Suivre l’argent du pétrole, la délicate mission des ONG au Congo

 

Ici un contrat obscur et ses acronymes barbares, là des comptes offshores et leurs circuits financiers opaques… Il faut une sacrée dose de patience et de ténacité pour percer les mystères de l’argent du pétrole au Congo-Brazzaville, ce que tentent de faire depuis des années Brice Mackosso et Christian Mounzeo. Les deux hommes coordonnent la plateforme “Publiez ce que vous payez” dans ce petit pays d’Afrique centrale. Leur mot d’ordre est aussi simple que la tâche compliquée: exiger la transparence sur les revenus tirés du pétrole, la principale ressource du Congo qui représente 90% de ses exportations et plus de 75% de ses recettes publiques.

Dans leur viseur ces derniers mois ? La taxe maritime, un étrange impôt perçu par la SOCOTRAM, la société congolaise des transports maritimes, dirigée par Wilfrid Nguesso, un neveu du chef de l’Etat, Denis Sassou Nguesso.

Cette taxe maritime, “c’est juste un artifice juridique pour ponctionner sur les fonds publics et utiliser cet argent au bénéfice de la famille”, tranche Brice Mackosso, interrogé par l’Afrique des idées.

Lorsque cette taxe est créée en 1997, les compagnies pétrolières estiment ne pas avoir à la payer, en vertu d’un principe de stabilité fiscale qu’elles ont négocié avec le gouvernement. Un montage est donc mis en place. Ce sont les armateurs de navires qui vont verser cet impôt à la SOCOTRAM. Puis ces armateurs se feront rembourser par les compagnies pétrolières, qui pourront à leur tour obtenir un remboursement (indirect) de l’Etat congolais en déduisant cette taxe de leurs coûts pétroliers.

Bref, c’est une taxe que l’Etat congolais paye finalement lui-même, une bizarrerie. Avec surtout un grand point d’interrogation dès le départ. Où va l’argent perçu par la SOCOTRAM?

“La taxe maritime n’a jamais été reversée au Trésor Public. Pendant vingt ans, cet argent n’a été utilisé que par la SOCOTRAM et il n’y a que la SOCOTRAM qui sait comment il a été utilisé”, affirme le militant de la société civile, qui a tiré la sonnette d’alarme.

Le 9 mars, Wilfrid Nguesso a finalement été mis en examen par la justice française pour « blanchiment de détournements de fonds publics », dans le cadre de l’enquête dite des “biens mal acquis”, un long feuilleton où le Congo joue les premiers rôles. Dans cette affaire, les dirigeants du Congo-Brazzaville, mais aussi de plusieurs autres pays pétroliers comme la Guinée équatoriale ou le Gabon, sont soupçonnés d’avoir détourné de l’argent public pour acquérir de luxueux biens privés: hôtels particuliers, belles voitures…

Coïncidence ou non, quelques jours après cette mise en examen, le premier ministre congolais Clément Mouamba a annoncé la suspension de la collecte de la taxe maritime. Une victoire pour Publiez ce que vous payez Congo qui regrette néanmoins que dans toute cette affaire les compagnies pétrolières françaises (Total) ou italienne (Eni Congo) n’aient pas réagi d’elles-mêmes. Selon Brice Mackosso, elles “savaient que cet argent n’allait pas au Trésor Public”.

Outre cette taxe maritime, les dossiers sont nombreux sur le bureau de Publiez ce que vous payez. Il y a notamment ces interrogations autour des contrats gaziers noués entre les Italiens d’Eni Congo et le gouvernement congolais à Pointe-Noire, la capitale pétrolière et économique du pays. Brice Mackosso est intrigué par les termes de cet accord “vraiment très avantageux pour Eni”. L’ONG voudrait aussi en savoir plus sur les contrats commerciaux passés entre le Congo et la Chine. Selon elle, avec l’argent du pétrole, le gouvernement congolais provisionne un compte à la « Export-Import Bank of China » dans le cadre d'un remboursement de projets d'infrastructures. Cependant, “l’opinion publique demeure ignorante des projets d’infrastructures dont il s’agit. De même, on ne sait pas combien la Chine a investi”, déplore Publiez ce que vous payez.

En creux, l’organisation semble redouter que les dirigeants congolais, échaudés par l’affaire des biens mal acquis, tentent de mettre en place de nouveaux circuits financiers sur le sol chinois, où l’argent sera plus difficile à rapatrier. Face à toutes ces questions, l’ONG agit avec des moyens limités et le soutien de bonnes volontés comme ce “retraité du ministère des hydrocarbures” qui planche sur les contrats litigieux. Travailler sur ce genre de questions ne va pas sans risque. “Je connais les limites”, témoigne ainsi Brice Mackosso. “Si je veux rester au Congo, ça ne sert pas que j’aille au suicide, c’est clair. Cela crée parfois de l’incompréhension avec la diaspora ou la presse étrangère. Mais je préfère rester au Congo et continuer à faire la politique des petits pas”.

La coordination internationale est donc cruciale. Publiez ce que vous payez est d’ailleurs un consortium de nombreuses ONG à travers le monde. Récemment, c’est la compagnie Shell qui a été pointée du doigt au Nigeria. Deux ONG, Global Witness et Finance Uncovered, ont accusé l’entreprise pétrolière anglo-néerlandaise d’avoir sciemment financé la corruption lors du versement de plus d’un milliard de dollars sur un compte au Royaume-Uni afin de décrocher un contrat pétrolier. Pour appuyer leur démonstration, les deux organisations citent des mails de dirigeants de Shell qui montrent qu’ils étaient au courant qu’une partie de l’argent allait être reversée à des intermédiaires afin de les remercier de l’obtention de ce contrat au Nigeria. https://www.globalwitness.org/fr/campaigns/oil-gas-and-mining/shell-knew/

 

                                                                                                                                                                     Adrien DE CALAN

 

Développement de l’énergie en Afrique : quel espoir au delà de la médiatisation ?

energies-renouvelables-scandale-financierQuelle que soit sa source, l’électricité est l’un des piliers de la compétitivité et de la prospérité partagée d’un pays. Revenu au cœur des débats publics, l’accès pour tous à l’énergie est devenu la marque de fabrique de multiples organismes institutionnels, gouvernements et fonds d’investissement compte tenu de la place que tendent à occuper les énergies renouvelables. Rappelons-nous qu’en 2013, le président des Etats Unis d’Amérique a annoncé la réalisation du mégalodron « Power Africa » qui consisterait en la concentration de 7 milliards de dollars USD dans l’installation de 10 000 MW supplémentaires pour connecter 20 millions de foyers et entreprises. En ce début d’année, le ministre français, Jean Louis Borloo était sous les feux des projecteurs pour présenter son plan Marshall qui vise à électrifier toute l’Afrique en dix années à hauteur d’un investissement de 200 milliards d’euros. Bien que ces initiatives soient louables, leur concrétisation et impact peuvent s’analyser de deux façons différentes :   d’une part, par le biais d’une nouvelle forme d’aides au développement dont l’action est davantage centrée autour de secteurs porteurs de richesses ou susceptibles d’affecter plus fortement la population  ; d’autre part, comme une opportunité à saisir par des multi nationales conscientes de l’amélioration du climat des affaires de nombreux pays du continent africain. Garants de l’afro responsabilité, nous avons décidé d’approcher sous trois angles différents cette médiatisation énergétique.

Une question pertinente, mais pas forcément prise sous le bon angle

Plusieurs articles de L’Afrique des Idées ont traité la question de l’énergie en général et de l’accès à l’énergie électrique de façon spécifique.  Malgré les multiples solutions qui existent de nos jours, les principaux obstacles au développement de la filière peuvent se résumer autour des trois points à savoir : (i) l’absence d’un cadre réglementaire propice au climat des affaires et en particulier dans un secteur où la rentabilité s’accorde sur le très long terme[1] ; (ii) la part importante des subventions qui semblent ne profiter qu’aux ménages les plus aisés[2] et (iii) la pérennité des projets par le coût d’accès abordable et durable[3] compte tenu du pouvoir d’achat. La question de l’énergie en Afrique semble donc plus corrélée au climat des affaires et aux disponibilités à payer des clients finaux hors subventions plutôt qu’à la question de capital-investissement qui est l’approche des initiatives évoquées ci-dessus.

Pourtant, plusieurs initiatives locales et sous régionales existent

A l’instar des espaces économiques, il existe aussi des pôles sous régionaux d’électricité (WAPP, EAPP, SAPP, etc..). Ces « Regional Power Pool » militent en faveur de l’intégration régionale. Il s’agira à long terme de créer des autoroutes de transport et de distribution de l’énergie produite. La complexité de la question du stockage jumelée à celle de l’intermittence des énergies nouvelles obligeront les parcs de production à se synchroniser en permanence pour répondre aux besoins de consommation, qui eux sont peu flexibles et ne cessent de s’accroitre.

En ce qui concerne l’électrification des zones rurales, il existe une institution baptisée « Club ER[4] » qui regroupe les agences et structures africaines en charge de l’accès à l’électricité en zone rurale. Basée à Abidjan depuis moins d’un an, le Club ER est une synergie des retours d’expérience des pays membres pour renforcer les institutions et le personnel par des solutions locales. Appuyée par l’Union Européenne pour sa première phase, l’institution est emmenée à voler de ses propres ailes dans les années à venir.

Un continent tourné vers lui-même et vers l’avenir et qui ne fait qu’écrire son Histoire

Dans une Afrique réputée pour son hétérogénéité, l’harmonisation des espaces régionaux a aussi accéléré la mise en œuvre des politiques énergétiques. A l’Ouest, la Commission de l’Union Monétaire Ouest Africaine finance depuis trois ans le Projet Régional de Développement des Energies Renouvelables et de l’Efficacité à hauteur de 20 millions d’euros dans sa phase pilote pour inciter les gouvernements à investir dans les énergies nouvelles. A l’Est, le Kenya et l’Ethiopie renforcent leur interconnexion pour combiner l’énorme parc géothermique et hydraulique en cours de construction. Au Centre, le projet Inga est encore à l’étude. Au Sud et au Nord, le travail a déjà été accompli, quand bien même la diversification des sources de production redéfinit la gestion du secteur. L’Afrique du Sud vient de lancer un Dossier d’Appel d’Offres de 500 MW supplémentaires.

