Somalie : Les origines d’une situation chaotique

Depuis de nombreuses années, la Somalie est plongée dans un conflit à ce point complexe qu’on ne parvient pas à le juguler, ni même à le contenir. Ce conflit est si complexe et aux multiples facettes que le géographe et professeur émérite Alain Gascon s’interroge en ces termes : «Quelle(s) étiquette(s) apposer sur le(s) conflit(s) en Somalie : guerre civile, conflits de clans, guerre des gangs, jihad, séparatismes, éleveurs contre agriculteurs, lutte de « la croix contre le croissant », guerre contre le terrorisme ? Toutes sans doute. En effet, au cours de l’enchaînement tragique qui a abouti à la catastrophe actuelle, les affrontements ont, tour à tour et simultanément, pris toutes ces significations »[1]

Les familiers de l’actualité africaine ne doivent être que trop médusés, choqués et doivent se sentir impuissants devant le bal d’attentats sanglants perpétrés avec pertes et fracas à Mogadiscio et dans d’autres localités de ce territoire. Les récits et les images à glacer le sang qui nous parviennent par voie de média sont proprement écœurants. L’Afrique Des Idées vous propose une série de deux articles pour tenter de comprendre ce bourbier dans lequel est engluée la Somalie,. Dans ce premier article, nous  retournerons à la genèse du conflit en tentant d’expliquer les facteurs internes et externes qui ont contribué à plonger ce pays de la corne d’Afrique dans le chaos.

La dictature du Géneral Siad Barre ou le début de la tragédie Somalienne

Jusqu’à son indépendance en 1960, la Somalie était dominée par l’empire Britannique dans sa partie Nord tandis que le Sud du pays était sous le contrôle des Italiens. L’indépendance de 1960 réunifia ces deux entités territoriales. [2] Le 21 Octobre 1969, soit six jours après l’assassinat du président Ali Shermarke, un coup d’État mené par le général Mohamed Siad Barre remettait en question neuf années de démocratie parlementaire.[3] Ce dernier va diriger la Somalie d’une main de fer de 1969 à 1991. Durant ses années de pouvoir, ce dirigeant autoritaire a fait preuve d’une gestion clanique et patrimoniale de la chose publique. Ces mauvaises pratiques qui ont, hélas connu leurs beaux jours dans bon nombre de pays africains ont poussé les clans qui se considéraient désavantagés, sinon spoliés à s’organiser pour tenter de renverser le régime.

Par ailleurs, en ce qui concerne ses relations internationales, le régime de Siad Barre était à ses débuts, proche de Moscou et de Cuba mais ses visées expansionnistes auront raison de ces alliances. En effet, la Somalie  en 1977, sous la férule du Général Barre, fera la guerre à l’Éthiopie voisine qui  à l’époque, était déstabilisée depuis la chute du Négus Hailé Sélassié en 1974.  Compte tenu des relations devenues inamicales avec les communistes, la Somalie se tournera vers l’Ouest, notamment les États-Unis qui seront un soutien de poids de ce régime dictatorial avant de le « vomir » lorsque sa chute apparut inéluctable. La campagne militaire des troupes de Siad Barre en Ethiopie  ne fera pas long feu. En effet, dès 1978, elles se retirent de ce pays. Cette aventure malheureuse va susciter l’émergence de nouveaux groupes rebelles somaliens, bénéficiant de l’appui de l’Éthiopie.[4]

Le crépuscule du régime de Siad Barre ne marquait pas la fin des souffrances, pour ne pas dire du martyr imposé au peuple Somalien. Il s’en suivit une période de forte instabilité marquée par des violences, des affrontements incontrôlés et l’émergence de nouveaux groupes rebelles. Ces affrontements et violences avaient comme visées apparentes « l’appropriation de biens de production (terres agricoles et entreprises publiques), le contrôle des ports et aéroports reliant le pays à l’extérieur, le tout dans le cadre d’une véritable économie de guerre où les war lords étaient les figures politiques dominantes »[5].

  Les  sécessions  des années  1990 ou l’enlisement de la tragédie Somalienne

En mai 1991, il y eut une sécession dans le Nord du pays. Le Somaliland, ancienne colonie britannique rattachée à l’indépendance au reste de la Somalie anciennement italienne déclara son indépendance du reste du territoire de Somalie. Le Somaliland ne bénéficie cependant pas d’une reconnaissance ou légitimité internationale. Notons toutefois que le Somaliland ne connaît pas l’instabilité chronique que connait la Somalie et organise même des élections démocratiques. Ensuite, c’est le Puntland qui va déclarer son autonomie. Le Puntland ne remet pas en cause son appartenance à la Somalie mais se considère autonome et administre son territoire sans égards aux atermoiements de Mogadiscio. Il y a donc une sorte de partition du pays en trois entités : Somalie, Somaliland, Puntland.

Enfin, au titre des facteurs externes, notons que la grave sécheresse de 1991-1992 poussa les partenaires extérieurs à mettre en place une importante aide humanitaire qui entraîna fort malheureusement des détournements massifs. Lesquels détournements ont été à la base d’affrontements ayant comme motivation principale l’appropriation de cette aide. On voit bien que les facteurs internes et externes sont très imbriqués dans le cas somalien.

Tous ces éléments factuels ci-dessus analysés expliquent en partie la situation chaotique actuelle de la Somalie que nous verrons dans la seconde et dernière partie de cette série d’articles consacré à ce pays de la corne de l’Afrique.

Thierry SANTIME

[1] Gascon, Alain. 2008 « La Somalie en mauvais État ». http://journals.openedition.org/echogeo/4484

[2] Véron, Jean-Bernard. 2009. « La Somalie : un cas désespéré »

[3] https://academic.oup.com/rsq/article-abstract/13/2-3/75/1561614?redirectedFrom=fulltext

[4] « L’intervention en Somalie 1992-1993 ». Anne-Claire de Gayffier-Bonneville

[5] «Véron, Jean-Bernard. 2009. « La Somalie : un cas désespéré »

Comment la ruée éthiopienne vers l’hydroélectricité a remis en question l’équilibre préétabli de sa région

Le-barrage-Grand-RenaissanceDurant l’Antiquité, l’historien Hérodote décrit que «L’Egypte est un don du Nil.» En effet, ce fleuve a joué un rôle majeur dans le développement de ce pays d’Afrique du Nord tant dans l’agriculture que le transport et a conditionné la vie de ses habitants dans les domaines sociaux et économiques. Au début du 20ème siècle, l’octroi par le tuteur britannique d’un Traité établissant un droit sur l’ensemble du Bassin du Nil, la reconnaissance, 10 ans plus tard par l’Italie, d’un droit supplémentaire sur le bassin du Nil éthiopien et la construction de grands barrages, comme à Assouan, lui ont permis de devenir la puissance régionale dans cette partie du monde. Toutefois, les récentes crises politiques intérieures, l’affaiblissement de son économie survenu après le printemps arabe, mais surtout, la ruée contemporaine vers l’électricité amorcée par certains pays voisins, notamment l’Ethiopie, remet en cause cette hégémonie.

Après une longue phase d’instabilité marquée par des guerres et des graves crises alimentaires, l’Ethiopie, d’où partent 80% des eaux du Nil, a connu un essor économique sans précédent dans son histoire. Actuellement classée par le Fonds monétaire international (FMI) parmi les cinq économies les plus dynamiques du monde, il a eu une croissance moyenne annuelle de 10,3% au cours de la dernière décennie et, celle-ci devrait se poursuivre en 2016. De plus, son gouvernement aspire, via de larges investissements publics, à devenir un pays à revenu intermédiaire, dont le Revenu national brut (RNB) par habitant se situerait entre 1 036 et 4 085 dollars, d’ici à 2025.

Dans ce contexte et afin de soutenir ce développement, les dirigeants du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE) – parti au pouvoir depuis 1991 –   ont conçu un ambitieux plan d’électrification. Pour ce faire, ils ont misé sur l’énergie provenant de l’eau car il dispose d’un potentiel hydroélectrique parmi les plus importants d’Afrique (deuxième après la République démocratique du Congo) s’élevant à 40.000 MW et ont donc entrepris la construction de plusieurs barrages, dont le projet colossal du « barrage de la Renaissance », lancé en 2011 et qui aura une capacité de 6000 MW.  Toutefois, plusieurs obstacles légaux et politiques ont dû être surmontés.

En effet, le partage des eaux du Nil était défini par les termes d’un accord signés en 1959 entre le Soudan et l’Egypte. Celui-ci prévoyait une répartition de 55,5 et 18,5 milliards de mètres cubes d’eau en faveur du Caire et de Khartoum respectivement, sans prendre en compte les nations localisées en amont du fleuve. Face à cette situation, Addis-Abeba entreprit plusieurs actions diplomatiques afin de réunir les pays riverains du Nil et remettre en cause ce pacte issu de la guerre froide.  En 2010, un traité, le New Nile Cooperative Framework Agreement qui prévoit de nouvelles modalités dans la gestion du Nil et des projets de construction de barrages, est signé entre six nations (Burundi, Éthiopie, Kenya, Rwanda, Tanzanie et Ouganda). Libéré du droit de regard et du veto égyptien, il démarra la construction de plusieurs centrales hydroélectriques.

Grâce à ces dernières, il devrait disposer d’une capacité électrique de 25.000MW à l’horizon 2030, contre 2180 MW en 2013. De plus, il est aussi prévu de créer un réseau interconnecté régional dont le cœur sera l’Ethiopie. « La principale interconnexion reliera l’Éthiopie au Kenya sur 1 100 km, pour délivrer d’abord 400 MW et per­mettre le transport de 2 000 MW lorsque les autres pays seront raccordés. Ce réseau comprendra aussi une ligne Kenya-Tanzanie de 400 kV, une ligne de 500 kV reliant l’Éthiopie au Soudan et une ligne à partir des chutes de Rusumo, pour re­lier la Tanzanie, le Rwanda et le Burundi. » À termes, cette nation de plus de 96 millions d’habitants devrait devenir le plus grand pourvoyeur d’énergie en Afrique de l’Est, lui permettant d’avoir d’énormes rentrées en devises pour assurer son développement et disposant d’un important levier politique pour maintenir sa puissance à travers la région. Mais, comment expliquer sa rapide expansion?

L’apparition de nouveaux acteurs internationaux, avec en tête la Chine, a facilité l’apport de nouveaux moyens de financement tout en permettant, aux états africains, de se libérer des contraintes imposées – comme, par exemple, initier des réformes démocratiques ou l’obligation de trouver un accord avec tous les partis impliqués dans la négociation d’un traité –  par les institutions financières tels que le Fond monétaire internationale (FMI). Par exemple, alors que des partenaires se retiraient des projets éthiopiens d'énergie hydraulique en raison de préoccupations liées à l'environnement, les compagnies chinoises prenaient une part active finançant parfois plus de 80% de ceux-ci, comme c’est le cas pour les deux barrages sur la rivière Gebba à l’ouest du pays.

