Kara Walker, artiste contemporaine

kara_walkerLa plasticienne Kara Walker est une artiste afro-américaine qui, depuis les années 90 s’est faite une réputation dans le monde des arts Etats-Uniens et même mondiaux. Sa position est pour le moins complexe, car étant noire, elle ferait plutôt partie des artistes de la marge, mais il faut cependant avouer qu’elle n’est pas à proprement parler une artiste de la périphérie. Elle a dans le champ artistique contemporain une place disons le ambiguë. Ses œuvres sont plus plébiscitées par un public blanc et décriées par ses pairs noirs, ou afro-américains. Cet entre-deux(1) ou ce jeu d’équilibre en fait une artiste particulièrement intéressante qui nous fait nous questionner sur les raisons d’un tel positionnement. Face aux critiques l’artiste n’en démord pas et paraît même se plaire dans cet espace jumelé. Bien que critiquée par certains noirs américains, Kara Walker n’en est pas moins reconnue comme une artiste à part entière. L’équilibre apparaît nettement dans le fait que de Noire, elle produit un art qui s’appuie sur une réappropriation blanche. L’artiste réutilise, réadapte.  Rien n’est inventé par Kara Walker, mais la subversion qu’elle emploie la singularise quelque peu. 

Kara Walker est diplômée de l'Université d'art d'Atlanta (BFA, 1991) et de l’École de design de Rhode Island (MFA, 1994). C’est très jeune qu’elle a connu le succès, avec sa première fresque ‘Gone : An Historical Romance of Civil War As It Occured between the Dusky Thighs of One Young Negress and Her Heart (1994)/  ' Gone:  Une Romance Historique de la Guerre Civile Comme elle a eu lieu entre les Sombres Cuisses d'une Jeune Négresse et Son Cœur.

Sur fond de provocation, Kara Walker réécrit une histoire sur l’esclavage à sa façon. Elle est réputée pour pratiquer le découpage de silhouettes noires sur mur blanc. Elle pratique aussi le découpage d’images d’imprimerie, (comme du scrapbooking). Elle s’inspire, dans le cas des silhouettes, d’une pratique très pratiquée aux XVIIIè siècle et au XIX è siècle, dans les salons, pour faire des portraits. La silhouette était faite en jouant de la lumière portée sur un personnage, auquel on ne gardait que l’ombre portée. Cette manière de faire est également connue pour avoir été celle d’un Matisse. Cette réadaptation d’un art occidental par une noire, invite à se questionner sur les phénomènes raciaux. Le blanc dominant de ses toiles, et le noir représentant les silhouettes reflètent les métaphores obsédantes de l’artiste : dire un esclavage par les blancs, dont les noirs ont été les victimes ( ?).

Son travail a été exposé au SFMoMA de San Francisco, au Guggenheim, au musée Whitney d’art Américain ainsi qu’au MoMA de New York. En 1998, Kara Walker est lauréate du prix de la Fondation John D. et Catherine T. MacArthur. En 2002, elle représente les États-Unis à la Biennale de São Paulo. Le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris lui consacre en 2007 une grande exposition personnelle. (2)

Autant dire que la renommée de la jeune femme n’est plus à faire. 

Au-delà de ces questions raciales, ce qui intéresse chez Kara Walker c’est la présence d’une esthétique noire. L’art de Kara Walker est un art que l’on peut considérer comme étant un ‘art noir’. Cet art intègre un univers qui se rapporte à des sentiments, des réactions ‘noires’. Que l’on évoque l’humour chez l’artiste, qui use de mini discours en guise de titres (longilignes)  de ses fresques. L’artiste interpelle, joue avec l’imagination des visiteurs afin de détendre l’atmosphère, de simplifier par le discours écrit, celui pictural qui est plus lourd. Simplification ou vulgarisation, c’est à chacun de choisir. Car les mini discours de l’artiste (que l’on se réfère à celui de ‘Gone’) sont provocants. La notion de réhabilitation historique aussi, ou de détournement interpelle. L’artiste aime à être une sorte de griot du pinceau, qui donne sa version des faits historiques, tout de même.  

L’art noir est visible par cette jonction des objets et des formes (patchwork), par cette multiplicité des personnages négroïdes, par les clairs de lunes, comme invoquant le lieu initiatique, par les longues séries de violences, des répétitions de vies, des contes de fantômes ou de damnés. Il ne s’agit pas de citer une esthétique scientifique d’un art noir, se rapportant à une école, tant que d’évoquer ici une ‘âme noire’ dans la manière de montrer. L’art noir est visible par la forme de franchise dans le ‘montrer’. Chez Kara Walker, comme chez certains clips de rap afro-américains, on est face à des images indicibles quasi inmontrables ou choquantes, qu’il nous faut cependant regarder, voir. Rien n’est tabou. Ce sont des scènes de viols, des défécations, etc., autant de scènes de vie interraciales qui finalement n’informent pas mais montrent, ordonnent. C’est une sorte de sauvagerie longtemps affiliée justement aux noirs. Kara Walker semble réutilisée ici le mythe du Noir sans limite (aux mœurs débridées). Comme une forme de réadaptation de thèses aujourd’hui considérées comme dépassées. Cet art noir donc chez l’artiste est plutôt, disons le franchement un art noir décidé comme tel, du point de vue du blanc. Cet art de Kara Walker qui connait un franc succès connait aussi des critiques.

Elle a eu à essuyer de virulentes critiques d’afro-américains qui trouvaient que son œuvre jouait de stéréotypes. La plus connue de ces anti-Walker est Bety Saar, une artiste afro-américaine, qui écrivit dans PBS series:

I’ll Make Me a World, en 1999 : « I think the work of Kara Walker was sort of revolting and negative and a form of betrayal to the slaves, particularly women and children; that it was basically for the amusement and the investment of the white art establishment.”/Je pense que le travail de Kara Walker [est] révoltant et négatif et une trahison envers les esclaves, et particulièrement vis-à-vis des femmes et des enfants ; ceci est en fait pour l’amusement et la satisfaction  de l’establishment blanc.

D’autres critiques lui ont rendu la pareille, comme Howardena Pindell, et Jerry Saltz. (3)

Howardena Pindell a fait la critique suivante : 

“What is troubling and complicates the matter is that Walker’s words in published interviews mock African-Africans and Africans…She has said things such as ‘All Black people in America want to be slave a little bit’…Walker consciously or unconsciously seems to be catering in the bestial fantasies about blacks created by white supremacy and racism.”/ (4) 

Ce qui est troublant et compliqué dans l’affaire c’est que les mots émis par Kara Walker dans les journaux se moquent des Afro-américains… Elle a dit des choses comme “Tous les Noirs en Amérique veulent être un peu esclaves par moment…” Walker consciemment ou non semblent être prises dans les fantaisies bestiales  sur les noirs, créées par la suprématie (mentalité)  et le racisme blancs.

Ici, on voit la critique souvent faite par des artistes afro-américains à Kara Walker. On lui reproche très souvent de se soumettre à l’idéologie occidentale, de se réapproprier les images véhiculées trop longtemps sur les Noirs, comme l’hypersexualité, le corps-objet, la violence, etc.

