Hier sur Twitter : huit cent Ivoiriens morts (entendez « tués ») en une journée. Puis non, trois cent cinquante. Enfin… huit cent mais sur quatre mois. Trois cent, oui trois cent en deux jours. Mais on a encore trouvé pas mal de corps dans un puits, donc pour le moment personne ne sait. Et qui sont les coupables ? Les forces proches du Président… Quel Président ? La femme du président est au Ghana ! Non, je te dis que c’est le Président de l’Assemblée Nationale qui est au Ghana. Mais la sœur du directeur de cabinet… Etc. Pendant deux jours.
Et tout ce temps, je ne pense qu’à une chose : quelles sont leurs sources ? Voilà ce qu’on a fait de moi. J’ai donné tort à Senghor, encore une fois : je suis un homme qui pense, mais ne sent plus. La source a tari et nous n’y retournerons plus jamais. Les lamantins sont morts. Et mort est le murmure des lamentations. Ma génération ne fécondera plus d’ « Orphée Noir ». Le « saisissement d’être vu » est mien – celui du Roi nu, de la secrétaire surprise en pleine irrumation. Et s’il ne doit rester qu’une chose, que ce soit cette devise : rester économe de ses illusions. J’ai congédié demain – trop prétentieux, menteur et surfait.
C’est si étrange d’avoir un passeport, qui fixe une date, un lieu de naissance, une nationalité, une identité, une « reconnaissance » que l’on n’a pas demandés. Ce pays n’est plus tout à fait le mien. À peine un point sur une carte, un espace vide. Je n’y connais qu’une famille d’anciens riches et de vrais pauvres, ma famille, et quelques anciens ou futurs soldats. Ce pays est mort, en train de mourir, je n’y pense plus. Je ne pense qu’aux miens qui y vivent.
Et s’il faut parler, encore, d’amour et d’espoir ; retenir qu’il faut toujours vivre en spéléologue, sans se soucier du retour, s’enfoncer toujours plus loin dans ces profondeurs pour trouver le réconfort paisible d’une solitude animée. Parce qu’au jour, là bas, plus haut, à la lumière, il y a huit cent, ou peut-être trois cent, trois cent cinquante regards qui ne « saisissent » plus grand-chose. Rien. Le noir.
Joël Té Léssia
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Joël, je comprends ta tristesse. Mais restons optimistes: les Eléphants d'Afrique se relèveront! Ils retrouveront leur chemin après ces errements qui n'ont que trop duré.
Espérons. Mais le chemin vers la réconciliation, la stabilisation et le progrès sera épouvantablement long.
J'espère que tu retrouveras ta capacité de sentir Joël, et que tu sauras allier le pessimisme de l'intélligence à l'optimisme de la volonté…