ses choix personnels et les impacts collectifs. La crise que nous vivons devrait nous permettre de revoir certains modes de consommations. 

La reculade concernant le vote des étrangers non communautaires est-elle de nature a donner raison à ceux qui doutent d’une gauche volontariste sur ces problématiques ?

Pour le moment, il n’y a pas de reculade, il y a un manque de courage politique. Nous ferons le point à la fin du mandat de François Hollande. D'un point de vue de la société civile il faut maintenir la pression afin que le gouvernement respecte ses engagements. Je pense que si les socialistes, ne s’engagent pas clairement pour un projet de société humaniste, ils risquent de le payer très cher lors des prochaines élections.

Vous avez dirigé l’ouvrage La France que nous voulons ? Pour avoir pris l’initiative d’un tel opus ?

L’idée c’était justement au-delà des contre-feux médiatiques et d’une indignation stérile, de faire des propositions sur la dette, le bien-être au travail, les questions internationales ou encore l’éducation. Aujourd’hui il est difficile de parler de ces sujets cruciaux, les maisons d’éditions préfèrent le story telling des livres ou l’on met sa photo sur la couverture, ou l’on raconte ses pseudo-exploits, ou ceux ont l’on stigmatise telle ou telle catégorie de la population. Mais je souhaite poursuivre sur cette ligne, car je suis convaincu que c'est celle qui faut adopter si l'on veut faire bouger les choses, même si c'est long, solitaire et parfois compliqué.

Vous êtes très engagé sur les questions relatives à la discrimination. Vous avez même co-écrit Discriminer pour mieux régner. Comment appréciez-vous aujourd’hui la question de la prise en compte des minorités en France ? 

C’était un travail entrepris avec le sociologue Vincent Geisser, pour faire un point à la fois sur la pluralité dans le champ politique. Nous sommes plutôt satisfaits puisque ce livre a fait bouger les lignes au sein des partis politiques. Je pense qu’il y a une double dynamique : par le haut on ne fait appel qu’aux acteurs du religieux, pour mieux enfermer et exclure. Je pense à cette demande honteuse et hallucinante fatwa de l’UOIF durant les émeutes de 2005 qui était une commande politique. Dans une France très laïque on ose demander aux religieux d’intervenir sur un aspect qui concerne avant tout les forces de l’ordre, la justice et des sérieuses réponses politiques sur certains territoires.

En bas, il y a des dynamiques très intéressant, la naissance d’une classe moyenne et d’une élite. Par exemple dans le domaine, intellectuel, des personnalités Elyamine Settoul, Leyla Arslan, Anas Jaballah ou encore Mohamed Amiri apportent une contribution importante sur des enjeux contemporains. Mais on va leur préférer dans les médias, des excités sans construction, ou encore des personnes qui sont en cours d’apprentissage de la langue française….

Il y a un combat juridique et politique à mener contre les discriminations, si aujourd’hui François Hollande ne le fait pas cela risque de nous couter cher socialement et électoralement très cher aux socialistes.

La guerre au Mali fait la Une de l’actualité internationale. Comment appréciez-vous l’intervention de la France ? 

Malin serait celui qui serait capable de dire avec précision ce qui se joue dans cette zone du monde. J’ai eu la chance de me rendre plusieurs dans ce pays que j’admire à travers l’histoire et ses cultures. Je suis en principe assez opposé aux interventions étrangères, mais je me pose la question de savoir si quand bien même il y aurait des intérêts stratégiques et économiques, la vie de personnes vaut bien plus que tout l’or, ou l’uranium du monde ? Fallait-il laisser essaimer ces groupuscules au Nord Mali et au-delà ? Dans ce cas, d’un point de vue légal, c’est la demande d’un Etat souverain.

L’opération est lancée, les « bandits » semblent se déplacer. Il faudra une grande armée impressionnante, pour maitriser le territoire, ce qui est impossible ! Cela se fera par du renseignement, ce sont des guerres nouvelles, avec des drones, l'infanterie ne pourra, dans le temps long, rien face à une guérilla à la fois urbaine et dans le désert, à moins que celle-ci ne soit totalement anéantie.

Dans le cas de la Bosnie, les locaux ont fini par chassé les « jihadistes » internationaux, d’abord en les incluant dans les troupes et une fois la guerre terminée on leur demanda de quitter le territoire. Les responsables bosniaques ne voulaient pas d’une dérive avec des groupes radicaux.
Donc dans le fond les « bandits » sont venus se greffer sur une réalité d’une discrimination, qui concerne les « ag » les Touaregs. J’espère que cette question sera traitée très sérieusement de manière politique, sans esprit de vengeance.

Une autre question se pose par rapport aux armes en provenance de Lybie pour armer les rebelles qui se retrouvent dans cette zone. Cette guerre pose clairement la question de la faiblesse des institutions africaines qui devraient être en première ligne pour la gestion de ce conflit comme en Centrafrique ou le président François Bozizé a appelé la France pour intervenir. En réalité, nous oublions souvent un facteur indispensable dans la puissance des nations : sa force militaire. Ce qui devient un marché, en Europe nous ne faisons plus de guerre sur le continent, le rôle de l'armée française qui était au cœur des institutions a été considérablement réduit, donc l'expertise française se vend ailleurs, notamment sur le continent africain.

