Tribunes

J’ai observé de loin, la semaine dernière, les préparatifs de la Tabaski, le grand sunnisme sénégalais se préparant à célébrer une autre de ces barbaries du monothéisme[1] : l’Aid El-Kebir (la « Tabaski », en Afrique de l’Ouest) vient commémorer le choix fait par Abraham d’égorger son propre fils, pour satisfaire aux ordres de Celui-Qui-Est – le stérile débat entre athées et croyants, tient ici, au fait que selon les seconds, le plus important est qu’une intervention divine ait empêché l’assassinat, là où les premiers ne voient que la soumission au totalitarisme.
Vivre en Europe (et penser s’installer définitivement en France – enfin, tant que l’administration publique le permet) implique de renoncer à ces extraordinaires moments de tendresse et de générosité qui précèdent le « grand pardon ». Durant toute mon adolescence, je savais qu’à cette période précise de l’année, des mains se tendraient vers moi et que de toutes les lèvres s’élèveraient ce cri, cette prière païenne, non sanctionnée par le Coran. Je savais qu’une main d’homme et qu’un sourire d’enfant m’attendraient à l’ouverture du réfectoire. Et que cette formule magnifique, terrible, m’accueillerait : « Balma Akh » (pardonne-moi !) Il fallait y répondre : « je vous pardonne ! Que le ciel nous soit miséricordieux ». Et nous autres, nous les « gniacks », les ‘étrangers’, nous savions que rite ou pas rite, c’était l’expression d’une profonde repentance, une confession sans prêtre, une repentance sans commissaire politique. Rien ne me paraît plus suspect que l'attribution de qualificatifs globaux à une nation, un peuple ou une communauté particulière. Derrière le "génie" du peuple français, il y a la torture en Algérie. America is Beautiful, mais pas à Guantanamo. Mais plus que la "Teranga" (fluctuante), la gastronomie (lourde) et la musique (très lourde), ce qui caractérise le Sénégal que j'ai connu, c'est cette décence. Cette increvable décence.
J’ai vécu la semaine dernière, dans une sorte de bulle, malheureux et anxieux, comme un enfant abandonné. Le fait est que, je suis resté un gosse de Saint-Louis. Quand le jour se lève, à Paris, Rio ou même Abidjan, et que les premiers coups du froid me réveillent, je sais ce qui me manque : l’appel du muezzin.
[1] La rapidité avec laquelle les épisodes les plus barbares du monothéisme (et il y en a une chiée) deviennent des moments de célébration, m’a toujours surpris : Yom Hakippourim (Yom Kippour) est basé sur la mort des fils d’Aaron (choisi comme porte-parole parce que son frère Moïse était bègue – on n’essaie pas impunément de se convertir au judaïsme), la trahison de la Loi par le peuple hébreu, et l’instauration du rituel du bouc-émissaire. La merveilleuse Pâques chrétienne suit l’épouvantablement violente passion du Christ.
Leave a comment
Your e-mail address will not be published. Required fields are marked with *