Cette critique a été réitérée alors qu’elle a réalisé la femme-sphinx (5), intitulée ‘Kara Walker : A Subtlety or the Marvelous Sugar Baby, an Homage to the unpaid an overworked Artisans who have refined our Sweet Tastes from the cane fields to the Kitchens of New World on the Occasion of the demolition of the Domino Sugar Refining Plant’./Kara Walker: Une Subtilité ou la Merveilleuse Femme Sucre (familier), un  Hommage aux artisans/travailleurs surmenés  qui ont raffiné notre Goût  des plantations de canne à sucre aux cuisines du Nouveau Monde à l’Occasion de la démolition de la Raffinerie de Sucre, Domino.

On remarque encore ici le mini discours qui accompagne la fresque. On peut y lire l’aphorisme. Tout détermine le but, mais aussi la familiarité discursive Sugar Baby dans cet art pur. La femme-Sphinx est une femme posée comme un sphinx, faisant 20 mètres de long et 10 mètres de haut, enduite de sucre, près de quarante tonnes de sucre utilisée pour la femme-Sphinx (la Domino Factory avait mis à la disposition de Kara Walker 80 tonnes de sucre), et le reste utilisée pour les petits hommes grandeur nature disposées autour de la statue immense. La sculpture fait partie de la tradition de l’« ephemeral art », ces œuvres « éphémères » appelées à être démolies, qui  englobent les subtilités (pâtisserie), les œuvres comme l’Urinoir de Duchamp, ou certains plateaux de réalisation… (6)

La Domino Sugar Factory a été fondée en 1856 par la famille Havemeyer et est devenue à la fin de la guerre de Sécession la plus grosse usine de raffinement au monde. (7)

Le sphinx est un autoportrait de l’artiste, et cette dernière l’a représentée avec des traits négroïdes exacerbées, avec un fichu sur la tête, comme les mamas afro-américaines. La femme-Sphinx offre tous les attributs de la sexualité et de la fécondité : seins et fesses énormes, vulve apparente. Kara Walker n’a pas échappé à la critique de certaines personnes qui se sont demandées A qui plairait le plus cette œuvre ?

On perçoit ici la récurrente critique que Kara Walker serait instrumentalisée, elle offrirait un art pro-blancs. Certains visiteurs du Domino n’ont pas hésité à réagir vivement via les réseaux sociaux et les blogs (8). Mais avec cette œuvre, elle produit certes sa première sculpture, mais réalise aussi un tour de force, en créant un véritable intérêt. Ce sont des blogs et des blogs qui  font circuler les images de la femme-Sphinx. Les réactions encensent l’artiste, et reconnaissent un travail abouti.  On reconnaît que l’usage du sucre comme matière pour sculpter est ingénieuse. Elle n’est d’ailleurs pas la première à en avoir l’idée, le Sutlety Art se pratiquant  au XVIè siècle, notamment  en Italie (dont les plus grands confiseurs sont à Venise) (9). Il s’agit là encore d’une ré-interprétation ou réadaptation d’un art occidental ancien. On admire l’artiste qui utilise un art afin de dénoncer. La femme-Sphinx dénonce apparemment (mais le fait-elle vraiment ?).

La sculpture est imposante et nous regarde. Elle montre des formes à la Vénus Hottentote, et au lieu de répondre à toute question sur la fermeture ou non de l’usine (10), elle semble plutôt réagir à d’autres questions. Kara Walker ne semble jamais prendre parti dans le débat de manière consciente. Ses œuvres sont rebelles tout comme elle. Elles nous subjuguent mais ne nous répondent pas. A la question de savoir ce qui nous plaît dans les œuvres de Kara Walker, nous craignons de dire : nos propres vices, et fantasmes.

Car son art est violent, sexuel, et exècre l’interdit. Kara Walker revendique par son art un droit au blasphème, à tout ce que la société juge interdit. C’est sans doute cette liberté qui fait qu’elle est tant appréciée par l’establishment.

On ne peut pas dire que l’œuvre de Kara Walker est née ex nihilo. Elle fait suite à une réaction certes artistique, et esthétique, mais aussi à un trauma qui dénote semble-t-il  des questionnements des Noirs en général. Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs, avait été le premier clinicien noir  à jeter le pavé dans la marre en disant que le Noir est malade. Malade d’un discours qui lui est imposé par le Blanc, et qu’il ne peut lui-même rejeter. Nous parlons ici en termes de Blanc et de Noir de manière descriptive et non dans le but de juger, d’inférioriser.

Le Noir qui est en Afrique ou ayant été déporté semble avoir gardé des stéréotypes enfouis parfois même inconsciemment. L’art de Kara Walker questionne la dualité d’un être binaire. Le Noir est ce qu’il est mais il est aussi face au blanc, ce que ce dernier dit qu’il est (Marcus Garvey parle d’une expérience similaire dans Les Ames du peuple noir). Alors que certains accèdent à cette indépendance identitaire, d’autres encore y succombent. L’art de Kara Walker est soit un jeu de l’artiste avec le public, soit un réel questionnement des conséquences de la blessure de l’esclavage et même coloniale. Il dénote des affres de l’aliénation identitaire.

Pénélope Zang Mba

 

Notes

1 Etant noire, elle intéresse particulièrement les spectateurs et les collectionneurs blancs.

2 Tiré de Printemps de septembre 

Kara Walker was born in Stockton, California. She received an MFA from the Rhode Island School of Design in 1994. In 1997, she received the MacArthur Foundation Achievement Award. Her work has been exhibited at the Museum of Modern Art, the San Francisco Museum of Modern Art, the Solomon Guggenheim Museum, and the Whitney. She is currently on the faculty of the MFA program at Columbia University.

http://www.pbs.org/wgbh/cultureshock/provocations/kara/2.html

4 A l’occasion de la Biennale de Johannesburg, en Octobre 2007.

5 Ce n’est pas à proprement le nom désigné, mais l’allusion faite, au vue de la position de la statue. On peut également percevoir la pratique de réappropriation du fait ancien occidental et blanc, qui est pour ainsi dire détourné. Le Sphinx de Gizeh est ici le la Femme-Sphinx, à la manière d’une entité féminine noire, immense, sexuée et presque vulgaire ; mais impressionnante.

http://www.nytimes.com/2014/07/12/arts/design/marvelous-sugar-baby-as-a-contribution-to-ephemeral-art.html?_r=0 

7 Voir sur le site www.Artistikrezo.com

http://rhrealitycheck.org/article/2014/07/21/kara-walkers-sugar-baby-showed-us/ Some spectators of the installation have been criticized for taking sexually suggestive photos with the body parts of the exposed sugar sphinx. The backlash from people who felt these photos were insensitive was swift and prompted questions about the ways in which Black art is valued, and howpublic displays of resistance can help improve how Black art is treated and viewed by spectators. 

http://ericbirlouez.fr/conferences_a1.html

 

 

 

 

 

La croissance africaine devrait-elle venir de l’innovation ?

Soleil sur l'AfriqueL'année 2015 sera déterminante pour l'Afrique pour deux raisons. D'une part, c'est en cette année que seront renouvelés les engagements internationaux sur la réduction de la pauvreté à travers les OMD post-2015. Comme le reflètent les objectifs de développement durable (ODD) qui remplacent les OMD, ce n'est plus les solutions pour réduire significativement la pauvreté qui manquent. Prenant exemple sur des pays comme la Chine ou l'Inde, nous savons aujourd'hui que la pauvreté peut être réduite significativement grâce à la croissance économique. Il suffit donc que les instruments de redistribution de la richesse soient effectivement mis en œuvre pour que les populations pauvres puissent graduellement sortir de leur situation de pauvreté. Ces instruments peuvent être de l'investissement dans les infrastructures économiques (routes, énergie, communication, eau et assainissement) et sociales (éducation et santé), de transferts d'argent conditionnels ou non à l'endroit des plus pauvres ou encore de politiques de protection sociale suffisamment flexibles pour ne pas décourager les investissements privés.