Enfin, le manque de légitimité d’un certains nombres de gouvernements entravent la construction de projet africain, que ce soit en matière de sécurité ou au niveau d’une intégration régionale en Afrique.

Plus généralement, quelle est votre lecture de la menace islamiste dans toute la bande sahélienne?

Je pense qu’il faut parler de banditisme, habillé par un vernis religieux. Souvenez-vous de cet avion qui a échoué dans le nord du Mali en octobre 2009, en provenance du Venezuela qui transportait de la drogue. Aujourd’hui cette zone était en train de devenir un espace qui échappe aux Etats. Le cas du Mali démontre la faiblesse d’un Etat et ces groupuscules mobiles et internationaux viennent se greffer dans ce contexte. Après, il ne faut pas sous-estimer la dimension politique et nationale de certains mouvements qui veulent profiter de cette faiblesse institutionnelle, c'est le cas des Shabaab en Somalie.

El Yamine, vous êtes d’origine algérienne. Quelle lecture faites-vous de la situation politique et économique dans ce pays ? Le drame d’In Amenas pourrait-il être le premier acte d’un nouveau basculement dans la violence islamiste déjà connu par ce pays dans les années 90 avec le GIA ?

L’Algérie a encore de nombreux défis à relever, notamment sur les choix économiques et achever sa transition démocratique. Au niveau des infrastructures le pays s’équipe. Aussi d’un point de vue culturel, il faudra une révolution. Je pense que beaucoup de personnes veulent quitter le pays car il y a un sentiment d’étouffement et de manque d’accès aux loisirs et de perspectives. C’est qui explique par ailleurs une impressionnante vitalité culturelle populaire dans la rue.

Je ne sais pas si le drame d’In Amenas va se reproduire, mais sur le terrain les groupuscules ont été dans leur majorité, éradiqué ou se sont dissous. C’est ce qui explique surement qu’ils se déplacent sur d’autres territoires, le nord Mali notamment ou encore ils optent pour la radicalisation à travers des opérations suicides. Une partie de ces groupes a choisi, de se reconvertir dans le banditisme, car ils savent que le but premier qui était de renverser l’Etat algérien ne sera plus possible. Même si on peut s’interroger sur les défaillances du renseignement, avec une armée extrêmement présente dans les institutions, ce qui est un paradoxe.

Dans un article sur les nouvelles élites françaises, le journal Le Monde vous considère comme « prometteur ». Une consécration, un encourageant ou le début des ennuis ?

C’est encourageant. Maintenant, l’engagement méthodique, et le travail sérieux entrainent nécessairement des critiques, mais très peu sur le fond et les idées. Je l’observe à travers les réseaux sociaux, mais ce qui est surprenant c’est que peu de ces personnes qui le font osent venir le faire, de manière franche en conférence. J’en donne régulièrement et un peu partout en France. Aussi, je le dis souvent ce que je fais, à partir du moment, ou chaque citoyen sait lire et écrire peut produire, il faut juste réduire le temps passé devant la télévision, celui de l’indignation et s'investir sur le terrain ou encore les bibliothèques qui sont gratuites en France et d'une très grande qualité. Je suis surpris, par le manque de profondeur, peu de critiques sont formulées de manière intelligente, c’est inquiétant. Mais globalement je reçois énormément de messages de soutien, ce qui bien sur m’incite à poursuivre sur ce chemin.

Vous êtes polyglotte. Vous collaborez avec de nombreux médias non européens. Quels regards portent-ils sur l’Afrique ?
Il y a plusieurs regards : l’exotisme, la fascination, la misère, le paternalisme et aussi l’idée que c’est un continent à suivre de très près pour sa jeunesse et ses ressources en matières premières.

Quel est votre avis sur le Continent ? Quels sont selon vous ses défis, notamment ceux de sa jeunesse ? 

La jeunesse de l’Afrique est une promesse et pas encore un atout. Il faut transformer cet espoir en atout, et cela passe par l’éducation, la transition démocratique et la redistribution des richesses. Maintenant il y a plusieurs Afriques : des pays extrêmement pauvres, et d'autres ou le niveau des richesses est élevés. Je pense à l’Ile Maurice, l’Angola, l’Afrique du Sud, le Botswana, ou encore la Guinée Equatoriale qui ont un PIB assez élevé. Plusieurs défis se posent de manière cruciale aux élites africaines : se doter d’un cadre institutionnel robuste mais aussi penser la ville. L’urbanisation est en cours et elle sera déterminante dans le développement du continent, d’un point de vue sanitaire entre autres. La question de l'alimentation est aussi centrale car certaines zones du continent souffrent de malnutrition. Ce qui est dramatique compte tenu du niveau des richesses.