Loin des projecteurs, le secteur de l’énergie en Afrique fourmille d’idées et de projets. Jean Raspail disait « que dans la guerre des ondes, le commentaire masque toujours l’événement[5] ». L’espoir est en déclin car si on ne veut se voir imposer des choix, nous devons être capables d’écrire notre avenir. C’est en cela que l’Afrique marque une révolution formidable car elle brûle certaines étapes ; elle mise autant sur le stockage et les réseaux intelligents sans passer par une industrie centralisée. Dangote souhaite diversifier ses investissements en signant un partenariat avec General Electric, pionnier dans la fabrication de turbines. Le groupe souhaite aussi faire de ses cimenteries des centrales à cycle combiné qui produiraient à la fois de l’électricité et de la chaleur en sus du ciment.

Enfin, l’espoir est en déclin parce qu’il ne s’agira pas simplement d’électrifier le continent. Il faudra garantir une énergie accessible à la masse dans un environnement où plusieurs centres d’accouchement n’ont qu’une bougie ou un téléphone portable pour s’éclairer, de multiples commerces, des hôpitaux et même des morgues ne peuvent respecter la chaine du froid faute d’une continuité de l’électricité, un avion en cours d’atterrissage est victime du délestage de l’aéroport ; ou simplement  ce pénalty d’une phase finale de coupe du monde écourté… C’est en cela que subsistent les défis de l’Afrique que nous voulons.[6]

Léomick Sinsin


[1] Le dilemme de l’électrification rurale

 

 

 

 

 

[2] Les subventions à l’énergie sont elles nécessaires ?

 

 

 

 

 

[3] Quelles sont les énergies les moins chères ?

 

 

 

 

 

[5] Le camp des saints, Jean Raspail

[6] http://terangaweb.com/lafriquequenousvoulons-2/

 

 

 

 

 

Perspectives économiques régionales: une croissance à plusieurs vitesses en Afrique subsaharienne!

Selon les dernières prévisions du FMI, le taux de croissance économique (la croissance moyenne)  de l’Afrique subsaharienne devrait descendre à son plus bas niveau depuis plus de vingt ans. Ces  prévisions publiées précisément le 16 Octobre 2016   dans son rapport semestriel  sur «les Perspectives économiques régionales pour l’Afrique subsaharienne » soulignent  aussi une croissance hétérogène entre les différents pays de la région.

En effet, la conjoncture actuelle de l’économie mondiale, dominée précisément par la baisse continuelle des cours du pétrole et des matières premières,  a eu des effets différents sur les pays de la région en fonction de la structure de leur économie (pays exportateurs ou importateurs de pétrole, pays riches ou pauvres en ressources naturelles).

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             Afrique subsaharienne : croissance du PIB réel

De facto, les pays  tributaires des exportations de ressources naturelles (le pétrole) connaissent aujourd’hui un fort ralentissement    de leur économie. Des tensions causées, en partie, par la chute des exportations vers la Chine – premier partenaire commercial de la région (qui fait face à d’énormes difficultés économiques)  – mais aussi vers le reste du monde. Ainsi les pays comme le Nigéria, l’Afrique du sud et l’Angola ont vu leurs recettes nationales amputées  dans des proportions allant de 15 % à 50 % de leurs PIB depuis le milieu de l’année 2014.

Cependant, cette situation l’économie mondiale profite à d’autres pays comme le Sénégal, la Côte d’ivoire, le Kenya, l’Éthiopie …qui continuent d’afficher de bons résultats, car bénéficiant de la baisse des prix des importations de pétrole, de l’amélioration du climat des affaires. Ces pays devraient  continuer d’enregistrer des taux de croissance allant de 6 %  à  8%  dans les deux prochaines années, selon le même rapport. Mais dans l’ensemble, la production de la région ne devrait progresser que de 1,4 % en 2016. Un chiffre correspondant à ceux des années 1977, 1983,1992 et aussi de l’année 2009  date à laquelle la plupart des pays industrialisés du monde sont rentrés en récession la suite du krach de l'automne 2008.

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Afrique subsaharienne : croissance du PIB réel Pendant les épisodes de ralentissement économique actuel et passés

En plus de ces facteurs exogènes, la manque de transparence  des politiques publiques des pays les plus touchés a fortement contribué à leurs relentissements actuels et aux tensions économiques qu’ils connaissent. En ce qui concerne la politique économique, la réaction des différents gouvernements  fut lente voire même parcellaire.Et les progressions ou les croissances prévues pour les pays comme  la Côte d’ivoire, le Sénégal, l’Ethiopie, etc. pour les années à venir n’auraient pas d’effets ou d’impacts  sur l’économie des pays touchés  en raison de la faible intégration économique de la région.

Toutefois, les prévisions du FMI annoncent aussi une reprise modeste, avec une croissance d’un peu moins de 3 % pour l’année prochaine mais sous certaines conditions. Cette reprise ne serait possible que si  les différents gouvernements concernés, c’est-à-dire ceux qui dependent de l’exportation du  pétrole, mettent en place un ajustement budgetaire efficace à moyen terme.En d’autres termes,ces pays doivent  trouver des nouveaux moyens de financement de leurs économies  qui pourraient contribuer à attenuer l’effet de freinage à court terme sur la croissance et réduire l’incertitude qui fait actuellement obstacle à l’investissement privé.

D’ailleurs, cette problématique du financement des économies africaines a été le thème de la Conférence annuelle 2016 de l’Afrique des Idées qui avait réuni plusieurs experts au sein de l’université Paris Dauphine le 4 juin 2016.  L’élargissement de l’assiette fiscale, les Partenariats Public-Privé (PPP) sont des pistes à explorer pour garantir des moyens durables de financement des économies africaines.

Hamidou CISSE

L’Afrique, malade de son pétrole ?

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Le pétrole, au lieu de profiter aux pays, se transforme bien souvent en cadeau empoisonné, notamment dans les États d’Afrique centrale, minés par le clientélisme et la corruption.

« Je ferai du Congo une petite Suisse », s’enthousiasmait en 1992 le futur président congolais Pascal Lissouba, en pleine campagne électorale. Plus de vingt ans après, sa promesse, qui déjà à l’époque prêtait à sourire, laisse un goût d’amertume. Dans ce petit État pétrolier, près d’un Congolais sur deux vit toujours sous le seuil de pauvreté et le Congo figure à la 140e place dans le classement des indicateurs de développement humain (IDH), que réalise le PNUD chaque année. La Suisse paraît bien loin.

Sur le papier pourtant, le Congo ressemble bien à ce pays de cocagne dont rêvait l’ancien président Pascal Lissouba: une croissance de plus de 5%, un peu plus de 4 millions d’habitants, la grande forêt tropicale du bassin du Congo au nord, une façade maritime au sud-ouest, le majestueux fleuve Congo à l’est, un climat idéal pour l’agriculture, et surtout du pétrole. Avec une production estimée à 263 000 barils par jour, le précieux or noir est le cœur de l’économie congolaise, il représente au moins 60% de son PIB, 75% des recettes publiques et 90% des exportations. Et c’est sans doute là que le bât blesse.

Car le Congo-Brazzaville, comme ses voisins de Guinée équatoriale, du Gabon ou d’Angola semblent emblématiques de « la malédiction des ressources naturelles » qui frappe tout particulièrement l’Afrique centrale. C’est l’économiste britannique Richard Auty qui le premier a théorisé en 1993 cet apparent paradoxe: l’abondance en ressources naturelles d’un pays au lieu de lui profiter, ralentit sa croissance et son développement, quand d’autres États moins favorisés par la nature réussiront beaucoup mieux.

Les explications développées depuis par les chercheurs sont nombreuses et relèvent aussi bien de mécanismes politiques qu’économiques. Le pétrole (comme d’autres ressources naturelles ailleurs) crée une économie de rente, qui transforme le jeu politique en une lutte pour la captation des ressources. Dans un récent article,[1] Le politologue Michael Ross y associe trois conséquences directes: la rente entretient les régimes autoritaires, elle favorise la corruption et le clientélisme, elle est même facteur de conflits et de guerre civile, comme celles qui ont eu lieu en Angola ou au Congo-Brazzaville.

Sur le plan économique, si elle permet une croissance rapide et parfois élevée, la rente pétrolière rend les pays vulnérables, à la merci de la volatilité des prix. Appréciant la monnaie, elle peut aussi jouer un effet négatif sur les exportations dans d’autres secteurs, et encourager les importations aux dépens de la production intérieure et de la diversification de l’économie dans l’agriculture ou l’industrie.

 Un cadeau empoisonné

Bref, le pétrole, sans institutions et garde-fous solides peut bien se transformer en cadeau empoisonné.  « Les pays les plus dépendants au pétrole sont les moins démocratiques, les plus corrompus et ceux où les inégalités sont les plus fortes », explique ainsi sans détour Marc Guéniat, responsable enquête de la Déclaration de Berne, une ONG suisse qui analyse et dénonce le rôle des négociants suisses dans les pays pétroliers africains. « Évoquer un lien causal entre le pétrole et l’absence de démocratie est peut-être exagéré, mais on observe de toute évidence une corrélation », ajoute-t-il, « même si certains États pétroliers comme la Norvège sont des modèles de démocratie».

La rente pétrolière entretient ainsi le modèle de l’État post-colonial africain “néopatrimonial” où la classe dirigeante confond biens publics et intérêts privés et transforme le pouvoir en un exercice d’accumulation de richesses partagées par un club restreint de privilégiés. Gabon, Congo-Brazzaville, Guinée équatoriale et Angola, autant de pays cités dans l’affaire des biens mal acquis, dont l’instruction est en cours en ce moment même en France. Les chefs d’État, certains de leurs enfants et de leurs proches sont visés par une plainte pour recel de détournement de biens publics, soupçonnés d’enrichissement et d’accumulation de biens luxueux (hôtels particuliers, appartements, automobiles…) sans rapport avec leurs postes et leurs revenus officiels.

