Aujourd’hui, le fonctionnement des zones d’intégration monétaire dépend de critères de convergence qui ne prennent pas en compte la situation économique des populations. Dans cet article, nous proposons que les critères de convergence économique soient complétés par des critères de convergence sociale, pour garantir le développement harmonieux de l’ensemble des pays membres de l’union.
Une tendance générale vers plus d’intégration monétaire
Force est de constater qu’au cours des deux dernières décennies davantage de zones d’intégration économique sont créées partout dans le monde. A l’image de l’Union Européenne, de l’UEMOA ou de l’ASEAN, elles visent pour la plupart d’atteindre le stade le plus avancé de l’intégration avec la mise en circulation d’une monnaie commune. Cette tendance générale vers plus d’intégration monétaire est beaucoup plus visible en Afrique sub-saharienne. C’est ainsi que la CEDEAO envisage de mettre en circulation l’Eco comme monnaie unique dans la zone dès 2015. Plus récemment, la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est (EAC) s’est donnée dix ans pour mettre en circulation sa monnaie commune.
Cette tendance est tout à fait bénéfique pour les pays africains compte tenu des gains de productivité qu’elle engendre. Ces gains proviennent surtout des économies d’échelles que peuvent exploiter les entreprises qui opèrent dans la zone d’intégration, mais aussi des complémentarités économiques qui existent entre certains pays. Par exemple, il sera moins coûteux pour un opérateur de télécommunications de fournir des services de communications aux 135 millions de clients potentiels de l’EAC plutôt qu’aux seul consommateurs d’un seul pays. En situation de concurrence, cela devrait conduire à des services de communications de qualité et à moindres prix pour le consommateur. De même, les échanges commerciaux, par exemple de matières premières qui rentrent dans la fabrication de produits manufacturées, sont limités à cause des coûts de transaction liés à la multiplicité des monnaies locales.
L’utilité des critères de convergence
Pour bénéficier pleinement de ses avantages, les unions monétaires ont besoin de mettre en place des critères de convergence. Ceux-ci permettent de garantir que des pays initialement différents tendent à se ressembler pour mieux amortir les chocs économiques idiosyncratiques suite à la perte de l’outil monétaire.[1] Les réflexions académiques sur les critères de convergence ont surtout menés par des économistes comme Robert Mundell dans le cadre de la mise en circulation de l’euro. Ces critères portent notamment sur le taux d’inflation, le déficit public et la dette publique.
La limitation du taux d’inflation, du déficit et de la dette publique sous un certain seuil permet de maintenir la structure économique des différents Etats membres dans une fourchette qui favorise l’intervention de la banque centrale. De plus, le maintien de l’inflation en dessous d’un seuil fixe permet de limiter la baisse du pouvoir d’achat des ménages les plus pauvres et de préserver l’épargne des plus fortunés. Quant aux critères portant sur le déficit public et la dette publique, ils garantissent la stabilité macroéconomique des économies.
La nécessité d’ajouter des critères de convergence sociale
On s’aperçoit que les critères de convergence initialement définis pour la zone euro sont purement d’ordre (macro)économique. Ils ne prennent pas directement en compte le rapprochement des conditions de vie des populations. Même si on pourrait arguer que la stabilité macroéconomique ou la réduction de l’inflation est source d’amélioration du bien-être, plusieurs faits empiriques montrent aujourd’hui que la baisse des déficits publics, de la dette publique ou de l’inflation ne conduit pas systématiquement à une réduction de la pauvreté et des inégalités. Nous n’en voudrons pour preuve que les pays de l’UEMOA. En effet, ni la pauvreté, encore moins les inégalités n’ont été réduites de façon significative dans ces pays ; bien au contraire. Il en est de même pour les pays Européens qui mettent en place aujourd’hui les politiques d’austérité budgétaire pour en partie respecter les critères de convergence.
En réalité, si les critères de convergence proposés pour la zone euro ne comportaient pas de volet social, c’est tout simplement parce qu’il n’y avait pas de différence significative entre les Etats partis à l’union monétaire en termes de pauvreté et des inégalités.[2] Aujourd’hui, ce débat resurgit dans l’opinion publique des pays d’Europe de l’Ouest face à l’entrée des pays d’Europe de l’Est ayant des incidences de pauvreté et d’inégalité beaucoup plus élevées. Or, nous assistons aujourd’hui à une transposition des critères de convergence de la zone euro par les unions monétaires africaines. L’UEMOA, en est un exemple.[3] Cette transposition omet d’office les différences de conditions de vie des populations africaines qui sont pourtant autant importantes que la stabilité du cadre macroéconomique.
Comme le montre les résultats d’un article de Franck publié sur l’Afrique des Idées, il n’est pas possible de dire que les pays de l’UEMOA convergent. On note d’ailleurs une divergence en faveur de la Côte d’Ivoire, voire une convergence vers une détérioration des agrégats économiques comme le PIB. L’origine de cette absence de convergence est à rechercher dans les différences de conditions de vie des populations entre les pays membres ; comme le montre d’ailleurs les travaux sur les clubs de convergence. En omettant la dimension sociale dans les critères de convergence, les banques centrales de la zone franc mettent en œuvre une politique monétaire qui n’arrange que les Etats les plus développés au détriment des plus pauvres. Cela engendre davantage de divergence dans les conditions de vie et réduit l’efficacité de la politique monétaire commune.
Par conséquent, la vague prochaine de zones d’intégration monétaire en Afrique doit prendre en compte des critères de convergence sociale en plus des critères de convergence économique. Nous pensons par exemple à ce qu’il soit requis de la part des pays membres une baisse annuelle de x% de son incidence de la pauvreté, des inégalités de revenus et du taux de chômage. Car, c’est seulement en ancrant les critères de convergence aux conditions de vie des populations qu’on sera en mesure de susciter leur adhésion politique aux multiples projets d’intégration régionale en cours sur le continent.
Georges Vivien HOUNGBONON
[1] Les chocs idiosyncratiques désignent les chocs qui affectent en particulier un Etat membre de l’union monétaire. Par exemple, si un pays est le seul producteur de coton dans une union monétaire, il peut arriver qu’il subisse une baisse de la demande de coton à cause d’une hausse du cours. Si le pays disposait de sa propre monnaie, il pourrait la dévaluer pour rester compétitif sur le marché international. Mais dans une union monétaire, cet instrument n’est plus disponible à l’échelle du pays. Il revient alors à la banque centrale commune de mettre en place une politique monétaire permettant d’atténuer les effets de ce choc. Vous comprendrez donc que les effets d’une telle politique commune seront d’autant plus pervers que les pays sont très différents.
[2] Notons toutefois que la question de la prise en compte des critères sociaux a été à l’origine des débats politiques qui ont conduit au rejet de la constitution européenne par les Français.
Laisser uncommentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués par *
J'apprécie votre commentaire sur l'opinion à la création d'union monétaire dans les zones économiques d'Afrique Subsaharienne mon docteur. Il faut vraiment une réflexion poussée tant du point de convergence des agréagts macroéconomiques que dans la convergence des préférences nationales. C'est à cela que nous les macroéconomistes africains, portons notre reflexion.