Enfin, c'est l'éducation qui devra être le pivot des changements. C’est hallucinant qu’un pays comme l'Angola, qui fait face à une migration du Portugal en crise, parfois qualifiée, n'arrive pas à assurer la suffisance alimentaire pour ses ressortissants. A propos de la jeunesse, c'est un atout mais l'espérance de plusieurs pays africains se situe autour de 50 ans, le Nigéria, la Centrafrique, le Tchad, le Mali, le Sierra Leone, ou encore la Gambie.

Je pense que les personnes qui pensent que la Francafrique est un système figé se trompe. Il y a de nombreux acteurs sur le continent africain, les Chinois, nous le savons mais surtout les américains qui font preuve d’un redoutable dynamisme, plutôt discret, les pays du Golfe ou encore les Brésiliens, les Turcs, et sans oublier, les différents acteurs africains sur le continent. Des responsables politiques africains influent aussi sur la politique française. La situation est bien plus complexe que l’idée que seule la France serait un acteur post-colonial. Ceci, devrait nous amener à repenser la relation des pays européens à l’Afrique, dans un schéma gagnant-gagnant. A nous de différencier pour travailler dans des projets mutuels.

Avez-vous été tenté par un engagement politique ?

Je le suis déjà à travers les idées que je développe, mais pas au sens partisan et bien au-delà des frontières de l'hexagone. Je collabore avec des acteurs de plusieurs pays, nous avons la chance d'être dans un monde plus ouvert, donc profitons-en. Je travaille notamment avec un journal brésilien operamundi.

Le travail d’influence, se fait à travers le conseil que j’apporte notamment auprès de certains élus, entrepreneurs et militants associatif qui s’intéressent à la fois au terrain et à l’avenir de la France. Au-delà, je travaille avec plusieurs pays sur des projets de développement. Nous envisageons de faire dans le cadre du CIEP, des formations en Tunisie, sur l’éthique dans le journalisme et les questions énergétiques. 

Que pensez-vous de Terangaweb – L’Afrique des Idées ? 

C’est excellent ! Il faut multiplier ce genre d’initiatives, qui démontrent que le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar qui figeait le continent africain dans un passé mythifié, figé est d'une grande absurdité. 

Entretien réalisé pour Terangaweb – L'Afrique des Idées par Hamidou Anne

Un sot chez la Garde Royale

justice statueAu Sénégal, s’il y a une star qui monte, c’est la Garde Royale. Un journal est même allé jusqu'à l’affubler du titre fourre-tout de femme de l’année. 
Sur quelle base? Qui sont les votants ? Souvent les statistiques au Sénégal sont comme le Monstre du Loch Ness. Tout le monde en parle, personne n’a jamais rien vu. Bref…

Je ne suis pas emporté par cette vague de béatitude devant la madone de fer. Ma sottise, celle qui caractérise l’intellectuel circonspect devant la soif populaire du supplice du goudron et de la plume qui accompagne souvent les changements de régime, est peut-être passée par là. 
Je trouve même qu’elle ne sert à rien, constatant qu’elle est plus ministre des médias que gardienne jalouse du Temple de Thémis. La presse demeure depuis avril 2012 le prétoire de la dame de la Justice qui a certainement confondu communiquer et radoter…sans fin. Pas une semaine sans qu’elle ne se rappelle aux bons (ou mauvais, c’est selon la position sur l’échiquier politique) souvenirs des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs.

Je n’ai jamais été pour la justice inquisitoire, et ce qui se passe en ce moment au Sénégal y ressemble beaucoup. Devant les muscles brandis par certains membres de l’actuel régime, je vois une insidieuse tentative : celle de diluer l’absence de propositions concrètes au plan économique dans un océan de vaines déclarations guerrières sur fond de règlement de comptes politiques. Je n’ai aucune sympathie particulière vis-à-vis des dirigeants du PDS, leur reprochant, entre autres, un manque de courage et de patriotisme devant la gestion démentielle de Wade qui a cru pouvoir commettre le Krim de nous imposer son fils.

Je suis tout de même convaincu qu’une opposition se respecte et que l’élégance ne peut être dissociée de la pratique politique dans une république. Il me semble que dans le débat indigeste qui est nous servi au quotidien, ce sont les membres de la majorité actuelle, hier victimes des méthodes scandaleuses de Wade, qui violent souvent le fameux principe de la présomption d’innocence. « La paix est l’œuvre de la justice », disait le grand Jaurès. Je tiens trop à la justice pour donner benoitement carte blanche aux saillies judiciaires de la Garde Royale. Quand on réclame justice pour le jeune Mamadou Diop (tué par un camion de la police lors des manifestations contre la candidature d’Abdoulaye Wade), l’on doit également la réclamer pour Ndiaga Diouf (autre jeune assassiné lors d’une expédition de nervis dans une mairie dakaroise tenue par un socialiste). On peut hiérarchiser les crimes, mais je n’accepterai jamais que l’on hiérarchise la douleur des familles. Elle est toujours similaire quand on perd un fils, un conjoint, une mère… Au moment où je couche ces lignes, j’ai une pensée pour la mère de Ndiaga Diouf ; elle qui a perdu un fils à la fleur de l’âge, pendant que le présumé meurtrier a été drapé du manteau de l’immunité parlementaire. « Justice, justice ! » Jaurès encore. 