Dans ces pays, la gestion du secteur pétrolier et de l’économie en général est stratégiquement attribuée à des proches du pouvoir. Au Congo-Brazzaville, Denis Christel Sassou Nguesso, fils du président actuel et député dans la circonscription d’Oyo, est le directeur général adjoint de l’aval pétrolier de la SNPC, la société nationale des pétroles du Congo. En Angola, les enfants du président Eduardo dos Santos exercent eux aussi des responsabilités clés. À l’ainée Isabel, surnommée « la princesse » et considérée par le magazine Forbes comme la femme la plus riche d’Afrique, des participations dans de nombreuses entreprises angolaises et portugaises ; à son frère, José Filomeno, la gestion du fonds souverain angolais. Teodorin Obiang, régulièrement cité dans l’affaire des biens mal acquis est quant à lui ministre de la Défense et 2ème vice-président de la Guinée équatoriale.

 « Un clan a la main mise sur la banque centrale dans ces États. C’est leur porte-monnaie. Ils considèrent leurs pays comme leurs jardins. Les conflits d'intérêts sont patents, comme au Congo Brazzaville. La SNPC, la compagnie publique qui attribue et gère les contrats pétroliers, est présidée par Denis Gokana. Cette même personne est simultanément le fondateur de la principale entreprise privée pétrolière du pays, African Oil and Gas Corporation, qui signe des contrats avec l’Etat », dénonce encore Marc Guéniat.

Soigner la maladie

Alors quels remèdes pour faire face à cette redoutable maladie ?

Pour le chercheur suisse, la première et indispensable étape c’est la transparence : « des appels d’offres publics avec des critères clairs et précis, la publication de l’intégralité des comptes des sociétés pétrolières étatiques dont l’action est aujourd’hui complètement opaque. Pour l’instant, ce sont de véritables boites noires. Les comptes ne sont pas publiés et introuvables. Que penserait-on en France si des entités publiques comme la SNCF ne rendaient pas compte de leurs activités ?… ».

Pour progresser dans cette voie, la communauté internationale a lancé en 2003 l'Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), qui rassemble entreprises, ONG et États producteurs volontaires qui s’engagent à respecter des normes sur l’amélioration de la gouvernance des ressources naturelles. Mais les pays cités ici sont loin d’être exemplaires. Le Gabon a ainsi été radié de l’ITIE, parce qu’« aucun progrès significatif » n’y a été constaté. La Guinée équatoriale a posé sa candidature en 2007 mais n’a jamais pu devenir membre faute d’avoir rempli les critères d’admission. L’Angola n’a visiblement pas souhaité y prendre part. Seul le Congo-Brazzaville participe à l’ITIE, et des progrès notables y ont été relevés par la société civile, avec la publication in extremis par l’État du rapport 2013, le 31 décembre 2014, qui décrit les recettes tirées de la production pétrolière et leur place dans l’économie du pays. Une société civile qui ne manque pas toutefois de dénoncer l’opacité de certains contrats avec les nouveaux partenaires chinois notamment.  

À plus long terme, la solution passe aussi par une consolidation des contrepouvoirs et des institutions. Ainsi le pétrole récemment trouvé au Ghana pourrait bien profiter au pays selon les chercheurs Dominik Kopinski, Andrzej Polus et Wojciech Tycholiz[2], parce qu’après plusieurs alternances et une succession pacifique au pouvoir, la tradition démocratique y est solidement ancrée. L’économie ghanéenne diversifiée et une société civile vigilante, qui réclame un cadre juridique précis pour l’exploitation du pétrole, tendent aussi à préserver le pays de la maladie du pétrole.

Autre exemple régulièrement cité, le Botswana et sa gestion du diamant couronnée de succès. Le pays a bénéficié d’une stabilité institutionnelle, antérieure à l’exploitation du diamant, avec des responsables politiques bien décidés à privilégier l’intérêt national sur les intérêts tribaux. Puis les autorités ont fixé des règles claires comme le transfert à la puissance publique des droits des tribus à exploiter les concessions minières. Mais aussi l’adoption d’une gestion budgétaire prudente, qui interdit de financer les dépenses courantes de l’Etat avec la rente diamantaire.

La maladie des ressources naturelles n’est donc ni automatique ni incurable, assurent ainsi les experts de la Banque mondiale Alan Gelb et Sina Grasmann parce qu’on “on ne peut tenir les graine de pavot responsables de l’addiction à l’héroïne”[3]. « L’essentiel est de compléter les ressources naturelles par un capital humain est institutionnel suffisant », expliquent-ils un brin laconiques.

Utiliser la richesse pétrolière comme un levier de redistribution et d’investissement pour diversifier l’économie, et développer l’éducation et la santé : le défi apparaît aussi immense qu’indispensable pour des pays à la jeunesse nombreuse, avide de formations, d’emplois et d'opportunités, que le secteur pétrolier seul sera bien en peine de lui fournir.


[1] Ross, Michael L., What Have We Learned about the Resource Curse? (June 20, 2014). Disponible en ligne sur SSRN: http://ssrn.com/abstract=2342668

 

[2] Kopinski Dominik, Polus Andrzej et Tycholiz Wojciech, “Resource curse or resource disease? Oil in Ghana”, African Affairs, 112/449, 583–601

 

[3] Gelb Alan, Grasmann Sina, « Déjouer la malédiction pétrolière », Afrique contemporaine 1/ 2009 (n° 229), p. 87-135

URL: www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2009-1-page-87.htm.

 

L’Algérie, une économie rentière en danger (2)

Un fort taux de chômage et un fort taux d’inflation

La première revendication des jeunes Algériens est le travail. Les statistiques du Fmi montrent qu’ils étaient plus de 1,245 million à être au chômage en 2008, soit 13 % de la population active. En 2011, les prévisions tablaient sur un taux plus important à hauteur de 13,3 %.

À cela s’ajoute un taux d’inflation qui a connu en 2008 le niveau le plus élevé depuis le début de cette décennie (6,1 % au premier trimestre 2009). Il s’établit à 4,4 % en moyenne fin 2008, en hausse d’un point par rapport à fin 2007. L’augmentation de variation des indices des prix à la consommation est due essentiellement à l’accroissement des prix des produits alimentaires, dont la variation de l’indice a atteint 7,4 %, sous l’effet de la hausse des prix internationaux des produits alimentaires (+10,8 %) et des produits agricoles frais (+ 4,1 %).

Tableau (6) : Moyenne annuelle et glissement sur 12 mois de taux d’inflation (en %).

 

 
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
Moyenne annuelle
0,34
4,23
1,42
2,59
3,56
1,64
2,53
3,51
4,4
Glissement sur 12 mois
0,12
7,56
-1,55
3,96
1,98
1,66
4,44
3,86
5,8

Source : Banque d’Algérie 2009.

Les faibles investissements directs en Algérie

Même si l’économie nationale dispose d’énormes potentialités, les IDE en Algérie restent très faibles. Selon les statistiques du FMI, le maximum d’IDE nets en Algérie n’a pas dépassé les 1,8 milliard de dollars en 2006. La majorité des secteurs économiques ne bénéficient que de très peu d’IDE, sinon des investissements spéculatifs à court terme. Malgré les efforts pour attirer l’implantation des entreprises étrangères depuis le début du millénaire, l’Algérie n’est toujours pas un pays attractif. Cela est dû à des raisons multiples et complexes dont la plus importante reste la rude concurrence de la Tunisie et du Maroc qui attirent nettement plus d’IDE, favorisés par leur climat d’affaires, leurs législations commerciales et surtout la confiance des acteurs économiques dans la souplesse, la transparence et à la crédibilité de leurs systèmes administratifs par rapport au système algérien.

Un recours accru aux importations

En l’absence d’un fort taux d’investissement pour stimuler l’activité industrielle et créer des emplois, sans base productive qui peut répondre à une demande nationale de plus en plus forte et à une consommation en plein essor, l’Algérie ne peut que se tourner vers les importations pour couvrir la demande locale. Avec 2,5 % de valeur d’exportations hors hydrocarbures en 2008 le bilan du commerce extérieur est plus que catastrophique, tandis que ses exportations n’ont progressé que de 600 millions de dollars par rapport à 2007, date à laquelle leur valeur avoisinait 1,3 milliard de dollars.

Exprimés en dollar courant, les flux du commerce extérieur de marchandises fin décembre 2008 ont enregistré une progression des importations de 41,7 %. Ainsi, on note une hausse des flux à l’importation des biens d’équipements et des biens intermédiaires pour répondre aux besoins des grands projets d’infrastructures entrepris dans le cadre du programme complémentaire de soutien à la croissance. Sur la période 2005-2008, les importations de ces produits ont évolué comme suit :

Tableau (7) : Évolution des l’importation des biens (en milliards de dollars).

 

Importations
2005
2006
2007
2008
Biens intermédiaires
5,051
6,021
8,754
11,832
Biens d’équipements
8,612
8,624
8,680
13,196

Source : Ministère des finances 2009.

Dans l’ensemble, les importations ont connu une augmentation de 2052,45 % (en valeur nominale) depuis 1992. Au premier semestre de l’année 2009, elles ont enregistré une hausse de 4,04 % par rapport aux six premiers mois de 2008, soit un total de 19,70 milliards de dollars. En 2008, les importations de bien alimentaires et des biens de consommation ont évolué respectivement de + 5,7 % et + 4,0 % par rapport à 2007. 6,412 milliards de dollars pour les biens de consommation non alimentaires, dont 1,851 milliard de dollars consacrés aux achats des médicaments, en progression de 27,83 % par rapport à 2007. Mais le plus alarmant demeure la lourdeur de la facture alimentaire qui a représenté en 2008 près de 8 milliards de dollars.

