1. La Capitale politique de la Côte d’ivoire est… Yamoussokro
Faux. Abidjan est et reste le cœur économique comme le centre essentiel du pouvoir politique. Il a fallu la prise d’Abidjan pour installer Ouattara au pouvoir. Indice capital : la base militaire française, le 43ème BIMA est installée à Port-Bouët, pas à « Yakro »… Une des lubies d’un déjà sénile Houphouët Boigny a été de transformer sa ville natale en « capitale » du pays. L’hideuse basilique Notre dame de la paix de Yamoussokro – à égalité peut-être avec le soviétisant Hôtel des Députés – est l’une des pires reliques de ce travers mégalomaniaque. Ce projet n’a eu qu’un seul impact réel : enrichir l’architecte Pierre Fakhoury. Des épidémies de fièvre jaune en 1899 et 1904 ont poussé l’administration française à déplacer la « capitale » administrative de Grand-Bassam à Bingerville, la première restant « capitale économique ». L’essor d’Abidjan à la fin des années 1920 a motivé le transfert du cœur politique vers ce qui devenait le centre économique. Abidjan remplaça d’un coup Bassam et Bingerville. Yamoussokro ne « rassemble pas les Ivoiriens ». C’est simplement le symbole du différencialisme ethnique et du complexe de supériorité Baoulé qu’Houphouët et le PDCI-RDA ont imposé à ce pays, des décennies durant. Et un gouffre financier pas possible. Inutile au demeurant.
2. La crise ivoirienne est née des tensions ethniques et religieuses
Faux. La crise ivoirienne est essentiellement un conflit politique et économique – accessoirement générationnel dans ses derniers développements. Les dimensions ethniques, d’abord, puis religieuses n’ont été rajoutées qu’à la fin, comme potentiels signes de ralliements. Il y a dans l’ordre quatre responsables : Houphouët-Boigny, Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara et Simone Gbagbo. Le premier a distillé le mensonge, bénin à l’origine, du groupe Akan et de l’ethnie Baoulé comme peuple fondateur du pays. Les livres d’histoire avaient beau rappelé, en annexe, que ce pays était d’abord une terre d’immigration, les mythes fondateurs baoulés ont servi, depuis toujours, de roman historique national. Le second a trouvé là un terreau fertile qu’il utilisa pour éliminer son adversaire politique le plus important Alassane Ouattara. Il a par la suite procédé à une ethnicisation de l’armée, de la fonction publique et de l’économie. Il a baptisé cette baouléisation du pays, Ivoirité, avec le succès que ce concept a eu par la suite. Pour combler le tout, cette hérésie s’est doublée d’une corruption et d’une brutalisation de la société, sans précédent. Je crois fermement qu’Alassane Ouattara est lié aux coups d’état de 1999 et de 2002, activement d’abord puis de façon plus passive ensuite.
À défaut de démontrer les faiblesses et imbécillités du plan Bédié (« la Côte d’ivoire aux Ivoiriens » ; Alassane Ouattara – ancien premier ministre – n’est pas Ivoirien, etc.), il a repris l’antienne à son compte (« on ne veut pas que je sois Président parce que je suis Nordiste »), avec le succès qu’on connaît. Les époux Gbagbo ont par la suite saupoudré la resucée ethniciste d’une dernière couche religieuse, élus du peuple, mais aussi de Dieu, ils protègent la nation des envahisseurs non-chrétiens, etc. Le conflit générationnel intervient en supplément, il n’est pas étonnant que Soro Guillaume comme Blé Goudé soient tous deux anciens secrétaires généraux de la FESCI (syndicat puis milice étudiante), et que tous deux aient opté pour la voie radicale puis militaire, au détriment d’une approche réformiste du changement politique : les caciques ne cédant pas la place, il fallait bien tuer le père.
Les problèmes réels (conflits terriens, tensions locales liés à ces questions de terre, chômage, corruption, népotisme etc.) n’ont servi qu’à donner un semblant de légitimité à ces conflits politiques et n’ont de fait jamais été pleinement confrontés par aucun des « belligérants ». Les divisions religieuses et ethniques du pays ont été de formidables cache-misère intellectuels et outils de propagande – au pire, de bien utiles adjuvants, mais jamais la cause de la crise ivoirienne.
3- Le défi principal d’Alassane Ouattara sera de « réconcilier les ivoiriens »
Faux. Les Ivoiriens ne se réconcilieront pas. Ils pourront « vivre ensemble », dans un pays apaisé, pacifié, sécurisé. La politique détruit tout ce qu’elle utilise mal. Je crois que l’innocence avec laquelle, l’essentiel des relations entre communautés ethniques (je préfère « régionales », plus précis à mon sens) se déroulait ne sera jamais restaurée. Quelque chose a été brisée durant ces dix années de conflits que rien ne réparera, en tout cas pas durant les cinq ou dix ans qu’Alassane Ouattara passera au pouvoir. Sa tâche primordiale – au-delà de la sécurisation et du désarmement des milices non-intégrables dans les FRCI ou l’ex-rébellion, terme que je préfère – sera de relancer l’économie. Tant qu’il y aura des centaines de milliers de jeunes désœuvrés, sans éducation, sans perspective aucune de trouver un emploi, politiciens et chefs de guerre trouveront le moyen de transformer la moindre étincelle en enfer. Que Gbagbo soit jugé ou non, condamné ou pas, exécuté ou en exil est accessoire. Plus personne ne croit encore à la justice ivoirienne, encore moins à l’ersatz de justice, punitive, à charge, typiquement de vainqueur, que propose le gouvernement Ouattara. Tout le monde sait que les 800 morts de Duékoué resteront sans noms, leurs bourreaux aussi. S’attarder sur ces détails conduirait à perdre un temps et un capital politique précieux. Créez des emplois, des emplois, des emplois, Monsieur le… Président !
4- « Découragement n’est pas ivoirien » !
Vrai.
Joël Té Lessia
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Article qui prend en effet à rebrousse poil certains discours faciles sur la Côte d'Ivoire, à commencer par les racines de l'ivoirité, dont on attribue habituellement l'entière paternité à Bédié, alors que tu montres bien que ce discours se nourrit du mythe mis en place par Houphouet Boigny. Je ne connais pas spécialement la Côte d'Ivoire dont je n'ai qu'une connaissance médiatique, mais tes différents arguments me semblent plutôt solides.
Mettons que Bédié a élevé au rang de théorie politique et sociale ce qui n'était qu'une version locale du "nos ancêtres, les Gaulois". Je n'ai pas su comment intégrer au texte, le fait que je te doive l'éclaircissement sur le caractère générationnel d'une partie du conflit. Je profite de cet espace pour le faire pour le faire.