« Nous ne voulons pas de vos poissons, apprenez nous à pêcher tout simplement » aurait été certainement la réponse de Confucius s’agissant de l’aide au développement.
Le philosophe chinois Confucius (Kong Fuzi) avait très vite cogité et compris que : « Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson ». Cette vieille leçon d’un demi-millénaire avant Jésus Christ, n’était certainement pas adressée à l’aide publique au développement que nous connaissons, mais elle n’a rien à envier aux réponses récemment formulées à l’égard de celle-ci.
On aurait pu se passer volontiers de définir ici cette aide au développement, on la connaît si bien ! D’une part, parce que c’est la chose la mieux défendue par les nations dites « pauvres » sur les tables de négociations internationales. Et d’autre part, parce que tout simplement, c’est aussi l’un des débats les plus abordés dans la littérature économique récente. Du best seller mondial de Joseph E. Stiglitz (2002) « La grande désillusion », s’agissant des « faux objectifs de façades de lutte contre la pauvreté au Sud» menés par le Fond Monétaire International (FMI), au non moins best seller, très osé, et surtout très controversé ouvrage de la zambienne Dambisa Moyo (2009) « L’aide fatale », sans parler de la panoplie d’articles en tout genre sur la question, comme la critique de Marc Raffinot (2009) sur Dambisa Moyo.
Il n’y a quasiment plus rien qu’on puisse dire sur cette aide au développement, qui soit vraiment nouveau, aussi bien dans le fond, que sur la forme. C’est connu et reconnu que l’aide publique au développement n’aide pas vraiment, elle ne serait pas non plus une fatalité, c’est un flou total quant à son efficacité. Curieusement, l’aide persiste et même s’accroit (Figure 1), malgré les crises financières très sévères, les crises de la dette, et la très forte pression sociale au Nord, d’Irlande en Grèce, en passant par le Portugal et l’Espagne,…, sans oublier les Etats-Unis hyper endettés auprès de la Chine, et à ce propos, Jacques Attali (2013) n’y va pas par le dos de la cuillère : « Les Etats-Unis sont donc dans une situation bien pire que celle de l’Union Européenne, et même que les plus endettés des pays de l’Union. Ils sont en faillite ». La morosité des économies du Nord laisse difficilement croire, dans la débâcle absolue actuelle, que l’aide, c’est vraiment pour aider !
Figure 1 : Evolution des montants de l'APD des cinq gros donateurs entre 2001 et 2011 (Source : diplomatie.gouv.fr)
Cet article s’inscrit au cœur du débat sur l’aide publique au développement de façon « terre-à-terre », et s'adresse au grand public. Il tente de trouver des alternatives pour la croissance inclusive pour les pays de l’Afrique Sub-saharienne, que l’aide pourrait accompagner comme une mise en orbite, puis s'arrêter progressivement avant de l’être définitivement dans un horizon temporel le plus court possible.
Qu’est-ce que l’aide au développement ?
Jean-Michel Servet (2010) souligne que l’aide trouve son origine dans le discours d’investiture (le 20 janvier 1949) d’Harry Truman, alors président des Etats-Unis.
L’aide était perçue en Amérique comme étant une véritable « arme de guerre » qui devait servir les intérêts américains contre l’influence communiste, jadis en pleine guerre froide. Vingt ans plus tard, en 1969, le Président Nixon n’en faisait guère l’amalgame, comme le rappelle Yolande S. Kouamé (2002). Nixon disait clairement : « Rappelons-nous que le but de la coopération au développement n’est pas d’aider des pays tiers, mais de nous aider nous mêmes » !
Déjà au départ, elle n’était d’aide que de nom ! Au fil des ans, elle a changé de visage, et s’est toujours adaptée au contexte, jusqu'à intégrer plus récemment celui du développement durable. Si d’aucuns murmurent que même l’aide humanitaire se crée, nous autres au Sud en doutons de moins en moins.
Formellement, l’Aide Publique au Développement (APD) est une part du revenu national brut (RNB) d’un pays développé membre du Comité d’Aide au Développement (CAD). Elle est consacrée au financement de programmes de coopération au développement des pays pauvres et des pays à revenu intermédiaire, suivant une liste mise à jour annuellement. Actuellement, 26 pays membres de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) ont rejoint le CAD, dont justement : la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, les Etats- Unis, … L’aide à consacrer est fixée à 0,7% du RNB, avec une date butoir d’atteinte des 0,7% en 2015, conformément à l’objectif des Nations- Unies en 1970. Ce taux est reconduit en 2000 au Sommet du Millénaire des Nations- Unies à travers les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD).