Sur les audits en cours, je défends une position claire : si Karim Wade a subtilisé des deniers publics, qu’il soit châtié, selon les lois en vigueur au Sénégal. Mais je précise que le seul fait de le convoquer – avec des auditions dont la durée (une fois de 10h à 3h du matin !) frise le ridicule – ne peut constituer une priorité nationale. C’est dans la grandeur de la victoire que l’on reconnaît les plus illustres seigneurs. Voir un très regrettable procureur de la rue publique, devoir s’expliquer dans une ville religieuse d’une instruction en cours me fait peur sur le futur proche de la justice sénégalaise et sur le caractère laïque du Sénégal dont je suis ardent défenseur.

Dans un pays où le Conseil constitutionnel, en avalisant une forfaiture, a été à l’origine d’une dizaine de morts, il y a plus urgent en matière de réforme que les bravades ministérielles sur des audits, qui sont un simple exercice de réédition des comptes après toute gestion des deniers publics.

Tout ceci m’amène à dire pourquoi je ne tombe pas dans l’idolâtrie devant la Garde Royale. Il est des questions tellement plus urgentes et plus importantes que cette affaire d’enrichissement illicite que ses sorties intempestives et inutiles dans la presse m’indignent.

L’état scandaleux des prisons sénégalaises doit préoccuper la Garde Royale. Ces lieux de privation de liberté sont devenus de véritables sources de toutes les maladies imaginables à cause de la promiscuité et du surpeuplement carcéral. Un ancien Garde des Sceaux (tiens !) a été empêché de dormir lors de sa garde-à-vue dans un commissariat dakarois par…des rats peu accommodants.

La lenteur des procédures judiciaires devrait aussi préoccuper notre chère Garde Royale. Car les citoyens ont le droit d’être fixés rapidement sur leur sort quand ils ont affaire à la justice de leur pays.

L’impasse sur l’état de délabrement avancé des cours et tribunaux dans l’intérieur du pays, qui tombent en ruine sans qu’aucune solution concrète ne soit proposée est aussi regrettable. Avec l’érection de nouvelles régions qui les portent dorénavant à 14, je pensais que la refonte de la carte judiciaire du Sénégal allait préoccuper notre bonne dame. Il n’en est rien.
Enfin, la détention préventive n’a non plus pas attiré l’attention bienveillante de la Garde Royale. Car il est indigne et contraire à tous les principes des droits humains de garder une personne des années durant dans des conditions inhumaines sans qu’aucune décision de justice ne vienne lui notifier ce que lui la société lui reprochait.

Hélas, sur toutes ces questions, la réponse que l’on sert aux citoyens est implacablement aux antipodes des vraies priorités. Elle est relative aux audits, à la répression de l’enrichissement illicite et aux biens mal acquis.

Comme si ces priorités n’intéressaient que les sots, ces intellectuels à la sauce Terangaweb.
 

Hamidou Anne

1. http://www.rewmi.com/AMINATA-TOURE-Femme-de-l-annee-2012_a72165.html 

Sandrine Lemare-Boly, une sénégauloise au pays de la Teranga

Sandrine Eco Maires (1)Enda Graf Sahel est un démembrement thématique de Enda Tiers Monde, ONG qui fait de l’intermédiation politique entre les Etats et des structures collectives à la base. Nous avons rencontré à Dakar Sandrine Lemare-Boly, qui y travaille. Facile de lire la passion dans ses yeux quand elle parle de cette structure que Emmanuel Seyni Ndione, héritier de Jacques Bugnicourt, avait mis en place. Emmanuel, avec qui Sandrine a décidé de travailler alors qu’elle était encore en France après avoir seulement lu son livre « Dakar , une société en grappes ». Nostalgique, Sandrine regrette le temps où « trouver des financements était facile ». Aujourd’hui, la crise mondiale aidant, les bailleurs préfèrent orienter leur accompagnement principalement au travers de l’aide budgétaire.

A Enda Graf Sahel, Sandrine s’occupe principalement de projets éducatifs, mais travaille également sur le secteur de l’agroalimentaire, celui des transports, des radios communautaires… L’éducation reste toutefois sa vraie passion. Selon elle, il devrait y avoir un modèle en trois strates d’encadrement de l’enfant au Sénégal. Il s’agit du daara (école coranique), de l’école communautaire et de la structure d’apprentissage. Ces trois structures dispensent un enseignement général, un enseignement religieux et transmettent un métier aux pensionnaires. Déjà douze initiatives de ce type sont en train d’être mises en place. Selon Sandrine, alors que « des jeunes avec bac + 26 cherchent en vain du boulot »,  pourquoi pas inverser la courbe et créer des citoyens capables de pratiquer un métier ? L’idée in fine est d’intéresser l’Etat en vue de le conduire à intégrer ce modèle articulé dans la mise en œuvre des politiques publiques dans le domaine de l’éducation. 