D'autre part, il est aujourd'hui une évidence que les pays africains s'engagent définitivement sur la voie du développement économique grâce à la consolidation d'institutions politiques démocratiques et à l'émergence d'une classe moyenne. L'engouement des grands groupes internationaux pour l'Afrique témoigne de la création de ce nouveau segment de marché dont la taille s'agrandit de même que les revenus de ses consommateurs. Il en est de même pour les soulèvements populaires, comme ce fût récemment le cas au Burkina Faso, qui même s'ils n’ont pas redistribué le pouvoir politique, ont certainement envoyé un signal ; que la gestion des affaires publiques se doit désormais d'être plus inclusive. Ces deux réalités viennent renforcer le processus de croissance économique qui devrait s'inscrire dans la durée. Cependant, pourquoi s'intéresse-t-on si tant à la croissance économique ? Pour équiper les ménages africains des commodités de la modernité ? Ou pour leur apporter de la dignité dans un monde où la portée de la voix d'une nation ne se mesure plus par la gabarie physique, encore moins par la multitude de la population, mais plutôt des richesses économiques que cette dernière est en mesure de créer ?

Pour paraphraser le professeur Augustin Cournot (1863) p.6, "la richesse doit être considérée, pour les individus et surtout pour les peuples, bien moins comme un moyen de jouissance que comme un instrument de puissance et d'action". Mettons le standard plus bas en considérant "la puissance" et "l'action" comme des dérivés de la "représentativité", c’est-à-dire de la capacité d’une nation à défendre sa position et d'être audible sur la scène internationale. C'est à l'aune de cette observation que nous avons besoin de reconsidérer les perspectives économiques de la plupart des pays africains. Quoiqu'elles suscitent de l'espoir, la tâche qui incombe aux gouvernements africains est celle de lui donner une définition, une définition de l'espoir africain.

Il sera plus aisé d'illustrer nos propos à partir des deux graphiques 1 et 2 ci-dessous. Le premier présente l'évolution du rapport des niveaux de vie mesuré par le PIB par habitant de certains pays ou régions du Monde de 1990 à 2013. Quant au second, il montre l'évolution du poids économique mesurée par la part du PIB mondial dans les mêmes pays/régions sur la même période. L'idée sous-jacente étant que la "représentativité" d'une nation se mesure quelque part entre le niveau de vie de ces citoyens relativement aux citoyens des autres nations et le poids de leur production collective par rapport aux autres nations. La distinction entre ces deux facteurs s'illustre bien avec la Corée du Sud et la Chine. En 2013, un Sud-Coréen moyen avait un niveau de vie trois plus élevé que la moyenne mondiale, comparable au niveau de vie de l'Européen moyen, alors que son pays ne représentait qu'environ 2% de la production mondiale. A cette même date, la Chine représentait déjà 16% de l'économie mondiale, comparable au poids des USA, alors que le niveau de vie d'un Chinois moyen ne dépasse pas la moitié de la moyenne mondiale.

Quant à l'Afrique[1], elle est à peine visible sur ces deux graphiques, synonyme d'un poids économique et d'un niveau de vie insignifiant. Mais il ne s'agit pas de l'observation la plus importante qui se dégage de ces deux graphiques. C'est plutôt ce qu'ils nous enseignent sur la fortune des pays/régions selon leurs stratégies de développement.

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Source: World Development Indicators Database, World Bank, et calculs de l'auteur. Les données sur le PIB sont en dollars constant de 2010 avec prise en compte de la parité du pouvoir d'achat.

Pour mieux comprendre les forces économiques à l'œuvre, reprenons les données sur la Corée du Sud et la Chine. L'essor économique du premier est principalement dû à l'innovation notamment dans l'électronique avec Samsung et dans l'automobile avec Hyundai Motor. Ainsi, le pays se trouve en bonne place sur le segment de marché mondial des équipements de télécommunications, d'électroménagers et de l'automobile. Cette position se reflète assez bien dans ses statistiques d'investissements en R&D qui représentaient en 2011 4% du PIB sud-coréen, un ratio supérieur à celui des Etats-Unis d'Amérique et de l'Europe (Graphique 3 ci-dessous).

Quant à la Chine, sa stratégie repose essentiellement sur trois piliers, le premier étant l'imitation des technologies déjà existantes, suivi de l'utilisation de sa main d'œuvre abondante et bon marché et enfin de l'innovation. Bien entendu, l'ensemble de ses stratégies ont été mises en œuvre concomitamment. D'abord, l'ouverture vers l'extérieur entamée par l'intégration aux accords de l'OMC a été faite non pas pour consommer mais pour produire des biens et services destinés à l'exportation en s'appuyant sur sa main d'œuvre abondante et plus compétitive. C'était donc une ouverture gagnante à la fois pour l'Etat chinois mais aussi pour les entreprises étrangères. Dans ce contexte, les flux de capitaux étrangers restent étroitement contrôlés par le gouvernement afin de maîtriser la naissance d'entreprises nationales capables de rivaliser sur les marchés mondiaux aux côtés des grandes entreprises européennes et américaines. L'imitation consiste à reproduire les technologies existant ailleurs à travers les contrats qui stipulent clairement le transfert de technologies. Ce fût le cas par exemple du train à grande vitesse ou de l'aéronautique. S'ajoute alors les investissements dans la recherche et le développement comme le montre les statistiques sur l'évolution de la part des dépenses de R&D dans le PIB. Elles sont passées de 1 à 2,5% du PIB chinois en 15 ans, rattrapant ainsi le même niveau que l'Europe (Graphique 3 ci-dessous).

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Source: World Development Indicators Database, World Bank, et calculs de l'auteur.

Quand on y regarde de près, la stratégie chinoise est semblable à celle employée par les Etats-Unis à l'exception de l'imitation puisque ces derniers étaient à l'avant garde de la révolution industrielle juste derrière les Britanniques. De plus, en tant que terre d'immigration, ils avaient déjà accueilli bon nombre d'éminents scientifiques Européens, dont Einstein reste l'un des plus emblématiques. En matière d'innovation, le pays a accru ses dépenses en R&D passant de 2,5 à 3% du PIB entre 2005 et 2010. Il n'est nul besoin de rappeler ici le nom des grandes entreprises américaines qui apportent chaque année de nouveaux produits et services sur les marchés du monde entier, Apple étant l'exemple emblématique le plus récent. En tant que pays d'innovation, les USA ont une demande extérieure très forte quoique leur balance commerciale reste déficitaire. Par ailleurs, le marché du travail américain regorge aussi d'une main d'œuvre abondante et compétitive, comme en témoigne les chiffres du PewResearchCenter qui estimait à 11.2 millions, soit 3,5% de la population, le nombre d'immigrés illégaux vivant aux Etats-Unis. A cela s'ajoute la flexibilité du marché du travail américain qui rend moins coûteux le travail qu'en Europe. Ainsi, l'innovation combinée à un coût du travail faible permet d'expliquer les performances économiques des USA qui ont pu limiter la baisse de leur poids économique à 16% en 2013, et maintenu le niveau de vie de leur citoyen moyen autour de 6 fois la moyenne mondiale.

