Dans son essai The Box, Marc Levinson décrit comment le transport de marchandises a été révolutionné par l’avènement du container, entrainant des effets d’échelle importants sur les coûts et la logistique. Dans le transport d’individus, une révolution similaire s’observe depuis bientôt une trentaine d’années avec la libéralisation du secteur aérien qui était autrefois destiné aux secteurs militaire et postal. Toutefois, cette révolution n'a pas encore tout à fait eu lieu en Afrique. Dans les deux premiers billets, nous avions dressé un bilan des problèmes techniques et économiques qui obscurcissent le ciel subsaharien. Dans ce dernier article, nous apportons quelques pistes de réflexion afin de mettre en exergue les défis à relever par l’Afrique pour que son espace aérien connaisse ses heures de gloire à l’instar des autres régions du monde. Pour cela, nous procéderons par une approche PESTEL, méthodologie utilisée en stratégie d’entreprise pour analyser les facteurs du macro-environnement dans laquelle une société évolue.
Politique : le crédo de Terangaweb est la promotion de l’Afro-Responsabilité. Il en résulte que la responsabilité du développement de l'aérien passe par des réformes internes au continent, pour promouvoir des cadres juridique et politique propices. Pour ce faire, aux échelles régionales ou nationales, il est important que les pays se dotent de législations transparentes ainsi qu’un droit de l’aérien. D’autre part, les multiples conflits constituent un manque à gagner non négligeable. Rappelons que durant le début des conflits en Côte d’Ivoire et au Mali, les liaisons aériennes ont été suspendues à cause de la fermeture des frontières.
Économie : L’Afrique compte environ 360 compagnies enregistrées, alors même que 35 pays n’en sont pas dotés (ou bien même quand c’est le cas, elles sont de tailles négligeables). La grande partie de ces compagnies est sur liste noire. Le continent est victime de ses nombreuses compagnies non homologuées, desservant des marchés très étroits. Un mouvement de concentration et de coopération est nécessaire, comme on l’observe déjà avec Ethopian Airlines et A-Sky ou Air France qui vient de s’allier à Air Mali et Burkina. Plus communément connus sous la dénomination de « Share Code », ces partenariats permettent d’homogénéiser les espaces aériens pour simplifier les transferts des passagers et pour une meilleure qualité des prestations fournies. L’objectif final serait de mettre en place des hubs africains qui favorisent les économies d’échelle.
Social : Malheureusement, le secteur aérien est méconnu du grand public africain. Au regard des statistiques d’IVAO (International Virtual Airlines Organisation), l’Afrique est souvent le continent le moins desservi et plébiscité. À ce titre, il convient de saluer des initiatives comme FS-Africa, vitrine des passionnés de l’aérien africain qui ne cesse de promouvoir ses couleurs et son savoir-faire ainsi que la division sénégalaise d'IVAO.
Technologie : Il s’agit d’un des points cruciaux du secteur aérien africain. L’essor du trafic doit s’accompagner d’une promotion des e-Tickets largement répandus ailleurs mais qui ne représentent que 28 % des billets vendus en Afrique (selon le rapport du forum Africain de l’Aérien). D’autre part, l’ASECNA, organisme chargé de superviser l’espace aérien ouest-africain, malgache et comorien, doit accélérer l’installation des équipements de navigation conformes au trafic des pays. Les radars VSAT et de navigation permettront de mieux géo-localiser les appareils et de repérer puis sanctionner les cargos transportant de la drogue et qui se posent à leur convenance au Mali ou ailleurs. A l"heure actuelle, les approches s’effectuent à vue ou au NDB (instrument de radio-navigation datant d’une cinquante d’années) malgré la présence d’instruments modernes comme les VOR et l’ILS (Instrument Landing System) souvent négligés à cause des risques de pannes aléatoires, de délestages ou de mauvais calibrage. Il convient de mettre fin à cette situation par une mise en conformité constante de l'ASECNA aux standards internationaux.
Environnement : Comme nous l’avions souligné, les principaux accidents surviennent durant les phases de décollage et d’atterrissage. C’est pourquoi les différents pays doivent revoir leurs plans d'urbanisme en construisant les nouveaux aéroports loin des métropoles et des lieux d’habitations. C’est le cas au Cameroun avec l’aéroport de Nsimalen. D’autre part, un constat alarmant est l’inexistence dans la majorité des pays de procédures antibruit qui font de la pollution sonore un mal persistant des riverains qui y ont développé une résilience. Il faudrait penser à définir des grilles horaires claires et promouvoir les « approches en lisse » comme on l’observe dans les pays développés. Cette procédure améliore la consommation en phase d’approche avec un meilleur vitesse plus silencieuse, contrairement aux approches par pallier.
Législation : dernier volet de l’approche PESTEL et pas des moindres, l’avenir du secteur aérien en dépend étroitement. En effet, face à l'usage récurrent d'avions vétustes à qui l'on offre une nouvelle vie en Afrique, il est important que les pays concernés mettent en place des lois pour mieux contrôler la maintenance et le suivi du carnet de vol des appareils. La promotion de nouveaux appareils pourrait passer des politiques de bonus/malus sur l’âge des appareils et sur le nombre d’heures de vol. Cette politique qui a été développée dans le secteur routier a connu un franc succès. Et enfin, notre pensée se tourne particulièrement vers le désert de Mojave aux USA où sont stockés plusieurs avions neufs pour cause de morosité financière ou de commandes annulées. Nous faisons donc un clin d’œil aux futurs entrepreneurs africains, qui peuvent tirer profit de cette situation par des achats ou des contrats de leasing pour la mise en opération de ces appareils.
L’objectif de ces différents articles était d’apporter un regard transparent sur le secteur aéronautique africain. De plus en plus d'africains sont amenés à se déplacer, mais le secteur aérien semble encore dans la torpeur. Les solutions énumérées sont des axes de réflexion qui peuvent sensiblement améliorer l’état du trafic et des compagnies. Rappelons toutefois, que l’Afrique a connu par le passé des cieux plus glorieux à l’époque où le Concorde, fleuron de la technologie aérienne effectuait des vols réguliers au Sénégal pour joindre le Brésil. Jacques Darolles, commandant de bord chez Air France, écrivait dans son ouvrage Le plus beau bureau du monde : « Extraordinaire bordel des liaisons radio HF en Afrique centrale, où certains centres de contrôle n'ont même pas le téléphone, où tout le monde gueule en même temps, et où la fréquence 126.90 sert d'auto-info à toutes les compagnies aériennes du monde, pour se repérer les uns les autres, en attendant l'accident majeur, qui un de ces jours, forcément, arrivera…. On attend le croisement avec un "Springbok" ( Sud africain), qui nous fait un appel de phares quand il nous voit, et on monte… Fin de nuit sur l'Afrique, encore 4 heures 30 avant La Réunion. Tu as le nez sur le pare-brise, et tu vois arriver, sur ton 747, le Kilimandjaro, rien que ça. Le mont Kilimandjaro, Seigneur de l'Afrique, glisse sous mon aile droite. Là, tu es MUET… Poser franchement, car la piste est courte, et à 281 tonnes restantes, les freins vont chauffer… Le terrain, il n'était tout simplement pas allumé. C’est L’Afrique patron ! ».
Léomick Sinsin
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Merci pour cette trilogie d'article super intéressante. J'ai personnellement énormément appris et ai maintenant l'impression d'être incollable sur le sujet !
Merci Lirashe,
En effet, c'est un secteur tout aussi passionnant que méconnu du grand public.!