Née à Granville, elle a fait ses études universitaires à Caen dans cette Normandie qui a accueilli les derniers jours de Senghor. Après un Bac obtenu en 1992, Sandrine a eu un parcours atypique. Inscrite à la fac, elle n’y mettra les pieds que très rarement. « Etudiante par intérim », concède t-elle avec malice. Elle a travaillé pendant 7 ans comme assistante d’éducation en ZEP pour financer ses études. Celui qui lui transmettait les cours est devenu par le charme de la vie l’homme qui partage aujourd’hui sa vie. Cette formation en dehors des amphis ne l’a pas empêché d’avoir un parcours étonnant et détonnant. Maitrise de sociologie, DEA en Sciences politiques mention Etudes africaines, avec une spécialisation sur le Sénégal, DESS en Crises interventions humanitaires/ Développement et inscription en thèse. 

Le premier flirt avec le Sénégal eut lieu en 1996. Toutefois loin de la fraicheur matinale du village des pêcheurs de Yoff, c’est à Caen auprès de voisins Sénégalais de la cité Universitaire d’Hérouville-Saint-Clair, qu’elle eut d’abord un premier contact avec ce qui deviendra son pays. Comme si la Providence avait placé sur son chemin des individus chargés de baliser sa route vers le pays de la Teranga, après une projection de film suivie de débat sur le rôle du griot mandingue, elle posa, candide, la question de savoir s’il « y avait des griots au Sénégal » et « si c’était la même chose que les griots mandingues ? ». Les réponses sur le rôle social et politique du griot l’enchantèrent. Elle décida de s’y intéresser. C’est dans ce cadre que Sandrine vient au Sénégal depuis 1998 tous les ans, pendant 2 mois, pour des recherches sur le sujet. Curieuse, aventurière et avide d’éclectisme, elle se mêle toujours de tout. C’est ainsi qu’elle fit des piges pour RFI et Nouvel Horizon pour, dit-elle, s’ « introduire au plus profond de la société sénégalaise ». Elle réussit même à se procurer une carte de presse…

Sandrine est installée depuis 2006 au Sénégal. « Définitivement » s’empresse t-elle d’ajouter. Et comme pour mieux préciser ses mots, elle le dit en wolof : « fila deuk » (j’habite ici). Cette jeune femme est un antidote vivant aux constructions idéologiques racistes, prouvant qu'une normande de naissance peut parler de son patriotisme à l’endroit du pays de Cheikh Anta Diop. « Je parle wolof » enfonce-t-elle, car « c’est un manque de respect de ne pas parler wolof quand on décide de vivre au Sénégal, même dans un pays francophone ». Elle ajoute : « en France on demande aux candidats à l’immigration de parler français ». En effet. 

L'engagement de Sandrine ne s'arrête pas à son activité à Enda Graf Sahel. Elle respire aussi la politique à grande bouffée. A gauche, s’il vous plait. Impliquée en politique depuis ses années étudiantes par le biais de l’UNEF et diverses associations proches du PS, elle n’a cependant été encartée qu’en 2000. Mais elle quittera rapidement ses camarades car « ne supportant pas l’instrumentalisation ». Elle le répétera à deux reprises : « Je ne supporte pas l’instrumentalisation. » Sandrine est convaincue que même en dehors des appareils, elle fait de la politique tous les jours dans le cadre de son engagement de militante sociale. Les Primaires citoyennes du PS lui donne l'occasion de renouer avec l'engagement partisan. Elle crée le comité de soutien à François Hollande qu’elle a soutenu « depuis le départ ». Elle y tient. Grâce à un bon réseau dans la presse, ca marche rapidement. Dans la foulée, elle rejoint la section PS de Dakar et décidant de « rester folle » elle envoie sa candidature à la Fédération des Français de l’Etranger. Elle est élue et y s’occupe de l’intégration des nouveaux adhérents et du développement des adhésions. Parcours fulgurant !

Au PS, elle s’intéresse surtout à l’Aide Publique au Développement, la coopération décentralisée, les rapports France-Afrique et les questions d’immigration. « J’avance à mon rythme, sans avoir les dents longues. Je suis contente là où je suis », confie-t-elle. Pour preuve, elle cite Kocc Barma : Nitt nitay garabam » (l’homme est le remède de l’homme). Son viatique. Infatigable, Sandrine vient de se lancer dans un autre chantier qui relie ses deux pays, toujours dans son rôle d’opératrice. Il s’agit d’Ecomaires Afrique. L’idée est de mettre en place des réseaux d’élus africains, dans un premier temps sur le Sénégal, et d’instaurer des liens de coopération avec les Maires français, de toutes obédiences politiques, regroupés dans l’association française Ecomaires sur les problématiques environnementales (développement durable, préservation de la biodiversité et changements climatiques). Engagée dans les législatives qui ont suivi la victoire de son candidat, elle bat campagne pour Pouria Amirshahi, candidat d’origine iranienne du PS dans une circonscription des Français de l’étranger, qui l'a finalement élu. 

Comment la jeune femme trouve t-elle le temps de mener de front toutes ces activités ? Surtout quand elle vous confie :  « Tous les jours à 18h, j’éteins mon ordinateur. Je rentre chez moi m’occuper de ma fille. Ma priorité, c’est ma fille ». Alors, si un jour de passage à Dakar, vous voulez faire la connaissance de Sandrine ou la soutenir dans son combat pour l’éducation au Sénégal, sachez que ce ne sera pas à 18h, car à ce moment, elle sera à la maison, en famille. 