Au-delà du fait que sa ruée vers l’électrification a grandement contribué et contribue à son ascension régionale, le cas éthiopien pourrait inspirer d’autres pays africains.  Si la Guinée, qui représente à elle seule le quart du potentiel hydroélectrique de l’Afrique de l’Ouest, arrivait à exploiter ces 200 sites de production identifiés à travers son territoire,  elle pourrait devenir, tout comme l’Ethiopie, un « château d’eau » qui bouleverse l’équilibre des forces dans son environnement géographique.

Szymon Jagiello​

Références

Le pari éthiopien d’une économie verte : vers l’émergence d’un modèle africain?

 L’accord survenu lors de la conférence de Paris en décembre 2015 marque, une avancée positive quant aux menaces  et aux défis liés aux modifications météorologiques de notre planète. En effet, le texte adopté est le premier accord universel sur le dérèglement climatique car celui-ci a été signé par les 195 pays ayant participé à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUC) de 1992. De plus, ils se sont engagés à limiter le réchauffement de la terre à 2°C, voire même à 1,5°C, à partir de 2020.  En revanche, des zones d’ombre subsistent, notamment sur comment atteindre ce but. Toutefois, certaines nations n’ont pas attendu un accord au niveau international  pour s’engager dans la lutte contre le réchauffement climatique en mettant en place des plans cherchant à limiter l’impact de leurs activités économiques sur l’environnement au niveau national. À cet égard, un état mérite certainement que l’on s’y attarde.

Alors qu’il y a encore une génération, l’Ethiopie, qui subissait entre autres la guerre et une forte mortalité infantile, a connu une métamorphose impressionnante au cours des 30 dernières années. À l’instar de sa capitale Addis-Ababa qui se projette dans le 21ème siècle à coups de grands chantiers,  immobiliers, routiers et même ferroviaires –  deux lignes de tramways ont récemment vu le jour dans cette ville, fait très rare en Afrique sub-saharienne -, ce pays de plus de 96 millions d’habitants a vu son économie croître de manière substantielle avec un taux de croissance d’approximativement 10 % en moyenne par an depuis 2006 (ce qui lui vaut d’être considéré aujourd’hui comme l’une des 5 économies les plus dynamiques du monde par le Fonds monétaire internationale (FMI).  De plus, beaucoup de secteurs clés ont enregistré des résultats remarquables, comme l’industrie (14% du PIB) qui a affiché une croissance annuelle de 18,5% en 2013 et 21,2% en 2014. Mais, il y a aussi l’agriculture (40.2 % du PIB) ou le secteur des services (46.2 % du PIB) qui ont suivi une voie similaire avec une hausse de 5.4% et 11.9% respectivement. Cette mise en orbite économique s’est accompagnée d’une demande en énergie qui ne cesse d’augmenter. Selon les analyses publiées par le Ministère de l’énergie de l’Ethiopie, ce pays d’Afrique de l’Est a actuellement besoin d’accroître sa production électrique de 20 à 25% par an pour se développer. Cette croissance a aussi provoqué une augmentation de la pollution. À l’heure actuelle, elle émet 150 millions de tonnes de CO2 par an. Les experts estiment que ses émissions pourraient plus que doubler, pour monter jusqu’à 400 millions de tonnes, au cours des 15 prochaines années. Dans ce contexte, les autorités éthiopiennes   ont conçu, en 2011,  une stratégie pour une économie verte résistante aux changements climatiques (CRGE) qui favorise le développement durable. Son principal objectif consiste à faire de l’Ethiopie un pays à revenu intermédiaire, dont le revenu national brut  (RNB) par habitant s’élève entre 1035 et 4085 dollars par an, en 2025 tout en limitant le taux national des émissions de gaz à effet de serre (GES) au niveau actuel. Celui-ci s’appuie sur plusieurs piliers comme l’agriculture, la foresterie, les transports et l’énergie, pour lesquels une profonde transformation est prévue afin d’éviter une augmentation de 250 millions de tonnes des émissions de CO2 d’ici à 2030. Mais, quelles sont les raisons derrière ce choix et comment seront menés les changements ?

D’un côté, cette décision répond à une logique financière. En effet, bien qu’un gisement de gaz ait été récemment découvert dans le bassin de l’Ogaden, cette nation possède très peu de réserves liées aux énergies fossiles. Cette situation l’oblige à les importer, notamment le pétrole, pour répondre aux besoins de son essor économique, avec un impact conséquent sur les dépenses publiques.  Selon l’Observatoire de la complexité économique du  Massachussetts Institute of Technology (MIT),  l’Ethiopie a importé pour 1.6 milliards de dollars de pétrole raffiné en 2013, ce qui place ce produit à la première place dans ses importations. De l’autre, son choix est aussi dicté par des raisons climatiques car elle doit faire face à de longues périodes de sécheresse alternées avec des fortes précipitations. Récemment, elle a même rejoint le club des dix pays les plus exposés aux périls climatiques selon un rapport publié par le cabinet de conseil, Maplecroft. Face à ces circonstances, les autorités éthiopiennes se sont tournées vers les technologies vertes à commencer par l’hydroélectricité car leur territoire dispose d’un potentiel parmi les plus grands d’Afrique qui s’élève à 40.000 mégawatts et est aussi la source de plusieurs fleuves, notamment le Nil. C’est donc sans surprise que des barrages hydrauliques ont vu le jour et ceux-ci assurent actuellement plus de 98% de la production électrique. Néanmoins, ces immenses édifices sont dépendants du débit de l’eau et en période sèche, lorsque ses cours d’eau sont à des niveaux bas, les turbines ne peuvent fonctionner à plein régime. Afin d’atténuer les risques liés au problème de l’eau dû au déficit de pluviométrie, Addis-Ababa a aussi misé sur l’énergie éolienne. En effet, les périodes de vent dans ce pays coïncident avec les saisons sèches, ce qui permet aux éoliennes de compenser les pertes liées à l’activité hydraulique. Cette complémentarité n’est pas passée inaperçue aux yeux des hommes politiques, lesquels ont jugé bon  d’investir massivement  dans cette filière en bâtissant, notamment, l’une des plus grandes fermes éoliennes d’Afrique,  Adama II.  Le pays dispose également d’importantes ressources d’énergie géothermique et solaire.

Ces différents investissements permettent déjà aux autorités fédérales d’exporter de l’électricité vers les pays limitrophes tel que le Djibouti. Toutefois, l’énergie ne représente que 3% des émissions totales éthiopiennes. En effet, ce sont surtout l’agriculture et la foresterie qui prennent une grande part dans la pollution de l’atmosphère. Elles représentent à elles seules plus de 85% des émissions GES. La pratique de l’agriculture sur brûlis ou l’utilisation de combustibles biomasses telle que le charbon pour la préparation des aliments sont autant d’éléments qui contribuent à la dégradation environnementale. C’est pourquoi, il est prévu qu’une reforestation massive à hauteur de 15 millions d’hectares ainsi que l’introduction de nouvelles technologies dans les milieux ruraux soient effectuées. Toutefois, dans cette bataille face au dérèglement climatique, un facteur important est à prendre en compte : l’argent, nerf de beaucoup de guerres dans le domaine du développement. Effectivement, le CRGE nécessitera la mobilisation de 150 milliards de dollars (80 milliards pour les investissements et 70 milliards pour les dépenses liées au fonctionnement) pour sa réalisation. En termes d’investissements, la plus grande part devra être réservée au développement de l’électricité et de l’infrastructure énergétique, dont le coût avoisine les 38 milliards de dollars. Bien que l’état éthiopien s’est engagé à couvrir une tranche de ce montant et qu’une partie du peuple, dont le revenu national brut (RNB) par habitant s’élève à 550 dollars[i], ait été sollicitée, notamment pour le financement du barrage de la « Renaissance », la vision du feu Président Melenes Zenawi ne pourra être menée à terme sans aides financières extérieures, qu’elles soient publiques ou privées. Selon les estimations, les ressources financières, locales et internationales, s’élèvent à 18 milliards de dollars, ce qui sous-entend que plus de 50% doivent être encore trouvés  pour pouvoir développer l’électricité. De ce fait, une partie des 100 milliards de dollars que les pays industrialisés ont promis de mobiliser par an à partir de 2020 pour aider les pays en développement à combattre le réchauffement climatique, pourrait certainement contribuer à aider de manière significative cet état d’Afrique de l’Est. De plus, la probabilité que cet argent soit perdu est faible car, comme le démontrent les différents ouvrages déjà réalisés tels que les fermes éoliennes Adama I et II ou les barrages Gibe I et II, il fait partie des pays en développement ayant mené à bien des grands projets d'infrastructures. 

Depuis 1960, la température moyenne a augmenté entre 0.5 et 1,3 degré[ii] en Ethiopie, engendrant une érosion et une dégradation importante des sols, notamment dans le nord du pays. Les spécialistes prévoient aussi que ce pays pourrait connaître une hausse supplémentaire de 1,2 degré d’ici à 2020, ce qui allongerait les périodes de sécheresse et augmenterait le risque de famine pour des millions de personnes. Conscient de cette menace, l’état éthiopien s’est engagé à transformer sa politique énergétique en investissant dans les énergies renouvelables pour favoriser une croissance verte. Bien qu’il soit encore trop tôt pour prédire les résultats que produira le CGRE,  celui-ci inspire déjà d’autres pays comme le Mali ou le Nigéria qui se sont renseignés sur son processus. Mais fait plus important, si les objectifs mentionnés dans ce projet titanesque peuvent être atteints, cette nation, qui devrait compter 120 millions d’habitants en 2030[iii], pourrait émettre presque autant de CO2 que l’ensemble des pays scandinaves aujourd’hui dont les émissions de CO2 s’élèvent à 135 millions de tonnes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[i] “Ethiopia’s Economic Overview.” Rapport de la Banque Ethiopia’s Economic Overview mondiale. 23 septembre 2015.

 

 

 

 

 

 

 

[ii]Climate Trends in Ethiopia.” Rapport de l’Africa Climate Change Resilience Alliace 5ACCRA). 2011.

 

 

 

 

 

 

 

Deir es-Sultan: un coeur discret à Jérusalem

Deir es-Sultan 1Quelle expérience est plus vivifiante que la découverte de la sainte capitale de l’Humanité? Les ruelles étroites enfermées dans les remparts sont construites avec des pierres brûlantes qui transpirent l’Orient. La diversité y est omniprésente, à la fois celle des religions, des Nations, des idéaux. La beauté de Jérusalem et tout ce qu’elle respire sont d’une inspiration chamboulante, qui vous renvoie en pleine figure histoire, géopolitique et cohabitation des croyances. Deir es-Sultan s’est transformée en une réponse d’une quête d’africanité en territoire oriental.