Jusqu’en 2011 (Figure 2), aucun des plus grands donateurs à savoir : les Etats-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France et le Japon, n’avait atteint 0,6% du RNB. Les Etats-Unis consacraient à l’aide 0,2% du RNB, ce qui représentait 23% du total des APD, soit 22,2 milliards d’euros !
Figure 2 : L’Aide publique au Développement en chiffres, en 2011 (Source : diplomatie.gouv.fr)
L’aide au développement et le développement
Selon François Perroux : « le développement est la combinaison des changements mentaux et sociaux d'une population qui la rend apte à faire croître, cumulativement et durablement, son produit réel global». Ce qui signifie que, le développement est extrêmement complexe, il ne s’atteint d’aucune façon en empruntant des raccourcis, or l’aide est une sorte de voie rapide littéralement illusoire, qui mène tout droit au perpétuel recommencement.
D’une décennie à l’autre, d’un programme à un autre, on finit toujours par se rendre compte qu’il fallait allouer l’aide autrement, parce que ses effets pervers l’emportent toujours sur ses bénéfices. A ce propos la thèse de Dambisa Moyo (2009) pour un arrêt progressif de l’aide, de sorte à se sevrer totalement, le plus rapidement possible semble pertinente. Il faut d’urgence explorer d’autres pistes pour une croissance soutenue, durable, et surtout responsable.
Nicolas Lemay-Hébert et Stéphane Pallage (2012) ont démontré avec brio les effets pervers de l’aide, ils disent en ces termes que : « Il est difficile de concevoir que de tels afflux d’aide n’aient pas donné d’importants résultats. Pourtant de nombreux pays récipiendaires d’aide ont connu de véritables tragédies du développement. Le plus célèbre d’entre eux est la République démocratique du Congo, dont le revenu par habitant en 2007, corrigé pour l’inflation, représentait 20 % de ce qu’il était, en unités comparables, en 1960 ». Le tableau ci-dessous présente le PIB par habitant, exprimé en dollars US constants de 2005, et corrigé pour les différences de coûts de la vie (ppp ou parité du pouvoir d’achat) en 1960 et 2007. Tout facteur inférieur à un, implique une baisse du niveau de vie entre les deux dates. Le tableau parle de lui-même !
Évolution du PIB par habitant entre 1960 et 2007
L’aide n’est pas plus qu’une folle mise en compétition des nations face à la pauvreté, ce qui a pour conséquence de les engouffrer davantage. Si les donateurs y trouvent un intérêt certes, les véritables responsables, il faut le dire, sont les gouvernements des pays récipiendaires. Marc Raffinot (2009) le dit de la meilleure manière : « De nombreux gouvernements africains cherchent à maximiser l’aide, considérée comme une ressource permanente, plutôt que d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies pour accélérer la croissance et réduire les inégalités ». Ont-ils encore le choix de passer outre? Le très cupide ver, « sournois » de surcroit, n’est-il pas déjà profondément enfoui dans la très juteuse pomme « pauvre » ?
L’aide a cette fâcheuse tendance à se transformer en une machine adaptatrice à volonté des modes de vie, créant une société consommatrice de biens finis qu’elle ne produit pas, et productrice de biens qu’elle ne peut pas consommer. Le but étant de servir une mondialisation à deux vitesses, toujours sous le prétexte de lutter contre la pauvreté. Un jeu appauvrissant auquel on vous invite bon gré, mal gré, et dont vous ne pouvez que prendre acte des règles. On se souviendra du très cauchemardesque film documentaire d’Hubert Sauper (2004) : « Le Cauchemar de Darwin ».
Malheureusement, s’agissant de la pauvreté, il est plus facile d’en dresser des statistiques, d’en définir un seuil (absolu et/ou relatif) selon une quantité de monnaie par jour, que de sortir un peuple de la pauvreté par l’aide. Lubrano (2008), et Davidson & Duclos (2000) sont revenus largement sur les techniques quantitatives de mesure de la pauvreté et des inégalités.
