Durant mes années au Sénégal, tous les 7 décembre, au matin, le drapeau ivoirien était hissé aux côtés des couleurs sénégalaises. L’armée sénégalaise célébrait l’indépendance d’un « pays frère » – à ceci près que la Côte d’Ivoire acquit son indépendance le 7… août 1960. C’est un des secrets les mieux gardés de l’histoire du Prytanée Militaire de Saint-Louis. La raison en est que la fête nationale signifiait pour les nationaux du pays célébré, dîner organisé par la princesse avec tout le gratin militaire, professoral et étudiant de l’école, jus de fruit à volonté et double ration de poulet-frites. L’amour que nous portions à notre pays était beaucoup moins chatouilleux qu’aujourd’hui – il supportait ce genre de coups de butoir. C’est seulement vers la fin qu’on comprit l’origine de la méprise : le 7 décembre était la date anniversaire de la mort d’Houphouët-Boigny. Un troufion à l’État Major avait dû intervertir les fiches. Personne n’avait vérifié les dates depuis 1993 …
Le souvenir de ce running-gag tellement militaire m’est revenu lundi dernier tandis que le Sénégal célébrait les cinquante-et-un ans de son indépendance. L’indépendance du Sénégal, un autre running gag. Les Sénégalais eux-mêmes font semblant d’y croire ; comme ils font semblant en tout d’ailleurs : de croire que le « modèle démocratique » sénégalais existe encore ; d’adhérer à la pantalonnade de « l’excellence éducative » sénégalaise, etc.
Il existe un Sénégal fantasmé dans l’imaginaire collectif sénégalais – on me dira qu’il existe également une France fantasmée, un Nigeria Fantasmé, un Burkina Faso fant… Non, soyons honnêtes, les hommes intègres sont assez lucides pour ne rien fantasmer de la réalité de leur pays – dans ce Sénégal, la philosophie et la culture sénégalaises font l’envie du MONDE ENTIER – littéralement – ; il n’y a que l’Egypte et l’Afrique du Sud qui en Afrique rivalisent, à peine, avec ce Sénégal ; dans ce Sénégal, Wade a tout fait avant tout le monde et tout compris ; il n’y a plus de poésie possible après Senghor, il n’y a pas de guerre en Casamance ; Gorée est le seul port négrier d’Afrique, les Sénégalais descendent des pharaons, la gastronomie sénégalaise est grasse juste ce qu’il faut, il n’y a pas de risques de crise alimentaire et… tout le monde jalouse le Sénégal.
Les Sénégalais se paient de mots. Ils les adorent (« les mots du français rayonnent de mille feux, comme des diamants » LSS) et en assomment tout le monde. Ils les aiment grands et plein de sens. Peut-être parce que la réalité du pays est rabougrie et monotone ? Lundi 4 Avril, le Sénégal célébrait ses cinquante-et-un ans d’autonomie territoriale. Comme dans l’histoire du 7 décembre, j’ai l’impression que personne n’ose lui dire qu’il lui manque encore l’autonomie administrative, politique, culturelle, militaire et financière. J’ai adoré vivre au Sénégal et j’aime ce pays, alors, si je peux être la voix amie qui rend les mauvaises nouvelles supportables…
(Quand on est malheureux, on doit être méchant.)
Joël Té Léssia
Laisser uncommentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués par *
Description qui me semble assez juste du Sénégal et des Sénégalais. On a toujours besoin d'un regard ami pour être jugé avec vérité et sans complaisance…
Merci Joël pour ce regard ami et cette piqûre qui donne à réfléchir! Le jugement formulé reflète un état d'esprit aisément perceptible certes chez nous autres sénégalais… mais il me paraît aussi très sévère. Sur "l'excellence éducative" et "le modèle démocratique" notamment je pense qu'il existe véritablement de quoi être fiers pour peu que l'on se compare aux autres pays du continent. Ce qui n'en réduit pas pour autant les challenges, il faut par exemple préserver et améliorer les acquis dans ces deux domaines et là il y a du boulot à faire. Heureusement que les jeunes sénégalais d'aujourd'hui sont de plus en plus conscients des limites de ces "spécificités sénégalaises" sur lesquelles il y a eu sans doute une part phantasmée…
Je rejoins Simel sur un point, l'excellence éducative sénégalaise est réelle, j'en suis un témoin privilégié. à une nuance toutefois : l'accès à une éducation de qualité devient, au Sénégal, comme dans beaucoup d'autres pays d'afrique francophone (à l'exception notable du Burkina) une affaire de privilégiés. Je ne parle pas seulement en termes financiers, mais une élite culturelle, économique ou intellectuelle (sans forcément qu'il y ait recoupement) accède à ce que le Sénégal a de meilleur. Pour le commun lot, l'éducation sénégalaise est très ordinaire.
De plus, tout cela s'arrête au lycée. Il faut un sens consommé de l'ironie pour présenter les universités publiques sénégalaises comme des creusets d'excellence. Et le modèle démocratique sénégalais a bien fané. La mégalomanie d'Abdoulaye Wade n'a fait qu'en accélérer le dépérissement. Hélas.