Tout a commencé lorsqu'Hébron m’a appris que les soldats israéliens d’origine subsaharienne ne sont pas facilement intégrés dans la société. Pire, ils sont envoyés dans les zones les plus sensibles pour effectuer leur service militaire. Naturellement, les pieds posés à Jérusalem, une de mes questions lors de ce séjour a été celle de la présence d’une empreinte religieuse africaine. Depuis plus de 1.500 ans, l’Eglise éthiopienne survit à Jérusalem grâce à la persévérance et la force de ses moines. En effet, dépourvu de ressources significatives, ils se contentent de revenus peu diversifiés. L’identité de ses fidèles se résume en leur attirance pure vers la sainteté de la Ville de cuivre et d’or.

La place du Saint-Sépulcre bouillonne, peu importe l’heure. Les fidèles s’extasient et se recueillent dans cette église où, selon la tradition chrétienne, le corps de Jésus de Nazareth fut déposé après avoir été descendu de la croix. Et pourtant, à droite de l’entrée, une petite porte interpelle les plus curieux. De la même taille, des escaliers en pierres vous font deviner que l’édifice se situe sur un toit. Son étroitesse est à l’image du monastère: cette église éthiopienne, installée à l’extérieur du Saint-Sépulcre et non en son sein comme les représentants des autres rites, est d’une austérité quasi-mystique. Cette caractéristique en fait son charme et le lieu dont la spiritualité m’a le plus frappée. Deir es-Sultan 2

La visite de la chapelle se fait en un regard mais ses détails sont captivants, à l’image de la cathedra, siège épiscopal, d’un rose et d’un kitsch ultra-prononcé. L’originalité du lieu me fait regretter son manque de visiteurs, en me faisant l’effet d’un de ces trésors ramassé à tout hasard. Après avoir longé la chapelle et escaladé une volée de marches, une cour intérieure s’offre à nous. Le dôme qui y trône se trouve être celui qui filtre les rayons de lumière éclairant la chapelle Sainte-Hélène, se situant juste dessous. Pointer l’exotisme du lieu, en référence au continent africain, comme un regard calqué sur l’orientalisme, est simplement l’antithèse de l’architecture de Monastère du Sultan.

Il est presque curieux de réaliser que la condition de Deir Es-Sultan est représentative des migrants subsahariens au Proche-Orient. Reléguée en seconde position, la condition des africains l’est autant à l’image des diverses polémiques en Israël et de leur traitement dans les pays arabes. Lieu d’un autre temps, il me fait remarquer que l’évolution met du temps à se mettre en place. Mais, malgré son histoire, son aspect pittoresque vous marque par son authenticité. Deir es-Sultan est la seule présence africaine dans un des lieux les plus saints du christianisme. Néanmoins, l’Afrique respire à travers le maintien de ce monastère au coeur des fois de l’humanité.

Ghita Chilla

« Dans le ventre d’une hyène » de Nega Mezlekia

Dans le ventre d'une hyèneC’est un vieil homme qui vous parle. Mais peut être mes cinquante-cinq ans ne sont pas la raison première de ma vieillesse. Un homme vieillit à la vitesse des évènements structurants qu’il subit et qui le transforment. En ce sens, peut-être qu’en 1983, à 25 ans, quand je quittai l’Ethiopie, j’étais déjà un vieillard.

Depuis, mon vieillissement s’est décéléré. Certains me rappelleront sûrement que l’obtention du prix du gouverneur général (le plus prestigieux des prix littéraires du Canada) pour mon livre Dans le ventre d’une hyène en 2000 a été structurant, et peut être plus encore les allégations de mon éditrice, qui se proclama la véritable auteure de l’ouvrage.

 

Oui, probablement, ces épisodes m’ont réconforté et blessé profondément. Mais comparés aux temps bénis et maudits de mon enfance, peu de choses peuvent prétendre m’avoir autant formé et déformé. En un sens, c’est peut-être l’écriture qui m’a sauvé. Une enfance à revivre et à me raconter à moi-même après que les plaies ont (en partie) cicatrisé. Une enfance à vous raconter aussi. Comme si l’acide de l’oubli était le pire qui puisse arriver aux témoins de temps troublés.

Je veux poser, et reposer enfin ceux qui ont été. Je veux dire ma mère, cette femme qui s’est battue jusqu’au bout pour protéger ses enfants, qui nous a chéri et qui s’est fait descendre par une salve de mitraillette, une nuit bien sombre sur la route de Jijiga. Je veux dire mon père, ce fonctionnaire austère et droit qui a été assassiné avec l’Empire. Je veux parler d’Henok, d’Almaz et de Meselu. Vous conter Hussain, le djiboutien à la dent d’or, Yetaferu, la sotte dévote, ou encore Yeneta, le prêtre intransigeant. Je veux faire revivre les ombres de mes amis et de mes tortionnaires, de mes maitres et de mes compagnons. Repeindre la fresque déchirée de la tragicomédie humaine.

Je veux vous emmener sur les chemins de mon enfance, du côté de Jijiga, la ville de poussière et d’encens qui m’a vu grandir. Harar la millénaire et les chemins ensablés de l’Ogaden vous attendent aussi. Avec bien sûr le capharnaüm d’Addis Abeba, les ruelles de Dire Dawa et la rude douceur du village de Kuni. Ces lieux sont des vases pleins de souvenirs. Je me rappelle avoir injecté de l’acide dans les fesses de la vache de l’instituteur, je me souviens de ma course effrénée, poursuivi par les hyènes. Je me rappelle les manifestations étudiantes et les groupes de réflexion marxistes.

Je me souviens de l’odeur qu’a la prison quand on y entre pour la première fois à quatorze ans. Cela réapparait, et tout le reste : les journées de commandos avec les maquisards somalis, les séances chez le sorcier pour me faire rentrer dans le droit chemin, la torture dans les geôles de Mengitsu, et les rafales d’obus qui rythmaient la fuite de notre colonne de civils vers Harar.

Par je ne sais quel miracle je suis toujours là, comme si les forces du hasard avaient décidé que je serai l’exception à leur règle
aveugle ou plutôt la confirmation qu’elles n’en ont pas. Il y a des jours où « je m’éveillais avec la triste certitude d’être de retour dans un lieu où les humains régnaient sur les chèvres ». Si j’ai bien appris quelque chose durant toutes ces années, c’est bien que « l’animal humain est la seule bête à craindre dans la nature ». Avec l’hyène de la politique peut être. Il ne faut pas croire qu’elle est loin. Ce n’est souvent qu’un mirage. En réalité elle reste toujours proche, même si parfois bien cachée.

C’est la politique qui décide de faire vivre ou mourir les hommes. Ma jeunesse ayant été celle d’un désenchantement viscéral vis-à-vis du pouvoir, je me sens la responsabilité de comprendre et d’expliquer les entrelacements complexes des politiques dans la corne de l’Afrique. Je ne reviendrais ni sur le rôle de la guerre froide, ni sur les effets des famines, ni sur les concurrences des révolutionnaires ou les irrédentismes voisins puisque je parle de tout cela dans mon livre. Mais que dire d’un régime ou les familles «devaient verser 25 birrs pour les balles avancées par la junte pour l’exécution de leurs proche, après quoi on les autorisait à récupérer les restes » ? Si j’ai vu la masse des injustices et des inégalités de l’Empire, si j’ai compris l’étendue de la superstition et l’ampleur de l’intransigeance des Eglises, si j’ai senti à quel point un Etat archaïque reposait pour subsister sur l’oppression et la violence, rien ne me préparait à l’arbitraire absolu et au déchainement paranoïaque de la faucheuse qui caractérisa le régime du Derg (junte militaire qui gouverna l’Ethiopie de 1974 à 1991).


Et pourtant, il ne faut pas assimiler un pays tout entier au régime qui le domine
. Si je ne peux m’empêcher d’être un chroniqueur amer de l’histoire de l’Ethiopie dans les années 70 et 80, j’en profite aussi pour vous en apprendre un peu plus sur les peuples et les coutumes de ce grand pays qui n’a eu de cesse d’émerveiller les hommes. Ne m’en voulez pas si je glisse au fil des pages quelques contes Amhariques ou légendes Oromos : c’est dans les entrailles de la fiction que les hommes sages ont déposé les plus grands trésors de l’esprit. Et puis il faut bien quelques histoires amusantes ou anecdotes croustillantes pour faire oublier l’aridité du désert et la folie des hommes, non ?

Nega Mezlekia

Mes amis, je suis Nega Mezlekia, celui dont le nom veut dire « celui qui va jusqu’au bout ». J’ai vécu la junte militaire, la guerre, l’exil et même l’empire. Pire, j’ai vécu la terreur rouge, la terreur blanche et la terre battue. J’ai été battu, torturé sans relâche et relâché sans zèle. J’ai vu les ailes des vautours qui tournoyaient autour des carcasses de mes amis et j’ai mis des jours à pleurer la multitude de mes ennuis. Mes amis, je suis Nega Mezlekia, celui dont le nom veut dire « celui qui va jusqu’au bout », et j’ai aussi écrit un livre. J’y raconte mon enfance, ma famille, et l’Ethiopie. J’y explique les germes de la dictature dans l’empire finissant et les germes de la famine dans l’absence de germes. J’y aie planté mes souvenirs, mes connaissances, et mon âme. A vous de lire et de juger. Voilà ce que je vous aurai sûrement dit si j’avais été celui que je prétends être. Mais je ne le suis pas. Ce qui ne m’empêche pas de vous inviter à essayer de comprendre, et, à vous aussi plonger, avec la confortable distance du lecteur, dans le ventre d’une hyène.

 

Dans le ventre d'une hyène

Nega Mezlekia

346 pages, octobre 2001, éditions Léméac-Actes Sud

Disponible à la vente ici et

Beta Israel : entre Israël et l’Ethiopie

« ቤተ እስራኤል » ou « Beta Israel », ceux de la maison d’Israël, ainsi se désignent les Juifs d’Ethiopie, se répartissant aujourd’hui en grande partie entre l’Ethiopie (surtout la région au nord de Gondar) et Israël. L'ouverture de leur droit à l'émigration vers la terre sainte dans les années 1970-90 a eu pour effet d'accroître leur nombre en Israël croître.

