Le développement ne serait-il qu’une question de financement ? On est bien tenté de répondre par l’affirmative en partant du modèle proposé par Arthur Lewis (1960). Sous une perspective historique, on s’aperçoit cependant que les nations les plus prospères (e.g. Egypte antique, Rome) n’ont pas réussi à conserver leur prospérité à travers les siècles. Plus récemment, lorsqu’on observe qu’une nation aussi prospère que la Lybie soit bombardée et réduit à un champ de batailles entre milices, la question de la suffisance des moyens financiers pour le développement reste entièrement posée. Si les moyens financiers sont nécessaires au processus de développement, les observations précédentes illustrent à quel point ils ne suffisent pas pour garantir l’élévation permanente du bien-être de la société. Suivant les travaux récents de Acemoglu et Robinson, il est aujourd’hui possible d’affirmer qu’au cœur du développement se trouve la question des institutions. Dans cette partie, nous examinons le cas particulier de l’Afrique. Quel bilan peut-on faire de l’évolution des institutions Africaines ? Comment l’Afrique peut-elle utiliser cette nouvelle grille de lecture proposée par Acemoglu et Robinson ?
Les institutions n’ont pas toujours été extractives en Afrique
Historiquement, Acemoglu et Robinson nous apprennent que l’esclavage a été un choc négatif sur les institutions Africaines dans la mesure où la capture et la vente généralisée des sujets ou des prisonniers de guerre a considérablement affaiblie la confiance entre les sujets et détruit la qualité des institutions. Suite à l’abolition de l’esclavage dans les pays plus développés, la colonisation a pris le relais cette fois-ci sur place à travers les travaux forcés auxquels collaboraient les chefs locaux en contrepartie du maintien de leur statut. Ainsi, les institutions ont été perverties là où elles étaient inclusives et aggravées dans les cas où elles étaient déjà extractives. Après les indépendances, ces mêmes institutions extractives ont été perpétuées dans la plupart des nouveaux Etats indépendants.[1]
Le cas des sociétés nationales de promotion agricole illustre bien la persistance d’institutions économiques extractives en Afrique.[2] Ces sociétés (anciennement bureau agricole) servaient à l’administration coloniale de jouer l’intermédiaire entre les agriculteurs et les acheteurs de produits agricoles sur les marchés internationaux. En tant que seul acheteur de la production, le Bureau agricole pouvait fixer le prix d’achat indépendamment de la demande et généralement à un niveau largement plus bas que le prix de revente sur les marchés internationaux. Selon Acemoglu et Robinson, cette extorsion s’est même amplifiée après les indépendances dans certains pays Africains comme la Sierra-Leone. Dans ces conditions, les agriculteurs n’ont aucun intérêt à augmenter la productivité agricole, dans la mesure où les profits additionnels générés sont systématiquement extorqués par les sociétés de promotion agricole.
Aujourd’hui, quelle est la qualité des institutions en Afrique ?
Lorsqu’on observe le tableau synthétique du modèle de Acemoglu et Robinson, ce qui nous intéresse est de savoir la case dans laquelle se trouve(ra) l’Afrique.
Cela dépend évidemment des pays. De façon générale, la réponse à cette question nécessite d’évaluer l’ampleur des potentielles barrières économiques et politiques qui entravent l’effectivité des institutions inclusives sur le continent.
Sur le plan économique, il s’agit notamment de suivre l’évolution de la concurrence, des barrières à l’entrée dans les secteurs régulés, des licences requises pour l’exercice de certaines activités économiques. En complément à ces différents facteurs, il serait intéressant de mesurer l’inclusivité de la croissance économique ; c’est-à-dire la part de population qui bénéficie de la croissance économique, soit en y participant directement ou en bénéficiant des politiques de redistribution.
Sur le plan politique, il y a lieu de savoir dans quelle mesure les différents groupes d’intérêts de la société africaine participent effectivement à la prise des décisions politiques. En particulier la prise en compte des différents intérêts lors des changements de constitution importe beaucoup dans l’évaluation de l’inclusivité des institutions politiques africaines.
Actuellement nous disposons de très peu d’informations pour faire une telle évaluation. D’un point de vue quantitatif, l’idéal serait d’avoir un indicateur de développement inclusif à deux composantes : un indice de croissance inclusive et un indice de démocratie inclusive.
D’un point de vue qualitatif, les vagues de démocratisation du pouvoir politique observée à travers la tenue régulière d’élections, quoique souvent contestées, la baisse de la violence et des conflits armés suggèrent une légère amélioration des institutions politiques. De plus, les vagues de manifestations, voire de révolutions qui secouent de temps à autre les régimes politiques africains sont aussi des signes de vitalité des institutions politiques. A cela s’ajoute l’émergence et l’adoption des nouvelles technologies de communication et d’énergie sur le continent. Tous ces facteurs semblent indiquer un dynamisme de l’Afrique vers des institutions économiques et politiques plus inclusives.
Une question reste posée : l’émergence des institutions inclusives est-elle indépendante de la constitution des hommes qui composent la société ? Le modèle d’Acemoglu et Robinson ne nous dit rien sur la façon dont émerge des institutions inclusives. Dans la mesure où les institutions émanent des hommes, il nous semble que leur constitution dans la cellule sociologique la plus réduite qu’est la famille et dans la cellule sociologique la plus vaste qu’est la société détermine leur contribution à l’édification d’une société stable qui promet l’épanouissement de tous, sans aucune exception, ni discrimination. Cela sous-entend que la structure de la famille, de même que l’organisation de l’éducation peuvent être des facteurs déterminants pour l’émergence d’institutions inclusives. Ce sont là des pistes de réflexions à mener dans de prochains articles.
Georges Vivien Houngbonon
[1] Nous reconnaissons le besoin de faire un travail fouillé sur les sociétés africaines qui avait des institutions inclusives avant l’esclavage et la colonisation.
[2] L’argument classique en faveur de ces sociétés est celui de l’assurance qu’elles procurent aux agriculteurs contre la volatilité du cours mondial des matières premières.
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