Vers une croissance inclusive, excluant peu à peu l’aide extérieure sous toute forme.
Si l’aide a permis de financer certes une part non négligeable des infrastructures des pays qui en sont tributaires, on est littéralement incapable de dire ce qu’auraient été ces pays sans aide. A l’évidence l’aide n’a non seulement pas permis le développement qu’elle a longtemps promis, bien au contraire, elle a fortement contribué à appauvrir ces pays, en décourageant quasi-systématiquement toute incitation interne de développement. Par exemple, il y’a moins d’un mois le Rwanda a lancé avec succès un emprunt obligataire d’environ 300 millions d'euros dans le marché international des capitaux, pourtant très exigeant, après un refus d’aide par le Royaume-Uni de prés de 26 millions d’euros en fin 2012. Pour peu importe le motif de ce refus, son effet a été de permettre au Rwanda de battre de ses propres ailes, en prenant davantage ses responsabilités.
L’Afrique sub-saharienne a besoin d’une sérieuse intelligence économique qui lui soit propre, incluant toute les couches, d’une stratégie large de communication innovante, se diffusant en profondeur, de sorte à refonder un espoir de sortie de pauvreté sans aide à long terme, soutenu par les masses populaires. C'est-à-dire, en misant davantage sur la croissance inclusive. Ce message est de plus en plus porté par de jeunes africains, à l’image du think-tank l'Afrique des idées, où justement d’imminentes réflexions sont menées en faveur de la croissance inclusive Nicola Simel (Juillet 2012).
Mahamadou BALDE
Bibliographie :
- Dambisa Moyo, l’aide fatale. Les ravages d’une aide inutile et de nouvelles solutions pour l’Afrique. JC Lattès, 2009, 250 p.
- Davidson, R. et Duclos J.-Y. (2000), Statistical inference for stochastic dominance and for the measurement of poverty and inequality ; Econometrica, 68, 1435–1464
- Hubert Sauper, Le Cauchemar de Darwin (Darwin's Nightmare), Arte et WDR 2004
- Jacques Attali (Blog) http://blogs.lexpress.fr/attali/2013/02/11/les-etats-unis-sont-en-faillite/
- Jean-Michel Servet, « Aide au développement : six décennies de trop dits et de non dits », Revue de la régulation [En ligne], 7 | 1er semestre / Spring 2010
- Joseph E. Stiglitz, La Grande Désillusion, Fayard, juillet 2002, 324 p.
- Marc Raffinot « Dambisa Moyo, L'Aide fatale. Les ravages d'une aide inutile et de nouvelles solutions pour l'Afrique », Afrique contemporaine 4/2009 (n° 232), p. 209-216.
- Michel Lubrano, Introduction à l'économétrie des mesures de pauvreté, Document de Travail n°2008-09, GREQAM, Mars 2008
- Nicolas Lemay-Hébert et Stéphane Pallage (2012). Aide internationale et développement en Haïti: bilan et perspective. Haïti Perspectives 1(1), 13-16.
- Nicola Simel, Pour une croissance inclusive en Afrique, Terangaweb (Juillet 2012)
- Yolande S. Kouamé, Coopération : vers la fin de l’aide liée, MFI HEBDO : Economie Développement 08/11/2002, rfi.
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Excellent document tant dans la definition que dans l'argumentaire l'afrique doit se positionner et c'est le moment la saturation des marché en fait la seule voie de degagement possible dans cette mondialisation. L'afrique doit traiter avec les autres "puissance" a egale dignité la politique de la main tendue est une abération nous devons croire en nous a nos valeurs nous ressources et potentialités. Rester egal a nous meme et developper une forte conscience et d'estime de soi pour se surpasser de nos tares et depasser ces veilliétés qui nous retardent. L'afrique est le berceau de l'humanité n'est pas un vain mot l'Afrique est le point de retour lorsque le monde ne sait plus ou se diriger,L'afrique est le marché de demain puisqu'elle est vierge et pleine de potentialités A cela il faut s'appuyer sur des secteurs importants comme l'environnement, la culture, le tourisme, la tecnologie, l'agriculture, la formation, et j'en passe Je souhaite qu'un debat plus large soit organisé sur la question car elle est importante du point de vue des output de ce que nous ferons de notre continent demain et c'est maintenant qu'il faut preparer demain
Tres bonne contribution de ta part, merci.