Les exemples de la Chine et de la Corée racontent l'histoire de rattrapages économiques réussis pour des pays qui, il y a moins d'un demi-siècle, étaient au même niveau que l'Afrique. Ce sont aussi des exemples qui mettent en évidence les stratégies qui fonctionnent et les pièges à éviter. Par contre l'exemple de l'Union Européenne va mettre en évidence les instances dans lesquelles le rattrapage peut se transformer en stagnation: C'est le piège à éviter pour les économies africaines. Comme le montre les graphiques 1 et 2 ci-dessous, le poids économique de l'Europe n'a fait que baisser au cours des dernières décennies, passant de 26% en 1990 à 18% en 2013, soit une baisse de 8 points contrairement aux USA qui n'ont perdu que 4 points sur la même période en dépit de l'émergence d'autres pays du Monde tel que la Chine. De plus, quoique le niveau de vie moyen ait augmenté, il a progressé au même rythme, voire moins, que celui des USA. Ces constats vont de pair avec des dépenses en R&D récemment passées à 2% du PIB, soit un point de pourcentage plus faibles qu'aux USA et deux fois moins que celui de la Corée du Sud. Ils vont également de pair avec un marché du travail plus protecteur du salarié et générateur d'un emploi plus coûteux.

C'est aussi se chemin que s'apprête à emprunter certains Etats africains en signant l'accord de partenariat économique avec l'Union Européenne afin de consommer davantage plutôt que de produire, en dépensant seulement 0,6% de leur PIB en R&D,[2] en signant des contrats de construction qui autorisent les entreprises à importer même les travailleurs non qualifiés, et en ayant un coût du travail qualifié qui reste encore plus élevé que dans des pays comparables.[3] Ainsi, ni le canal de l'imitation, ni celui de l'innovation, encore moins celui de l'ouverture sur la base davantage comparatif n'est à l'œuvre en Afrique. Ce n'est certainement pas là une note d'espérance pour l'Afrique. C'est pour cela que l'espoir a besoin d'une définition en Afrique. Pour éviter qu'il ne soit juste un mirage pour l'essentiel de la population, il y a lieu de 1) identifier les secteurs dans lesquels l'Afrique gagnerait à imiter les technologies qui existent déjà, 2) innover dans les autres secteurs, que ce soit de l'éducation, de la santé, des technologies de l'information et de la communication, des transports, de l'énergie et de l'eau, voire même de l'aménagement du territoire et 3) entamer une ouverture commerciale dans le but de produire et non de consommer.

Georges Vivien Houngbonon

 


[1] L'Afrique sub-saharienne plus précisément car ce n'est que pour cette région que nous avons trouvé des données comparables. Cependant le profil reste le même lorsqu'on inclut les pays d'Afrique du Nord.

[2] Ce chiffre de 2007 est surestimé grâce à l'inclusion de l'Afrique du Sud dans les calculs.

[3] Cf. la publication de Gelb et al. (2013) sur le sujet. Il semble que cela soit dû au fait que les salaires soient plus élevés dans les plus grandes entreprises, suggérant qu'il ne s'agit pas d'un effet structurel mais tout simplement le résultat de la rareté de la main d'œuvre qualifiée pour les secteurs à fort intensité capitalistique tels que les télécommunications et les mines. On le voit dans les résultats que les coûts les plus élevés se trouvent en Angola et en Afrique du Sud et au Nigéria.

Les films de Stanley Nelson: Souvenirs de l’histoire oubliée des Afro-américains

Freedom Summer était le premier film présenté à la 4ème édition du Festival International des Films de la Diaspora Africaine. Le réalisateur américain Stanley Nelson a assisté à la sortie de ce film et il a pris part à un débat après la projection du film. Il a accordé à l'Afrique des idées une interview où il nous parle de son parcours et de son expérience à réaliser ce documentaire.

ADI: Parlez-nous un peu de vous et de votre parcours en tant que réalisateur.

SN: Je m'appelle Stanley Nelson. Je suis réalisateur et producteur de documentaires à New York. Je produis des films depuis près d’une quarantaine d’années maintenant. Pour moi, il est très important que les Afro-américains partagent leur expérience et parlent de leur histoire. Il m’est arrivé très souvent de penser qu’on n’enseigne pas aux noirs américains leur histoire à l’école. C'est une grande opportunité pour moi de le faire.

Quand j’y pense, j'ai eu l'idée de faire Freedom Summer trois ans après avoir réalisé Freedom Riders. Pour moi, il allait de soi de faire un film sur la lutte pour le droit de vote des Afro-américains pendant l'été 1964 dans le Mississippi. Freedom Riders est un film que nous avons réalisé pour célébrer le cinquantenaire des Freedom Riders de 1961 et cette année marque les cinquante ans de l'Eté de la Liberté.

Je produis des films depuis près de quarante ans et tous mes films sont, d’une manière ou d’un autre, liés directement ou indirectement à l'histoire du peuple afro-américain. J’ai décidé de devenir réalisateur depuis que je suis entré à l'université. J’ai suivi un cursus en 1974 qui me plaisait vraiment, ensuite j’ai suivi d'autres formations et je me suis impliqué dans des projets cinématographiques. C'est ainsi que je me suis formé au métier.

Mon premier film Two Dollars and a Dream sorti en 1987 raconte l’histoire d’une femme appelée Madam C.J. Walker. Elle a fait fortune en vendant des produits cosmétiques aux femmes noires. C'est la première femme dans le monde à être millionnaire alors qu'elle partait de rien.

ADI: En regardant le film, on constate qu'il y a beaucoup d'archives de bonne qualité datant de cette période. En France et en Afrique, nous connaissons très mal cette période de l'histoire. Est–ce le cas aussi aux Etats-Unis? Comment les gens réagissent-ils à cette partie de l’histoire américaine ?

SN: Aujourd’hui, l’histoire de Freedom Summer n’est pas bien connue aux USA, ni celle de Freedom Riders. Nous en avons entendu parler mais nous ne connaissons pas toute l'histoire. Je crois que les gens ne connaissent tout simplement pas ces histoires. J’espère qu’ils les ont découvertes au travers mes films.

ADI: Dans Freedom Summer, on constate que beaucoup de blancs se sont impliqués dans le mouvement pour les droits civiques. Ils ont soutenu les Afro-américains dans leur lutte pour l’obtention du droit de vote. Ils ont même vécu avec eux en dépit des conditions de vie précaires. Comment se développe la relation entre blancs et Afro-américains aujourd’hui ?

SN: C’est une question à laquelle je ne peux pas répondre. Je pense que les relations diffèrent d’un lieu à un autre et d’une personne à une autre. En général, on peut dire que les Afro-américains s'en sortent mieux depuis qu'ils ont le droit de voter. Par contre, il y en a toujours qui ne s'en sortent pas. D’une certaine manière, la ségrégation que vous voyez dans Freedom Summer, il y a 50 ans, est toujours d'actualité pour beaucoup d’Afro-américains aujourd'hui.

ADI: Le personnage de Bob Moses est très intéressant. Les gens se rappellent principalement de Fannie Lou Hamer. Pourtant Moses devrait être reconnu comme un héros aussi, vu la description que vous en avez faite au début du film, qui semble un peu mystérieuse d’ailleurs. Pouvez-vous nous parler davantage de cet homme et nous dire pourquoi vous le mettez en avant ?

