Ici un contrat obscur et ses acronymes barbares, là des comptes offshores et leurs circuits financiers opaques… Il faut une sacrée dose de patience et de ténacité pour percer les mystères de l’argent du pétrole au Congo-Brazzaville, ce que tentent de faire depuis des années Brice Mackosso et Christian Mounzeo. Les deux hommes coordonnent la plateforme “Publiez ce que vous payez” dans ce petit pays d’Afrique centrale. Leur mot d’ordre est aussi simple que la tâche compliquée: exiger la transparence sur les revenus tirés du pétrole, la principale ressource du Congo qui représente 90% de ses exportations et plus de 75% de ses recettes publiques.
Dans leur viseur ces derniers mois ? La taxe maritime, un étrange impôt perçu par la SOCOTRAM, la société congolaise des transports maritimes, dirigée par Wilfrid Nguesso, un neveu du chef de l’Etat, Denis Sassou Nguesso.
Cette taxe maritime, “c’est juste un artifice juridique pour ponctionner sur les fonds publics et utiliser cet argent au bénéfice de la famille”, tranche Brice Mackosso, interrogé par l’Afrique des idées.
Lorsque cette taxe est créée en 1997, les compagnies pétrolières estiment ne pas avoir à la payer, en vertu d’un principe de stabilité fiscale qu’elles ont négocié avec le gouvernement. Un montage est donc mis en place. Ce sont les armateurs de navires qui vont verser cet impôt à la SOCOTRAM. Puis ces armateurs se feront rembourser par les compagnies pétrolières, qui pourront à leur tour obtenir un remboursement (indirect) de l’Etat congolais en déduisant cette taxe de leurs coûts pétroliers.
Bref, c’est une taxe que l’Etat congolais paye finalement lui-même, une bizarrerie. Avec surtout un grand point d’interrogation dès le départ. Où va l’argent perçu par la SOCOTRAM?
“La taxe maritime n’a jamais été reversée au Trésor Public. Pendant vingt ans, cet argent n’a été utilisé que par la SOCOTRAM et il n’y a que la SOCOTRAM qui sait comment il a été utilisé”, affirme le militant de la société civile, qui a tiré la sonnette d’alarme.
Le 9 mars, Wilfrid Nguesso a finalement été mis en examen par la justice française pour « blanchiment de détournements de fonds publics », dans le cadre de l’enquête dite des “biens mal acquis”, un long feuilleton où le Congo joue les premiers rôles. Dans cette affaire, les dirigeants du Congo-Brazzaville, mais aussi de plusieurs autres pays pétroliers comme la Guinée équatoriale ou le Gabon, sont soupçonnés d’avoir détourné de l’argent public pour acquérir de luxueux biens privés: hôtels particuliers, belles voitures…
Coïncidence ou non, quelques jours après cette mise en examen, le premier ministre congolais Clément Mouamba a annoncé la suspension de la collecte de la taxe maritime. Une victoire pour Publiez ce que vous payez Congo qui regrette néanmoins que dans toute cette affaire les compagnies pétrolières françaises (Total) ou italienne (Eni Congo) n’aient pas réagi d’elles-mêmes. Selon Brice Mackosso, elles “savaient que cet argent n’allait pas au Trésor Public”.
Outre cette taxe maritime, les dossiers sont nombreux sur le bureau de Publiez ce que vous payez. Il y a notamment ces interrogations autour des contrats gaziers noués entre les Italiens d’Eni Congo et le gouvernement congolais à Pointe-Noire, la capitale pétrolière et économique du pays. Brice Mackosso est intrigué par les termes de cet accord “vraiment très avantageux pour Eni”. L’ONG voudrait aussi en savoir plus sur les contrats commerciaux passés entre le Congo et la Chine. Selon elle, avec l’argent du pétrole, le gouvernement congolais provisionne un compte à la « Export-Import Bank of China » dans le cadre d'un remboursement de projets d'infrastructures. Cependant, “l’opinion publique demeure ignorante des projets d’infrastructures dont il s’agit. De même, on ne sait pas combien la Chine a investi”, déplore Publiez ce que vous payez.
En creux, l’organisation semble redouter que les dirigeants congolais, échaudés par l’affaire des biens mal acquis, tentent de mettre en place de nouveaux circuits financiers sur le sol chinois, où l’argent sera plus difficile à rapatrier. Face à toutes ces questions, l’ONG agit avec des moyens limités et le soutien de bonnes volontés comme ce “retraité du ministère des hydrocarbures” qui planche sur les contrats litigieux. Travailler sur ce genre de questions ne va pas sans risque. “Je connais les limites”, témoigne ainsi Brice Mackosso. “Si je veux rester au Congo, ça ne sert pas que j’aille au suicide, c’est clair. Cela crée parfois de l’incompréhension avec la diaspora ou la presse étrangère. Mais je préfère rester au Congo et continuer à faire la politique des petits pas”.
La coordination internationale est donc cruciale. Publiez ce que vous payez est d’ailleurs un consortium de nombreuses ONG à travers le monde. Récemment, c’est la compagnie Shell qui a été pointée du doigt au Nigeria. Deux ONG, Global Witness et Finance Uncovered, ont accusé l’entreprise pétrolière anglo-néerlandaise d’avoir sciemment financé la corruption lors du versement de plus d’un milliard de dollars sur un compte au Royaume-Uni afin de décrocher un contrat pétrolier. Pour appuyer leur démonstration, les deux organisations citent des mails de dirigeants de Shell qui montrent qu’ils étaient au courant qu’une partie de l’argent allait être reversée à des intermédiaires afin de les remercier de l’obtention de ce contrat au Nigeria. https://www.globalwitness.org/fr/campaigns/oil-gas-and-mining/shell-knew/
Adrien DE CALAN