Les différentes crises politiques qui se jouent sur la scène africaine depuis quatre mois ne sauraient trouver de solutions idoines dans les réponses ponctuelles qui leur sont aujourd’hui apportées. On aurait ainsi tort de croire que la panacée résiderait dans le seul changement des régimes en place. Cette logique court-termiste est dangereuse en ce qu’elle élude le vrai problème, non pas celui des hommes mais celui des structures. En effet, les revendications politiques et sociales actuellement portées d’un bout à l’autre du continent appellent plutôt des solutions structurelles majeures. La plus importante est sans doute la modernisation de l’Etat. En Afrique, l’Etat mis en place aux lendemains des indépendances n’a pas su s’adapter aux évolutions majeures de notre époque ni répondre aux attentes des populations. La question de sa modernisation n’a d’ailleurs jamais fait l’objet de débat sérieux. Aujourd’hui, il faut de toute urgence réfléchir à la manière d’améliorer l’action des Etats pour qu’ils répondent enfin aux préoccupations des populations.
Les défis actuels peuvent être appréhendés à la lumière des quatre dimensions classiques sous lesquelles se décline l’Etat : l’Etat nation, l’Etat régalien, l’Etat de droit et enfin l’Etat fiscal-redistributeur.
On peut considérer effective en Afrique l’existence d’Etat-nations avec une identité collective ancrée. Si l’hypothèse souvent évoquée d’une scission de la Côte d’Ivoire ou de la Lybie au regard de l’actualité amène à nuancer ce propos, cette éventualité pour ces pays semble davantage s’expliquer par un rapport de force politico-militaire que par un réel déni de désir de vivre-ensemble de ces populations. On peut également considérer comme effective l’existence d’Etats régaliens exerçant une réelle souveraineté à l’intérieur de leurs frontières, quand bien même il se trouve toujours des personnes pour soutenir que le destin de bon nombre de pays du continent se trouve scellé à la Maison Blanche ou au Palais de l’Elysée. Sans perdre de vue la nécessité d’améliorer l’Etat en Afrique sous ces deux dimensions, une modernisation ambitieuse et courageuse gagnerait à mettre l’accent sur l’Etat de droit et l’Etat fiscal-redistributeur.
L’Etat de droit suppose une autonomisation de la politique, celle-ci étant entendue comme l’art de gouverner la cité, la cité-Etat étant le prototype des collectivités publiques modernes. Or, depuis 50 ans et à quelques exceptions près, le continent n’a pas réalisé d’avancées significatives dans l’autonomisation de la politique. Cette dernière y est encore trop fortement liée au régionalisme, à l’ethnicisation, à la religion ou encore au corporatisme. Aujourd’hui en Egypte, en dépit du départ de Moubarack, l’autonomisation de la gestion du pays vis à vis de l’armée est encore loin d’être gagnée ; en Côte d’Ivoire, certains acteurs posent le problème politique en des termes qui annihilent la frontière qui devrait exister entre sensibilité politique et appartenance ethnique, régionale, voire religieuse. Plus généralement, la démocratie n’est-elle pas une vue de l’esprit lorsqu’elle ne se résume qu’à une majorité mécanique en fonction de l’appartenance ethnique de tel ou de tel autre candidat ?
Dans l’essentiel des pays du continent, cette absence d’autonomie de la politique contribue à maintenir un clientélisme qui n’est pas favorable à une prise en charge par l’Etat des préoccupations communes à l’ensemble des citoyens, pas plus qu’elle ne favorise d’ailleurs l’accès à l’égalité devant la justice. Il faut en effet bénéficier pleinement de ses droits pour ester en justice, c’est à dire comparaître debout devant un tribunal. Or « l’homme debout est un défi, une menace pour les puissances installées sur leur trône, voire étalées sur leurs banquettes comme les empereurs romains »[1].
Quant à l’Etat-fiscal-redistributeur, il est quasi inexistant dans bien des contrées du continent. On en oublierait même que « les plus vieux vestiges fiscaux sont les nilomètres, ces pieux enfoncés dans le Nil qui mesuraient la hauteur de la crue et en déduisaient le volume des récoltes comme l’assiette de l’impôt »[2]. L’Etat doit en effet s’appuyer sur des recettes fiscales pour financer ses dépenses publiques, notamment en matière d’infrastructures, d’éducation, de santé et d’emploi, secteurs dans lesquels les besoins des Etats africains demeurent encore aujourd’hui considérables comme le prouvent les mouvements de protestations en cours. Il doit aussi jouer un rôle de redistribution d’autant plus que la croissance générale du PIB de l’ordre de 5% en moyenne sur le continent – et atteignant 11% dans certains pays –, loin de générer un progrès social homogène pour tous les citoyens, creuse davantage les inégalités. Dans tous ces domaines, répondre aujourd’hui aux préoccupations des populations nécessite pour chaque Etat de s’appuyer sur des politiques fiscales génératrices de ressources en mesure de se substituer à l’aide internationale au développement.
Cette impérieuse nécessité de moderniser l’Etat en Afrique peut prendre différentes voies. Doit-on encourager une modernisation technocratique avec une présence plus forte mais aussi plus compétente de l’Etat ? Devrait-on plutôt préférer une modernisation libérale dans le sillage de l’Ecole de Chicago en réduisant le périmètre de l’Etat ? Faudrait-il exclure d’office une modernisation antidémocratique dans son exercice, un « despotisme éclairé » ? Existerait-il une quatrième voie qui pourrait être plus proche des valeurs et des cultures africaines ?
Il va sans dire qu’il est nécessaire de choisir une méthode et de se doter d’un agenda sérieux car, comme bien souvent, la méthode et le timing sont déterminants. Pour l’heure, l’un des principaux ennemis des Etats africains demeure hélas l’absence de leadership, qui se traduit par le règne sans partage du court-termisme et l’incapacité à se projeter vers l’avenir.
Nicolas Simel NDIAYE
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Merci Simel pour cet article qui pose fort justement une problèmatique majeure et d'actualité pour le continent africain : La question du rôle moteur d'un Etat moderne dans la définition et l'exécution d'une politique nationale cohérente et efficace. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt la dernière partie de l'article, plus centré sur la prospective et les éventuelles pistes possibles dans la redéfinition de l'Etat. A ce titre, la lecture de l'essai de Francis Fukuyama, "State Building" (notamment ses idées forces de "scope" et "strength" d'un Etat que l'on pourrait assez fidèlement traduire par l'étendue des pouvoirs d'un Etat (scope) et sa capacité à pouvoir (strength) effectivement faire appliquer ses décisions à tous ses adminsitrés) est à mon sens un excellent complément qui permettra d'approfondir les thémes évoqués dans l'article.