SN: Bob Moses est l’un des vrais héros du mouvement pour les droits civiques mais personne ne le connaît. Il est parti au Mississipi en 1961 et a lutté pour le droit de vote des noirs. C'était une personne très intelligente et très calme, à la différence de Martin Luther King qui était un prédicateur plein de fougue.

ADI: La non-violence du CNCC était admirable mais à la fin du film, on a l'impression que le mouvement a échoué en quelque sorte et qu'il deviendra plus violent. Pourtant, l’usage de la non-violence comme une arme semblait être un bon moyen pour obtenir le soutien des Américains. Pourquoi n’ont–ils pas continué dans cette voie ?

SN: Je ne pense pas que le mouvement soit devenu violent. Je tourne actuellement un film sur le Black Panthers party. Je pense que dans ce parti beaucoup de gens étaient partisans du mouvement non-violent. Mais, ils avaient l'impression que ce n'était pas suffisant et qu'il devait y avoir une confrontation directe. Je ne pense pas que quelqu’un ait pensé que la violence était la seule solution ni que le parti des Black Panthers ou d'autres personnes aient prêché la violence. Les noirs aux Etats-Unis représentent un douzième de la population. Nous n’avons pas d’arme, ni de flotte, ni d’avion. Donc il n'y avait aucun moyen pour se confronter à la police ou à l’armée nationale. Mais les gens avaient l'impression que le mouvement pour les droits civiques n'était pas efficace. Il fallait essayer d'arriver au but par d'autres moyens qui conduirait à la confrontation et à la la légitime défense et non à la violence.

Aujourd’hui, nous continuons à nous battre chaque jour, nous nous battons pour le changement mais c’est beaucoup plus compliqué parce que nous avons tous les droits (droit de vote, etc). Maintenant nous luttons contre le racisme. La discrimination positive n'existe plus car elle est devenue illégale aux Etats-Unis. Les Noirs peuvent réussir et certains ont effectivement réussi comme Denzel Washington, Beyonce, entre autres. Cependant le système américain n'est pas très favorable à la plupart des noirs pour qui les choses n’ont pas substantiellement changé.

ADI: Vous prévoyez de réaliser un film sur le Black Panthers Party (qui sortira l’année prochaine). Ce mouvement était-il une conséquence du Freedom Summer ?

SN: Le mouvement des Black Panthers n'était pas une conséquence du Freedom Summer, mais plutôt de son échec. L’échec de la convention nationale démocratique a conduit des gens dans le mouvement des droits civils à dire que «nous avons tout fait correctement comme il se doit, mais nous n'atteindrons pas notre but comme cela». Je pense aussi que le parti des Black Panthers a fait évolué le mouvement au niveau national. Le mouvement pour les droits civils était un mouvement sudiste et religieux avec des leaders provenant d'églises. Les gens du Nord se disaient «Et nous alors?». Ils avaient l'impression que leurs problèmes n’étaient pas les mêmes. Ce sont pour ces raisons qu'autant de personnes se sont ralliées au mouvement des Black Panthers.

Propos recueillis par Awa Sacko

Traduit par Koriangbè Camara

 

La 4è édition du FIFDA, sous le signe de la motivation

– Que fais-tu cet été ?

– Cet été, je change le monde !

FIFDAlogo2000dpi-2Freedom Summer, le dernier film de Stanley Nelson, documentariste étasunien, spécialisé dans l’histoire contemporaine des africains américains a été présenté pour la première fois en dehors des USA, le 05 septembre, en ouverture de la 4 édition du Fifda. Dans cette nouvelle production, Stanley Nelson arpente son terrain favori : les Mouvements pour des Droits Civiques (le pluriel est de rigueur). Dans le prolongement de « freedom riders » (2011), et s’appuyant sur l’élan commémoratif, le cinéaste revient cinquante ans en arrière, pour tenter de saisir dans l’ensemble, toutes les sensibilités, toutes les parties qui ont pris part, au cours de l’été 1964, à une formidable aventure humaine. Si « freedom riders » racontait les tribulations des volontaires durant la traversée héroïque, « freedom summer » place la focale sur les activités effectives de ces centaines de jeunes qui ont littéralement pris d’assaut le Mississipi, levant ainsi le voile sur un des plus abjectes système de ségrégation et de terrorisme d’Etat. Les deux films reposent sur les témoignages de participants, d’historiens, de politiques et aussi sur une impressionnante somme d’archives photographiques et audio-visuelles.

Une jeunesse « folle » en mission…

« Nous étions fous, nous ne savions pas ce que nous faisions » reconnaît une participante à l’opération. Mais cette folie a été libératrice, il fallait vivre pleinement l’utopie pour affronter la société blanche du Mississipi qui tenait sur deux piliers : les lois de Jim Crow et le Klux Klux Klan. Et pourtant, sur le papier, la mission était simple : faire appliquer la loi et notamment le XV è amendement qui accordait le droit de vote et d’être éligible à tous les citoyens.   « Ce que nous voulions c’est simplement voter » déclare une actuelle élue africaine américaine. Mais dans ce « deep South », l’inscription sur les listes électorales pour les populations noires est un éprouvant parcours du combattant. Le candidat à l’enregistrement est soumis à un examen long et très exigent ; en cas de succès, il s’expose à de violentes représailles sociales : perte d’emploi, expulsion, emprisonnement, etc.

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C’est donc dans ce climat d’oppression absolue qu’affluent de toute l’Amérique ces jeunes chevaliers de la démocratie, membres de la SNCC (Student Nonviolent Coordinating Committee). Ils allaient intrépides, au-devant des métayers, des ouvriers des champs de coton, des domestiques les exhortant à aller s’inscrire. Aux phases de sensibilisations se mêlent celles d’éducation, de découverte mutuelle, de vie en harmonie. Enfin noirs et blancs peuvent partager la même espérance dans une Amérique nouvelle. Cette quête ultime triomphe de la peur, de l’abattement, des tentatives d’intimidations des autorités du Mississippi. Elle s’incarne mieux dans la personne de Fannie Lou Hamer.

L’héroïne qui crève l’écran…

Une autre mission du « Freedom summer » était de jeter la lumière sur la barbarie politique dans le Mississipi. Il visait à sortir de l’invisibilité les souffrances quotidiennes des milliers de noirs en donnant la parole à des êtres uniques. Fannie Lou Hamer est certainement la plus emblématique d’entre eux. Doté d’un courage et d’un franc-parler éclatant, cette ancienne employée d’une plantation effrayait plus que n’importe quel autre militant le pouvoir ségrégationniste. Le film de Stanley Nelson a le mérite de réhabiliter pour la postérité le combat personnel de cette femme d’exception. Son émouvant témoignage au « credentials committee » a du être interrompu par le président en personne. Lyndon Johnson, qui ne voulait pas que l’Amérique entendre la militante, a dû « improviser » une conférence de presse à la Maison blanche pour une insignifiante annonce. Le flegmatique Robert Moses, président de la SNCC et cerveau du « freedom summer », est au commentaire cinquante ans plus tard :

Le président Lyndon Johnson ne s’émeut pas du témoignage de Martin Luther King ! Il a peur du témoignage de Fannie Hamer. Il décida aussitôt que le pays ne devait l’entendre en direct […] Elle avait le Mississippi dans ses os. Martin Luther King ou les militants de la SNCC ne pouvaient accomplir ce que Fannie Lou Hamer a fait. Ils ne pouvaient pas être métayers et exprimer ce que cela signifiait vraiment. C’est ce que Fannie Lou Hamer a fait.

