Dans le premier article de la série, nous avons dressé un bilan technique concernant la gestion chaotique des infrastructures aéroportuaires. L’article ci-présent met en exergue l’état du trafic d’un point de vue macroéconomique et ébauche un panorama plutôt contrasté des compagnies aériennes africaines.
La question du tourisme : Le tourisme représente le principal facteur de développement du secteur aérien mondial. L’avantage de l’aérien est qu’il apporte un coût d'opportunité (à travers les gains de temps) à un marché de masse. Comme le soulignent les travaux de l’économiste Bass sur les modèles de diffusion, ce scénario entraine l’essor d’une demande nouvelle qui ajuste vers le haut la courbe d’offre par une baisse drastique du coût d’accès. Malheureusement, cette théorie économique ne prévaut pas pour le moment en Afrique. Selon les données de l’IATA, de l’OMT et du forum sur le transport aérien africain (FATA) qui s’est tenu au Mali, l’Afrique a accueilli environ 45 millions de touristes étrangers contre environ 1 milliard de flux touristiques dans le monde. Bien que le secteur occupe une place marginale au niveau mondial, il connait une forte croissance tirée par les locomotives que sont L’Afrique du Sud, le Kenya et le Maghreb même si cette dernière zone a été fortement perturbée par les évènements du printemps arabe. Cette disparité des performances touristiques ne reflète pas une disparité des dotations en sites touristiques, mais plutôt une répartition du trafic au sein du continent marqué par l’état contrasté de compagnies aériennes qu’il est important d’analyser.
La répartition du trafic africain : D’après les statistiques du forum du secteur aérien africain, le trafic domestique et régional est très faible (environ 3 %) compte tenu de l’état du tourisme souligné ci-dessus ainsi que du faible niveau de vie. En effet, ramené au PIB/tête, le prix d’un billet d’avion inter-pays ou même inter-région pour le cas du Nigéria, est souvent équivalent à la moyenne des revenus annuels déclarés par habitant. Le constat est plus alarmant en Afrique de l’Ouest et Centrale (AOC), car le trafic a progressé d’environ 0.8 % et 1.7 % respectivement (d’après les données du FATA). Ces chiffres témoignent du nombre peu élevé de lignes aériennes recensées. Cette situation est d'autant plus inquiétante que cette région concentre un certain nombre de pays enclavés : Mali, Burkina-Faso, Niger, Centrafrique, République Démocratique du Congo. 5 % du trafic concerne des lignes reliant 14 grandes villes avec en moyenne un peu plus de 150 personnes transportées par ligne contre 35 % du trafic qui concernent les lignes de moins de 10 personnes entre une centaine de villes et qui s’adressent en général aux vols d’états ou aux VIPS. Lagos-Accra est la ligne la plus active avec en moyenne 250 000 passagers annuels, suivie de Dakar-Abidjan ; Cotonou-Pointe Noire ; Douala-Libreville (en moyenne 170 000 passagers sur chaque tronçon). Des pays comme le Cap-Vert ou la Guinée Équatoriale ne sont pas rattachés à cette zone car leurs transports sont très particuliers, se caractérisant par un petit secteur aérien très sollicité et un secteur maritime.
Concernant l’Afrique Australe et du Sud (AAS), ce sont les régions les plus actives de l’espace subsaharien. En effet, le niveau de vie sensiblement plus élevé d'un côté, et d'un autre côté la présence de flottes nationales créées très tôt et qui se sont rapidement imposées sur leurs marchés locaux, a permis l’extension du trafic de cette zone. Vis-à-vis du trafic international, il s’agit de la vitrine la plus significative du transport aérien africain. Aujourd’hui, 2/3 de ce trafic est opéré par des opérateurs étrangers. En AOC, ce trafic est majoritairement axé vers l’Europe. Comme nous pouvons l’imaginer, il s’agit pour la plupart de la diaspora ainsi que des quelques flux touristiques Nord-Sud. Les destinations les plus prisées sont le Sénégal, le Nigéria, le Ghana, le Cameroun et le Gabon. Pourtant très peu d'aéroports atteignent le million de passagers en transit, les moyennes s'échelonnant plutôt aux alentours de 300 000passagers/an. Outre les flux des diasporas et de touristes d’Europe occidentale et d'Amérique du Nord, le second relai de croissance du trafic aérien en AOC est dû aux pèlerinages saisonniers comme la Mecque ou les séminaires catholiques (avec la venue du Pape au Bénin et au Cameroun qui a considérablement renforcé les lignes en place). Il s’agit là d’un constat regrettable, car même les évènements comme le Coupe d'Afrique des Nations ne provoquent pas de tels engouements. Une fois de plus, l’AAS est le bon élève avec un trafic fort dynamique et pluriel : Les USA et l’Asie représentent les lignes les plus actives. Cette situation se justifie par l’existence de hubs en Afrique de l'Est qui sont des plateformes aéroportuaires très actives et par des compagnies aériennes très dynamiques.