T'as raison Joël, et c'est parce qu'Abdoulaye constitue de plus en plus une menace pour la démocratie au Sénégal (mais aussi pour le progrès social et économique des populations) qu'il faut le combattre sans relâche pour qu'au soir du 26 février 2012 (si on arrive à organiser les élections à cette date…), le Sénégal puisse prendre un nouvel élan…
AJR, je vais me permettre d'aller plus loin, l'excellence éducative dont tu parles date d'un autre temps. Tu ne peux parler que de ce dont tu as été témoin, mais nous avons tout de même des échos de ce qui se passe actuellement au Sénégal. Le système éducatif a complètement périclité. La faute à qui? Aux dirigeants qui ont déclaré à la guerre aux professeurs? Qui recrutent des instituteurs qui n'ont même pas le niveau de la troisième (et qui ont pour tout diplôme un certificat d'études)? Aux professeurs qui hypothèquent l'avenir des élèves pour défendre des intérêts personnels par le biais des syndicats? À la démission des parents? Le système éducatif est flingué à la base, et les élèves cultivent des lacunes qui les suivront pendant longtemps (avec l'approbation du corps enseignant, qui, soyons fous, croit bien remplir sa mission)…
Sans vouloir défendre Abdoulaye Wade, il faut reconnaitre aussi que sa mégalomanie est entretenue par une bonne partie du peuple, complice (pour certains, malgré eux?). Le nombre de laudateurs, profiteurs, arrivistes, pistonnés, fanatiques religieux qui ont intérêt à ce que Wade reste au pouvoir me semble bien plus conséquent qu'on ne le croit…
LOL !
C'est le seul mot qui me vient à l'esprit apres la lecture de ce pamphlet tres caricatural qui frise le ridicule .
Le senegalais lambda est fier de son pays et est conscient de ses problemes . Et c'est cette fierte qui nous anime et qui nous donne envie de nous battre ou que nous soyons . Le Senegal est fantasme ; les USA , la China , l'Inde , la France l'ont ete et continuent à l'etre .
Il est important de rappeler que le Senegal est un pays semi desertique et depourvu de ressources minieres .
Il n'y a pas de guerre en Casamance mais une rebellion comme en Corse ou au Maroc .
Le Senegal est conscient de ces faiblesses mais est fier de sa force .
God Bless Senegal ! God Bless Africa !
Au passant égaré:
Il n'est pire sourd que celui qui ne veut entendre.
Ce n'est pas parce qu'on est fier de ce qu'on est qu'on n'a pas de défauts, et une petite piqûre de rappel de temps à autre ne fait pas de mal.
Le Sénégal est un pays semi-désertique et dépourvu de ressources minières
Déjà, cette phrase est à moitié fausse. Le pays n'est pas dépourvu de ressources minières. Avec l'exploitation du phosphate, les ICS ont longtemps été une entreprise phare en Afrique, et n'auraient jamais coulé n'eût-été la gestion scandaleuse qu'elle a connue depuis l'avènement du régime Wade. Sans compter l'or et le fer du sud-est du pays.
Et ensuite, je ne vois pas ce que cette phrase a trop à voir avec le sujet, si tu pouvais nous éclairer… Cantonner la richesse d'un pays à la hauteur de ses ressources minières est tout à fait ridicule.
Moi dans cet article je vois une analyse froide et lucide, dépourvue de toute caricature. Tu penses que ça fait plaisir de dépeindre ainsi un pays auquel on est lié d'une façon ou d'une autre? La fierté mal placée n'est pas ce dont on a besoin pour avancer.
Quel est le Sénégal conscient de ses faiblesses? Le Sénégal dont les jeunes qui travaillent versent la quasi-totalité de leurs salaires à des gourous? Le Sénégal qui se raccroche aux fantasmes (tiens, on y revient), entretenus par le Show-Biz, la lutte, le football? Le Sénégal où des millions de francs sont dépensés lors de cérémonies familiales juste pour afficher une richesse que l'on n'a pas? Le Sénégal des inégalités flagrantes, où fleurissent les nouveaux riches qui ont bénéficié des largesses du régime, qui dilapide l'argent du peuple? Le Sénégal où la corruption est dans les moeurs; Celui par où la drogue transite?
Le Sénégal […] est fier de sa force. Difficile de faire une phrase plus "bateau"… J'aimerais bien savoir de quelle force tu parles…
Si nous voulons avancer, il est temps que nous fassions un travail sur nous même. Au-delà de la fierté, il est temps de porter un regard objectif et sans complaisance sur notre situation, pour mieux la comprendre et l'améliorer. Un proverbe bien de chez nous me conforte dans l'idée qu'il est ridicule de s'offusquer de cet article: "sa gemiñ dafa xeeñ, sa doomu baay rek moo la ko mënë wax"
God bless Africa, God bless Senegal : Démago, hein…
j'avoue que quand je lis cet article et tous ces commentaires interessants, j'ai un sourire nostalgique! j'aime bien le patriotisme senegalais, cette volonte ardante de vouloir representer aussi dignement que possible les valeurs du terroir…..je peux toujours me rappeler les veillees de debats avec mes camarades senegalais a cause d'une affirmation banale qui impliquait "leur" pays.cependant tout exces est nuisible! sachons faire la difference entre realisme et le "diom". je rejoins l' "ancetre" Assoko sur sa description un peu "gnak-iser" (j'avoue) de la situation senegalaise parce qu'il depeint pleinement le constat d'une fin de sejour. j'adore ce pays mais je pense qu'il faut que les senegalais essaient de chill souvent quand il en vient au Senegal juste parce que une analyse est toujours la bienvenue et ne fais pas de mal a un lion.