En route vers une trilogie…

Le prochain projet du réalisateur américain, présent à cette séance, sera consacré au Black Panther Party (frémissements dans la salle à l’annonce du sujet), suite logique des deux premiers volets. La continuité sur la forme (le même fond sonore variant du grave au gracile, des animations ralenties sur les photos),  comme sur le contenu (renforcé par la présence des mêmes personnages) fait de ces films de véritables documents mémoriels et assurent la transmission d’une histoire pas forcément connue. Stanley Nelson fait une œuvre salutaire.

https://www.youtube.com/watch?v=DcvsWXrS2PI

Ramcy Kabuya

Autopsie d’un sommet

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Credit photo: AFP/Jim Watson

Je n’ai pas de réelle réticence à ce qu’il y ait des sommets entre l’Afrique et les grandes puissances. Qu’elles soient chinoises, russes, françaises ou américaines, je n’en ai pas l’urticaire jusqu’à crier au scandale, à la soumission, à l’esclavage nouveau et au larbinisme économique ; sémantique à la mode, portée par la meute des colériques irrigués par l’afro-sectarisme ambiant. Cette candeur est coupable. Pour ce type de réaction fiévreuse et acnéique, dont se font le relais quelques défenseurs autoproclamés de la souveraineté du continent, j’éprouve – je dois dire – assez d’indifférence quand ce n’est pas souvent du mépris.

J’ai toujours appréhendé ces rencontres comme de banals et d’indispensables protocoles économiques comme le veut la dictée du capitalisme. Ses lois de l’offre et de la demande, ses équations entre ressources et forces d’exploitation, ses incontournables noces entre dominants et dominés, pour faire revivre la mouture marxiste de cette binarité. Dans cette jungle, il n’y a de place ni pour l’émotion, ni pour le ressentiment, encore moins pour la naïveté des bons sentiments.

Obama, élevé au rang de père de ce banquet, par la taille de son chéquier, son influence et le charme magnétique qu’il emporte, convoquait de petits présidents enfants africains, élèves irréguliers, comptables tous ou presque, de l’échec de leur pays. Il ne fallait s’attendre à autre chose qu’à un sermon en bonne et due forme, enrobé dans le velours des promesses économiques.

Quand ils restaient insipides, comme ils le sont toujours d’ailleurs, à mâcher dans les formules économiques, à parler chiffres, ces sommets sont chiants. Sans intérêt. Bien souvent, les espoirs qu’ils suscitent, crèvent dans le silence des lendemains de gouvernances locales défectueuses. Ce volet économique par conséquent, quelque central soit-il dans les tables rondes, est secondaire, quand les acteurs daignent parler des sujets qui fâchent. Et Obama a osé, certes timidement, mais il a lancé quelques sondes et titillé quelques barons africains. C’était assez rafraichissant.

Dans sa séduction folle et forcément complaisante, la Chine n’a d’amour que pour la terre d’Afrique, elle a le mérite de la non-duplicité. Lâche et prisonnière de son passé françafricain, la France est inaudible et peu crédible à donner des leçons. Les USA ont plus de ressources dans ce domaine. Quand bien même les desseins de prédation prévalent toujours, j’ai vu chez Obama une volonté de questionner les présidents africains, qui sur leurs rapports au pouvoir, qui sur certaine tares locales contre lesquelles ils ne démontrent aucun empressement.

Premier à la barre, l’ami Blaise Compaoré. Attrait devant l’opinion mondiale sur ces velléités anticonstitutionnelles, il répond avec aplomb qu’il faut « des hommes forts pour des institutions fortes ». Il invoque ensuite la chronologie historique de la ségrégation raciale aux USA pour signifier à son juge qu’il n’est pas non plus vierge de tout soupçon. C’est presque du Sankara dans le texte : Compaoré ressuscite le souverainisme de son pays et le droit à la différence pour s’émanciper de ces propres forfaits politiques, qui l’eût cru ? Le tour opère. Invoquer toujours sa réalité différente, c’est un gage au succès intarissable en Afrique.

Macky Sall ne peut la manquer. Auditionné pour le sort des homosexuels et l’opportunité d’une dépénalisation, le président sénégalais, sans sourciller, tranche la question : « l’homosexualité est derrière nous ». La phrase fait suite à l’échange viril quelques mois plutôt entre Obama et Sall, où Macky expliquait la destination carcérale évidente pour les gays au motif d’une culture « pas prête ».

A Kagamé, autocrate au vent en poupe, on ne dit rien. En complétant sa mutation de tutelle coloniale vers les USA, et en invoquant le traumatisme post-génocide rwandais comme explication de l’inflexibilité quasi-dictatorial de son régime, il apparaît comme le favori. Tapis rouge et au suivant. Le suivant c’est Yaya Jammeh, siège multipathologique, Obama renonce devant cette incompétence brute. Les autres s’inspirent des précédents, peu à peu, le silence étouffe les inclinations de justiciers de Washington.

Et je me suis plu à imaginer ce qu’auraient été les réactions des indésirables, pas invités au sommet, à la manière d’un Mugabé… Pour finir, une photo : on passe devant l’objectif pour immortaliser quelques clichés dans les ors de Washington. A la marge du sommet, Obama femme sermonne gentiment les tares africaines domestiques, à la façon de l’excision.

En se voulant gendarme et pas seulement rapace économique, Obama n’est pas allé au bout de sa volonté, si elle existait. Par impuissance et pour realpolitik, je ne sais. Toujours est-il que ce sommet révèle une chose : la systématique réponse des gouvernants d’Afrique quand on leur rappelle leur palmarès macabre, de tous les héros par extension du continent, dans un mélange et un confusionnisme inédit : la lutte pour la souveraineté, la défense de la tradition, celle de la culture. Ce mensonge abolit les frontières entre les vrais mérites et les usurpateurs, entre Sankara et Compaoré. On tient là le piège de l’identitarisme forcené et le sursis hélas, des bourreaux de cette terre.

L’Afrique: nouvelle « Arabie » des Etats Unis (2ème partie)

 A priori et sans pour autant être négligée, l’Afrique a toujours semblé une région en marge dans la politique étrangère des Etats-Unis. En conséquence de quoi entre 1945 et 1990, le continent africain ne constituait guère plus, aux yeux des Américains, qu’un terrain d’affrontement avec le bloc soviétique; ce fut une région, parmi d’autres, où s’appliquait la politique du Containment. Il ne s’agissait donc pas à proprement parler de politique africaine de Washington mais d’une simple politique anti Kremlin.


Avec l’effondrement du bloc communiste au début de la décennie 1990, l’enjeu géopolitique va progressivement perdre du terrain au profit de l’enjeu économique, mais avec là encore quelques hésitations. De 1990 à 2001, La politique de Washington semble d’abord en retrait, chancelante et sans principes directeurs. Dans la première moitié de cette période, le gouvernement américain hésite à s’impliquer dans les problèmes du continent. Mais dans la seconde phase de la décennie, les Etats-Unis définissent une nouvelle stratégie axée sur la progression des positions économiques américaines en Afrique. Ainsi, en 1996, B. Clinton réoriente les priorités diplomatiques générales du pays, accordant une primauté de l’économique sur le militaire, conformément à une vision du «Trade, not Aid ». 