La situation des compagnies aériennes : la question des coûts
En Afrique Occidentale et Centrale , la plupart des compagnies manquent de stabilités économiques et durables. En prenant le cas de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, les principales compagnies ont été dissoutes à deux reprises en moins de 5 ans avec un changement de nom (Air Ivoire qui renait en Air Côte d’Ivoire et Sénégal Airlines en Air Sénégal puis en Air Sénégal International). Ces remaniements font que les compagnies ne jouissent pas d’une bonne image auprès des populations locales qui préfèrent se tourner vers les compagnies étrangères. En guise d’exemple Camair Co a enregistré une perte d’environ 50M€ malgré une forte diaspora. Sa principale ligne est Paris-Yaoundé-Douala avec un taux de remplissage de moins de 40%, bien loin des résultats de sa principale rivale Air France. Le constat est sans appel : la mauvaise gestion et les mauvais retours d’expérience ne permettent pas de développer une image de marque des compagnies de l’AOC, ce qui est un frein à la préférence nationale. Quant à la question des taxes, il s’agit d’un point clé, car elles représentent un gain important des pays hôtes. Le poids des taxes est disproportionné par rapport aux pratiques internationales, le prix des taxes étant bien souvent égal aux coûts de transport sur les billets Abidjan, Lomé, Cotonou à destination de Paris. Cette situation est d’autant plus déplorable que la gestion effective des infrastructures n’est pas à la hauteur du montant des frais perçus.
Enfin, il subsiste le problème d’une concurrence déloyale, car les flottes actuelles de l’AOC sont totalement inadaptées aux ambitions portées, ou du moins aux besoins du marché. Air Mali, Air Sénégal Inter et Air Ivoire opèrent vers Paris avec des avions de type B737, A320 et MD87, traditionnellement tournés vers le court moyen-courrier qui transportent moins d’une centaine de passagers contrairement à Air France-Bruxelles Airlines qui opèrent en B777/A340 avec une moyenne de 300 passagers.
Une fois de plus, l'Afrique Australe et du Sud affiche des performances beaucoup plus brillantes. Avec des compagnies locales très dynamiques du Kenya à l’Afrique du Sud, la zone s’est très tôt développée une expertise et une confiance accréditée à travers le monde. À titre d’exemple, le Kenya ou l’Éthiopie opèrent avec des B777 qui est le long courrier le plus récent avec un rayon d’action supérieur à 14 000kms. Elles peuvent donc aisément concurrencer les majors internationales. De plus, elles ont des filières «cadet» qui sont des centres locaux de R&D et de formation d’équipage qui visent la promotion d’une main-d’œuvre locale expérimentée, contrairement à leurs sœurs d’AOC qui opèrent pour la plupart avec des équipages navigants étrangers. De même, par rapport au trafic local, il existe une multitude d’appareils moyen-courriers qui permettent de desservir l’ensemble du pays et de la sous-région. En 2006, South African Airways( SAS) et Kenya Airways(KQ) ont transporté respectivement 8 millions et 2,5 millions de passagers contre un million pour Air Senegal International (ASI) et 500 000 pour Air Madagascar. KQ possèdent environ 24 appareils, la SAS environ 65 contre 20 pour la Comair et 4 pour Air Mali. Enfin, Air Burkina dessert 10 destinations, Air SénégaI 30 contre 30 pour KQ et 230 pour SAS. Toutefois, à la vue des conjonctures économiques des pays concernés et de l’absence de statistiques plus abouties, nous sommes incapables à ce jour d’affirmer le lien de causalité entre tourisme/performance économique et dynamisme du secteur aérien. Même si le constat d’une certaine corrélation est bien visible sur tous les plans.
Somme toute, cette vision macroéconomique du secteur aéronautique africain permet d’observer qu’il existe une réelle fracture entre les régions subsahariennes ; fracture déjà soulignée dans d’autres secteurs. Dans le dernier billet, nous décrirons les perspectives ainsi que les défis à relever en Afrique.
Léomick SINSIN
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Tu veux vraiment voir affluer les touristes au Bénin?
Ainsi que dans l'ensemble des pays plus ou moins stables. Mais avant tout, il nous faudra quand même un cadre beaucoup plus propice que ce qu'on observe à ce jour.
C'est sur que pour attirer les touristes il faut des structures adéquates. Mais pour nos comapgnies aériennes, il faut "juste" un peu de sérieux, de l'organisation, du réalisme, du professionnalisme de tous les acteurs internes et de la vision stratégique.
En gros, on n'est pas sorti de l'auberge. Mais un jour qui sait ?!