Hamidou Anne

François le malien

hollande_MaliEn juillet dernier, dans mon premier papier sur Terangaweb, je disais que la terreur que les djihadistes imposaient au Nord du Mali dépassait une guerre contre l’Etat malien. C’était un défi lancé contre une civilisation.

Pis, ces terroristes qui ont pris en otage et détruit des pans entiers de notre mémoire collective seraient aujourd’hui sur Bamako si rien n’avait été tenté. Ils auraient alors, non pas une partie d’un territoire, mais un pays de 1 200 000 km2 entre les mains à partir duquel ils mettraient en œuvre un projet totalitaire. Je vous laisse imaginer le danger dans un contexte où il est dorénavant établi que des cellules dormantes de terroristes pullulent dans toute l’Afrique de l’Ouest.

L’éternelle rengaine de la Francafrique

Quitte à voir dressé mon « portrait du colonisé », je dis que l’intervention de la France, qui a anéanti la marche résolue des islamistes vers Bamako est salutaire. Dans le fond, elle est légitime. Dans la forme, elle est légale. François Hollande a répondu à l’appel du président par intérim du Mali. En outre, cette intervention a comme base juridique la résolution 2085 de l’ONU qui autorise le déploiement d’une force internationale dans le pays.

Hélas, l’opération « Serval » fera une nouvelle fois le lit des pseudos nationalistes africains ou « amis » du continent qui vont encore verser cette intervention dans leur déjà très longue liste de résidus du néocolonialisme. La persistance de la Francafrique sera scandée, notamment sur internet, véritable zone d’expression de ce discours plutôt bon enfant, mais qui résiste souvent très mal à une analyse sérieuse.

Véhiculer ces gamineries, c’est prendre encore le débat par le mauvais bout. C’est ignorer les blessures affreuses que les combattants d’Ansar Dine, du Mujao et d’Aqmi ont infligé à un peuple et à ce qui constitue un élément fondamental de son histoire : sa mémoire.

Si des individus préfèrent voir des bandits barbus ravir un pays, humilier ses populations, saper le fonctionnement de ses institutions et asseoir un leadership fondé sur la terreur sans qu’aucune réaction ne suive, soit. Ce n’est pas mon avis. Ce n’est pas l’idée que je me fais de l’Etat de droit, de la pratique religieuse et de la place qui doit être la sienne dans un Etat moderne.

Certains fustigent le fait que ce soit des soldats de « l’Empire colonial » qui viennent libérer le Mali. Je le leur concède. Et cela me procure un sentiment bizarre que les communicants appellent le double bind. Il s’agit de cette joie de voir l’avancée des barbus anéantie et en même temps de cette peine de nous voir encore perdre une parcelle de souveraineté ; au moins au plan de la fierté.

Il est vrai que pour concilier le désir de ne pas exposer la France et celui de mettre en avant les armées de la sous-région, l’idée initiale était de concevoir une force exclusivement africaine au Mali. La subite conquête de Bamako a chamboulé tous les plans établis. Le lead from behind auquel tenait la France pour éviter de se mettre en tête et d’accroitre les risques d’accusations colonialistes n’a pas résisté au bouleversement de la situation sur place.

hollande au Mali 2Une autre issue était-t-elle possible ?

Au moment où le plan d’intervention sous l’égide de la Cedeao ne cessait de susciter des atermoiements de part et d’autre, les islamistes continuaient eux à asseoir leur présence sur le sol malien, en s’équipant pour aller à l’assaut de Bamako et mettre tout le Mali sous coupe réglée.

En quittant la posture de l’anticolonialiste à deux sous, l’on ne peut nier une évidence : l’armée malienne n’a ni les capacités ni la logistique ni le leadership nécessaire pour affronter ces djihadistes dont la surprenante puissance de feu a été soulignée par les autorités françaises.

Cette armée, dont le pitre capitaine Sanogo est devenu hélas – à tort ou à raison – le triste visage, a besoin d’être réorganisée pour jouer son rôle de défense et de protection du Mali et des Maliens. Cela dans un contexte qui voit des menaces multiformes gagner toute l’Afrique de l’Ouest.

Je reconnais que l’appel à l’aide formulée par Dioncounda Traoré est un échec pour toute la sous-région et au delà pour tout le continent qui montre ainsi que les citoyens africains sont dépourvus d’une puissance publique capable de les protéger face à un danger de cette ampleur. Toutefois, je n’y suis pas opposé, car il traduit la détresse d’un homme qui savait qu’il présidait aux destinées d’un pays risquant de quitter le cercle des nations civilisées. Non, le Mali ne devait, ne pouvait être une copie conforme de l’Afghanistan des Talibans.

L’intervention de la France, dont un soldat est déjà mort pour le Mali, rappelle tristement aux Africains que les discours volontaristes sur la fin de la persistance de la domination coloniale sont un leurre tant qu’ils n’auront pas pris leur responsabilité pour assurer leur destin sans recourir à l’aide au moindre soubresaut. En couchant ces lignes, une question me vient à l’esprit : où est l’Union Africaine ?