B. Clinton va ainsi jeter les bases de ce qui va constituer la ligne directrice d’une véritable politique africaine de Washington. Mais c’est véritablement sous l’ère Bush que l’Afrique prend une nouvelle dimension. A partir de 2001, l’accent fut mis sur la lutte contre le terrorisme islamiste moyen-oriental, la recherche de la stabilité régionale et enfin la garantie des approvisionnements pétroliers afin de réduire la dépendance énergétique des Etats-Unis à l’égard du Moyen Orient notamment.

 

Pourquoi l’Afrique ?

Selon le BP Statical Review of World Energy[1], l’Afrique détenait en fin 2004 112,2 milliards de barils de réserves prouvées. Cela représente 9,4% des réserves mondiales[2].

Cependant, comparativement à des régions comme le Moyen Orient où se concentre 66% des réserves mondiales, ces chiffres peuvent paraître peu significatifs à première vue. Mais ce serait ne pas savoir qu’une large partie de ces réserves sont encore inexploitées. « En 2001 déjà, sur 8 milliards de barils de réserves découvertes dans le monde, 7 l’ont été en Afrique […] »[3]. On comprend dés lors pourquoi la question du pétrole a été inscrite parmi les priorités de la politique africaine outre atlantique. Pour beaucoup d’analystes, les  opportunités d’expansion sont en effet immenses. Pour preuve, le seul golfe de Guinée, qui comptait déjà 24 milliards de barils de réserves en 2003, devrait devenir à terme le premier pôle mondial de production en offshore très profond[4].
Cela fait que le continent occupe désormais une place importante dans la géopolitique énergétique et notamment pétrolière mondiale.

Aujourd’hui, l’Afrique assure 11,4% de la production pétrolière internationale et avec les importantes découvertes de gisements inexploités, ce chiffre est amené à croître dans les années à venir. Par ailleurs, entre 1990 et 2004, la production du continent a augmenté de 40% passant de 7 à 10 millions de barils par jours. Selon les premières estimations pour la période allant de 2004 à 2010, cette production aurait augmenté de 50%[5].

L’Afrique suscite donc les convoitises américaines du fait d’un fort potentiel pétrolier. La répartition de ce potentiel se fait grosso modo autour de deux grandes sous-régions du continent. L’Afrique du Nord, avec principalement l’Algérie et la Libye, concentre 4,8% des ressources pétrolières du continent. C’est en Algérie que se trouve le plus grand gisement africain, à savoir Hassi Messaoud, dans le bassin pétrolier de Berkine. Les réserves pétrolières de ce pays sont estimées à 9,2 milliards de barils. La Libye dispose de son côté de la plus grande  réserve du continent estimée à 41,5 milliards de barils. La majeure partie des gisements découverts se trouve dans le bassin de Syrte et fournit un pétrole de grande qualité. Seulement, les Etats-Unis ont gelé leurs relations avec Tripoli depuis les attentats Lockerbie. Cela fut d’ailleurs formalisé par l’Iran And Libya Sanctions Act en 1996, interdisant aux sociétés américaines d’investir dans ces deux pays. 

Mais la sous-région la plus riche demeure le golf de Guinée, qui attire d’ailleurs particulièrement l’attention de Washington. C’est là que l’on retrouve le plus grand producteur africain qui est le Nigéria avec une production de prés de 2,5 millions de barils par jours, talonné par l’Angola qui est le second producteur en Afrique sub-saharienne.

Ce dernier pays a une large partie de ses réserves qui sont situées en mer ; elles s’élèvent à 5,4 milliards de barils et sa production tourne autour du million de barils par jour. La relative stabilité du gouvernement depuis la fin de la guerre civile et l’absence de menace terroriste (hormis la rébellion de l’enclave de Cabinda) crée un climat de confiance favorable aux investissements étrangers, dont ceux de la firme américaine Exxon Mobil[6].

Le golfe de Guinée constitue justement le cœur de la stratégie américaine, et ce pour raisons 5 raisons:

– Le golfe de Guinée, qui compte 24 milliards de barils, est encore sous exploité.

– Les pays producteurs de cette sous-région, excepté le Nigeria, ne sont pas membres de l’OPEP, organisation « que l’Amérique, engagée dans une stratégie à long terme, cherche à affaiblir[7]».

– Le pétrole de cette région est de très haute qualité et dispose d’un bas taux de soufre ; c’est un pétrole léger, comme le BONNY LIGHT, qui donne de bons rendements en essence, produit dérivé le plus demandé aux Etats-Unis[8].

– Une grande partie de ce pétrole est exploitée en Off-shore, ce qui isole les plateformes des troubles sociaux ou politiques qui pourraient frapper les pays concernés.

– Enfin le transport par voie maritime vers les USA est facilité car la région donne déjà sur les raffineries de la côte Est américaine; les dangers liés au transport du pétrole sont donc amoindris du fait de l’absence de détroit ou de canal à traverser.

La stratégie de Washington

La politique de Washington a davantage pris en considération le pétrole africain grâce aux  pressions  des entreprises pétrolières comme les deux géants Exxon Mobil et Chevron Texaco mais aussi des plus discrètes telles Amerada Hess ou Ocean Energy.

Le plaidoyer de l’Institute for Advanced Strategic and Political Studies (IASPS) a aussi été prépondérant lors de cette rencontre. Créé en 1984 à Jérusalem, ce think tank proche du parti de la droite israélienne Likoud et des néoconservateurs américains, est un traditionnel partisan d’une stratégie de désengagement à l’égard du pétrole saoudien. Cependant, durant les années Clinton, IASPS a eu peu d’influence sur l’administration en place.

Mais en novembre 2000, la victoire de George W. Bush aux présidentielles va changer la donne. Il convient de rappeler que Bush fils est un proche des compagnies pétrolières texanes : il fut donc particulièrement disposé à répondre favorablement à leurs demandes. Combinée aux attentats du 11 septembre, cette victoire des Républicains sur les Démocrates crée un climat favorable à la prévalence des idées de l’IASPS qui commencent à gagner les conseillers en énergie de la Maison-Blanche. Le 25 janvier 2002, elle a organisé un séminaire en présence de plusieurs membres de l’administration Bush, de membres du Congrès et de responsables de l’industrie pétrolière. De ce séminaire  va naître l’African Oil Policy Initiative Group (AOPIG), qui est l’interface entre la sphère privée et publique, et qui publie dans la foulée un livre blanc intitulé African Oil, A Priority for US National Security and African Development[9].

 Ces différentes péripéties vont progressivement donner un cadre général aux actions qui vont être menées par  Washington dans le domaine pétrolier en Afrique. La traduction en acte ne se fera pas attendre : des efforts seront consentis pour donner une plus grande place au pétrole africain dans les importations américaines. Ainsi, en 2001, alors que les importations américaines en pétrole provenaient à 15% de l’Afrique, le rapport Dick Cheney recommandait de les faire passer à 25%. Aujourd’hui, les exportations combinées du Nigéria et de l’Angola dépassent celles de l’Arabie Saoudite vers les USA qui couvrent 18% de leur consommation. D’ici à l’horizon 2015, un quart de la consommation pétrolière des USA devrait donc être assurée par l’Afrique.