Le recours aux importations des céréales, des huiles alimentaires, du sucre et de lait s’impose de jour en jour et de plus en plus pour couvrir les besoins de la population. Cette situation a fait augmenter le poids de la facture alimentaire, et nécessite un accroissement constant des ressources en devises consacrées à la satisfaction de la demande locale : 1 milliard de dollars dans les années 1970, 2 milliards dans les années 1980, 2,5 milliards dans les années 1990, 3 milliards de dollars en 2005. Au cours des dix premiers mois de l’année 2010, la facture alimentaire de l’Algérie a atteint les 4,89 milliards de dollars, soit une baisse de 15,68 % par rapport à 2009 pour un montant de 5,8 milliards de dollars, loin du record de 2008 où elle avait atteint les 7,716 milliards de dollars (4,954 milliards de dollars en 2007). En 2010, la facture des céréales a enregistré une baisse insignifiante par rapport à celle de 2009 où elle avait atteint les 2,34 milliards de dollars en baisse de près de 41 % par rapport à 2008 (3,967 milliards de dollars en 2008 et 1,987 milliards de dollars en 2007).

Graphique (1) : Évolution des importations et des exportations de 1992 à 2008.
En millions de $ (prix courant) 
 
Source : Office national des statistiques (2009).

Les menaces sur un modèle économique en déperdition

Le modèle économique rentier appliqué dans le pays depuis l’indépendance est toujours en vigueur. Pourtant, nombreux sont ceux qui ont appelé à revoir cette stratégie qui se base sur l’exploitation extrêmement risquée d’une ressource non renouvelable dont le tarissement est établi à moyen terme. Cela rend les perspectives de l’économie plus que sombres et fait du pétrole un cadeau empoisonné pour l’Algérie. En effet, alors que la rente pétrolière représente près de 50 % du PIB, alors que les recettes des exportations constituent plus de 98 % des entrées totales des devises, alors qu’environ 70 % des recettes fiscales de l’État sont issues de ce secteur, les niveaux des réserves prouvées (ressources non exploitées) sont pour le moins, très moyens.

Les statistiques indiquent que les niveaux des réserves prouvées en 2008 sont de l’ordre de 12,2 milliards de barils, soit 0,926 % des réserves mondiales prouvées du pétrole, ce qui classe l’Algérie en 2008 au 16e rang mondial. À partir de ces chiffres, et au rythme actuel d’extraction, le pays peut encore produire pendant 16 ans, ce qui pose un problème de validité du système de financement de l’économie nationale à long terme. En revanche, la situation est meilleure pour ce qui concerne les réserves du gaz naturel. Avec plus de 161,740 billions de pieds cube (4 576,5 milliards de m³), soit 2,641 % des réserves mondiales prouvées du gaz naturel en 2008, l’Algérie occupe le 8e rang mondial. À partir de ces chiffres, l’Algérie peut assurer son rythme de production pour un demi-siècle encore.

Certes, ces réserves constituent une rente importante qui pourrait garantir des ressources financières futures pour le financement de l’économie, mais hélas, elles demeurent très insuffisantes par rapport aux défis futurs. Une nouvelle source financière doit être trouvée afin de sortir l’économie algérienne de son système rentier et en finir avec son statut d’économie mono-exportatrice qui se base exclusivement sur l’exploitation risquée d’une ressource naturelle épuisable et non renouvelable. L’Algérie souffre toujours de ce que max Corden nommait dans les années 1980, le « Dutch disease » qui se traduit par un ensemble de phénomènes complexes qui handicapent les secteurs manufacturiers et la croissance d’une économie, suite à l’exploitation d’une matière première (ce fut le cas également en Grande-Bretagne, en Norvège, au Pays bas, au Mexique et dans les pays du Golfe).

Cela entraîne, selon ladite théorie, un effet de dépense qui se manifeste sur le marché des biens et le marché des facteurs. Depuis l’indépendance et jusqu’aujourd’hui, la rente continuede financer l’économie algérienne. De 2009 à 2014, le pays envisage de dépenser un montant de 280 milliards de dollars dans sa stratégie de développement nationale. Alors que les conditions nécessaires pour un développement économique conséquent et durable ne sont pas satisfaites, le pays risque de se retrouver confronté aux mêmes défis et inquiétudes que par le passé. Les fondamentaux de développement économique en Algérie sont absents :

  • L’absence d’institutions efficaces ou ce que Douglass North (Prix Nobel 1993) appelait dans son livre « Institutions, Institutional Change and Economic Performance » une condition primordiale pour le bon encadrement de l’économie. En Algérie, la Cour des comptes, l’Inspection des douanes, le Parlement sont des institutions de contrôle étatique qui ne remplissent pas correctement leurs rôles.
  • L’absence d’un capital humain ou ce qu’Amartya Sen (Prix Nobel 1998) appelait une des conditions de développement d’une nation. Le pays ne dispose pas d’une élite capable d’entraîner un changement politique ou économique. Le pays est toujours tributaire et dépend entièrement des entreprises étrangères pour la réalisation des projets. Comme le rappelle Luis Martinez dans son livre Violence de la rente pétrolière[20], l’Algérie n’a ni les moyens ni les outils, les idées ou les ressources humaines pour mettre en œuvre une stratégie de diversification économique. En définitive, le pays achète son développement au lieu de le bâtir.
  • L’absence de la perspective économique et la vision stratégique de l’État à long terme afin de réaliser le développement de la nation. Joseph Stiglitz (Prix Nobel 2001) rappelle que le développement est une tâche difficile et complexe en même temps, cependant la tâche des pays en développement est, en un sens plus facile que celle de l’Europe et des États-Unis dans le passé, il s’agit aujourd’hui de rattraper et non pas de progresser en territoire inconnu. Dans ce cadre, n’est-il pas important que l’Algérie bénéficie de l’expérience empirique des États pétroliers dont le développement l’a précédé ? La Norvège par exemple a placé ses rentes pétrolières dans le fonds souverain « Governement Pension Fund-Global » pour pouvoir développer l’économie locale, tandis que le Koweït a adopté une politique équivalente de création de fonds et de diversification de l’économie. La Malaisie quant à elle a su, grâce à sa rente pétrolière, mettre en œuvre une stratégie de développement de son système éducatif et de santé afin de doter le pays des outils pour asseoir sa politique de développement.

Quelle politique pour quel objectif de l’avenir ?

Face à l’actualité, face à l’incertitude de l’économie algérienne même à court terme, il est plus que nécessaire de repenser un modèle de développement permettant de réussir une réelle transition vers l’économie du marché, édifier une croissance libérée de la dépendance aux hydrocarbures et de l’emprise de la volatilité de leurs prix et effacer les avatars d’une politique de développement jusque-là quasi chimérique. Une occasion de redresser l’économie par l’exécution de profondes transformations structurelles qui engendreront de l’emploi à long terme.

À défaut d’une nouvelle alternative qui prendra en charge les préoccupations économiques et sociales de la population et celles des jeunes en particulier, la situation en Algérie risque de s’embraser dans un futur très proche comme ce fut le cas en Tunisie, en Égypte et en Libye. Il est plus qu’urgent d’accentuer les efforts pour assurer un avenir florissant et un développement durable et solidaire pour le pays. L’application d’une vraie stratégie de développement est plus qu’indispensable. Un développement qui doit s’effectuer dans tous les secteurs en même temps au prix de lourds investissements au profit des jeunes Algériens, afin de résorber d’une manière efficace le chômage et aider à réaliser une croissance rapide assurant la réussite d’une transition d’économie rentière à une économie productive répondant ainsi aux besoins de la population algérienne, ainsi qu’à ceux des générations futures.

 

Mohamed Chabane, article initialement paru sur Revue Averroès

L’Algérie, une économie rentière en danger (1)

Les dernières années ont été plutôt fastes pour l'Algérie qui a connu des évolutions favorables pour ses principaux équilibres macro-économiques et financiers. En 2008, le produit intérieur brut (PIB) en volume a connu un taux de croissance de 2,4 %. Sa valeur (en terme nominal) est passée de 135,3 milliards de dollars à plus de 162,9 milliards de dollars, aboutissant à un PIB par habitant de près de 4 681 dollars par an. Avec près de 80 milliards de dollars d’exportations, l’Algérie a réalisé un excédent commercial de 39,983 milliards de dollars, contre 32,898 milliards de dollars en 2007, soit une augmentation de 21,53 % de la balance commerciale et de 30,48 % des exportations en valeur. Les réserves de change qui avaient franchi la barre des 110 milliards de dollars en 2007 (110,2 milliards en fin d’année) s’établissaient fin 2008 à 143,1 milliards de dollars, soit une augmentation de près d’un tiers (29,85 %) par rapport aux douze derniers mois. L’évolution des réserves de change à ce rythme représente une couverture d’importations de plus de deux ans et demi après avoir été d’un an et demi seulement en 2003, comme nous pouvons le constater dans le tableau (1).

Tableau (1) : Couverture des réserves de change en mois d’importation[3].
Indicateurs
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
En mois d’importations n+1 (fab)
18,1
21,0
26,5
28,0
27,4
31,0
38

Source: IMF Country Report No.11/40, February 2011.

La balance des paiements a enregistré en 2008 un excédent global de 37 milliards de dollars, contre 29,6 milliards de dollars en 2007. Le solde de compte courant s’est établi en 2008 à 35,2 milliards de dollars.

Le niveau de la fiscalité pétrolière budgétisée est passé de 14,296 milliards de dollars à 26,391 milliards de dollars entre la loi des finances initiale 2008 (LFI 08) et complémentaire de 2008 (LFC 08), soit une progression de 76,8 %, sous l’effet de la révision à la hausse du prix de référence fiscal du baril de pétrole brut qui est passé de 19 dollars/baril à 37 dollars/baril. Par ailleurs, les disponibilités du fond de régulation des recettes (FRR) [4] ont atteint, au 31 décembre 2008, un montant de 65,847 milliards de dollars. Une richesse conjoncturelle qui est le produit conjugué de l’accroissement des exportations et l’augmentation des prix des hydrocarbures qui rendent l’économie nationale plus que fragile. La politique de l’État, les projets, les prévisions, le financement du budget, les décisions, les importations (alimentations, médicaments), les plans sont paramétrés par les ressources des hydrocarbures.