030-synagoge-002-01

Origine

Mais d’où viennent-ils ? Trois théories sont retenues.  Il pourrait s'agir des descendants des compagnons du roi d’Axum, Ménélik I° lorsque ce dernier revint d’Israël. Il serait selon la légende, le fils du roi Salomon et de la reine de Saba qui régnait à l’époque sur Axum et rapporta la tablette des 10 commandements de Moise vers Axum – où elle se trouverait encore. Les dynasties royales se sont par la suite approprié cette légende, se faisant appeler entre autres «ሞአ አንበሳ ዘምነገደ ይሁዳ » – « moa anbessa zemnegede yihuda » traduisible par « conquérant du lion de Juda ».   

La seconde théorie se détache légèrement de l’histoire de ce que devint par la suite, l’empire d’Ethiopie. Ils seraient des descendants de juifs venus d’Egypte, fuyant la persécution par l’Empire Romain suite à la défaite de Cléopâtre qu’ils soutenaient. Ils se seraient ensuite installés vers Kwara, petite ville près de la frontière Soudanaise. 

D’après la troisième théorie, cette fois s’inscrivant plus dans la tradition Juive, ils feraient partie d’une des douze tribus perdues d’Israël : celle de Dan. Fuyant l’instabilité suite à la guerre civile en Israël au X°siècle av. JC. Ils se seraient par la suite installés en Egypte et seraient progressivement descendus le long du Nil ce qui expliquerait leur concentration importante autour de la ville de Gondar.  

Traitement et Intégration

Il y a eu deux tendances au cours des siècles, allant parfois de manière simultanée. Il y a eu un brassage avec les populations locales dont les Beta Israel adoptèrent certains modes de vie.  Nous constatons cependant qu’ils ont également subi une marginalisation à la fois culturelle et politique. En effet, leurs pratiques religieuses (dont le sacrifice) s’opposant radicalement aux populations chrétiennes sur place, ainsi que par les métiers qu’ils occupaient (potier…) souvent associés à la sorcellerie, ils ont longtemps étés stigmatisés d’où l’appellation péjorative « ፈላሻ » – « Falasha », «  les exilés ». Malgré cette stigmatisation et dans une certaine mesure ce rejet, les juifs Ethiopiens ont adopté certaines pratiques chrétiennes tel que le fait de se faire tatouer une croix sur le front pour les femmes.

Le politique, surtout récemment n’a pas été favorable à leur intégration.  Durant les campagnes de repeuplement de certaines régions, et donc de déplacements forcés lors des années 1980 par le régime communiste en place. Les juifs vivant en communauté se voyaient obligés de partager leurs terres et des lopins de terre leurs étaient attribués dans des communautés non-juives. Il y eut donc des tensions pour un partage de ressources équitable et un certain antisémitisme par la suite. 

La dégradation progressive de la condition des Ethiopiens sous le joug brutal  du régime communiste (1974-1991) et donc de celle des juifs,  commença à susciter un intérêt de la part d’Israël pour les faire émigrer  vers Tel Aviv.

Missions Moise, Joshua, Solomon

airliftLes liens entre l’Ethiopie et Israël étaient devenus de plus en plus soutenus lors du règne de l’empereur Haile Selassie I° malgré l’abstention de ce dernier lors du vote à l’ONU pour le plan de partage de la Palestine. Il y eut plus tard un rompt des relations diplomatiques face à la menace d’un embargo pétrolier de la part des pays Arabes lors de la guerre du Yom Kippour (1973). Liens qui se sont refroidis encore plus lors de la mise en place du régime communiste et par la même occasion de la dictature de Colonel Menguistu Hailemariam jusqu’en 1991. Malgré les tensions, le gouvernement Israélien commença à porter un intérêt tout particulier à la cause des juifs Ethiopiens. La situation se fit encore plus alarmante d 1983-1985 suite à la grande famine qui toucha le nord du pays (région du Gojjam) et fit environ 400 000 morts. 

Les communautés juives étaient parmi les victimes. L’Etat Israélien réussit donc, en vendant des armes en contrepartie, à obtenir la permission du régime en place afin de pouvoir transporter en transporter un certain nombre vers Tel Aviv et éventuellement en faire des citoyens d’Israël comme il est le droit de chaque juif. Ainsi furent conduites deux missions « mission Moïse » en 1984 et « mission Joshua » l’année suivante avec l’aide de la CIA  et réussirent à transporter 15 500 juifs hors d’Ethiopie. La première mission fut possible avec un avion utilisé pour la livraison d’armes qui retournait vers Israël. La deuxième mission en particulier se fit également par voie aérienne suite à un rassemblement sur la frontière Soudanaise.  Le Soudan fut dénoncé par les pays arabes dont il essayait de se rapprocher pour avoir aidé Israël. Suite à cet évènement et les pressions aussi bien externes que l’indignation interne que suscitât cette action vue comme une « vente » de citoyens par un Etait incapable de répondre de manière efficace à la famine, Menguistu se fit lui aussi plus réticent. 

Malgré l’argument humanitaire avancé par Israël, et qui reste légitime, il y a également l’argument économique qui est à prendre en compte. Israël avait besoin de main d’œuvre et de d’une population dynamique. L’abus récent des immigrés et leur mauvais traitement croissant tend à appuyer ce propos puisqu’Israël a actuellement une population jeune.

Suite à l’instabilité du régime communiste et l’instauration d’un nouveau gouvernement en 1991 avec la montée au pouvoir des rebelles du FDRPE (Front Démocratique et Révolutionnaire du Peuple Ethiopien) que combattait Menguistu pendant 17 ans, Israël complétât sa mission avec la mission « Solomon ». 14,324 juifs furent « sauvés » en un jour.

Ces missions ne furent pas sans problèmes avec beaucoup de morts au cours du séjour périlleux vers la frontière Soudanaise, de nombreux enfants se retrouvèrent seuls face à un encadrement parfois défaillant. Les immigrés furent placés en centre d’éducation parfois pour plusieurs années afin d’assurer une intégration souple  dans la société Israélienne. Ceci reste une mesure valable avec une part importante de ces juifs qui venaient de villages où l’électricité et l’eau potable n’étaient pas toujours présentes. 

Aujourd'hui il est estimé qu'un peu de moins de 80.000 Beta Israel ont été transportés en Israël [PDF].

La maison d'Israël : le porche et la cour

De plus, les juifs Ethiopiens étant constitués de plusieurs communautés, les classifications de certaines comme non-juives ne leur ont pas permis d’émigrer comme les Falasha Mura. Ces derniers, sont des communautés juives qui se sont installés dans la capitale Addis Abeba, croyant accroître leurs chances d’émigrer lors de la mission Solomon. Il y a également eu une grève de la faim au sein de cette communauté à Addis en 2011 avec peu d’effets. En effet, le sujet de leur appartenance à la religion juive a été longtemps mise en question par Israël parce que leurs ancêtres s’étaient convertis au christianisme au XIXème siècle afin de ne pas être persécutés et parce qu’ils avaient adopté un mode devoe semblable à celui de leurs voisins chrétiens. La tendance inverse, de non-juifs accédant au droit d’émigration de manière frauduleuse  peut également être observée avec des non-juifs se faisant passer pour tel afin d’avoir une vie meilleure en Israël. Nous remarquons donc un plus grand scrupule quant à la quantité de preuves qui doivent être avancées pour démontrer l’appartenance à la religion juive.

Jewish-worshipers-gather-at-a-makeshift-synagogue-512x270

La réelle intégration des juifs au sein de la société Israélienne reste ambigüe face à un certain racisme croissant pouvant être expliqué de manière plus récente, par l’arrivée de réfugiés Soudanais et Erythréens et la précarité de leur situation. Le gouvernement israélien alla même jusqu'à imposer la contraception aux Juis d'Ethiopie

Les juifs d’Ethiopie, malgré leur spécificité religieuse, restent imprégnés de la culture Ethiopienne. Il est vrai qu’il n y a rien de plus normal que de vouloir quitter un pays où il y a moins de chances d’utiliser son potentiel, il est vrai qu’il n y a aucun sens à vouloir rester dans un lieu où l’on a subi des persécutions. Mais il ne faut pas oublier que cette souffrance est commune aux Ethiopiens et à bien d’autres pays sous-développés et plus récemment, en voie de développement. L’émigration des juifs d’autres pays ne s’est pas faite dans des avions cargo. Il faut pouvoir garantir, dans le cas où certains souhaiteraient émigrer, un minimum de dignité. Si elle n’a pas été possible dans leur pays, alors au moins faire l’effort d’en faire le dernier souvenir qu’ils gardent de l’Ethiopie.

La guerre du Nil aura-t-elle lieu ?

Barrage_1_0 "Celui qui navigue les eaux du Nil doit avoir des voiles tissées de patience" disait William Golding (1911-1993), écrivain Britannique et prix Nobel de littérature (1983) qui en fit lui-même l’expérience. Mais au-delà de l’émerveillement millénaire pour le Nil se cache un sujet aussi complexe qu’ancien. L’un des plus grands fleuves au monde, traversant multiples contrées en 6500 km, a deux sources, d’où l’appellation de Nil « blanc » émergeant du lac victoria  et situé entre la Tanzanie, le Kenya et l’Ouganda d’une part et d’autre part celle de Nil « bleu » prenant sa source en Ethiopie, au lac Tana. Ces deux sources s’unissent à Khartoum au Soudan pour ensuite déboucher vers la méditerranée avec le delta égyptien.

Bien que le Nil soit une ressource essentielle pour les pays qu'il traverse, tous n’en font pas le même usage. Il existe ainsi une exploitation plus importante au Soudan et en Egypte, lieux densément peuplés et au climat aride. A cet égard, la construction du barrage d’Assouan en 1970 sous la présidence de Nasser marque un tournant significatif et les images de l’aménagement considérable tel que le déplacement de la statue de Ramsès II sont longtemps restées l’emblème d’un renouveau économique et d’une promesse de progrès postcoloniale. Il convient tout de même de ne pas méconnaitre le profond désaccord qui existe entre les pays riverain du Nil. Face au manque de concertation de l’Egypte dans la prise de décision de la construction du barrage d’Assouan s’est formé un clivage grandissant entre les pays en amont (Ethiopie, Burundi, Congo, Kenya, Rwanda, Tanzanie et Ouganda) et ceux en aval (Soudan et Egypte).

Ce clivage puise ses sources dans une histoire qui entretient un lien étroit avec le processus de colonisation. L’empire britannique commença à manifester un intérêt particulier pour l’Egypte d’abord comme point d’accès à l’Inde au détriment d’un passage par l’Empire Ottoman (d’où la construction du canal de Suez) et ensuite en tant que point d’entrée vers l’Afrique. Ainsi fut établi en 1882, après maintes convoitises de la part d’autres puissances coloniales, le protectorat en Egypte et quelques années plus tard, en 1896, au Soudan. Bien que ce dernier fût incorporé à l’Egypte, il ne constituait pas plus qu’une expansion supplémentaire de l’empire britannique. C’est ainsi que s’est forgée une relation étroite entre ces deux pays dont le Nil constitue un poumon vital, générant par exemple 95% des ressources en eau de l’Egypte.