Répondant à une question d’un ami récemment, je lui disais n’être nullement choqué de voir des armes françaises tuer des meurtriers à la solde d’une idéologie basée sur l’intolérance, la division et la terreur. Fussent-ils africains. Je le répète afin qu’il n’y ait point d’ambiguïté : cela ne me choque pas.

Cette guerre au Mali est un mal nécessaire. Il fallait y aller car au pays des Askia se joue un destin de notre civilisation. 

 

Hamidou Anne

 

Post scriptum : je n’ai pas résisté à la tentation de m’arrêter sur le nom de la Mission internationale de soutien au Mali (Misma). Je trouve les diplomates à l’ONU pour une fois plutôt bien inspirés, car Misma ferait une excellente contraction de « Miss Mali ». Enfin, un peu de tendresse dans ce monde de brutes…

L’Africom : les fantômes de Mogadiscio

Africom_emblemAnnoncée en février 2007 par le président George Bush, la mise sur pied effective de la United States Africa Command (Africom) Africom intervient en octobre de la même année. Sa direction fut confiée au général afro-américain William « Kip » Ward jusqu’en mars 2011, date à laquelle le général Carter Ham a pris la relève, avant que ce dernier ne soit remplacé en 2012 par – sous réserve de confirmation par le Sénat – par le général David Rodriguez.

Doté d’un siège à Stuttgart, au sein de la United States European Command (EUCOM), Africom fonctionne comme le commandement unifié pour l’Afrique. Ainsi, toutes les structures militaires qui s’occupaient de questions africaines sont dorénavant subordonnées à l’État-major d’Africom. Il s’agit de :

U.S. Army Africa (USARAF), Vicence, Italie
U.S. Naval Forces, Africa (NAVAF), Naples, Italie
U.S. Air Forces, Africa (AFAFRICA), Ramstein Air Base, Allemagne
U.S. Marine Corps Forces, Africa (MARFORAF), Stuttgart, Allemagne
Combined Joint Task Force-Horn of Africa (CJTF-HOA), Camp Lemonnier, Djibouti
Special Operations Command-Africa (SOCAFRICA), Stuttgart, Allemagne

Pourquoi une présence américaine sur le continent ?

La création de l’Africom répond à plusieurs objectifs stratégiques de la politique diplomatique américaine depuis qu’elle s’intéresse de façon plus attentive à l’Afrique. La chute du mur de Berlin et la guerre du Golfe de 1991 ont entraîné un remodelage de la carte géopolitique du monde et ont poussé les Américains à opérer un retour retentissant en Afrique. L’Administration Clinton a été à l’avant-garde de ce retour, matérialisé notamment par la tournée que le Président Clinton y a effectué du 23 mars au 2 avril 1998. Ce fut la première visite d’un chef d’Etat américain en subsaharienne après 20 ans.

Au delà du besoin américain d’étendre son influence sur toutes les parties du globe, des intérêts plus stratégiques ont poussé le pays de l’oncle Sam à prendre en compte l’Afrique dans son agenda international.
La dépendance énergétique de l’Amérique est un de ces éléments stratégiques. L’implication de plusieurs saoudiens dans les attentats du « World Trade Center » et du Pentagone, la seconde guerre du Golfe ont fait prendre conscience aux Etats Unis que leur dépendance au pétrole du Moyen Orient constituait un risque pour leur économie. Il fallait donc trouver un moyen de sécurisation de son accès au pétrole dans le Golfe de Guinée. L’instabilité du Moyen Orient pousse ainsi les États-Unis à diversifier de façon plus accrue ses sources de fourniture du pétrole et amoindrir les risques liés à son acheminement. D’ailleurs, d’ici 2015, 25% de l’importation américaine de pétrole proviendra d’Afrique. La présence militaire américaine sur le continent a ainsi un grand soubassement économique. Et ce n’est guère surprenant.

Deuxièmement, l’échec de l’«Operation Gothic Serpent », durant la bataille de Mogadiscio en Octobre 1993 qui vit la mort d’une vingtaine de soldats américains, les attentats de Nairobi et de Dar es Salam en 1998, le « 11 septembre 2001 » et la constitution de mouvements terroristes affiliés à Al Qaeda ont montré que l’Afrique était, elle aussi, un terrain de bataille dans la « War on Terror » et méritait une attention militaire plus accrue de la part de l’Amérique. L’attentat manqué du Nigérian Umar Farouk Abdulmutallab, à noël 2009 et la création d’Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) n’ont fait que renforcer ce point. Les États-Unis ont investi des sommes colossales et des moyens humains considérables dans leurs guerres au Moyen Orient. Les troupes combattantes y côtoyant l’appareil mis en place pour le renseignement et la prospection des nouveaux foyers de tension. L’aiguille du terrorisme islamiste oscille de plus en plus vers l’Afrique avec des terrains favorables à son éclosion. Il s’agit des pays favorables aux groupes djihadistes (Soudan), ou en faillite (Somalie) voire fragiles économiquement et militairement (Mali). Les stratèges du Pentagone ont compris, sur la base de prévisions, qu’on ne pouvait combattre le fléau du terrorisme en faisant fi de l’Afrique, notamment de sa bande sahélienne. D’ailleurs, les missions de l’Africom, détaillées par Georges W. Bush lors de sa création, confirment cet état de fait : lutte contre le terrorisme, l’extrémisme et le trafic de drogue et la piraterie. L’Africom a aussi comme ambition de constituer une réponse aux crises humanitaires qui frappent le continent africain tout en renforçant la coopération militaire avec les pays d’Afrique.