Une économie rentière et fortement dépendante

En effet, l’analyse de la structure de l’économie algérienne démontre une forte dépendance à la rente pétrolière. Le secteur des hydrocarbures est par excellence le pilier de l’économie locale. Son apport au PIB en 2008 a atteint près de 50 % et sa contribution en valeur ajoutée avoisinait les 77 milliards de dollars. L’aisance financière que connait l’Algérie aujourd’hui est exclusivement l’œuvre de ce secteur. Elle est strictement liée à deux facteurs essentiels : l’envolée des cours des hydrocarbures et l’augmentation des volumes d’exportations depuis 2002. Les hydrocarbures représentent la majorité des exportations des biens et de marchandises. Ils restent également la source principale des ressources en devises. 77,246 milliards de dollars des 79,139 milliards de dollars des exportations de marchandises proviennent des hydrocarbures, soit plus de 97,6 % de la valeur des exportations en 2008.

Les exportations d’hydrocarbures ont connu une augmentation de plus de 30,5 % en valeur par rapport à l’année 2007, grâce à l’accroissement du prix du baril de pétrole qui a connu une augmentation de plus d’un tiers par rapport à son prix en 2007, où il se situait à 74,4 dollars le baril pour atteindre 99,1 dollars en moyenne, et cela en dépit de la baisse de la production du secteur qui a enregistré un recul de 3,3 % en un an. Le secteur des hydrocarbures en 2008 a enregistré pour la troisième année consécutive, une baisse en volume de sa production : -2,3 % en 2008, – 0,9 % en 2007 et – 2,5 % en 2006. Cette diminution est due essentiellement au recul de la production du pétrole brut de – 4 %. Ceci a induit un repli du volume des exportations qui a connu une baisse de 3,3 % entre 2007 et 2008.

La production primaire d’hydrocarbures pour l’année 2007 s’est élevée à 233,3 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP). Le bilan par produits fait ressortir des productions de 63,8 millions de tonnes de pétrole brut, 152,8 milliards de m³ de gaz naturel, 13,7 millions de tonnes de condensat, 8,6 millions de tonnes de gaz du pétrole liquéfié (GPL) et 40 millions de m³ de gaz naturel liquéfié (GNL), d’après les statistiques de la Sonatrach [5] (rapport annuel d’activité, année 2007). Les productions et les exportations du gaz naturel ont enregistré quant à elles une quasi-stagnation depuis plus de 3 ans, en partie à cause de la crise économique mondiale. Même si ces chiffres indiquent une certaine « santé financière [6] » et une renaissance de l’économie après la crise de 1986 [7] et l’application du Plan d’ajustement structurel (PAS) en 1994, l’économie demeure néanmoins fortement dépendante aux prix des hydrocarbures[8], peu diversifiée avec des résultats dérisoires et une croissance artificielle sans réel développement, se qui accroît son caractère fébrile et vulnérable. À cette faiblesse structurelle de l’économie nationale s’ajoute l’inefficacité des autres secteurs qui fonctionnent au ralenti.

Une agriculture qui fonctionne au ralenti…

Le bilan que nous pouvons faire de l’état du secteur agricole en Algérie après près d’un demi-siècle d’indépendance ne peut être positif. Un retard de développement de l’activité est constaté. Une dépendance accrue aux importations étrangères s’est dangereusement manifestée. Le secteur agricole dans le pays s’est révélé une victime collatérale de la stratégie du développement poursuivie par l’État durant les années du « socialisme ». L’avenir de l’agriculture semble en grande partie compromis. Même les nouveaux dispositifs visant à développer le secteur se heurtent à un blocus d’obstacles qui risquent de les entraver.

Alors que l’agriculture profitait d’une position privilégiée à l’époque coloniale, où elle fut l’activité qui bénéficiait le plus des subventions de l’État et jouissait des attentions des autorités publiques grâce à une politique agricole efficace, elle s’est vu reléguée à un second plan après l’indépendance, faisant les frais d’un choix de développement « peu réfléchi » qui a favorisé l’activité industrielle au prix de lourds investissements à travers la stratégie des « industries industrialisantes » [9]. De l’autogestion au socialisme agraire révolutionnaire et aux plans de libéralisations imposées par les institutions financières internationales, l’activité agricole en Algérie a servi de champs d’expériences pour les « idiologies » de technocrates campant dans les bureaux de l’administration centrale.

Les résultats décevants de l’agriculture depuis l’indépendance ne sauraient s’expliquer uniquement par l’héritage colonial qui a, certes, bouleversé à jamais la structure rurale en particulier pour le foncier agricole, qui demeure aussi complexe que problématique[10], mais aussi, par la création d’un dualisme de deux secteurs agricoles (traditionnel et moderne) qui subsiste jusqu’à nos jours. Elles ne sauraient s’expliquer uniquement par des causes naturelles et climatiques. Les réformes perpétuelles et les réaménagements persistants, les modes d’organisation et les mutations, souvent à caractères bureaucratiques liés notamment au statut de la terre, à son mode d’exploitation et à la distorsion considérable dans l’allocation des ressources sont parmi les éléments responsables de la situation du secteur aujourd’hui. Malgré une relative amélioration des indices globaux, l’activité demeure déficitaire et est loin de satisfaire la demande locale même si sa contribution au Pib est en croissance (11,086 milliards de dollars 2008 contre 10,152 milliards de dollars en 2007) comme nous le constatons dans le tableau (2).

Tableau (2) : Contribution sectorielle de l’agriculture dans le PIB à prix courants.
 
2003
2004
2005
2006
2007
2008
Contribution de l’agriculture au PIB
6,660
8,032
7,901
8,805
10,153
11,087
Part de l’agriculture dans le PIB
9,80 %
9,40 %
7,70 %
7,60 %
7,60 %
6,50 %

 Source: IMF Country Report No.11/40, February 2011.

L’analyse de la situation du secteur indique qu’il est toujours sujet à d’interminables restructurations et de réaménagements infinis, perpétuant ainsi l’altération d’un secteur déjà en grande difficulté, loin d’assurer son activité productive. L’étude des niveaux de production ainsi que l’examen de la balance commerciale agricole confirment ce constat. Le secteur est confronté depuis l’indépendance à une multitude de problèmes de tout ordre : techniques, financiers et humains. Ce secteur, qui a contribué fortement à la croissance économique dans le passé, en matière de production et d’absorption de la main-d’œuvre, n’assure aujourd’hui que partiellement la couverture des besoins en produits alimentaires de base (tableau 3) :

Tableau (3) : Taux de couverture de la production nationale par rapport à la demande :
Produit
Blé
Légumes secs
Pomme de terre
Viande rouge et blanche
Lait
Taux moyen
24,0 %
12,9 %
61,7 %
88,2 %
47,4 %

 

 

Source : D’après nos propres calculs à partir des différentes statistiques.

En 2008, la production agricole a enregistré une baisse en volume de près de 5,3 % par rapport à celle de 2007. Cette baisse est la conséquence d’un recul de la production végétale de l’ordre de 10 % due à une réduction importante des niveaux de production céréalière de l’ordre de 60 % (de 40,2 millions de quintaux en moyenne pour la période 2003-2007 à 17 millions en 2008) et près de 18 % de légumes secs par rapport à la même période (ministère de l’Agriculture et du Développement rural). Cette situation a obligé l’État à se tourner vers les importations afin de combler le déficit. Ainsi, les importations alimentaires ont connu un accroissement en volume de l’ordre de 5,7 % par rapport à 2007 (augmentation de 21,7 % pour les produits laitiers, 100,55 % pour les céréales).

Une industrie en mal de développement

Durant les années 1970, dans le modèle algérien de développement, le processus d’industrialisation a été orienté vers l’implantation prioritaire d’industries de base et, par conséquent, dissocié de la demande existante tant sur le marché national que le marché international. De plus, l’investissement dans sa presque totalité devait être destiné aux « industries industrialisantes », qui recouvraient dans le cadre de l’économie industrielle algérienne un rôle primordial. Il allait ainsi en priorité aux secteurs des hydrocarbures, de la pétrochimie, de la sidérurgie et de la mécanique qui sont les « industries industrialisantes »[11].

Dès lors, une économie rentière basée essentiellement sur les industries pétrolières s’est mise en place. La prérogative accordée au secteur industriel se traduisait par une importante accumulation des fonds résultant d’un taux très élevé des investissements. Un taux d’investissement sans précédent dans l’industrie s’est développé au détriment du secteur agricole, délaissé et défavorisé en termes d’investissement. Aujourd’hui, en dépit d’un taux de croissance de l’ordre de 4,3 % en 2008, la contribution de la production du secteur industriel hors hydrocarbures à la formation du produit intérieur brut demeure très marginale en comparaison avec les pays voisins comme le Maroc ou la Tunisie.

La Tunisie est le premier exportateur industriel en valeur absolue en Afrique. Le textile et l’agroalimentaire représentent plus de la moitié de sa production. Les industries mécaniques et électriques se multiplient d’une année à l’autre. Les échanges commerciaux de la Tunisie connaissent une forte progression, +21,8 % à l’exportation et +23,7 % à l’importation entre 2007 et 2008. La filière mécanique, électrique et électronique occupe une place croissante dans ces échanges. Il en va de même au Maroc, où les industries des différentes branches manufacturières, du textile (42 % de l’emploi et 34 % du secteur manufacturier), de l’agroalimentaire, de l’industrie navale, pharmaceutique et automobile et même aéronautique, se développent.

Une des raisons essentielles de la décadence de l’activité industrielle en Algérie est le sous-investissement qui a marqué le secteur depuis une trentaine d’années, contrairement à la période post-indépendance qui s’est caractérisée par des investissements gigantesques.

Tableau (4) : Indice général de la production industrielle hors hydrocarbures (1989 = 100)
Année
2003
2004
2005
2006
2007
Indice (base 1989 = 100)
73,8
73,8
74,6
74,4
72 

Source : Fond Monétaire International. 

La part du secteur industriel dans le PIB chute de 5 % en 2007 à 4,39 % en 2008, mais représente une augmentation en valeur nominale d’un peu moins de 310 millions de dollars. Cet accroissement est le fruit d’une augmentation dans le secteur de l’énergie, des mines, de la chimie et de l’industrie agroalimentaire, malgré une baisse dans les secteurs des matériaux de construction, des textiles, du cuir et du bois comme nous constatons à travers le tableau (5).