Prenant la mesure de l’enjeu stratégique du Nil, le Royaume-Uni s’est engagé dans une multitude de traités (1891 traité Anglo-Italien, 1902 traité Anglo-Ethiopien, 1906 traité anglo-Congolais, 1906, traité tripartite avec la France et l’Allemagne) dont la plupart excluent les pays en amont, la clause répétitive consistant à assurer le maintien du flux du Nil avec interdiction de construire un barrage sans l’accord du « gouvernement de sa majesté ». Cette tendance de répartition inégale des ressources se poursuit lors de la période postcoloniale avec notamment les multiples traités entre le Soudan et l’Egypte comme celui signé en 1959. Celui-ci accorde en effet à l’Egypte le droit de veto pour tout projet de modification du cours du Nil et organise une répartition qui ne prend pas en compte les autres pays.

L'Ethiopie veut ses barrages

Au cours des dernières années, et tout particulièrement depuis 2010, est apparue une évolution de la ligne diplomatique des autres pays en amont du Nil. Cela est notamment le cas de l’Ethiopie qui a adopté un plan de transformation et de développement à l’horizon 2015 dans lequel figure le projet de construction du Grand Barrage de la Renaissance. Celui-ci devrait être achevé sur le Nil d’ici 2015 et deviendrait ainsi le plus grand barrage d’Afrique en terme de capacité. Ce projet soulève cependant un débat sur l’impact qu'aurait ce barrage sur le débit du fleuve en Egypte et au Soudan.

L’argument avancé par l’Ethiopie est qu’il constitue le pays qui contribue le plus au Nil, étant donné que le fleuve y trouve sa source à 85%. Le pays subit en parallèle les inconvénients induits par le Nil, en particulier une érosion soutenue et par conséquent une perte considérable de sols fertiles. Dans ce combat, l’Ethiopie peut s’appuyer sur le soutien des Etats en amont qui ont signé en 2010 le traité d’Entebbe, aussi connu sous le nom de « cadre de coopération et d’accord du Nil », qui a pour principal objectif de rendre illégitime le veto Egyptien. Ce traité a été une conséquence directe de l’échec de discussions avec l’Egypte dans le cadre de l’Initiative du bassin du Nil (IBN) en 1999.

L’unité des pays situés en amont du Nil n’a pas pour autant amené l’Egypte à accepter un compromis, pas plus que les promesses du gouvernement éthiopien de fournir de l’électricité à prix réduit à l’Egypte. Face à une agriculture nationale qui risquerait d’être mise en danger, l’Egypte a catégoriquement refusé d’accepter la construction du barrage éthiopien. Le report d’un an décidé par le gouvernement éthiopien afin d’amener l’Egypte à reconsidérer sa position arrive bientôt à échéance. Par ailleurs, en dépit de la mort du Premier Ministre Ethiopien Meles Zenawi et de l’ascension au pouvoir de Mohammed Morsi, aucun des deux pays n’a changé d’avis.

En outre, à ces intérêts nationaux locaux, s’ajoutent ceux d’acteurs économiques comme la Chine et l’Inde qui investissent massivement dans la région depuis quelques années et pour lesquels ce barrage pourrait présenter un potentiel d’irrigation considérable en plus de son but principal d’exploitation électrique.

Quoi qu'il advienne, le Nil poursuivra son cours. Mais il n’est pas sûr que cela se fasse dans l’intérêt du plus grand nombre.


Loza Seleshie

Jeux de pouvoir et transition en Ethiopie : qu’attendre de Hailemariam Desalegn ?

Un mois après le décès de son Premier ministre Meles Zenawi, l’Ethiopie a conclu à la fin de semaine dernière la période de deuil et de transition en investissant officiellement Hailemariam Desalegn pour le remplacer à la tête du gouvernement.

Meles Zenawi : un héritage ambivalent

L’émoi qui s’est emparé du pays après l’annonce de son décès le 20 août (des suites d’une maladie non révélée au public) et la foule massive qui a assisté aux funérailles du défunt le 3 septembre témoignent de la place particulière qu’occupait Meles Zenawi dans la vie éthiopienne. Résolument volontariste, impitoyablement répressif, il laisse derrière lui un héritage ambivalent. Pour beaucoup d’observateurs, Meles restera dans l’histoire africaine comme une personnalité visionnaire, respectée par ses pairs pour son charisme et son intelligence, et qui aura mis son énergie au service du développement national, de la stabilisation de la Corne de l’Afrique et de l’unité africaine. La deuxième facette de Meles est pourtant plus sombre : celle d’un despote sans merci, dirigeant son pays d’une main de fer, implacable avec ses opposants politiques, dont la plupart ont été « neutralisés » à coup de lois anti-terroristes. Depuis sa prise de pouvoir par les armes en 1991, c’est tout le jeu politique éthiopien qui s’était organisé autour de sa propre personne, et sa mort crée donc un vide politique indubitable à Addis-Abeba.
Si le régime a paré au plus pressé en nommant Hailemariam Desalegn, jusqu’ici vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères, la période qui s’ouvre suscite bien des interrogations, ne serait-ce que pour le caractère pacifique de la transition – une première dans l’histoire moderne de l’Ethiopie. La mort de Meles Zenawi menace-t-elle la stabilité du pays et, au-delà, de la Corne de l’Afrique ? Pour certains, Meles est parvenu durant ses vingt années au pouvoir à construire un système institutionnel suffisamment solide pour qu’il survive à sa propre disparition : la nomination de Desalegn ne serait finalement qu’un évènement symbolique, d’une portée mineure. Mais l’importance régionale de l’Ethiopie mérite tout de même qu’on prenne le temps d’envisager toutes les implications de cette transition ; et ce d’autant plus que le secret et les rumeurs qui ont entouré ces derniers mois la santé déclinante de Meles Zenawi ont révélé une certaine nervosité du régime éthiopien vis-à-vis des questions de succession.


La formation par les armes d’une élite tigréenne

C’est par les armes que Meles Zenawi est arrivé au pouvoir en 1991, en remplacement de l’autoritaire colonel Mengistu Haile Mariam. La guérilla du Front de Libération des Peuples du Tigré (TPLF) avait une forte connotation régionaliste : Meles, son entourage et ses troupes armées venaient principalement du Tigré, cette région du nord frontalière de l’Erythrée. Après la prise d’Addis-Abeba, les cadres de la rébellion ont établi leur domination sur l’appareil étatique éthiopien, et sont ainsi devenus la nouvelle élite politique, économique et militaire du pays. Afin d’asseoir leur légitimité dans une Ethiopie traversée par de multiples fractures identitaires, les Tigréens ont ensuite coopté d’autres élites régionales au sein d’une plus large coalition, l’EPRDF (Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien), devenu un parti unique de facto depuis 1991.
Ces élites cooptées ne jouaient jusqu’alors qu’un rôle mineur dans un régime dominé de manière écrasante par les Tigréens. Pour cette raison, le passage de pouvoir de Zenawi à Desalegn est en soi un évènement : le nouveau Premier ministre éthiopien appartient à l’ethnie Wolayta, originaire du sud du pays. Il n’est pas chrétien orthodoxe (religion majoritaire dans le Tigré), mais protestant. Et surtout, il n’a pas participé à la lutte armée des années 1980 contre Mengistu. Pas plus d’ailleurs que son nouveau vice-premier ministre, Demeke Mekonnen, quant à lui musulman. C’est donc un couple exécutif inédit, apparemment en rupture avec la domination des élites tigréennes, qui s’installe à la tête de l’Ethiopie. On peut identifier trois scénarios potentiels quant à l’évolution du régime éthiopien.


Les trois scénarios de la transition éthiopienne

La base militante du TPLF a témoigné quelques réticences envers ces nominations, et préférait probablement à Desalegn la veuve de Meles Zenawi, Azeb Mesfin. Mais la mort de Meles est peut-être arrivée trop prématurément pour qu’il ait pu préparer sa succession au profit de son épouse, et Mesfin va maintenant devoir s’affirmer de façon autonome sur la scène politique. Plus largement, les Tigréens, privés de leur leader naturel, peuvent-ils encore gouverner le pays ? On tient là le premier scénario de la transition éthiopienne : celui d’un affaiblissement progressif du contrôle des nordistes du Tigré sur le pays et d’un rééquilibrage de la vie politique au profit d’autres régions et groupes ethniques.
Mais cette rupture est-elle bien réelle ? Ne cache-t-elle pas une évolution moins optimiste, à savoir la mise sous tutelle du pouvoir officiel par des réseaux politiques et militaires informels ? Car la personnalité d’Hailemariam Desalegn tranche à bien des égards avec celle de Meles Zenawi : ingénieur de profession, l’homme est présenté comme un technocrate discret et consensuel, plutôt novice en politique, et on peine ainsi à croire qu’il aura autant de poigne que son prédécesseur pour gouverner le deuxième plus grand pays d’Afrique. Aussi bien des observateurs ne voient-ils en ce nouveau Premier ministre qu’un pion mis en place par les « faiseurs de rois » de l’élite tigréenne, une marionnette aisément manipulable par ces hommes influents du régime agissant dans l’ombre. Desalegn serait ainsi aux caciques du parti ce que Medvedev a été à Poutine pendant quatre années en Russie. Avec ce deuxième scénario post-Meles Zenawi, on verrait donc l’établissement d’une dynamique de pouvoir à deux niveaux, entre ombre et lumière. La fonction officielle perdrait ainsi de sa valeur, et transition deviendrait synonyme de désinstitutionnalisation.
Pour l’instant, les premiers pas de Desalegn semblent plutôt abonder dans ce sens. Il s’est d’emblée inscrit dans la lignée de son mentor, à qui il doit d’ailleurs son ascension politique : « nous nous efforcerons de poursuivre sa vision de transformer le pays, sans renier aucune partie de son héritage », a-t-il ainsi déclaré lors de la cérémonie d’investiture le 21 septembre. Mais à terme, on pourrait voir se développer un troisième scénario, au potentiel conflictuel beaucoup plus élevé que les deux précédents : celui d’un homme qui, enhardi par sa position, chercherait à se défaire du carcan tigréen et à affirmer le pouvoir de son institution contre la volonté du TPLF. Quelle autorité Desalegn pourra-t-il tirer de son rang officiel, et du simple fait d’occuper le devant de la scène ? Il est difficile de l’estimer ; mais dans tous les cas, une telle évolution aurait probablement des conséquences déstabilisatrices à l’intérieur de l’Ethiopie : éclatement de la coalition gouvernante, montée du factionnalisme, mise en exergue des rivalités régionales et ethniques… Dans une telle situation, le danger d’une prise en main du régime par les militaires (encore influents dans la vie politique éthiopienne) ne serait pas à exclure.
Si le troisième scénario présenté n’est encore qu’hypothétique, il doit être considéré attentivement, car des précédents existent. Ainsi certains observateurs ont-ils préféré à l’analogie Poutine/Medvedev l’exemple de Daniel Arap Moi, président kenyan de 1979 à 2002. Membre de la minorité Kalenjin, Arap Moi avait grandi dans l’ombre de son illustre prédécesseur Jomo Kenyatta, et lorsqu’il prit les rênes du pays en 1979, rares étaient ceux qui lui prédisaient un avenir politique dans un pays outrageusement dominé par l’élite kikuyu. Finalement, ce n’est que vingt-trois ans plus tard qu’Arap Moi dût quitter la présidence, après un règne quasi-impérial… Hailemariam Desalegn souhaitera-t-il, et parviendra-t-il à s’engager dans cette voie ?


