Plutôt que de collaborer, les capitalistes et les socialistes s’extrémisent et engendrent le populisme. L’heure n’est plus à la polarisation politique, estime Stephen Dossou, étudiant à CentraleSupélec, mais à la réconciliation des tempéraments par un capitalisme rénové qui répond aux enjeux économiques et sociaux de notre temps.
Le capitalisme est l’un des sujets polarisants qui souffrent malheureusement d’un arbitrage marqué par la diversité des tempéraments. Dans cet article, j’essaierai dans la mesure de mes aptitudes de faire une analyse de ce système, orientée par la littérature économique et alimentée par des données scientifiques.
Par capitalisme, j’entends :
- Propriété privée des moyens de production
- Recherche du profit
- Liberté de marché
- Intervention minimale de l’Etat
Critique du capitalisme
Dans un premier temps, résumons brièvement les idées des détracteurs du capitalisme. L’économiste Richard Wolff (2016) résume la critique marxiste du capitalisme par l’équation :
C’est une simple caricature mais supposons que la production rapporte 200€ :
- 100€ serviront à renouveler les moyens de production
- 50€ permettront de rémunérer les travailleurs
- 50€ constitueront alors le surplus
Sans prêter de mauvaises intentions aux capitalistes, le surplus permet naturellement de :
- se maintenir en position de pouvoir (lobbying, héritage, formations élitistes)
- former et fidéliser les travailleurs (financement d’écoles, primes)
- générer davantage de surplus (réinjection des dividendes, optimisation des méthodes)
Résultat, les riches s’enrichissent (Ray Dalio, 2018) :
- Les 1% plus riches possèdent plus de richesses que le bottom 90% combiné.
- Les 60% moins riches n’ont pas connu d’augmentation de richesse depuis 1980 et les richesses des 10% ont doublé et les 1% ont triplé.
Et dans le même temps, l’ascension sociale est dysfonctionnelle (Ray Dalio, 2018) :
- En France, les gens dont les parents font partie des 20% moins riches au monde y restent pour 35% des cas.
- En France, 70% des élèves dans des collèges désavantagés auraient des problèmes sociaux ou émotionnels significatifs.
Le problème c’est que la recherche du profit, prise isolément, produit une boucle infernale qui menace l’égalité des chances en concentrant les capitaux dans les mains des plus riches. Les capitalistes font trop souvent le choix de l’optimisation des revenus parfois au péril du bien commun (délocalisation, automatisation, pollution, surproduction, etc.).
Points forts du capitalisme
Si le capitalisme a ses torts, il n’en demeure pas moins qu’il a énormément rendu service à l’humanité : depuis son invention, le PIB par habitant et l’espérance de vie ont connu une croissance exponentielle.
Source : Principles for Dealing with the Changing World Order (2021), Ray Dalio
Le système capitaliste est en effet :
- un motivateur efficace (la rémunération est fonction de la valeur accordée par le marché au travail fourni)
- un bon producteur de ressources (un capitaliste peut difficilement permettre que la valeur de son produit soit en dessous de celle des moyens de production et de la capacité de travail de ses employés).
Note : Si on reprend l’exemple au-dessus, si le produit vaut 150€ alors que la capacité de production des travailleurs vaut 100€, il n’y a plus de marge de bénéfice pour le capitaliste.
Les structures d’investissement (les banques, etc.) permettent alors :
- de garantir la sauvegarde des ressources des individus
- d’investir dans l’économie et l’innovation.
Ainsi, le capitalisme récompenserait les productifs et les audacieux pour leur participation à l’économie et à l’innovation, et le progrès social serait possible par la découverte des capacités individuelles (Ayn Rand, 1957).
Le communisme / le socialisme historique
Malgré ces points forts du capitalisme, le communisme et le socialisme sont des systèmes qu’on pourrait lui préférer parce qu’elles sont des critiques de ses dérives. Historiquement, le communisme se définit par : « Chacun selon ses capacités et à chacun selon ses besoins ». C’est la mise en commun des moyens de production pour une distribution égale des richesses.
Dans Le Manifeste du parti communiste (1848), Karl Marx énonce dix lois du communisme. Si ces lois ne sont plus nécessairement d’actualité, il convient de les énoncer pour mieux comprendre l’Histoire :
- L’abolition de la propriété de terre et l’utilisation de tous les paiements de loyer pour des fins publiques.
- Une lourde, progressive et graduelle taxe sur le revenu.
- L‘abolition de tout droit d’héritage.
- La confiscation de la propriété de tous les émigrants et de tous les rebelles.
