L'Afrique a longtemps été victime des discours injustes sur son histoire et son développement. Aujourd'hui, ces discours ont légèrement changé de contenu notamment sur le plan économique. Cependant le continent est encore victime d'une image dégradante sur ses populations à travers les photos et vidéos qui y sont prises et diffusées massivement. L'image, ici fait référence à la représentation sociale qui est faite des populations africaines par les Africains eux-mêmes et par les autres. Quoique cette image ne soit qu'un reflet de notre perception, elle résulte d'images physiques, photos et vidéos, présentées par les médias et autres médiums de communications. En dépit du nouveau discours dont fait l'objet l'Afrique, la prise et la diffusion de ces images dégradantes prend de l'ampleur avec un caractère discriminatoire mais sous une responsabilité partagée.
Un phénomène de grande ampleur en progression
L'image de l'Afrique et de l'Africain fait souvent l'objet d'un traitement dégradant dans les médias. L'un des cas les plus emblématiques est celui de cette photo prise en 1994 par le photographe Sud-Africain Kevin Carter lors de la famine soudanaise.1 Cette image fige dans le temps un enfant soudanais, affaibli par la faim et la malnutrition, rampant vers le camp des Nations Unies devant un charognard attendant sa mort. Paradoxalement, cette photo a reçu le prix Pulitzer de 1994. De même, les prix Pulitzer de la photographie décernés en 1998 et 2004 représentent tous des enfants en prise avec les conséquences des conflits armés en Afrique.
Ces cas emblématiques masquent en réalité la multitude d'images photographiques et vidéos dégradantes sur l'Afrique, projetés tous les jours sur les panneaux publicitaires, les chaînes de télévision, les réseaux sociaux et les sites web. C'est le cas en particulier des images des violences en Centrafrique qui ont fait le tour du Monde. On y voyait alors des jeunes armés de machettes découper leurs concitoyens en raison de leur religions. L'Afrique des Idées avait d'ailleurs initié une pétition contre l'utilisation d'images dégradantes des victimes du conflit centrafricain. Les corps jonchant le sol après les attaques de Boko Haram dans le Nord Est du Nigeria sont exhibés dans les médias sans prendre la peine de flouter les visages. Le même traitement est fait des images issues des attaques des Shebabs à Nairobi et plus récemment à l'Université de Garissa. Jusqu'à une date récente, les victimes de la fièvre Ebola sont montrés dans leur agonie à la télé, comme si cela permettrait de les soigner ou d'éviter que d'autres ne soient contaminés. La liste est loin d'être exhaustive…
Un phénomène exclusivement africain ?
Certes, ces images de violence reflètent parfaitement la réalité des maux auxquels sont confrontés certains États africains. Cependant, elles véhiculent une image dégradante du continent et contribuent à saper la dignité de ses habitants. Or, les mêmes maux qu'elles mettent en évidence se retrouvent un peu partout dans le monde. Et pourtant, lorsqu'on examine le traitement fait des images de violence des autres continents ont s'aperçoit très vite du caractère discriminatoire de cette pratique. Les encadrés ci-dessous présentent le résultat d'une recherche effectuée sur Google Image avec le mot clé "violence continent" en remplaçant successivement continent par "Afrique", "Europe", "Amérique" et "Asie". Le résultat montre clairement le traitement discriminatoire que subit l'Afrique par rapport aux autres continents.
Les premières images qui ressortent lorsqu'on tape le mot clé "violence Afrique" sur Google Image montrent des victimes poignardées ou brûlées et des bourreaux armés de machettes ou de kalachnikovs. On y aperçoit même des enfants mutilés, des femmes en détresse, en somme des images épouvantables. Le résultat est encore plus choquant lorsqu'on fait une recherche vidéos: âme sensible s'abstenir. Cependant, sur les autres continents la recherche d'images de violence renvoie à des tableaux et graphiques statistiques, des caricatures ou des images de manifestations. Cela veut-il dire pour autant qu'il n'y a pas de violence sur les autres continents ? L'Afrique en a-t-elle le monopole ?
Résultat de la recherche d'image sur Google à partir du mot clé "violence continent" ce dimanche 5 avril 2015 à 13h à Paris.
Des responsabilités partagées
Le but de cette plaidoirie n'est pas d'identifier un accusé car malheureusement la responsabilité de cette situation est partagée entre les Africains eux-mêmes et les médias et ONG internationaux. En effet, ces images dégradantes sont également reprises par la plupart des médias africains. Dans le cas de Ebola par exemple, il est rare de trouver une chaîne africaine qui n'ait pas montré les images des ces dames pourchassées dans les rues du Libéria, de la Sierra Leone et de la Guinée par des êtres non identifiables vêtus de blanc. Les malades en agonie dans les camps sont présentés, interviewés sans aucune retenue. Il s'agit au fond d'une pratique généralisée du journalisme dans plusieurs pays africains qui ignore la dignité humaine dans des situations de détresse, car ce ne sont pas que des images de violence qui sont montrées mais généralement des images qui sapent la dignité de la personne humaine.
Dans ces conditions, comment peut-on interpeller les médias internationaux sur leur traitement des images des africains ? Qu'est ce qui empêcherait ces médias d'appliquer aux images des victimes africaines les mêmes règles en vigueur dans leur pays. Autrement, qu'est ce qui justifierait que l'on montre à la télé les vieilles villageoises souffrant d'Ebola alors qu'en même temps personne n'a jamais vu le visage d'un Européen victime d'Ebola. Et pourtant, il en existe. La recherche du sensationnel justifierait-elle ce traitement discriminatoire ?
Il existe pourtant des moyens simples d'inverser cette tendance en commençant par les Africains eux-mêmes. Dans la plupart des pays du continent, il existe des autorités indépendantes chargées de réguler la diffusion de l'information, de même que des observatoires de la déontologie des médias.
Ces institutions ont un rôle clé à jouer dans l'inversion de la tendance à la diffusion des images dégradantes sur l'Afrique. Il suffit pour cela qu'elles les interdisent, comme dans les pays Européens. Parallèlement, des actions concrètes de pétition à l'endroit des grands médias internationaux devraient les amener à signer une charte de traitement des images en provenance des zones de conflits et d'intervention humanitaire. Cette charte devrait être complétée par un mécanisme de classement des médias selon le traitement qu'ils font de l'image des africains.
D'aucuns peuvent objecter qu'il s'agit d'un épiphénomène par rapport à l'immensité des défis qui incombent aux pays africains. Certes, la satisfaction de besoins dits de base amène souvent à occulter la prééminence des dimensions psychologiques dans le processus de développement humain. Pourtant, que vaut bien un être conscient qui n'a aucune dignité ou en qui on ne place aucune confiance ? Que peut-il bien créer ou inventer ? Par ailleurs, ce traitement dégradant de l'image des Africains n'est à la gloire de personne puisqu'en définitive c'est bien l'image de l'Homme qui est dégradée indépendamment de la couleur de la peau, de la religion et du sexe.
Georges Vivien Houngbonon
1 Le photographe s'est suicidé trois mois plus tard après avoir pris cette image.
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