Il y a presqu’une indécence à mourir sous les bombes, en espérant émouvoir, quand bien même on est innocents, nombreux et impuissants, depuis la dévaluation de la mort en Syrie. L’on s’est fait à l’idée, à force d’habitude, de lassitude, de difficulté à identifier les bourreaux des victimes, que le carnage était la seconde langue du Proche- et Moyen-Orient. C’est une lâcheté du monde, rien d’autre, qui, dans la plus grande cruauté, s’installe comme le parti le plus simple. Que les morts franchissent alors les paliers de 100, 1.000, 10.000, l’indignation, la brève émotion, les larmes, sont les seuls soins que l’on apporte aux morts. Bien maigres. On a fait le deuil d’une intervention militaire dont le potentiel meurtrier peut s’avérer plus grand. Les gendarmes du monde n’ont pas d’urgence. Nous n’avons donc plus que l’indignation comme seule ressource. J’ai tari mes larmes en Syrie et je sens que le reflux qui perle pour Gaza s’assèchera aussi, parce qu’en fin de compte, on ne peut rien faire dans ces guerres inégales, où tueurs et tués s’échangent les rôles.
Mais les conflits ont ceci de têtu qu’ils se délocalisent, s’invitent à nos tables, et colorent nos problèmes, même quand on ne pense pas être concernés. Ils s’exportent et transmettent ce virus du clivage. Hospitalière de coutume, l’Afrique les reçoit, et sa jeunesse, majoritairement, se rince de compassion pour la Palestine. Il faut dire qu’entre co-victimes de l’Histoire, l’union était évidente. Les affinités religieuses la cimentent. La soif d’indépendance commune aux deux entités aboutit le mariage. Il y a plusieurs problèmes à ce propos à régler : Israël et la Palestine se foutent, à dose égale, de l’Afrique. L’Afrique n’a d’actualité chez eux que quand il s’agit respectivement de mener la vie dure aux immigrés est-africains, et quand le passif raciste semble toujours si invincible. L’Afrique n’y a pas bonne presse. Au mieux, elle est cette bête que l’on rechigne à adopter et que l’on feint d’aimer.
L’Afrique n’a jamais eu de véritables amis. Il ne faut pas qu’elle s’en crée sur des autels trompeurs. Elle doit s’aguerrir au cynisme froid du monde. Ne s’emprisonner dans aucune fièvre compassionnelle mais se positionner pour son intérêt et son intérêt seul. C’est un égoïsme salvateur dont il ne faudra pas faire l’économie. Et encore plus important, le continent noir a des problèmes plus graves, des morts internes plus nombreuses, des conflits frais. Il ne peut s’autoriser à s'affecter de l’émotion et de l’attention à d’autres causes. Je sais ce qu’il y a de tentant à se rêver en héros, vivifiés en dessin où Arafat, Sankara, Chavez, se côtoient, mais ce confusionnisme pathologique est une voie sans issue. Un cul-de-sac où s’avance à vive allure une jeunesse qui, incapable de guérir les plaies africano-africaines, rêvasse aux mythes et légendes.
J’ai eu une relation hostile à l’afro-optimisme, également à l’afro-pessimisme, jusqu’à ce que je trouve en l’afro-responsabilité un équilibre correct. A mon sens, elle doit être la lucidité, pas le parti pris, pas l’appartenance, pas de la solidarité de fait, pas l’amour systématique de l’Afrique, mais la liberté de conscience : celle qui s’émancipe des slogans, celle qui donne quitus pour critiquer le continent, celle qui banalise l’Afrique, celle qui braque les yeux sur les problèmes internes du continent, les seuls sur lesquels on a une prise. C’est à cette initiation au cynisme, afro-responsabilité en d’autres termes, que j’invite. Gaza devait en être la première étape.
Souleymane Gassama
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Merci pour cet article, je partage totalement ton opinion.
Lorsque des conflits déséquilibrés ont lieu en Afrique, tout le monde s'en fiche, et en premier lieu le monde arabe. Lorsque le nord-Mali a été pris par les rebelles et terroristes divers, l'Afrique du Nord a refusé toute intervention, et les Maghrébins n'ont rien trouvé de plus intelligent que de manifester contre l'intervention de la France au Mali (Algérie, Egypte, mais aussi en Europe). Je trouve donc incohérente la solidarité des Subsahariens avec le peuple de Gaza.
Total désaccord avec cette analyse réductrice! On ne peut pas nous faire croire que la qualité d'être humain est incompatible avec une vsion froide de l'afro-responsabilité. Ce n'est pas parce qu'une partie du monde ne s'occupe pas de l'Afrique, que l'Afrique ne doit pas s'occuper d'elle. S'indigner, en tant qu'être humain, d'actes barbares concernant d'autres êtres humains, n'a rien de naif. Sauf à faire preuve d'autisme géopolitique aux relents afro-centristes et nombrilistes. La meilleure façon d'oeuvrer pour la paix universelle, ce n'est pas de n'en avoir que pour sa propre tête. Et dire que les Arabes ne s'occupent pas de l'Afrique, donc la Palestine ne doit pas préoccuper les Africains, c'est le pire sophisme au monde. S'il faut faire porter ce raisonnement à l'afro-responsabilité, non merci!
Petite correction: beaucoup d'Arabes sont Africains. Le Maroc par exemple privilégie désormais ses investissements au sud du Sahara. La Mauritanie compte une très forte population Arabe que l'on considère comme africaine. Il ne s'agit donc pas de parler des Arabes mais de ne pas hiérarchiser la détresse des peuples face au conflits. La détresse humaine au moyen-orient est internationale mais ne doit pas être la priorité des Africains puisqu'ils la cotoient dans leur propre pays.
Je suis d'accord quand vous dites que l'afrique n'a pas d'amis et qu'elle devrait d'abord songer à ses intérêts. C'est ainsi que les nations en tant que entité étatique devraient fonctionner, mais vous n'empécherez pas des individus isolés de s'émouvoir, d'être solidaires face à une cause, de s'indigner d'une injustice même quand celle ci ne les concerne pas directement.