La démocratisation de l’Intellectuel

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Au cœur de l’activité de l’esprit, les saints intellectuels sont les messies du commentaire politique, tant national qu’international. Le métier se résume vulgairement à la capacité d’analyse, faisant appel au sens critique et à la méditation. Souvent perçus comme l’élite “intelligente” et précurseur, les intellectuels nous font parfois perdre le fil de leur réflexion.  A l’image d’un Sonallah Ibrahim: alors qu’avant-hier il était emprisonné dans les geôles de Gamel Abdel Nasser, hier il refusait un prix car provenant du régime d’Hosni Moubarak, aujourd’hui il se présente aux côtés  d’Abdel Fattah Al-Sissi. Celui-ci n’est qu’un exemple égyptien de « libéral » parmi tant d’autres, qui soutenaient cette révolution, si emballante soit-elle. Et le spectre du régime militaire nous est renvoyé en pleine figure. La question est de savoir quel argument, au singulier, peut justifier un tel retournement de veste?

Cher Intellectuel, ta plume est belle, ta plume nous insuffle idées et idéaux. Hier, tu étais emprisonné pour tes mots. Aujourd’hui, tu soutiens, dans le sang, cette même main qui t’a enfermé derrière les barreaux. Es-tu l’un des disparus de ce monde qui semble nous avoir échappé ?

Il est un individu doté d’une culture si développée que cela inspire une légitimité quasi-naturelle pour son intervention dans l’espace public. L’accessibilité à l’éducation s’élève au même rythme que le niveau général des études, il est donc probablement devenu plus difficile de maintenir la définition classique de l’Intellectuel. Espèce d’être des lumières, membre d’un cercle restreint élitiste, le libre accès aux médias les a fait perdre pied. D’antan, le cerveau de ces gus puisait dans des racines multidisciplinaires. Partant de visées généralistes, ce sont des thématiques précises qui gagnent, actuellement, l’expertise de cette élite. L’Intellectuel est devenu tout le monde, tel un statut qui s’intègre dans la masse collective. Et, comme c’était toujours mieux avant, sonnant l’obsession générationnelle commune, l’évolution du statut de l’intellectuel tend à poser la question erronée de sa disparition.

Face à la Crise généralisée, la contestation verbale et écrite, dans les méandres des réseaux sociaux, est devenue notre seule stimulation. Génération cul-entre-deux-chaises, il nous paraît toujours plus évident de dénigrer et de nous morfondre plutôt que de créer une évolution propre à l’aspiration de notre société. La multiplication de ce statut conféré ne fait pas démériter l’intellectuel d’aujourd’hui par rapport à son ainé. Mon regret se penchera plus sur la qualité médiocre de ceux qui se retrouvent au cœur de la médiatisation, joueurs de bas-étage dans les débats sensibles.

Il n’est pas porté disparu. L’Intellectuel existe toujours bel et bien. Toutefois, la médiocrité a réussi à rattraper cette aristocratie de l’intelligence. Les plus fous d’entre nous peuvent atteindre ce nirvana de la méditation et prétendre avoir le titre de cette élite. L’exemple le plus enchanteur est celui d’un BHL à côté de toutes les plaques de l’univers. Alors, enchantée cher Intellectuel de comptoir.

Deir es-Sultan: un coeur discret à Jérusalem

Deir es-Sultan 1Quelle expérience est plus vivifiante que la découverte de la sainte capitale de l’Humanité? Les ruelles étroites enfermées dans les remparts sont construites avec des pierres brûlantes qui transpirent l’Orient. La diversité y est omniprésente, à la fois celle des religions, des Nations, des idéaux. La beauté de Jérusalem et tout ce qu’elle respire sont d’une inspiration chamboulante, qui vous renvoie en pleine figure histoire, géopolitique et cohabitation des croyances. Deir es-Sultan s’est transformée en une réponse d’une quête d’africanité en territoire oriental.

Tout a commencé lorsqu'Hébron m’a appris que les soldats israéliens d’origine subsaharienne ne sont pas facilement intégrés dans la société. Pire, ils sont envoyés dans les zones les plus sensibles pour effectuer leur service militaire. Naturellement, les pieds posés à Jérusalem, une de mes questions lors de ce séjour a été celle de la présence d’une empreinte religieuse africaine. Depuis plus de 1.500 ans, l’Eglise éthiopienne survit à Jérusalem grâce à la persévérance et la force de ses moines. En effet, dépourvu de ressources significatives, ils se contentent de revenus peu diversifiés. L’identité de ses fidèles se résume en leur attirance pure vers la sainteté de la Ville de cuivre et d’or.