D’autre part, des investissements sont aussi engagés sous la direction combinée du secteur privé américain et de la diplomatie américaine. Ainsi a pu voir le jour l’oléoduc Tchad-Cameroun d’un montant 3,5 milliards de dollars afin d’exploiter les champs pétroliers du sud tchadien, dont les réserves sont estimées à un milliard de barils. Cet oléoduc a été inauguré le 10 octobre 2003. Les Américains encouragent aussi l’entière libéralisation du  secteur pétrolier comme ils le font en Algérie, qui envisage de privatiser le puissant groupe d’Etat SONATRACH. Mais gardons à l’esprit que l’objectif est d’abord d’ordre stratégique et sécuritaire pour les Américains. Ainsi, ont-ils l’intention d’établir une base militaire sur Sao Tomé et Principe afin de protéger de près leurs intérêts. En ce sens, en juillet 2002, le général Carlton Fulford, commandant en chef adjoint de la US Navy, s’est rendu sur l’île et il aurait été question durant sa visite de construire une base navale sur « l’autre golfe ». La décision des autorités politiques ne s’est pas faite attendre…

Alioune Seck


[1] BP Statical Review of World Energy 2004, Juin 2005

[2] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006

[3] DIANGITUKWA Fweley, Les grandes puissances et le pétrole africain, Etats-Unis-Chine : une compétition larvée pour l’hégémonie planétaire, L’Harmattan, Coll. Etudes Africaine, Paris, juillet 2009

[4] Ibid.

[5] CHAUTARD Sophie, Géopolitique et Pétrole, Studyrama Perspectives, Paris, 2007

[6] Ibid.

[7] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006

[8] LAFARGUE François, « Etats-Unis, Inde, Chine : rivalités pétrolières en Afrique », in Politique Etrangère, 2005/4 (n°216)

[9] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006

L’Afrique : nouvelle « Arabie » des Etats-Unis (1ère partie)

]Dans les colonnes de The Economist daté du 24 octobre 2002, Walter Kansteiner, ancien courtier en matières première devenu sous-secrétaire d’Etat américain aux Affaires Africaines sous le régime de Georges W. Bush déclarait: « Le pétrole Africain est devenu une question d’intérêt national stratégique pour nous et son intérêt ira croissant ». Alors que l’air du temps est plutôt marqué par des efforts pour réaliser la «révolution verte», le pétrole, source d’énergie fossile qui a été tenue pour partiellement responsable du réchauffement climatique, est l’objet de toutes les convoitises en Afrique, continent doté de réserves pétrolières importantes. Elle est à l’origine d’une compétition larvée entre grandes puissances présentes sur le continent, au premier rang desquels les Etats-Unis.

La révolution énergétique en est encore à ces balbutiements et il semble qu’elle le sera tant que des réserves de pétrole seront découvertes. Or ces dernières années, c’est en Afrique que les prospections pétrolières ont été les plus fructueuses, ce qui pousse AL Stinton, analyste en marché pétrolier à la Deutsch Bank à dire : « The opportunities of expansion are trumendous»[1].

Plus que jamais, les Etats-Unis sont présents sur le continent et mènent une politique africaine dans laquelle le pétrole a pu, au fil des années, acquérir une place prépondérante. Il en est ainsi car les Etats-Unis perçoivent bien que les problèmes énergétiques sont une menace à leur propre sécurité et peuvent sensiblement perturber l’équilibre mondial. Washington mène donc la politique africaine la plus susceptible de répondre à ses intérêts en matière de pétrole.

En réalité, tout part du rapport qu’entretiennent les Américains avec l’or noir. C’est en effet dans ce pays que fut exploité au XIXème siècle le premier gisement pétrolier de l’histoire. Ils ont ainsi pu bénéficier de l’abondance de cette matière première tout au long de ce siècle pour assurer leur expansion économique mais aussi durant toute la première moitié du XXème siècle, avant que ne se posent à eux les difficultés liées à la satisfaction de la demande.

Au lendemain de la Grande Guerre, leur production nationale assurait encore plus de 150% de leur demande intérieur[2]. Mais rappelons que durant les deux guerres mondiales, le rang de grand producteur dont le pays jouissait a contribué de manière décisive à la victoire finale. Le pétrole est aux yeux des Américains une préoccupation d’ordre militaire et stratégique mais aussi et surtout un outil essentiel dans leur vie de tous les jours.
En ce sens, retenons que les Etats-Unis sont un pays à taille continentale avec une superficie de 9,6 millions de Km². Cela n’est pas sans conséquence sur leur mode de vie. D’abord, les variations de température sont très marquées d’un bout à l’autre du territoire causant une grande demande en électricité soit pour le chauffage, soit pour la climatisation. Ensuite, dans l’«American way of life », les moyens de transport individuels, et plus précisément l’automobile, ont une place prépondérante non seulement du fait des longues distances à parcourir fréquemment, comme le trajet domicile-lieu de travail, mais aussi parce que la voiture est un des signes de leur liberté. S’ajoute à tout ceci que les Américains ont traditionnellement eu un penchant pour les voitures de grande taille de type véhicules 4X4 et Pick Up –conformément à leur croyance populaire qui soutient que « when it’s big, it’s good ». Ces véhicules consomment davantage de carburant que la moyenne mais avec la conjoncture actuelle, cette préférence tend à disparaître progressivement.

L’association de ces deux éléments, à savoir l’abondance et les caractéristiques de leur mode de consommation, a ainsi conduit les citoyens de ce pays à percevoir quasiment comme un droit le fait d’avoir à leur disposition un carburant à bas prix. La fiscalité sur les produits dérivés du pétrole est ainsi 6 fois moins élevée aux Etats-Unis qu’en Europe par exemple[3] et pour cause, toute atteinte à cet état de fait est considérée par les citoyens comme une menace à leur qualité de vie voire à leur identité. Les autorités politiques ne peuvent donc utiliser l’outil de la fiscalité pour changer les comportements sans courir le risque d’essuyer de vives protestations et d’être sanctionnés par les urnes.

Or la tendance qui a été observée à partir de l’entre deux guerre fut une évolution inverse entre la production nationale et la demande intérieure américaine. Depuis 1950, la production nationale peine à satisfaire la moitié de la demande et elle ne couvre aujourd’hui que 40% de la consommation. En valeur absolue, on note qu’en 1975 la production nationale était de 550 millions de tonnes ; celle-ci est passée à 375 millions en 2004[4]. A contrario, durant la première moitié de la décennie 2000, la demande en pétrole des Etats-Unis a cru en moyenne de 5% par an mais elle décélèrera avec la crise à partir des années 2006-2007. La consommation journalière du pays est d’environ 25 millions de barils par jour et chaque Américain consomme en moyenne 20 barils par an, la moyenne mondiale se situant autour de 4 barils par personne[5].
De cet état de fait, il est possible de déduire l’équation suivante :
Baisse de la production nationale + Hausse de la consommation nationale = Hausse des importations.
Il revient aux décideurs politiques de la résoudre. L’outil primordial demeure pour eux leur politique étrangère, au service de leur intérêt national qui, en l’occurrence, se définit en termes d’assurance des approvisionnements à moindre coût.

Alioune Seck

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[1] DJOUMESSI Didier, The Political Impacts of the Sino-US Oil Competition in Africa, Adonis & Abbey, London, January 2009

[2] CHAUTARD Sophie, Géopolitique et Pétrole, Studyrama Perspectives, Paris, 2007

[3] Ibid.

[4] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006

[5] CHAUTARD Sophie, Géopolitique et Pétrole, Studyrama Perspectives, Paris, 2007