Les conséquences sur le plan international

Enfin, la transition éthiopienne suscite aussi des interrogations sur le plan international. Meles Zenawi avait indiscutablement un don pour la diplomatie, qu’il a su employer à l’avantage de son pays. Son engagement volontaire aux côtés des Etats-Unis dans la lutte anti-terroriste vaut à l’Ethiopie d’être un des pays favoris des donateurs occidentaux (Addis-Abeba a reçu 6,2 milliards de dollars d’aide américaine au cours des dix dernières années) ; les liens personnels qu’il avait tissés avec les dirigeants du Soudan et du Sud-Soudan lui donnaient aussi un rôle important dans la résolution du conflit entre les deux pays. Desalegn a, à son avantage, une bonne connaissance des dossiers internationaux, puisqu’il a dirigé la diplomatie éthiopienne depuis deux ans. L’engagement de troupes éthiopiennes dans les opérations de paix régionales n’est a priori pas menacé ; mais les talents personnels et le leadership de Meles seront quant à eux difficiles à imiter. De plus, si les Etats-Unis ont pour l’instant apporté leur soutien au nouveau Premier ministre, peut-être adopteront-ils désormais une attitude plus exigeante vis-à-vis d’un régime autoritaire, qui s’est nettement crispé au cours des dernières années.

Investi jusqu’aux prochaines élections générales de 2015, Hailemariam Desalegn va donc gouverner l’Ethiopie pendant trois ans ; trois années, après un changement de pouvoir inédit, qui détermineront largement l’évolution du pays. A n’en pas douter, il sera attendu au tournant.


Vincent Rouget

Meles Zenawi : un visionnaire implacable

Si parfois il usa de la répression et restreint les libertés publiques, Meles Zenawi était un leader brillant et déterminé, et il se passera sûrement de longues années avant que l’Ethiopie et la Corne de l’Afrique ne voient monter au créneau un leader de sa trempe. Meles Zenawi, Premier Ministre défunt de la nation Ethiopienne, manquera beaucoup à son pays dont la croissance démographique fulgurante (85 millions aujourd’hui et probablement 120 millions en 2025) représente autant un enjeu qu’une promesse pour le futur. Meles était l’un des chefs de gouvernement les plus intelligents d’Afrique Subsaharienne. Contrairement à la plupart de ses confrères, il avait une vision claire et à long-terme du chemin que l’Ethiopie devrait suivre pour surmonter les défis de la pauvreté et du faible niveau d’éducation.

Meles savait aussi que l’Ethiopie n’était pas encore un Etat-nation, mais seulement un regroupement de peuples unis successivement par la monarchie Amharique, le despotisme des communistes Amhariques et désormais conquis par Meles lui-même et sa communauté du Tigré. A cause de la multitude de ses peuples et religions, l’Ethiopie courait toujours le risque de voir s’affirmer des mouvements séparatistes. Meles comprit très tôt qu’il avait pour mission de travailler à la centralisation de l’autorité politique, au moyen même de la répression des dissidents, cela tout en réformant le secteur éducatif et en dynamisant l’économie nationale afin d’assurer la pérennité de son projet.

Ainsi, c’est stratégiquement qu’il accueillit et fit l’éloge des investissements venant de la Chine. Il fit appel aux géants du BTP chinois pour construire des barrages géants sur la rivière Omo, faisait fi de l’opposition ferme que manifestèrent les populations locales et de la communauté internationale, inquiétés par les risques environnementaux. Conscient des manques criants au niveau de l’approvisionnement en énergie, il était aussi déterminé à interrompre le cours du Nil avec un « Grand Barrage de la Renaissance », cela malgré les troubles que cette idée suscitait en Egypte et au Soudan. Depuis son décès, il n’est pas encore su si ces prédécesseurs comptent poursuivre le projet.

L'après Mélès

Sans Meles et son dynamisme, le « Grand Barrage de la Renaissance » et nombre d’autres projets risquent d’être abandonnés à cause d’un manque de fonds ou de vision. En outre, personne sauf Meles n’aurait pu répondre avec tant d’efficacité quand les Etats-Unis et l’ONU demandèrent le support de troupes afin d’éviter le risque d’accrochages entre le Soudan et le Sud Soudan. Les troupes éthiopiennes jouent aussi un rôle essentiel dans la lutte contre les terroristes d’Al-Shabab en Somalie, notamment en 2006 et 2007, quand celles-ci intervinrent à la demande des Etats-Unis. Il faudra un homme fort après Meles, et aussi motivé que lui pour conserver la paix dans Corne de l’Afrique, sans quoi les militants d’Al-Shabab ou leurs antagonistes en Erythrée pourraient prendre confiance et relancer leurs offensives.

Sur la scène politique nationale, la disparition de Meles pourrait bien faciliter l’émergence d’une scène démocratique ouverte, longtemps restreinte par Meles, qui notamment trafiqua deux élections et réprima durement ses opposants et les non-Tigréens qui refusaient la ligne politique officielle. Mais cette possibilité pourrait être réduite à néant par les généraux Tigréens qui supportèrent Meles contre les Amhara marxistes avant 1991 si ces derniers assistent à une dissipation de leur influence. Il se pourrait aussi que les successeurs au poste de Premier Ministre s’opposent à l’expression des intérêts des Oromo, Somali ou des musulmans qui aspirant à être entendus dans l’Ethiopie post-Meles.

Un autocrate intelligent

l y a quelques années de cela, j’eus une conversation de plusieurs heures avec Meles, dans son bureau à la maison d’Etat où il me parut beaucoup plus accessible que les autres autocrates d’Afrique que j’avais interviewé auparavant. Il répondait avec aplomb aux questions hostiles que je lui posais. Il tenta par exemple de rationaliser la falsification des élections générales de 2005 ainsi que l’emprisonnement de presque tous ses opposants. Sa communication était beaucoup plus efficace que celle de ses paires autocrates.  

Meles comprenait aussi que quelqu’un comme moi avait un intérêt justifié pour certaines infractions terribles qu’il avait fait à son peuple et à ceux qui croyaient dans le processus démocratique. Pourtant il ne s'irrita pas, et n’interrompit pas non plus la discussion. Il n’essaya pas non plus, – ainsi que d’autres auraient pu le faire – de rediriger la discussion sur ses succès incontestés, comme la croissance économique accélérée de l’Ethiopie. Au contraire, il tenta, avec succès d’ailleurs, de m’impressionner par son intelligence, sa capacité à diriger, son alerte permanente face aux forces menaçant la paix dans la Corne de l’Afrique et son positionnement habile entre la Chine et les Etats-Unis au service de son régime et de son pays.

Beaucoup d’eau coulera sous les ponts avant qu’il ne naisse un autre Meles.

Robert Rotberg, Président émerite de la World Peace Foundation.

Article initialement paru chez notre partenaire Think Africa Press

Traduction pour Terangaweb par Babacar Seck

L’Ethiopie, un pilier du continent africain

Seul pays du continent à ne pas avoir été colonisé par les Européens et héritière d’une des plus anciennes civilisations africaines (avec le Royaume d’Aksoum), l'Ethiopie a joué un rôle important dans la décolonisation et dans l’établissement de l’Organisation de l’Unité Africaine, alors que l’Union Africaine y a établi son siège, à Addis Abeba. Longtemps considérée comme un symbole de liberté et d’authenticité à l’échelle du continent, dont elle est aujourd’hui, avec 85 millions d’habitants, le pays le plus peuplé après le Nigeria, l’Ethiopie reste pourtant menacée par la spirale du sous-développement.

Avec un indice de développement humain de 0.363 (171ème sur 182 pays…), l’Ethiopie est en effet confrontée à la sous-alimentation, à de services médicaux insuffisants et à des opportunités éducatives limitées (en particulier pour les femmes, puisqu’on estime que près de la moitié des Ethiopiennes de moins de 20 ans restent toujours analphabètes). La sécheresse et les famines qui ont gravement affecté le pays durant le XXème siècle restent également une menace particulièrement grave, même si la stabilité dont bénéficie le pays lui épargne sans doute des effets plus ravageurs induits par de tels phénomènes.

La stabilité dont bénéficie l’Ethiopie, accentuée par la victoire écrasante du Front Démocratique Révolutionnaire du Peuple Ethiopien (EPRDF) aux élections législatives de mai 2010, contraste ainsi avec celle de ses voisins (en particulier la Somalie, le Soudan, et le Soudan du Sud), qui connaissent des violences chroniques depuis plusieurs décennies. L’Ethiopie a tout de même connu un grave conflit avec l’Erythrée (ancienne province devenue indépendante en 1993) jusqu’en décembre 2000, et les tensions restent toujours vives entre les deux pays. La Somalie voisine constitue l’autre foyer de tension régional, d’autant plus que l’Ethiopie y est intervenue militairement entre 2006 et 2009. Enfin, la région de l’Ogaden, au sud-est de l’Ethiopie et majoritairement peuplé de Somalis, a été l’objet de conflits avec la Somalie dans les années 1960 et 1970, et des mouvements sécessionnistes s'y activent encore sporadiquement.

Avec ses hauts plateaux, l'Ethiopie est un pays agricole dont près de 85% de la population est rurale. Le pays bénéficie actuellement des cours favorables du café pour lequel il est le 3ème producteur mondial. Il exporte également du thé, des fleurs et des céréales afin de réduire sa dépendance par rapport aux seuls cours du café. En vue d’attirer les investisseurs étrangers dans ce secteur, l’Etat favorise la location des terres agricoles à bas prix (moins de 5 euros par hectare et par an), ce qui occasionne néanmoins des déplacements importants de population. Parmi les investisseurs étrangers, la Chine est, à l’instar de la tendance continentale, un partenaire de premier plan (avec des échanges commerciaux d’environ un milliard de dollars par an). L’inauguration récente du nouveau siège de l’Union Africaine, construit par les Chinois, est d’ailleurs un symbole particulièrement frappant de cette relation.