Tableau (5) : Taux de croissance dans les secteurs industriels hors hydrocarbures.
Bois
Chimie
Cuir
Énergie
Mines et carrières
IAA
Textiles
-11,90 %
2,50 %
-1,20 %
7,90 %
9,80 %
6,80 %
-1,10 %

Source: IMF Country Report No. 09/111, Algeria: Statistical Appendix, April 2009.

Cette situation intervient alors que l’État a consacré un niveau important de ressources aux investissements, hélas, mal gérées.

Inefficacité des dépenses publiques…

Après la décennie noire des années 1990, une nouvelle perspective économique s’est mise en marche, propulsée par le programme du Président A. Bouteflika. L’Algérie a profité depuis son élection d’une conjoncture financière particulièrement favorable, suite au vif redressement du marché pétrolier et à l’affermissement des prix du baril du pétrole qui a alors atteint plus de 34 dollars le baril, soit, un triplement de prix par rapport à celui de 1998 (10 dollars/baril en moyenne durant l’année 1998).

Le début de la période de présidence de A. Bouteflika s’est caractérisé par le lancement du Programme de soutien et de relance économique (PSRE) d’un montant de 7 milliards de dollars sur la période de 2000 à 2004, suivi du Programme complémentaire de soutien à la croissance (PCSC[12]) et de la mise en œuvre des grands projets d’investissements productifs et d’infrastructures publiques, pour une enveloppe globale de 55 milliards de dollars sur la période de 2005 à 2009, soit, en moyenne, quelque 11 milliards de dollars par an. Les plus importants de ces projets concernaient particulièrement les infrastructures : achèvement des travaux de l’aéroport d’Alger, lancement de la construction de l’autoroute Est-Ouest, édifice de nouveaux logements sociaux dans le cadre du projet d’un million de logements sociaux, etc. En dépit de ce fort taux d’investissement et l’accroissement de la dépense publique mobilisée pour la réalisation de ces grands projets d’infrastructure et l’accomplissement des programmes de soutien à la croissance, les résultats ne suivent pas !

D’après le rapport du FMI d’octobre 2009, malgré une dépense publique de 200 milliards de dollars, l’Algérie n’aura un taux de croissance que de 2,1 % en 2009 et un peu plus de 3 % en 2010. Résultat, l’indice de développement humain (IDH) de l’Algérie se voit dégradé dans le rapport du PNUD d’octobre 2009 de la 100e place en 2008 à la 104e place en 2009. Ces prévisions remettent directement en cause les anticipations gouvernementales qui concernent la création de 3 millions d’emplois entre 2009 et 2013. La création de ces emplois nécessiterait en effet au minimum un taux de croissance de 6 à 7 % sur cinq ans, ce qui est, selon les évaluations du FMI dans les conditions actuelles, tout simplement « une impossibilité économique ».

 

Mohamed Chabane, article initialement paru chez notre partenaire Revue Averroès


 

[1] Certains observateurs de la scène politique algérienne ne soutiennent pas la thèse de la spontanéité des événements d’octobre 1988. Ils estiment que le discours de président Bendjedid prononcé au palais des Nations le 19 septembre 1988 a mis le feu au poudre.

[2] Harrâga est un terme qui est utilisé pour décrire les migrants clandestins qui prennent le large de la Méditerranée depuis les côtes Sud pour rejoindre les côtes européennes en utilisant des embarcations de fortune, des barques et des radeaux d’un autre temps. Signifiant « ceux qui brulent », le nom Harrâga leur a été attribué car ils brulent leurs papiers d’identité avant leur départ.

[3] Le temps de couverture d’importations est une mesure utilisée afin d’évaluer le montant des réserves de change d’un pays par rapport à ses besoins en importations.

[4] Qui constituent le réceptacle du différentiel entre le produit de la fiscalité pétrolière recouvré et le produit de la fiscalité pétrolière budgétisé.

[5] Société Nationale pour la Recherche, la Production, le Transport, la Transformation, et la Commercialisation des Hydrocarbures. La Sonatrach s’est développée comme grande compagnie nationale chargée de prospecter et de commercialiser le pétrole après la nationalisation du pétrole et du gaz algérien le 24 février 1971 suite à la « décolonisation pétrolifère » du Président Boumediene qui a créé durant ces années plus de soixante-dix sociétés nationales, bouleversant ainsi le tissu économique algérien.

[6] Cette aisance financière n’est certainement pas durable puisqu’elle est la conséquence de la volatilité des prix du pétrole. Les données statistiques indiquent que la baisse du prix du pétrole à 50 dollars en moyenne a causé une perte de près de 17 milliards de dollars entre le premier semestre 2008 et le premier semestre 2009.

[7] Tout événement qui ébranlera la demande internationale ou engendrera une faiblesse durable des prix du pétrole se traduirait par un fort amenuisement des gains à l’exportation et aura des conséquences graves sur l’économie, similaires à celles de 1986. La crise de 1986 avait donné l’occasion d’appréhender les inconvénients d’une politique économique axée sur la rente. Après l’écroulement des prix des hydrocarbures (chute de près de 40 % des prix du pétrole entre 1985 et 1986) dont la production constituait 28 % du PIB en 1984, 98 % des exportations totales, 43 % des ressources de l’État pour la même année, et face à la dépréciation du dollar américain, principale monnaie des transactions pétrolières, l’État algérien voit son malheur amplifié par l’avènement et la combinaison de plusieurs crises.

[8] Les incertitudes concernant l’évolution des prix du pétrole constituent un des facteurs du risque les plus élevés. La chute des prix du pétrole de l’été 2008 à décembre 2008 confirme sans ambigüité qu’une économie rentière est une économie à risque sans possibilité d’anticipation, privée de conjectures sûres. Les prévisions des prix des hydrocarbures se basent sur un marché irrationnel, à une très forte volatilité et une instabilité même à court terme. Les cours pour le moyen et le long terme sont encore plus difficiles à déterminer. Les pressions spéculatives, les déséquilibres régionaux de l’offre, les tensions géopolitiques et l’incertitude résultant de l’instabilité politique au Moyen-Orient ainsi que les possibilités de rupture des approvisionnements dans d’autres pays producteurs, ajoutent à l’instabilité du prix du pétrole une autre particularité à risque.

[9] Dans un contexte économique et politique difficile, l’Algérie a fait le choix de son modèle de développement, en voulant éviter les pièges des autres politiques de développement dans les pays du tiers monde, récemment indépendants. Le modèle de développement suivi s’est caractérisé par une forte planification centralisée de type soviétique. La stratégie algérienne de développement basée essentiellement sur l’industrialisation, avait choisi en effet, de privilégier l’industrie lourde au prix de colossaux investissements matériels, supposés entraîner l’industrie légère en aval. C’est le cœur de la théorie des « industries industrialisantes ».

[10] Complexe par l’absence d’une politique clairement énoncée et problématique par la présence d’une situation où les forces qui façonnent habituellement le marché ont des stratégies, des comportements et des pratiques qui entraînent une situation délétère rendant délicat l’accès au foncier.

[11] Gérard Destanne de Bernis (un des principaux conseillers économiques de Président Houari Boumediene), qui s’est inspiré des idées de la théorie des pôles de croissance, des industries motrices et des effets d’entraînement de François Perroux, définit les industries industrialisantes comme suit : « Ce groupe d’industries dont la fonction économique fondamentale est d’entrainer dans son environnement localisé et daté un noircissement systématique ou une modification structurelle de la matrice inter-industrielle et des transformations des fonctions de production, grâce à la mise à la disposition de l’entière économie d’ensembles de nouvelles machines qui accroissent la productivité de l’un des facteurs ou la productivité globale et, en tout cas, un accroissement de la maîtrise de l’homme sur sa production et son produit. Ces transformations induisent, à leur tour, une restructuration économique et sociale et une transformation des fonctions de comportement dans l’ensemble considéré, la rénovation des structures sociales constituant à la fois et tour à tour une condition et une conséquence du processus d’industrialisation. » (Destanne de Bernis G., Les industries industrialisantes et les options algériennes, in Tiers-Monde, 1971, tome 12 n°47, p. 547).

[12] Le financement du PCSC, qui vise l’amélioration des conditions de vie des citoyens (45,4 %), le développement des infrastructures de base (40,5 %), l’appui au développement économique (8,0 %), la modernisation des services publics (4,9 %) et le développement des nouvelles technologies de communication (1,2 %), est évalué à près de 155 milliards de dollars sur la période allant de 2005 à 2009. Ainsi, le coefficient d’investissement public supérieur à 10 % du PIB, prévu dans le cadre du PCSC, classait l’Algérie parmi les pays où le niveau d’investissement est le plus élevé au monde. Selon la Banque mondiale, ce taux est particulièrement haut par rapport à la moyenne dans les pays de l’OCDE de moins de 4 % du PIB, moins de 5 % en Amérique latine, et moins de 8 % dans les pays asiatiques.

Qui sauvera le Ghana de son pétrole?

La découverte en 2007 de riches nappes pétrolières au large des côtes ghanéennes a fait naître simultanément une formidable vague d’espoir dans ce pays et de profondes inquiétudes quant à l’impact que ces ressources pourraient avoir sur le tissu social et politique national et sous régional. Le fait est que dans cette démocratie fortement polarisée et dominée par l’exécutif, le spectre des coups d’états militaires passés n’est pas loin. Les expériences calamiteuses du Nigéria, du Tchad ou de la Sierra Leone sont là qui font craindre une nouvelle malédiction de l’abondance en ressources naturelles. La question est posée : le Ghana sera-t-il un autre Nigéria ou le Botswana de l’Afrique Occidentale ?
 
