Nos semaines sont rythmées par les attentats hebdomadaires de Boko Haram. Comme toujours, expériences syrienne et irakienne obligent, la lassitude essouffle les indignations. Progressivement, cette barbarie s’ordinarise. On prie pour en échapper, en psalmodiant sur le talisman de la chance ou de l’éloignement. Pour la logistique des carnages, l’hydre sous régional ne fait pas dans la grande production : une fille, une femme, un homme travesti en femme pour l’occasion, peu importe, un voile intégral, une ceinture explosive, un lieu populeux, bingo. Autre symbolique macabre, il semble y avoir un tarif-plancher de victimes : un peu plus d’une dizaine de morts. Maroua, Ndjamena, Fotokol, écoles expérimentales de l’adoption d’une nouvelle tragédie. Dans ce continent historiquement épargné par des attaques suicides ; il est glaçant de noter comme l’on consent, finalement, impuissants, à voir ces rubriques habiter nos bulletins d’infos.
S’en offusque-ton outre mesure ? Au-delà des 140 caractères où l’émotion s’étrangle ? Une marche ? Une veillée ? Au-delà de la dépêche où les pays expriment solidarité, émotion et condamnation ? A vrai dire pas vraiment. J’ai un nouvel appétit pour les communiqués officiels de dénonciation des attentats émanant des Etats africains. Ils disent mille choses qu’il faut savoir s’infliger malgré l’ennui diplomatique de leur conception. Les Etats africains sont prompts, à quelques milliers de mètres des abords immédiats du Lac Tchad, à témoigner « leur solidarité » avec les Etats frappés.
Le mot n’a jamais sonné aussi faux. Il n’a jamais été autant une imposture. Il n’a jamais si brillamment porté en lui, la fuite, l’égoïsme et la peur. Pire que la fragilité, la pauvreté, les sociétés en lambeaux, les pays africains ajoutent une lâcheté à leur impuissance : la peur. De leurs grandes scansions panafricaines aux exaltations virilistes, ce que le combat contre Boko Haram révèle, c’est la peur. Pas celle naturelle de l’échaudé qui craint, pas sa variante prudente, pas même la phobie tétanisée tout à fait compréhensive de pays souvent suppliciés. Non, c’est une peur égoïste. C’est la peur poltronne et lâche du soldat qui laisse ses collègues en premières lignes. C’est le second ennemi au front.
Dans le front contre l’embryon de l’EI, le Tchad, le Niger, et un peu moins le Cameroun, ont tenu un rang honorable. Déby, tout couvert de tares qu’il soit, a réduit l’expansion du monstre. Il a rogné son territoire, essoufflé son autorité, l’a débusqué de sa forêt providentielle avec l’appui nigérian. Ne reste plus que la bête mal égorgée qui dans sa tourmente gicle et macule. Cette bête blessée et sa toile, qui a essaimé pernicieusement dans la sous-région. Une bête dont les hoquets vengeurs et désespérés ensanglantent les pays engagés. C’est en représailles que Boko Haram frappe le Cameroun et le Tchad. Il envoie un signal. Il met en garde. Il dissuade. Pour le moins, l’effet opère comme une anesthésie. Face à Boko Haram, les pays africains n’ont même pas mandaté, ils se sont tus, baignant dans leur peur d’être la cible.
Cette attitude dit ceci que la candeur géopolitique africaine demeure inquiétante. Tant qu’une détermination et un travail concerté, impliquant tous les pays africains sans exception, pour lutter contre tous les terroristes, ne seront pas mis sur pieds, les zones de pourrissement changeront, sans que la source ne soit tarie.
Le terrorisme n’est pas l’affaire de malchanceux géographiques, c’est l’affaire de germes à l’affût d’une brèche de chaos géopolitique, c’est l’affaire de terreau de frustration et de fanatisme. Toutes choses que les Etats du continent cultivent abondamment. Cette peur fragmentera plus le continent, créant des inégalités, des porosités, des trafics dont les métastases se diffuseront très vite. Peut-être est-il temps que les sociétés civiles sortent du confort des dénonciations et de l’attentisme. Il ne suffit pas d’attendre la verticalité des sentences étatiques, il faut les presser, les orienter, les colorer.
Il n’y a pas de calendrier naturel de guérison des maux africains. L’Homme seul et son extension sociétale en tiennent l’antidote. Il est des moments où les solidarités transnationales prennent, ce sont souvent des moments de douleur. Après la vague des indépendances, les décennies noires, le dit frémissement économique, il serait impardonnable à ce continent de rater l’opportunité de faire corps contre Boko Haram. C’est un défi aussi urgent que formidable : une Afrique par le bas.
Elgas
Article initialement sur www.ajonews.info http://ajonews.info/peur/
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Contribution à votre article : plasticienne j’ai réalisé une oeuvre intitulée « Hommage à Malala » sur les terribles enlèvements des jeunes lycèennes par Boko Haram, en écho au grand combat pour l’éducation des filles de Malala Yousafzai. Une installation que j’ai pu présenter à 400 lycéens français pour la Journée des Femmes 2018. L’action est aussi la pédagogie et le débat.
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