Malgré sa faible diversification et sa dépendance vis-à-vis de l’agriculture (le secteur primaire représente plus de la moitié du PIB) l’économie éthiopienne connait une croissance plus rapide que la moyenne d’Afrique de l’Est, avec un taux de croissance de 7.5% en 2011 et 8% en 2010 (FMI).

Alors que les Chefs d’Etats Africains se sont réunis récemment à Addis Abeba pour le 19éme sommet de l’Union Africaine, et que la capitale éthiopienne sert de plateforme centrale à l’échelle du continent sur le plan politique, les avancées socio-économiques qu’enregistre le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique ne manqueront pas d'avoir un impact sur le développement global de la région et sur le poids du continent dans les échanges internationaux. Seul pays enclavée de la région, l’Ethiopie est certainement l’un des pays qui a le plus a gagner à une intégration économique effective en Afrique.

Nacim K. Slimane


4 exemples de lutte réussie contre le paludisme

Le paludisme est une maladie qui touche plus de 220 millions de personnes par an et qui en tue environ 785 000, dont 90% en Afrique. Elle est l’une des causes principales de la mortalité infantile en Afrique subsaharienne et la deuxième maladie meurtrière du continent après le VIH/SIDA. Le paludisme n’est pas seulement un énorme problème de santé publique en Afrique, c’est aussi un obstacle au développement. En effet, on estime à 12 milliards de dollars par an, le coût imposé par la maladie en termes de baisse de la productivité potentielle. Selon les économistes, la présence du paludisme dans un pays africain entraîne une pénalité de croissance de 1.3%. Un cercle vicieux s’établit alors, le paludisme apparaissant comme une cause et une conséquence de la pauvreté.

Pendant longtemps, le paludisme a été une maladie relativement négligée. Mais depuis le milieu des années 2000, il existe une vraie mobilisation internationale et un investissement réel de certains gouvernements africains pour lutter contre le fléau. Des programmes ambitieux de lutte ont été mis en place et sont, en général, axés sur : la distribution massive de moustiquaires imprégnées longue durée ; la pulvérisation d’insecticides à l’intérieur des habitations ; le traitement préventif des femmes enceintes ; le traitement des sites où prolifèrent les moustiques ; l’accès à de nouveaux tests de diagnostic rapide, et à de nouvelles combinaisons de médicaments très efficaces à base d’artémisinine, un composé dérivé d’une plante chinoise.

De francs succès ont été enregistrés comme l’illustrent les 4 pays suivants.

Erythrée

En une décennie, l’Erythrée a réduit la mortalité due au paludisme de plus de 90% puisqu’elle est passée de 100 000 cas en 2000 à environ 8000 cas en 2008 ! Ce succès a été obtenu grâce à un engagement fort du gouvernement érythréen qui en plus d’avoir introduit des médicaments anti-paludisme plus efficaces, a traité les sites de prolifération des moustiques, facilité l’accès aux moustiquaires imprégnées et encouragé les populations à pulvériser les intérieurs pour tuer l’agent vecteur de la maladie.

Ethiopie

Comme l’Erythrée, l’Ethiopie a adopté une démarche intégrée de lutte contre le paludisme qui inclut les mêmes axes de lutte. En 2009, l’Ethiopie a lancé un Plan Stratégique National de Lutte contre le paludisme qui à la différence de l’Erythrée a placé en première priorité la responsabilisation et la mobilisation des communautés. Le but du programme était donc, en plus des axes courants de lutte, d’améliorer la compréhension et les compétences des populations en matière d’accès, de suivi et d’évaluation. Des données récentes montrent une réduction nette du nombre de malades du paludisme de même qu’une baisse de 60% de la mortalité chez les mères et de 20% chez les enfants.

Rwanda

La stratégie de lutte contre le paludisme au Rwanda se rapproche beaucoup de celle de l’Erythrée mais elle s’est construite en deux étapes lors de la dernière décennie. En 2005, le Rwanda constatant une résistance largement étendue aux médicaments alors utilisés (une combinaison d’amodiaquine et de sulfdoxine/priméthamine) se rallie à l’utilisation des thérapies à base d’artémisinine, en vogue sur le continent. Grâce à ce virage et aux importants efforts réalisés pour prévenir la maladie, le nombre de décès dus à la maladie déclina de 1.5 million en 2005 à 800 000 en 2008 et la mortalité infantile se réduisit de 32% durant la même période.

Mais ce sont les résultats en matière de prise de conscience et de comportement des populations qui sont les plus encourageants et les plus prometteurs. On note par exemple une augmentation de 40% du taux d’utilisation des moustiquaires imprégnées par les ménages entre 2005 et 2008. Dans la même période, l’accès aux soins de santé hospitaliers a crû de 16.8%. Le Rwanda dont la population toute entière courait jadis le risque du paludisme est aujourd’hui l’un des champions de la lutte contre la maladie.

Zambie

A l’image de l’Ethiopie, le Ministère Zambien de la Santé a adopté un plan de lutte contre le paludisme fait d’interventions spécifiques mais avec en arrière plan une amélioration générale du système de santé. Ce dernier point inclut notamment la décentralisation du planning et de la budgétisation et le renforcement du suivi et de l’évaluation des programmes de santé publique. Les résultats de cette approche ont été probants. 3,6 millions de moustiquaires imprégnées d’insecticides à effet longue durée ont été distribuées entre 2006 et 2008. La pulvérisation d’insecticides à l’intérieur des habitations a elle fait un bond en passant de 15 districts en 2006 à 36 en 2008. En seulement deux ans, le nombre de morts dues au paludisme a baissé de 47% et des réductions de plus de 50% ont été remarquées quant au nombre d’infections et de cas de sévère anémie chez les enfants.

Un document récent publié par la Banque Mondiale intitulé The Malaria Control Success Story (L’histoire du Succès de la lutte contre le Paludisme) renferme de plus amples détails sur les succès présentés ci-dessus. Dans les différents cas mentionnés, la clé du succès a résidé dans la combinaison d’une volonté manifeste du gouvernement à mettre fin à la maladie et d’une mobilisation de moyens financiers importants pour la combattre.

Il faut cependant remarquer que tous les pays africains n’affichent pas des résultats aussi bons. Dans certains pays, la situation stagne voire se dégrade. D’après Eric Mouzin, médecin épidémiologiste au sein du Partenariat international Roll Back Malaria (Faire reculer le paludisme), « C’est le cas, d’une part, de grands pays d’Afrique, comme le Nigeria, ou la République démocratique du Congo, où les défis logistiques pour intervenir auprès des populations sont considérables ; il y a d’autre part des pays qui ont du mal à trouver des partenaires, comme le Tchad, ou la Centrafrique ». Sur le terrain, la situation est donc contrastée mais d’un point de vue global, le nombre de décès dus à la maladie a été réduit de 25% au cours de la dernière décennie.

 

Tite Yokossi

Histoire de l’Afrique (3) : le royaume d’Aksoum

L’Ethiopie, sans doute la région la plus anciennement habitée de manière continue par l’homme[1], est également un territoire qui présente une très longue histoire étatique. Nous retiendrons ici en ce qui la concerne la datation de Richard Pankhurst[2] : Préhistoire (période avant -3000 av J.-C.) ; Antiquité (3000 av. J.-C. à 1270) ; Moyen-Age (1270 – début du XVI°)[3]. Les populations éthiopiennes « préhistoriques » s’inscrivent assez rapidement dans les grandes dynamiques d’innovation de l’époque (sédentarisation, agriculture, élevage, commerce de long court, spiritualité et monuments funéraires). Au début de l’Antiquité, les populations éthiopiennes s’organisent autour de trois grandes communautés : Berbarata dans la région nordique, Tekrau (ancêtre communauté Tigré) au centre et Arem au sud (ancêtre communauté Amhara). Ces communautés sont en relations commerciales avec les populations égyptiennes dès le début de l’Ancien Empire, et sans doute avant même sa formation. Les murs du portique funéraire de la reine Hatchepsout (Ancien Empire Egyptien, règne de -1479 à -1457) donnent une représentation des biens importés du Pays de Pount (nom donné par les Egyptiens à l’Ethiopie) : encens, myrrhe, cannelle, or, ivoire, ébène, plumes d’autruches, peaux de panthère et bois précieux.

Un premier processus réussi de centralisation du pouvoir donne naissance au royaume de D’mt (prononcer Damaat) vers 800 av J.-C. Les informations sur ce royaume sont très parcellaires et proviennent essentiellement de sources du royaume sabéen du Yémen, qui entretenait des relations étroites avec D’mt. Il semble que ce royaume ait développé de nouveaux procédés d’irrigation, faisait usage de la charrue et exploitait le fer pour des outils et des armes. L’unité du royaume aurait été brisée trois cents ans après sa formation, donnant naissance à des plus petites entités politiques, desquelles émergera à partir du 1er siècle après J.-C. le royaume d’Aksoum qui réunifiera la région, avant d’en étendre considérablement les frontières.

A son apogée au 1er siècle après J.-C ., le territoire du Royaume d’Aksoum s’étend sur 1 250 000 km², incluant ce qui serait aujourd’hui le nord de l’Ethiopie, Djibouti, le Somaliland, l’Erythrée, une grande partie du Soudan, le sud de l’Egypte, les côtes sur la Mer Rouge du Yémen et du sud de l’Arabie Saoudite. La capitale, Aksoum, est située sur les hauts plateaux du nord-est de l’Ethiopie. Ce royaume a construit sa puissance sur sa maîtrise avancée de sa production agricole (système sophistiqué d’irrigation et de terrassement de pierres à flanc de coteau pour la rétention d’eau, adapté aux particularités géographiques du pays), sur la production/extraction et le commerce de produits primaires précieux (ivoire, or, émeraudes, soie, épices) qui s’appuyait sur le contrôle des grandes routes maritimes de la Mer Rouge et de l’Océan indien à partir du port principal d’Adulis.