Enfin, la création de l’Africom intervient également en pleine redistribution des cartes d’influence en Afrique. Les anciens pays colonisateurs achèvent le retrait de leurs forces militaires sur le continent. L’Afrique longtemps « sous-traitée » aux anciennes puissances coloniales, et objet d’interventions « intermédiées » durant la Guerre froide, redevient un jeu ouvert à tous. La Chine et l’Inde ne s’y sont pas trompées, qui ont intensifié investissements et projet de coopération avec les pays Africains. L’Amérique reste l’une des rares puissances occidentales délestée du stigma colonial, et elle entend jouer sa partition.

Africom 1L’Africom, une présence mutuellement avantageuse ?

Si l’intérêt de l’Amérique pour l’Afrique est clair. Qu’y gagne l’Afrique ? Le jeu (au plan budgétaire et humain) en vaut-il vraiment la chandelle ? Cette force peut-elle être considérée comme un profit au regard des enjeux actuels qui se dressent devant les pays souvent désarmés face aux défis sécuritaires ?

Pour les pays africains, au motif de développer une coopération renforcée avec les Etats Unis, notamment qui serait un excellent bailleur pour la réalisation d’infrastructures de développement, l’idée d’accueillir Africom peut être à première vue séduisante. Le terrorisme d’inspiration politico-religieuse, parti du Moyen Orient, est en train d’étendre ses tentacules en Afrique. Et il y trouve un terrain propice d’éclosion eu égard à la faiblesse structurelle des Etats, mais aussi de la pauvreté qui constitue un moyen de trouver plus facilement des individus prêt à mourir à la solde d’une idéologie, même la plus rétrograde.

La situation dans la corne de l’Afrique et dans le Sahel impose nécessairement une réponse coordonnée et de grande envergure. Les États africains ne possèdent pas, nécessairement, les moyens de relever les défis qui s’imposent à eux et ne peuvent pas à eux seuls, venir à bout de ces mouvements de plus en plus armés et bien formés souvent dans des terrains qu’ils maitrisent mieux. Conscient de ces enjeux et des réalités logistiques sur le continent, l’Africom décline dans ses missions un important volet relatif à la coopération militaire avec les pays du continent.

Le risque est tout de même grand de reproduire des schémas qui ont eu cours après les indépendances, avec le maintien des bases militaires des anciennes puissances coloniales sur le continent. Les opinions publiques africaines sont d’ailleurs complètement réticentes à accueillir des GIs sur leur sol. Autoriser une sorte d’ « œil de Washington » permanent sur le sol africain est périlleux à la longue eu égard au principe de souveraineté des Etats très important en matière de relation internationale.

Plus encore, quelle garantie existe-t-il que l’Amérique, après « sa mission civilisatrice » au Moyen-Orient, ne sera pas tentée « d’exporter la démocratie » en Afrique? Le fait que l’Africom ne dépende pas du Pentagone, mais du Département d’Etat en fait un instrument politique et diplomatique contrairement a un outil strictement militaire rendant compte au Secrétaire à la Défense. Cela confirme ses visées essentiellement politiques et pourrait donc faire craindre qu’elle soit un appareil de la politique étrangère américaine susceptible, un jour, d’imposer une vision particulière de la « démocratie » par le biais de d’un rapport de forces largement favorable.

A terme, une course vers la militarisation des puissances étrangères avec l’Afrique comme aire de « jeu » ?

Enfin, il est impossible encore de cerner l’Africom et de dire exactement ce qu’elle sera/fera en Afrique. Le gouvernement américain, malgré des tournées récurrentes des différents commandants de l’Africom dans les pays d’Afrique, ne décline pas encore une communication explicite sur son fonctionnement. Comment s’organisera sa coopération avec les armées nationales et régionales du continent ? Sera-t-elle le bras armé d’un contournement du Conseil de Sécurité de l’ONU ? En application des décisions de ce Conseil ?

Plus inquiétant encore, l’Africom ne va-t-elle pas accentuer la course à l’armement, déjà en œuvre, en Afrique ? Ne va-t-elle pas pousser les pays émergents, eux aussi fortement dépendant de l’approvisionnement en matières premières, pour leur croissance, à militariser leur présence économique et commerciale ? À terme, l’Africom ne va-t-elle pas déclencher une course vers la militarisation avec des bases brésiliennes, turques, indiennes ou chinoises en Afrique ?

L’impérialisme britannique est né du besoin de sécuriser la route des Indes…

 

Hamidou Anne