Selon le FMI, la production du site pétrolier du « Cape Three Points » (rebaptisé pompeusement « Jubilee ») devrait atteindre très rapidement 100.000 barils par jour et rapporter à l’état ghanéen 20 milliards de dollars sur la période 2012-2030. Ransford Edward Van Gyampo, un universitaire Ghanéen, dans « Saving Ghana from Its Oil: A Critical Assessment of Preparations, so Far Made » paru dans le dernier numéro de la revue « Africa Today » (Juin 2011), expose la façon dont ce pays se prépare à la gestion de sa future manne pétrolière, et les conclusions qu’il en tire sont alarmantes.
Les canaux par lesquels la découverte et l’exploitation de ressources naturelles inespérées peuvent nuire à la stabilité politique d’un pays sont les suivants :
  • ·         Ces ressources peuvent permettre à un pouvoir dominateur ou autoritaire d’ « acheter » le soutien populaire et de faire taire les dissidents
  • ·         L’avantage prodigieux qu’elles accordent au parti au pouvoir (liberté fiscale et budgétaire) peut l’inciter à le conserver par tous les moyens, quitte à marginaliser et réprimer l’opposition
  • ·         L’appât du gain peut générer un conflit armé et mener à la mise en place d’une dictature militaire.
Contrer ces effets négatifs exige l’établissement d’une véritable politique énergétique nationale, qui soit conforme aux normes et bonnes pratiques internationales en matière de gouvernance, de régulation et d’indépendance. Les gouvernements ghanéens depuis 2007 ne semblent pas prêts à le faire.
 
Un forum organisé en Février 2008 censé servir de base à la construction d’une telle politique a été l’occasion d’une marginalisation de l’opposition (alors le New Democratic Party) et des organisations de la société civile par le régime en place (celui du New Patriotic Party de John Kufuor). Plus grave encore, les projets de loi devant instaurer cette politique ont été élaborés, essentiellement, par le cabinet du Président, rendant impossible toute solution de continuité en cas d’alternance. Lorsque celle-ci survint en 2008, le gouvernement de John Atta Mills (NDP) se trouva face à dilemme de l’adoption d’une politique énergétique à la construction de laquelle il n’avait pas été associé ou à la redéfinition totale de celle-ci, à quelques mois à peine du début de l’exploitation pétrolière.
 
Ces projets ne sont toujours pas adoptés. Le nouveau gouvernement a initialement  prévu de reformuler complètement sa politique énergétique (gaz, pétrole, etc.) et d’instaurer un régulateur indépendant chargé de superviser ces entrées nouvelles. Des pressions internes au parti l’ont conduit à repousser, sine die, la création de cet organe. La production du « Jubilee » a débuté en décembre 2010, sans que la politique énergétique ni le cadre légal et réglementaire censés en assurer l’encadrement ne soient mis en place. Un autre projet du gouvernement était de modifier l’objectif global de la politique, qui sous l’ancien gouvernement était celui, assez basique et statique, de faire du Ghana un exportateur net de pétrole. L’idée était d’inclure l’obligation d’autochtonisation des connaissances, du savoir-faire et de l’expertise nécessaires à la production pétrolière. Ce projet est jusqu’à présent en stand-by.
 
Parmi les autres écueils l’auteur identifie la faiblesse du parlement, miné par les oppositions partisanes et le manque de moyens logistiques qui renforce la concentration de la planification et de la prise de décision au sein du pouvoir exécutif. Ce dernier est de plus, le seul à attribuer les licences d’exploitation. La société civile est tenue à distance. Sous le gouvernement précédent, comme sous celui de Mills, seule une poignée d’ONG ont été conviées aux travaux préparatoires. L’opposition n’y étant même pas représentée.
 
L’insistance d’investisseurs chinois à financer l’acquisition par le gouvernement de nouvelles actions au sein du la société d’exploitation du site – qui explique la reluctance de la société Kosmos à les céder – inquiète autant les organismes internationaux (Banque Mondiale, FMI) que la société civile qui – et c’est exceptionnel au Ghana – à applaudit les conditions imposées par la Banque mondiale au prêt accordé en 2009 au gouvernement Mills et dont le versement de la seconde tranche a été bloqué du fait de la lenteur des procédures législatives (adoption de la politique budgétaire).
 
Les atermoiements et revirements du pouvoir exécutif ghanéen, le silence du parlement, l’inexistence du parlement, le manque de transparence et l’opacité dans lesquels la politique énergétique du pays est mise en place font craindre une évolution nigériane de l’exploitation pétrolière au Ghana. Ce qui pourrait porter un coup décisif à ce qui constitue la meilleure expérience démocratique des deux dernières décennies en Afrique occidentale.
 
Joël Té Léssia

L’Afrique: nouvelle « Arabie » des Etats Unis (2ème partie)

 A priori et sans pour autant être négligée, l’Afrique a toujours semblé une région en marge dans la politique étrangère des Etats-Unis. En conséquence de quoi entre 1945 et 1990, le continent africain ne constituait guère plus, aux yeux des Américains, qu’un terrain d’affrontement avec le bloc soviétique; ce fut une région, parmi d’autres, où s’appliquait la politique du Containment. Il ne s’agissait donc pas à proprement parler de politique africaine de Washington mais d’une simple politique anti Kremlin.


Avec l’effondrement du bloc communiste au début de la décennie 1990, l’enjeu géopolitique va progressivement perdre du terrain au profit de l’enjeu économique, mais avec là encore quelques hésitations. De 1990 à 2001, La politique de Washington semble d’abord en retrait, chancelante et sans principes directeurs. Dans la première moitié de cette période, le gouvernement américain hésite à s’impliquer dans les problèmes du continent. Mais dans la seconde phase de la décennie, les Etats-Unis définissent une nouvelle stratégie axée sur la progression des positions économiques américaines en Afrique. Ainsi, en 1996, B. Clinton réoriente les priorités diplomatiques générales du pays, accordant une primauté de l’économique sur le militaire, conformément à une vision du «Trade, not Aid ». 


B. Clinton va ainsi jeter les bases de ce qui va constituer la ligne directrice d’une véritable politique africaine de Washington. Mais c’est véritablement sous l’ère Bush que l’Afrique prend une nouvelle dimension. A partir de 2001, l’accent fut mis sur la lutte contre le terrorisme islamiste moyen-oriental, la recherche de la stabilité régionale et enfin la garantie des approvisionnements pétroliers afin de réduire la dépendance énergétique des Etats-Unis à l’égard du Moyen Orient notamment.

 

Pourquoi l’Afrique ?

Selon le BP Statical Review of World Energy[1], l’Afrique détenait en fin 2004 112,2 milliards de barils de réserves prouvées. Cela représente 9,4% des réserves mondiales[2].

Cependant, comparativement à des régions comme le Moyen Orient où se concentre 66% des réserves mondiales, ces chiffres peuvent paraître peu significatifs à première vue. Mais ce serait ne pas savoir qu’une large partie de ces réserves sont encore inexploitées. « En 2001 déjà, sur 8 milliards de barils de réserves découvertes dans le monde, 7 l’ont été en Afrique […] »[3]. On comprend dés lors pourquoi la question du pétrole a été inscrite parmi les priorités de la politique africaine outre atlantique. Pour beaucoup d’analystes, les  opportunités d’expansion sont en effet immenses. Pour preuve, le seul golfe de Guinée, qui comptait déjà 24 milliards de barils de réserves en 2003, devrait devenir à terme le premier pôle mondial de production en offshore très profond[4].
Cela fait que le continent occupe désormais une place importante dans la géopolitique énergétique et notamment pétrolière mondiale.

Aujourd’hui, l’Afrique assure 11,4% de la production pétrolière internationale et avec les importantes découvertes de gisements inexploités, ce chiffre est amené à croître dans les années à venir. Par ailleurs, entre 1990 et 2004, la production du continent a augmenté de 40% passant de 7 à 10 millions de barils par jours. Selon les premières estimations pour la période allant de 2004 à 2010, cette production aurait augmenté de 50%[5].

L’Afrique suscite donc les convoitises américaines du fait d’un fort potentiel pétrolier. La répartition de ce potentiel se fait grosso modo autour de deux grandes sous-régions du continent. L’Afrique du Nord, avec principalement l’Algérie et la Libye, concentre 4,8% des ressources pétrolières du continent. C’est en Algérie que se trouve le plus grand gisement africain, à savoir Hassi Messaoud, dans le bassin pétrolier de Berkine. Les réserves pétrolières de ce pays sont estimées à 9,2 milliards de barils. La Libye dispose de son côté de la plus grande  réserve du continent estimée à 41,5 milliards de barils. La majeure partie des gisements découverts se trouve dans le bassin de Syrte et fournit un pétrole de grande qualité. Seulement, les Etats-Unis ont gelé leurs relations avec Tripoli depuis les attentats Lockerbie. Cela fut d’ailleurs formalisé par l’Iran And Libya Sanctions Act en 1996, interdisant aux sociétés américaines d’investir dans ces deux pays. 

Mais la sous-région la plus riche demeure le golf de Guinée, qui attire d’ailleurs particulièrement l’attention de Washington. C’est là que l’on retrouve le plus grand producteur africain qui est le Nigéria avec une production de prés de 2,5 millions de barils par jours, talonné par l’Angola qui est le second producteur en Afrique sub-saharienne.

Ce dernier pays a une large partie de ses réserves qui sont situées en mer ; elles s’élèvent à 5,4 milliards de barils et sa production tourne autour du million de barils par jour. La relative stabilité du gouvernement depuis la fin de la guerre civile et l’absence de menace terroriste (hormis la rébellion de l’enclave de Cabinda) crée un climat de confiance favorable aux investissements étrangers, dont ceux de la firme américaine Exxon Mobil[6].

Le golfe de Guinée constitue justement le cœur de la stratégie américaine, et ce pour raisons 5 raisons:

– Le golfe de Guinée, qui compte 24 milliards de barils, est encore sous exploité.

– Les pays producteurs de cette sous-région, excepté le Nigeria, ne sont pas membres de l’OPEP, organisation « que l’Amérique, engagée dans une stratégie à long terme, cherche à affaiblir[7]».

– Le pétrole de cette région est de très haute qualité et dispose d’un bas taux de soufre ; c’est un pétrole léger, comme le BONNY LIGHT, qui donne de bons rendements en essence, produit dérivé le plus demandé aux Etats-Unis[8].

– Une grande partie de ce pétrole est exploitée en Off-shore, ce qui isole les plateformes des troubles sociaux ou politiques qui pourraient frapper les pays concernés.