- Une responsabilité égale de tous pour le travail et un établissement d’armées industrielles, particulièrement pour l’agriculture.
- La combinaison de l’agriculture avec les industries de manufacture : abolition graduelle de la distinction entre ville et pays par une distribution plus équitable de la population dans un pays.
- L’éducation gratuite pour tous les enfants dans les écoles publiques : l’abolition du travail des enfants et la combinaison de l’éducation avec la production industrielle.
- La centralisation du crédit dans les mains de l’Etat, par les moyens de la banque nationale avec un Capitalisme d’Etat et un monopole exclusif.
- La centralisation des moyens de communication et de transport dans les mains de l’Etat.
- L’extension des usines et des instruments de production détenus par l’Etat, la culture des terres non utilisées et l’amélioration du sol conformément à un plan commun
Points forts historiques du communisme / socialisme
Le communisme tel que défini ci-dessus a eu l’occasion de faire ses preuves.
- En Russie, pendant les premières heures du communisme, le PIB a augmenté, l’espérance de vie s’est allongée, la mortalité infantile a baissé et les niveaux de nutrition et d’instruction se sont améliorés (Asatar Bair, 2021).
- Depuis Deng Xiaoping (1978), la Chine connaît une croissance exponentielle.
Source: Principles for Dealing with the Changing World Order (2021), Ray Dalio.
Note : En ordonnée, on a un indicateur qui prend en compte la force économique, le commerce, les forces militaires, les finances, la monnaie, la technologie et l’éducation
Critique du communisme / socialisme
Pourtant, les détracteurs du communisme ont plusieurs griefs à lui faire. Tout d’abord, pour conjuguer la productivité et la motivation des travailleurs avec la distribution équitable des richesses, le socialisme a historiquement eu recours à l’autoritarisme (et/ou a échoué). Je suspecte aussi que certaines lois du *Manifeste du parti communiste (1848) de Karl Marx soient la cause de cette tendance.
Par ailleurs, dans Les Frères Karamazov (1879) de Dostoïevski, le père Païsius déclare à propos du socialisme :
« […] le socialisme […] c’est […] la question de l’athéisme, de son incarnation contemporaine, la question de la tour de Babel, qui se construit sans Dieu, non pour atteindre les cieux de la terre, mais pour abaisser les cieux jusqu’à la terre. »
En effet, selon Jordan Peterson (2017), le communisme s’explique par le mépris des hiérarchies naturelles générées par le capitalisme. Le capitalisme produit en effet des individus dont les compétences leur permettent de se hisser au sommet de leurs secteurs d’activité respectifs. Les moins bien récompensés éprouveraient du ressentiment contre les productifs.
L’histoire d’Abel et de Caïn me permettra de mieux expliquer ce point :
« Abel fut berger, et Caïn cultivateur. Au bout d’un certain temps, Caïn apporta des produits de la terre en offrande pour le Seigneur. Abel, de son côté, apporta en sacrifice des agneaux premiers nés de son troupeau, dont il offrit au Seigneur les meilleurs morceaux. Le Seigneur accueillit favorablement Abel et son offrande, mais non pas Caïn et son offrande. […] Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua.« , Genèse 4, 2-4;8
Il existe une différence de rémunération entre un chirurgien et un infirmier, qui travaillent tous deux des heures équivalentes, en raison de l’évaluation du marché de la valeur de leur travail. Selon le capitalisme, si une profession est considérée comme cruciale et que peu de personnes sont capables de la remplir, il est mis en place un système de récompense pour inciter une poignée de personnes à fournir les efforts nécessaires pour y parvenir.
Cependant, il est également logique que certaines personnes souhaitent limiter les fortunes excessives, car elles confèrent à certains individus des pouvoirs similaires à ceux des monarques et reproduisent ce qui était critiqué dans la sphère politique dans le domaine économique (Richard Wolff, 2020).
Pourtant, lorsque ce sentiment de ressentiment entraîne une violence incontrôlable, comme dans l’histoire de Caïn et Abel, cela peut devenir dangereux. Alexandre Soljenitsyne a expliqué dans « L’Archipel du Goulag » (1973) que l’un des facteurs profonds de la création du Goulag était une haine similaire à celle de Caïn pour Abel. De tels extrêmes devraient nous alerter pour des raisons évidentes
Le communisme / le socialisme moderne
Toutefois, je ne suis pas totalement insensible aux idées du socialisme moderne. De nombreux socialistes/communistes actuels critiquent Marx et l’interprétation historique de ces systèmes. Je pense que les idées de Richard Wolff et de Slavoj Zizek méritent d’être prises en compte et défendues.