La civilisation Aksoum a développé et formalisé une langue de communication, le Guèze (Ge’ez), doté d’un alphabet dès le III° siècle pour sûr, et qui s’est imposée comme la langue des commerçants et des savants pour cette vaste région du monde. Le Royaume d’Aksoum battait également sa propre monnaie, devenue monnaie d’échange bien au-delà de ses frontières, des pièces aksoumites ayant été retrouvées jusque dans le sud-ouest de l’Inde. Son rayonnement et sa puissance étaient particulièrement importants dans les premiers siècles de notre ère, le prophète mésopotamien Mani (216-277) la citant parmi les quatre grandes puissances du monde à son époque, aux côtés de l’Empire romain, de la Perse et de la Chine. Il s’agissait également d’un Etat somptuaire, qui a laissé à la postérité de nombreux monuments comme les obélisques géants, des constructions monumentales taillées dans la pierre, en plus des vestiges de ses importants travaux publics de terrassement. Preuve du dynamisme économique de ce royaume et de la centralisation du pouvoir par une administration entreprenante dont le Negus était la clé de voute.

Le royaume d’Aksoum va muer au rythme des grandes dynamiques globales de l’époque, comme le développement du monothéisme. Le commerçant syrien Frumence aurait introduit le christianisme au sein du royaume et convertit le Negus Ezana dans les années 340. Le christianisme devient religion officielle, faisant du royaume d’Aksoum historiquement le deuxième Etat chrétien au monde après l’empire romain. Le règne d’Ezana, qui se poursuivra jusqu’en 390, coïncide avec les dernières heures de gloire du royaume d’Aksoum.

Le déclin commence véritablement au VII° siècle avec l’expansion de l’Islam qui prive le royaume de son contrôle du Yémen et remet en cause son hégémonie sur les routes commerciales maritimes. Des problèmes environnementaux auraient également contribués à ce déclin, la surexploitation agricole conduisant à un appauvrissement des sols qui, dans une période de diminution des précipitations, aurait provoqué d’importantes famines. Le pouvoir central éthiopien migre et quitte les hautes-terres du nord-est où est située Aksoum pour les terres du centre de l’Ethiopie, où se concentre désormais la production agricole du royaume. Ce déclin, riche en péripéties historiques, voit le rétrécissement progressif de la zone de contrôle et d’influence du royaume d’Aksoum. A la fin du X° siècle, s’impose le fondateur de la dynastie Zagwé qui s’inscrit dans une continuité historique différente de celle de la dynastie salomonienne dont se réclamaient tous les Négus d’Aksoum. Ce changement dynastique marque la fin du royaume d’Aksoum, mais non pas la fin de la présence étatique sur les terres éthiopiennes. Un dirigeant se réclamant de la dynastie salomonienne reprend le pouvoir en 1270, début du Moyen-Age éthiopien.

Cette période de l’histoire éthiopienne se caractérise par le raffermissement du système féodal. Sans doute plus de 95% de la population est composée de petits paysans, dépendants de régimes fonciers qui varient suivant les régions et les époques. Il y avait une grande diversité de systèmes coutumiers, juridiques et politiques sur l’étendue de l’empire éthiopien au Moyen-Age. Mais tous les paysans sont lourdement imposés par une classe rentière composée de l’empereur, de la noblesse, du clergé et d’une lourde administration. Au bas de l’échelle sociale, les paysans sans terres ainsi que les métayers qui devaient, si l’on s’en réfère à la situation de la fin du XIX° siècle, jusqu’à 75% des récoltes aux propriétaires, en plus d’autres impôts et des corvées obligatoires. Bien que sans doute plus complexe car plus étendu et devant faire face à une diversité culturelle et géographique supérieure sur son territoire, le système féodal éthiopien n’est pas sans rappeler celui d’Europe centrale et de l’Est, qui n’a pas permis le développement d’une classe bourgeoise à même d’en réformer les structures comme en Europe occidentale. Contrairement au Royaume d’Aksoum, l’Ethiopie du Moyen-Age n’est plus une grande puissance commerciale, et la division sociale sépare d’un côté les producteurs appauvris ou asservis (l’esclavage y était développé), et les rentiers de tous acabits. Il a manqué à l’Etat éthiopien cette classe de marchands et d’entrepreneurs qui allait permettre à l’Europe de connaitre le grand « bond en avant » de la modernité.

Emmanuel Leroueil

 


[1] : On y retrouve en effet les vestiges les plus anciens au monde de toutes les étapes de l’évolution humaine, qu’il s’agisse de types d’hominidés anciens (5,8 millions d’années) ou des plus anciennes traces connues de l’homo sapiens, l’homo sapiens idaltu (154 000 ans)

[2] : The Ethiopians : A history, Richard Pankhurst, 2001

[3] : La datation de Pankhurst se prolonge avec le XVI° siècle ; la période gonderienne (1632-1769) ; le Zemene Mesafent (1769-1855) ; l’époque moderne (1855-1991) ; l’époque contemporaine (de 1991 à nos jours).

Histoire de l’Afrique (2) : l’Antiquité dans la vallée du Nil

La première forme d’Etat en Afrique est celle de l’empire de l’Egypte antique qui, sur trois millénaires (-3500 jusqu’à -31 lorsqu’elle devient une province romaine) et plus de vingt dynasties entre l’Ancien Empire et le Nouvel Empire, a laissé à l’humanité des œuvres qui continuent encore de façonner son imaginaire : les grandes pyramides, les vestiges des tombes pharaoniques les hiéroglyphes, la munificence pharaonique. Toute « civilisation monumentale » s’appuie sur la captation d’un surplus économique important qui peut être réinvesti dans des activités de prestige et dans des infrastructures collectives coûteuses. En l’occurrence, pour l’Egypte antique, il s’agit d’abord d’un surplus agricole tiré des récoltes excédentaires permises par des systèmes d’irrigation très performants. L’empire égyptien produit également un excédent économique lié à son artisanat proto-industriel particulièrement développé. Les roseaux du Nil, matière première abondante, servent par exemple à fabriquer du papyrus (papier), des pirogues, des voiles, des nattes, des récipients ménagers, qui sont vendus sur les marchés locaux et régionaux. Le commerce contribue aussi de manière importante à la richesse égyptienne.

L’excédent économique produit par ces différentes activités est en partie capté par le pouvoir central. Ce dernier s’appuie sur une administration particulièrement sophistiquée. Spécialisée et hiérarchisée, l’administration de l’Egypte antique compte beaucoup de lettrés, les scribes, qui tiennent les comptes et communiquent par écrit pour relier entre elles les différentes composantes de l’empire. Ils édictent des règles pour la gestion des champs, des troupeaux, sur l’entrée et de la sortie des bateaux. Les fonctions régaliennes de la justice, de la sécurité militaire, des affaires internationales, font partie déjà partie des attributions de cette administration. A son sommet, le vizir, sorte de Premier ministre, qui reporte directement au pharaon, qui est à la fois une puissance temporelle et intemporelle, un chef d’Etat et une représentation divine sur terre. Le pharaon s’appuie, dans le cadre de cette dernière fonction, sur un puissant clergé religieux.
La civilisation égyptienne tient sa grandeur et son rayonnement au rôle qu’y a joué le savoir. L’adoption rapide de l’écriture dynamise la diffusion et la reproduction des idées. L’Egypte joue un rôle central dans la production mondiale des connaissances de l’époque, dans le champ de la géométrie, des mathématiques, dans le développement de la médecine ou des techniques d’architecture.

La Nubie: les royaumes de Koush, Napata et Méroé

Plus bas dans la vallée du Nil, en Nubie (Nord-Soudan actuel), s’est développée une autre société agraire complexe organisée en Etat, d’une extrême longévité. La toponymie de cette civilisation change suivant les époques et les dynasties régnantes : on parle de période pré-Kerma (8000 – 2500 av J.-C.), du Royaume de Kerma, du nom de la ville capitale (2500 – 1500 av. J.-C.) puis, après une période de domination égyptienne, du Royaume de Napata (VII° au IV° siècle avant notre ère), et enfin du Royaume de Méroé (300 av. – 350 apr. J.-C.). Durant l’Ancien Empire, les Egyptiens désignaient cette région comme le Royaume de Koush. Cette civilisation est moins connue que la précédente, sans doute parce que ses pyramides sont moins monumentales mais surtout parce que, à notre connaissance, les écritures funéraires de cette région n’ont toujours pas été déchiffrées.

Si la Nubie est moins monumentale que l’Egypte, c’est aussi parce que les conditions de développement y sont plus difficiles : le climat se caractérise par des sécheresses fréquentes, le relief est accidenté et rocailleux, moins propice à l’agriculture que les terres limoneuses égyptiennes. S’y développe toutefois une civilisation nubienne qui se singularise de l’Egypte par ses croyances religieuses, ses constructions et rites funéraires, son écriture, mais aussi par son modèle économique. La Nubie a été le théâtre d’une domestication précoce du bœuf durant la période pré-Kerma qui l’a conduit à une spécialisation dans l’élevage. Mais, surtout, Kerma puis Méroé étaient des villes et royaumes carrefour commercial, qui servaient de liens entre le monde méditerranéen, les tribus nomades des déserts environnants et l’Afrique sub-saharienne. Elles sont donc devenues des plaques-tournantes pour l’échange de produits rares. Cette civilisation a également fait preuve de grands talents militaires (notamment dans l’art des fortifications), rendus nécessaires par un environnement instable et belliqueux. Les Nubiens ont fourni l’essentiel des troupes d’élite de l’empire égyptien. Les rapports entre l’Egypte et la Nubie se sont généralement caractérisés par une suzeraineté exercée par la première sur la seconde. Le royaume de Koush a longtemps été l’arrière-cour de l’Egypte, sa base de repli. Les rapports se sont parfois inversés, notamment pendant les périodes de troubles politiques internes ou d’attaques externes subies par l’Egypte. La XXVe dynastie égyptienne a été fondée par un roi Koush, Piankhy.

L’Etat successeur du royaume de Koush en Nubie, le royaume de Napata, a accru son indépendance vis-à-vis de l’Egypte. C’est en 500 av. J.C. que la capitale du royaume est transférée de Napata à Méroé, plus au Sud. Ce transfert marque le début d’une nouvelle ère de prospérité, liée à l’exploitation du fer et au déclin relatif de l’Egypte voisine, successivement attaquée par les Assyriens, les Perses, les Grecs puis les Romains. Méroé est historiquement le premier centre d’activités métallurgiques d’Afrique. L’utilisation proto-industrielle du fer est l’une des plus grandes avancées technologiques en Afrique durant toute la période des sociétés agraires complexes. Si le fer était présent en Egypte plusieurs millénaires avant J.-C., c’était comme objet de luxe et non comme objet d’usage courant. Ce n’est que vers le VII° siècle avant l’ère chrétienne que les Nubiens exploitent leurs mines de fer pour produire des équipements militaires et agricoles.

Après la chute du royaume de Méroé et sa subdivision en trois royaumes qui marque le début d’une période agitée et de déclin, cette région du Haut-Soudan sera bientôt placée dans la zone d’influence du royaume d’Aksoum (Ethiopie).

Emmanuel Leroueil