Meilleurs salutations.
salut, L'initiative est vraimen pertinente. Votre contribution est de haute facture et donne des pistes de reflexion à tous.
Merci Monsieur BALDE pour cette belle réflexion qui peut aider plus d'un, à toucher du doigt la question de l'aide au dèveloppement. j'ai depuis longtemps, à mon niveau personnel, pensé que la methode de ces pays pour soutenir le développement de nos pays a toujours ètè dans l'ensemble inefficace et nous nous sommes plus à y rester tout en sachant eux, comme nous méme que ce systéme n'aboutirai pas à grand chose. Aujourd'hui, il est donc temps, que tous ceux qui s'affairent concrétement à mener des projets porteurs, puissent étre soutenus matériellement ou en nature pour leur propulsion. Par ailleurs, quand il s'agit de réalisations en partenariat avec l'état, que l'appui se fasse par le bailleur en collabaration avec les populations locales sans tricheries, ni corruptions et avec une supervision et un accompagnement stricte jusqu'à la fin du projet, puisque c'est pour le bien de tous. Nos politiques doivent prendre conscience de l'équilibre à avoir sur la décentralisation des choses et selon les potentialités de chaque zone.
@Deme M. Faouzou, très bien dit, je suis entièrement en phase avec vous. Merci.
@Abbè Alain G S Diedhiou, le but de cet article était justement de partir d'une approche terre-à-terre qui permettrait à tout un chacun de réaliser les dangers liés à l'aide. Le constat qui est fait depuis assez longtemps étant que, lorsque les autres viennent faire votre "développement", sous forme d'aide, vous vous appauvrissez davantage, et malgré cela, l'aide persiste. Pourquoi? Parce que pour continuer à bénéficier de l'aide, il faut virer les indicateurs au rouge (bonjour la corruption), il faut rester pauvre (bonjour les inégalités), il ne faut surtout pas que ça aille bien (bonjour la misère). Le but étant de toujours mieux négocier (voire imposer) les règles d'un commerce allant dans le sens de vous reprendre de droit vos ressources naturelles. Finalement, elle est où l'aide? Et, il est où le développement?
@Ansa et @Soure Diallo, Merci beaucoup.
Felicitation Mr Balde pour votre brillant article.
Très bon article à l'image du cursus et des différents mémoires dont j'ai pu partager la richesse et la rigueur avec laquelle ils ont été écrit.
Un ancien camarade de promotion et ami !
Félicitation pour l'article, c'est encore un signal d'alarme pour les pays africains. Il n'y a pas véritablement une aide il n'y a que des intérêts. Par contre toute la problématique repose sur le devenir de toute cette aide quand on voit les facteurs multiplicatifs à la baisse; Sartre disait : "l"important n'est pas ce que l'on fait de nous mais ce que nous faisons de ce que l'on fait de nous". Par conséquent avons nous de véritables programmes de développement qui méritent une aide au développement. Les économistes africains sont interperllés …
Blle analyse, magistrale, rigoureuse, fort instructive et éminemment utile pour une prise de conscience radicale et définitive (du moins, faut-il l'espérer) des défis majeurs qui nous interpellent tous, nous et nose décideurs, tous niveaux, secteurs et obédiences confondus! Merci M. BALDE et bonne continuation!
Félicitations "mawdo poullo".
Un article d'une très haute facture, bien documenté !!! Je pense qu'il s'agit véritablement d'une Aide au Sous Développement. Ce qu'ils appellent Aide au Développement n'est qu'un cercle vicieux du "donné" parle la main droite et du "revevoir" par la main gauche. Malheureusement le "receveur" est plus consistant car étant composé de matières premières, bref de ressources naturelles et minières…
Je crois qu'il serait intéressant de faire des recherches sur la notion de solidarité inter familiale et intercommunautaire, l'entre aide en Afrique traditionnelle.
Bonne continuation Baldé, ce genre d'article participe à l'éveil des consciences…
Merci et félicitation à M BALDE pour cet article qui nous permet d'avoir un autre regard sur ce qu'on entend tous les jours sur l'aide au développement. Nos pays ont besoin de personnes qui pensent non seulement pour le present mais aussi pour l'avenir.