Selon Richard Wolff (2020), et certains partis socialistes (comme le Labor Party), dans une société socialiste, le surplus sera collectivement et démocratiquement utilisé pour la collectivité. L’idée est d’apporter la démocratie sur le terrain du travail et de l’entreprise (avec les notions de suffrage et de représentation).
Zizek Slavoj (2020), lui, parle d’un Etat d’urgence permanent, justifié par la pauvreté, avec des mesures similaires à celles prises pendant la crise COVID-19 : un système qui viole les lois du marché pour garantir la santé et la distribution de la nourriture.
Ces idées ne sont pas nécessairement incompatibles avec la productivité et la liberté défendues par le capitalisme et ont pour mérite de prioriser le bien commun.
L’urgence d’une réorganisation de la société
Malheureusement, plutôt que de collaborer, les capitalistes et les socialistes s’extrémisent et engendrent le populisme. Des leaders forts émergent et attisent les tensions. Place à la caricature : d’un côté, les capitalistes sont des bourreaux qui exploitent les pauvres et de l’autre, les socialistes sont des sentimentaux ou des paresseux irréalistes.
» L’intelligence des peuples démocratiques reçoit avec délice les idées simples et générales. » Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique (1835)
Cette forte polarisation de la société s’inscrit dans un contexte particulièrement sensible : **une crise économique de la même envergure que celle de 1929 est à craindre**.
Note : La crise de 2008 et la crise COVID-19 ont créé une forte impression de billets et l’achat d’actifs financiers par les banques centrales qui crée de l’inflation et des écarts de richesses amplifiés par les nouvelles technologies. Pour plus de détails, voir Principles for Dealing with the Changing World Order (2021) de Ray Dalio.
Dans un tel contexte, l’heure n’est plus à la polarisation politique mais à la réconciliation des tempéraments par une politique réfléchie qui répond aux enjeux économiques et sociaux de notre temps.
Réformer le capitalisme
Un des problèmes des gouvernements capitalistes actuels est qu’ils ne pensent qu’en termes de budget et pas en termes de retour sur investissement. Je simplifie, mais les conservateurs sont pragmatiques mais ne sont pas visionnaires tandis que les libéraux sont optimistes mais irréalistes. Si ces deux groupes travaillaient ensemble, ils pourraient investir de manière à obtenir de bons résultats économiques et sociaux.
Pour réformer le capitalisme, Ray Dalio (2018) pense qu’il faut :
- en finir avec les inégalités de chance
- unir la gauche et la droite pour mieux distribuer les richesses et maintenir la productivité
- définir des indicateurs clairs pour mesurer le succès du point 2
- créer des partenariats public-privés pour réaliser le point 2 (gouvernements, philanthropes, entreprises, etc.)
- investir dans les sujets qui améliorent les conditions de vie en même temps que l’économie (investir dans la taxe de la pollution qui dégrade la santé et l’économie, investir dans les infrastructures avec un retour sur investissement de 10-20%)
- taxer davantage les riches mais de telle sorte que la productivité globale ne soit pas endommagée
- investir davantage dans l’alimentation (3 millions d’enfants pauvres en France (20%) – l’aide alimentaire des enfants augmente de 18% leur accès au supérieur)
- investir davantage dans l’éducation (aux EU, le top 40% investit 5 fois plus dans l’éducation de leurs enfants que le bottom 60%)
- mieux payer les enseignants (d’après l’INSEE (2019), les enseignants gagnent 25% moins que les autres diplômés en France)
- accorder davantage de crédit aux moins riches pour dynamiser l’économie réelle (les riches ont tendance à sécuriser leurs richesses – pour chaque dollar investi en microfinance, environ 12$ est prêté, rendu et réinvesti)
Commentaire sur le point 6 : En taxant les riches, on prend le risque de la fuite des capitaux et d’une dégradation des performances économiques sur le court terme. Sur le long terme, si les taxes sont « judicieusement » fixées, on augmente potentiellement la productivité par la réduction des inégalités de chance et on obtient de bons résultats économiques et sociaux. C’est une direction dans laquelle il vaut la peine de regarder.
Le capitalisme tel qu’on le connaît aujourd’hui n’est pas viable. Soit on cède à la polarisation de la société et on prend le risque de semer la graine de la violence ou on opte pour la réconciliation de la société par une politique intelligente qui conjugue résultats sociaux et économiques.
Stephen Dossou, étudiant à CentraleSupélec
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