Mark Anthony : "Listen. Why so quiet? A tyrant is dead. Surely the people should be happy? Where is the cheering throng at your door? Where are the joyful cries of "Liberty"?"
Jusqu'à ce jour, la logique derrière l'offensive d'Ansar El Dine et des autres mouvements islamistes vers le Sud du Mali, en février dernier, m'échappe complètement. J'imagine bien que l'objectif officiel était de prendre le contrôle du pays et d'y imposer la Charia. Soit. (Rêver est un droit fondamental : j'espère bien devenir un jour le fils de Dieu, mais je me garde bien de le dire devant des enfants) Mais aussi désorganisée qu'ait été l'armée malienne, et aussi lente que la CEDEAO ait pu être, je ne peux pas croire une seule seconde que ces groupes islamistes aient vraiment pensé l'emporter.
Peut-être que le but était de provoquer une intervention de l'armée française qui légitimerait la lutte contre les "infidèles", comme cela avait été le cas en Somalie. Peut-être qu'une telle action était nécessaire pour remobiliser les jeunes recrues que la vie dans le Nord occupé commençait à ennuyer.
Quoi qu'il en soit et quelle qu'ait été la logique sous-jacente, la stratégie pèche sur un point essentiel : que faire le lendemain de la victoire? Même si les islamistes l'avaient emporté militairement et si aucune force étrangère n'était intervenue, que comptaient-ils faire des populations civiles? S'imaginaient-ils un instant qu'il suffirait de s'assurer un contrôle militaire sur une zone pour que l'affaire soit dans le sac?
La même question se pose, sous une forme légèrement différente, en Côte d'Ivoire.
Avant avril 2011 et l'assaut sur la résidence présidentielle occupée par Laurent Gbagbo, personne n'avait exercé autant de pouvoir dans ce pays que ne le fait aujourd'hui Alassane Ouattara. Ni Houphouët-Boigny dont les desiderata étaient cahin-caha contenues par le contexte historique et les nécessités du système de patronage ethnique et politique qu'il avait instauré. Ni Robert Guéï trop dupe et mal conseillé pour savoir s'en servir. Ni Laurent Gbagbo qui au cours de la décennie qu'il passa à la tête de l'Etat n'eut jamais de majorité parlementaire, ni le contrôle total sur les forces armées, ni même un premier ministre de son choix, la plupart du temps.
Aujourd'hui, seul, Alassane Ouattara peut ordonner le renvoi du premier ministre de consensus issu des rangs du second parti de la majorité et ancien parti au Pouvoir, le PDCI, sans subir le moindre coût politique. Il peut ordonner la libération au compte-goutte des leaders de l'opposition (détenus parfois dans des conditions d'insalubrité et de brutalité infra-humaines), selon ses besoins politiques; il peut promettre à tel ou tel ex-adversaire politique qu'il peut rentrer en toute quiétude sans être questionné par la justice, tout comme il peut faire arrêter tel autre par Interpol.
Même la presse – médiocre et partisane comme elle l'a toujours été – vit aujourd'hui sous un sorte de toiture électrifiée. Des pressions ont toujours été exercées sur elle, mais aujourd'hui ces pressions là ont un ton plus légaliste que jamais. Et vu "l'indépendance" de la justice, plus effrayant encore.
Au plus fort du pouvoir de Laurent Gbagabo, il était contraint de faire avec une rébellion, un pays divisé, une armée infiltrée de traîtres et d'agents étrangers, et un premier ministre de consensus ou issu de cette rébellion. Aujourd'hui, Alassane Ouattara dispose légalement de l'autorité suprême sur les forces armées légitimes et sur celles issues de la rébellion – toutes amalgamées maintenant dans cette sorte d'armée mexicaine comptant presque autant d'officiers que de caporaux.
Tout le monde a oublié aujourd'hui les raisons invoquées en septembre 2002 pour justifier la tentative de coup d'état devenue rébellion et rupture de l'intégrité territoriale du pays. Qui se souvient encore que deux réformes essentielles avaient été exigées, celle du code de la nationalité et celle de l'accès à la propriété terrienne? Plus de dix ans sont passés, après tellement de morts, de destruction, de brutalité et de haine, personne ne sait ni quand, ni comment ces réformes seront introduites.
La presse s'est focalisée sur les haines entre travailleurs immigrés et paysans autochtones dans l'Ouest du pays. Mais les grands propriétaires terriens ne sont pas à Guiglo, Duekoué ou Man. Ils sont à rechercher parmi les militants traditionnels et les sponsors du PDCI. Les bénéficiaires des concessions minières ne sont pas à chercher au sein des populations martyrisées du grand-ouest, ou parmi les enfants d'Abidjan privés d'éducation, de soin et de leur future par dix ans de conflit.
Vu l'état des antagonismes dans ce pays, qui croit encore qu'une réforme du Code de la nationalité suffira à les faire disparaître? Ou qu'il suffira d'une baïonnette et d'une carte d'identité pour que les discriminations et murmures désapprobateurs d'hier, et les vraies haines bien endurcies d'aujourd'hui s'effacent?
Ceci me ramène à la question de départ : lorsqu'en 2002 Soro Guillaume, ses amis, ses soutiens lançaient l'offensive sur Abidjan, qu'espéraient-ils vraiment? Être accueillis par une population reconnaissante?
Une décennie après, ce camp a obtenu la victoire militaire et politique – et à quel coût! Vu de l'extérieur, on a l'impression – renforcée par les mille appels du pied, menaces et tentatives de subornation de l'opposition – que les vivas et les bras ouverts manquent à l'appel. Oh, une partie plus ou moins importante de la population a célébré le départ de Gbagbo – la même qui considère que la Côte d'Ivoire existe seulement depuis novembre 2010. Mais le reste… Si le dictateur a été éliminé où sont, deux ans après, les signes de joie et de soulagement?
A Abidjan, comme à Mopti, j'ai l'impression que personne ne s'est vraiment soucié du lendemain. Ce jour d'après, qui peut être autant celui de l'amour que de la haine.
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On peut au moins concéder à Alassane Ouattara de relancer l'économie du pays et peut-être re-créer le "miracle ivoirien". Peut-être qu'une croissance économique à deux chiffres qui profite également à la population fera oublier les antagonismes.