– Enfin le transport par voie maritime vers les USA est facilité car la région donne déjà sur les raffineries de la côte Est américaine; les dangers liés au transport du pétrole sont donc amoindris du fait de l’absence de détroit ou de canal à traverser.

La stratégie de Washington

La politique de Washington a davantage pris en considération le pétrole africain grâce aux  pressions  des entreprises pétrolières comme les deux géants Exxon Mobil et Chevron Texaco mais aussi des plus discrètes telles Amerada Hess ou Ocean Energy.

Le plaidoyer de l’Institute for Advanced Strategic and Political Studies (IASPS) a aussi été prépondérant lors de cette rencontre. Créé en 1984 à Jérusalem, ce think tank proche du parti de la droite israélienne Likoud et des néoconservateurs américains, est un traditionnel partisan d’une stratégie de désengagement à l’égard du pétrole saoudien. Cependant, durant les années Clinton, IASPS a eu peu d’influence sur l’administration en place.

Mais en novembre 2000, la victoire de George W. Bush aux présidentielles va changer la donne. Il convient de rappeler que Bush fils est un proche des compagnies pétrolières texanes : il fut donc particulièrement disposé à répondre favorablement à leurs demandes. Combinée aux attentats du 11 septembre, cette victoire des Républicains sur les Démocrates crée un climat favorable à la prévalence des idées de l’IASPS qui commencent à gagner les conseillers en énergie de la Maison-Blanche. Le 25 janvier 2002, elle a organisé un séminaire en présence de plusieurs membres de l’administration Bush, de membres du Congrès et de responsables de l’industrie pétrolière. De ce séminaire  va naître l’African Oil Policy Initiative Group (AOPIG), qui est l’interface entre la sphère privée et publique, et qui publie dans la foulée un livre blanc intitulé African Oil, A Priority for US National Security and African Development[9].

 Ces différentes péripéties vont progressivement donner un cadre général aux actions qui vont être menées par  Washington dans le domaine pétrolier en Afrique. La traduction en acte ne se fera pas attendre : des efforts seront consentis pour donner une plus grande place au pétrole africain dans les importations américaines. Ainsi, en 2001, alors que les importations américaines en pétrole provenaient à 15% de l’Afrique, le rapport Dick Cheney recommandait de les faire passer à 25%. Aujourd’hui, les exportations combinées du Nigéria et de l’Angola dépassent celles de l’Arabie Saoudite vers les USA qui couvrent 18% de leur consommation. D’ici à l’horizon 2015, un quart de la consommation pétrolière des USA devrait donc être assurée par l’Afrique.

D’autre part, des investissements sont aussi engagés sous la direction combinée du secteur privé américain et de la diplomatie américaine. Ainsi a pu voir le jour l’oléoduc Tchad-Cameroun d’un montant 3,5 milliards de dollars afin d’exploiter les champs pétroliers du sud tchadien, dont les réserves sont estimées à un milliard de barils. Cet oléoduc a été inauguré le 10 octobre 2003. Les Américains encouragent aussi l’entière libéralisation du  secteur pétrolier comme ils le font en Algérie, qui envisage de privatiser le puissant groupe d’Etat SONATRACH. Mais gardons à l’esprit que l’objectif est d’abord d’ordre stratégique et sécuritaire pour les Américains. Ainsi, ont-ils l’intention d’établir une base militaire sur Sao Tomé et Principe afin de protéger de près leurs intérêts. En ce sens, en juillet 2002, le général Carlton Fulford, commandant en chef adjoint de la US Navy, s’est rendu sur l’île et il aurait été question durant sa visite de construire une base navale sur « l’autre golfe ». La décision des autorités politiques ne s’est pas faite attendre…

Alioune Seck


[1] BP Statical Review of World Energy 2004, Juin 2005

[2] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006

[3] DIANGITUKWA Fweley, Les grandes puissances et le pétrole africain, Etats-Unis-Chine : une compétition larvée pour l’hégémonie planétaire, L’Harmattan, Coll. Etudes Africaine, Paris, juillet 2009

[4] Ibid.

[5] CHAUTARD Sophie, Géopolitique et Pétrole, Studyrama Perspectives, Paris, 2007

[6] Ibid.

[7] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006

[8] LAFARGUE François, « Etats-Unis, Inde, Chine : rivalités pétrolières en Afrique », in Politique Etrangère, 2005/4 (n°216)

[9] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006

L’Afrique : nouvelle « Arabie » des Etats-Unis (1ère partie)

]Dans les colonnes de The Economist daté du 24 octobre 2002, Walter Kansteiner, ancien courtier en matières première devenu sous-secrétaire d’Etat américain aux Affaires Africaines sous le régime de Georges W. Bush déclarait: « Le pétrole Africain est devenu une question d’intérêt national stratégique pour nous et son intérêt ira croissant ». Alors que l’air du temps est plutôt marqué par des efforts pour réaliser la «révolution verte», le pétrole, source d’énergie fossile qui a été tenue pour partiellement responsable du réchauffement climatique, est l’objet de toutes les convoitises en Afrique, continent doté de réserves pétrolières importantes. Elle est à l’origine d’une compétition larvée entre grandes puissances présentes sur le continent, au premier rang desquels les Etats-Unis.

La révolution énergétique en est encore à ces balbutiements et il semble qu’elle le sera tant que des réserves de pétrole seront découvertes. Or ces dernières années, c’est en Afrique que les prospections pétrolières ont été les plus fructueuses, ce qui pousse AL Stinton, analyste en marché pétrolier à la Deutsch Bank à dire : « The opportunities of expansion are trumendous»[1].

Plus que jamais, les Etats-Unis sont présents sur le continent et mènent une politique africaine dans laquelle le pétrole a pu, au fil des années, acquérir une place prépondérante. Il en est ainsi car les Etats-Unis perçoivent bien que les problèmes énergétiques sont une menace à leur propre sécurité et peuvent sensiblement perturber l’équilibre mondial. Washington mène donc la politique africaine la plus susceptible de répondre à ses intérêts en matière de pétrole.

En réalité, tout part du rapport qu’entretiennent les Américains avec l’or noir. C’est en effet dans ce pays que fut exploité au XIXème siècle le premier gisement pétrolier de l’histoire. Ils ont ainsi pu bénéficier de l’abondance de cette matière première tout au long de ce siècle pour assurer leur expansion économique mais aussi durant toute la première moitié du XXème siècle, avant que ne se posent à eux les difficultés liées à la satisfaction de la demande.

Au lendemain de la Grande Guerre, leur production nationale assurait encore plus de 150% de leur demande intérieur[2]. Mais rappelons que durant les deux guerres mondiales, le rang de grand producteur dont le pays jouissait a contribué de manière décisive à la victoire finale. Le pétrole est aux yeux des Américains une préoccupation d’ordre militaire et stratégique mais aussi et surtout un outil essentiel dans leur vie de tous les jours.
En ce sens, retenons que les Etats-Unis sont un pays à taille continentale avec une superficie de 9,6 millions de Km². Cela n’est pas sans conséquence sur leur mode de vie. D’abord, les variations de température sont très marquées d’un bout à l’autre du territoire causant une grande demande en électricité soit pour le chauffage, soit pour la climatisation. Ensuite, dans l’«American way of life », les moyens de transport individuels, et plus précisément l’automobile, ont une place prépondérante non seulement du fait des longues distances à parcourir fréquemment, comme le trajet domicile-lieu de travail, mais aussi parce que la voiture est un des signes de leur liberté. S’ajoute à tout ceci que les Américains ont traditionnellement eu un penchant pour les voitures de grande taille de type véhicules 4X4 et Pick Up –conformément à leur croyance populaire qui soutient que « when it’s big, it’s good ». Ces véhicules consomment davantage de carburant que la moyenne mais avec la conjoncture actuelle, cette préférence tend à disparaître progressivement.

L’association de ces deux éléments, à savoir l’abondance et les caractéristiques de leur mode de consommation, a ainsi conduit les citoyens de ce pays à percevoir quasiment comme un droit le fait d’avoir à leur disposition un carburant à bas prix. La fiscalité sur les produits dérivés du pétrole est ainsi 6 fois moins élevée aux Etats-Unis qu’en Europe par exemple[3] et pour cause, toute atteinte à cet état de fait est considérée par les citoyens comme une menace à leur qualité de vie voire à leur identité. Les autorités politiques ne peuvent donc utiliser l’outil de la fiscalité pour changer les comportements sans courir le risque d’essuyer de vives protestations et d’être sanctionnés par les urnes.

Or la tendance qui a été observée à partir de l’entre deux guerre fut une évolution inverse entre la production nationale et la demande intérieure américaine. Depuis 1950, la production nationale peine à satisfaire la moitié de la demande et elle ne couvre aujourd’hui que 40% de la consommation. En valeur absolue, on note qu’en 1975 la production nationale était de 550 millions de tonnes ; celle-ci est passée à 375 millions en 2004[4]. A contrario, durant la première moitié de la décennie 2000, la demande en pétrole des Etats-Unis a cru en moyenne de 5% par an mais elle décélèrera avec la crise à partir des années 2006-2007. La consommation journalière du pays est d’environ 25 millions de barils par jour et chaque Américain consomme en moyenne 20 barils par an, la moyenne mondiale se situant autour de 4 barils par personne[5].
De cet état de fait, il est possible de déduire l’équation suivante :
Baisse de la production nationale + Hausse de la consommation nationale = Hausse des importations.
Il revient aux décideurs politiques de la résoudre. L’outil primordial demeure pour eux leur politique étrangère, au service de leur intérêt national qui, en l’occurrence, se définit en termes d’assurance des approvisionnements à moindre coût.

Alioune Seck

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[1] DJOUMESSI Didier, The Political Impacts of the Sino-US Oil Competition in Africa, Adonis & Abbey, London, January 2009

[2] CHAUTARD Sophie, Géopolitique et Pétrole, Studyrama Perspectives, Paris, 2007

[3] Ibid.

[4] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006

[5] CHAUTARD Sophie, Géopolitique et Pétrole, Studyrama Perspectives, Paris, 2007