La place du Saint-Sépulcre bouillonne, peu importe l’heure. Les fidèles s’extasient et se recueillent dans cette église où, selon la tradition chrétienne, le corps de Jésus de Nazareth fut déposé après avoir été descendu de la croix. Et pourtant, à droite de l’entrée, une petite porte interpelle les plus curieux. De la même taille, des escaliers en pierres vous font deviner que l’édifice se situe sur un toit. Son étroitesse est à l’image du monastère: cette église éthiopienne, installée à l’extérieur du Saint-Sépulcre et non en son sein comme les représentants des autres rites, est d’une austérité quasi-mystique. Cette caractéristique en fait son charme et le lieu dont la spiritualité m’a le plus frappée. Deir es-Sultan 2

La visite de la chapelle se fait en un regard mais ses détails sont captivants, à l’image de la cathedra, siège épiscopal, d’un rose et d’un kitsch ultra-prononcé. L’originalité du lieu me fait regretter son manque de visiteurs, en me faisant l’effet d’un de ces trésors ramassé à tout hasard. Après avoir longé la chapelle et escaladé une volée de marches, une cour intérieure s’offre à nous. Le dôme qui y trône se trouve être celui qui filtre les rayons de lumière éclairant la chapelle Sainte-Hélène, se situant juste dessous. Pointer l’exotisme du lieu, en référence au continent africain, comme un regard calqué sur l’orientalisme, est simplement l’antithèse de l’architecture de Monastère du Sultan.

Il est presque curieux de réaliser que la condition de Deir Es-Sultan est représentative des migrants subsahariens au Proche-Orient. Reléguée en seconde position, la condition des africains l’est autant à l’image des diverses polémiques en Israël et de leur traitement dans les pays arabes. Lieu d’un autre temps, il me fait remarquer que l’évolution met du temps à se mettre en place. Mais, malgré son histoire, son aspect pittoresque vous marque par son authenticité. Deir es-Sultan est la seule présence africaine dans un des lieux les plus saints du christianisme. Néanmoins, l’Afrique respire à travers le maintien de ce monastère au coeur des fois de l’humanité.

Ghita Chilla

La jeunesse orgueilleuse d’Omar Victor Diop

victor_diop_1Le regard offert par Omar Victor Diop sur l’Afrique est un véritable hymne à la joie. L’objectif novateur de ce photographe travaille tant sur le mode conceptuel, publicitaire que celui du portrait. Fraîcheur, jeunesse et espoir communicant sont les premiers mots qui capturent des portraits riches en couleurs, dans son dernier projet “Studio des Vanités”. Ce studio photographique éphémère trouve sa place à l’Institut français de Dakar, depuis le mois de mai, dans le cadre de la 11e édition de la Biennale des arts.

Le photographe, d’origine sénégalaise, affirme l’identité plurielle du continent africain en mettant en lumière diverses personnalités de la nouvelle scène urbaine. Ainsi, des personnalités culturelles telles qu’Aminata Faye, Mamadou Diallo, Thierno Ndiaye, Gaëlle Mongo ou encore Adama Paris Ndiaye se sont prêtées au jeu. La démarche de ce projet s’inscrit dans une tradition de la photographie de portrait connue en Afrique de l’Ouest. La manière de vivre la photographie se présentait comme un rituel : le portrait était accompagné d’accessoires pour compléter une image intemporelle qui marquerait le statut de la personne au sein de la société. Dans cette continuité, et en associant à sa façon tradition et modernité, chaque photographie dispose d’un contexte accessoirisé relatif à la personne au centre de l’objectif d’Omar Victor Diop.

victor_diop_2En tant qu’artiste, le photographe fige cette génération qui fait émerger une identité propre. Il dessine une perception qui mène au changement, d’une vision nostalgique à celle d’une région ouverte et dynamique. Non, l’Afrique n’est pas singulière, ni cantonnée aux préjugés occidentaux. Cet aspect de son travail est primordial. Elle présente une bouffée d’air qui accorde une place croisée au cliché d’une culture africaine, perçue à l’extérieur comme homogène, et la mode actuelle. Il ne s’agit plus de portraits qui capturent une personne physique mais plutôt ceux de personnalités représentant des sociétés diverses d’un continent plein d’avenir.

Si l’outil du portrait peut apporter une touche d’orgueil, celle-ci demeure bon enfant et dépourvue d’arrogance. En définitive, « Le Studio des Vanités » n’est qu’une illustration d’une culture urbaine africaine, qui a toute sa place sur la scène artistique contemporaine. Omar Victor Diop est un acteur à part entière de cette Afrique qui bouge, qu’il tend lui-même à mettre en avant à travers ses différents projets.

Ghita Chilla