Freedom Summer était le premier film présenté à la 4ème édition du Festival International des Films de la Diaspora Africaine. Le réalisateur américain Stanley Nelson a assisté à la sortie de ce film et il a pris part à un débat après la projection du film. Il a accordé à l'Afrique des idées une interview où il nous parle de son parcours et de son expérience à réaliser ce documentaire.
ADI: Parlez-nous un peu de vous et de votre parcours en tant que réalisateur.
SN: Je m'appelle Stanley Nelson. Je suis réalisateur et producteur de documentaires à New York. Je produis des films depuis près d’une quarantaine d’années maintenant. Pour moi, il est très important que les Afro-américains partagent leur expérience et parlent de leur histoire. Il m’est arrivé très souvent de penser qu’on n’enseigne pas aux noirs américains leur histoire à l’école. C'est une grande opportunité pour moi de le faire.
Quand j’y pense, j'ai eu l'idée de faire Freedom Summer trois ans après avoir réalisé Freedom Riders. Pour moi, il allait de soi de faire un film sur la lutte pour le droit de vote des Afro-américains pendant l'été 1964 dans le Mississippi. Freedom Riders est un film que nous avons réalisé pour célébrer le cinquantenaire des Freedom Riders de 1961 et cette année marque les cinquante ans de l'Eté de la Liberté.
Je produis des films depuis près de quarante ans et tous mes films sont, d’une manière ou d’un autre, liés directement ou indirectement à l'histoire du peuple afro-américain. J’ai décidé de devenir réalisateur depuis que je suis entré à l'université. J’ai suivi un cursus en 1974 qui me plaisait vraiment, ensuite j’ai suivi d'autres formations et je me suis impliqué dans des projets cinématographiques. C'est ainsi que je me suis formé au métier.
Mon premier film Two Dollars and a Dream sorti en 1987 raconte l’histoire d’une femme appelée Madam C.J. Walker. Elle a fait fortune en vendant des produits cosmétiques aux femmes noires. C'est la première femme dans le monde à être millionnaire alors qu'elle partait de rien.
ADI: En regardant le film, on constate qu'il y a beaucoup d'archives de bonne qualité datant de cette période. En France et en Afrique, nous connaissons très mal cette période de l'histoire. Est–ce le cas aussi aux Etats-Unis? Comment les gens réagissent-ils à cette partie de l’histoire américaine ?
SN: Aujourd’hui, l’histoire de Freedom Summer n’est pas bien connue aux USA, ni celle de Freedom Riders. Nous en avons entendu parler mais nous ne connaissons pas toute l'histoire. Je crois que les gens ne connaissent tout simplement pas ces histoires. J’espère qu’ils les ont découvertes au travers mes films.
ADI: Dans Freedom Summer, on constate que beaucoup de blancs se sont impliqués dans le mouvement pour les droits civiques. Ils ont soutenu les Afro-américains dans leur lutte pour l’obtention du droit de vote. Ils ont même vécu avec eux en dépit des conditions de vie précaires. Comment se développe la relation entre blancs et Afro-américains aujourd’hui ?
SN: C’est une question à laquelle je ne peux pas répondre. Je pense que les relations diffèrent d’un lieu à un autre et d’une personne à une autre. En général, on peut dire que les Afro-américains s'en sortent mieux depuis qu'ils ont le droit de voter. Par contre, il y en a toujours qui ne s'en sortent pas. D’une certaine manière, la ségrégation que vous voyez dans Freedom Summer, il y a 50 ans, est toujours d'actualité pour beaucoup d’Afro-américains aujourd'hui.
ADI: Le personnage de Bob Moses est très intéressant. Les gens se rappellent principalement de Fannie Lou Hamer. Pourtant Moses devrait être reconnu comme un héros aussi, vu la description que vous en avez faite au début du film, qui semble un peu mystérieuse d’ailleurs. Pouvez-vous nous parler davantage de cet homme et nous dire pourquoi vous le mettez en avant ?
SN: Bob Moses est l’un des vrais héros du mouvement pour les droits civiques mais personne ne le connaît. Il est parti au Mississipi en 1961 et a lutté pour le droit de vote des noirs. C'était une personne très intelligente et très calme, à la différence de Martin Luther King qui était un prédicateur plein de fougue.
ADI: La non-violence du CNCC était admirable mais à la fin du film, on a l'impression que le mouvement a échoué en quelque sorte et qu'il deviendra plus violent. Pourtant, l’usage de la non-violence comme une arme semblait être un bon moyen pour obtenir le soutien des Américains. Pourquoi n’ont–ils pas continué dans cette voie ?
SN: Je ne pense pas que le mouvement soit devenu violent. Je tourne actuellement un film sur le Black Panthers party. Je pense que dans ce parti beaucoup de gens étaient partisans du mouvement non-violent. Mais, ils avaient l'impression que ce n'était pas suffisant et qu'il devait y avoir une confrontation directe. Je ne pense pas que quelqu’un ait pensé que la violence était la seule solution ni que le parti des Black Panthers ou d'autres personnes aient prêché la violence. Les noirs aux Etats-Unis représentent un douzième de la population. Nous n’avons pas d’arme, ni de flotte, ni d’avion. Donc il n'y avait aucun moyen pour se confronter à la police ou à l’armée nationale. Mais les gens avaient l'impression que le mouvement pour les droits civiques n'était pas efficace. Il fallait essayer d'arriver au but par d'autres moyens qui conduirait à la confrontation et à la la légitime défense et non à la violence.
Aujourd’hui, nous continuons à nous battre chaque jour, nous nous battons pour le changement mais c’est beaucoup plus compliqué parce que nous avons tous les droits (droit de vote, etc). Maintenant nous luttons contre le racisme. La discrimination positive n'existe plus car elle est devenue illégale aux Etats-Unis. Les Noirs peuvent réussir et certains ont effectivement réussi comme Denzel Washington, Beyonce, entre autres. Cependant le système américain n'est pas très favorable à la plupart des noirs pour qui les choses n’ont pas substantiellement changé.
ADI: Vous prévoyez de réaliser un film sur le Black Panthers Party (qui sortira l’année prochaine). Ce mouvement était-il une conséquence du Freedom Summer ?
SN: Le mouvement des Black Panthers n'était pas une conséquence du Freedom Summer, mais plutôt de son échec. L’échec de la convention nationale démocratique a conduit des gens dans le mouvement des droits civils à dire que «nous avons tout fait correctement comme il se doit, mais nous n'atteindrons pas notre but comme cela». Je pense aussi que le parti des Black Panthers a fait évolué le mouvement au niveau national. Le mouvement pour les droits civils était un mouvement sudiste et religieux avec des leaders provenant d'églises. Les gens du Nord se disaient «Et nous alors?». Ils avaient l'impression que leurs problèmes n’étaient pas les mêmes. Ce sont pour ces raisons qu'autant de personnes se sont ralliées au mouvement des Black Panthers.
Propos recueillis par Awa Sacko
Traduit par Koriangbè Camara